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HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE,
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HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE,
Par tAbbl Ragu en et.
Nouvelle Edition plus corre&e que les
précédentes.
A PARIS, RUE DAUPHINE;
Chez Claude-Antoine JOMBERT,
fils aîné, Libraire du Roi pour le
génie 6e l'Artillerie.
M. DCC. LXXTÏT
^ÏVktiïfïS.f
&C3
^AVERTISSEMENT
Z> Z7
LIBRAIRE.
LA vie des Grands Ca-
pitaines étant tou-
jours extrêmement inté-
reflante , j'ai cru que le
public recevroitavecplai-
fir celle que je lui procu-
re aujourd'hui d'un des
plus renommés d'entre
eux.
Une autre raifon pour-
a iij
Avertissement.
ra contribuer à la lui faire
recevoir agréablement :
c'eft qu'elle à été écrite
par un homme fort atta-
ché à la Famille de ce
grand Capitaine, dans la-
quelle il a prefque tou-
jours vécu , & qui ne lui
a refufé aucun des fe-
cours néceffaires pour en
faire un bon Ouvrage.
C'eft ce qu'on pourra fa-
cilement remarquer, par
les Mémoires fecrets, &
les Lettres d'Etat, qu'il
cite de tems en tems.
D'ailleurs s'il s'y trou-
ve par - ci par - là quel-
Avertissement.
ques petites négligences
de ftyle , c'eft qu'on a
mieux aimé le donner fi-
dèlement tel qu'on l'avoit
reçu , que d'altérer la dic-
tion d'un Ecrivain déjà
connu , & de réformer
fon Ouvrage.
Pour en rendre la lec-
ture plus utile , on a feule-
ment pris foin d'ajouter
des Sommaires à la marge
de chaque Paragraphe ;
& à la fin de l'année 1 760.
Une petite remarque qui
a paru néceiïaire pour fai-
re connoître le génie dé-
fîntérefTé du Héros de cet
Ouvrage. a iv
Avertissement.
Les Médailles font tou-
tes placées à la fin dans
cette Edition , & ren-
voyées par des numéros:
il ne faudroit, pour juger
de la préférence quelle
mérite fur les anciennes
Editions , que confronter
la Médaille N°. 6 dont
on avoit changé la repré-
fentation & la Légende 5
prefque toutes les autres .
étoient defe&ueufes.
HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE.
LIVRE PREMIER.
E Règne de Louis XIV Nombreir-
fi.it fienalé dès fon com- fcsConquêtes
° r du Reene de
mencement par un fi Louis Xiv ,
grand nombre de vic-
toires 6c de Conquêtes , que rien
n'avoit fait plus d'honneur aux
François depuis l'établiflement de
leur Monarchie. J'entreprends d'é-
crire la vie d'un Capitaine qu'on dues prïncî-
doit regarder comme le principal P?Iement a*
infiniment de ces victoires & de t wewU
tes Conquêtes j d'un Général d'Ar-
A X
îo Histoire du Vicomte
mée, que la France peut oppofer,
non-feulement à tous ceux des der-
niers fiecles, de quelque Nation
qu'ils foient , mais encore aux
Grecs , aux Romains, & à tous les
autres grands Capitaines de l'anti-
quité,-car tel eft le Vicomte de
Turenne.
:- Difficulté Je n'ignore pas les difficultés
"Jj| Jree ^on de l'entreprife dont je me charge.
Je fais quelle efl l'attente du Pu-
blic touchant cet Ouvrage. Ce-
pendant , pour la remplir , on n'a
que la vie d'un homme , qui a fait ,
à la vérité , les actions les plus
grandes , mais qui font encore
moins grandes par elles-mêmes ,
que parle principe qui les produit ,
par les motifs d'où elles partent ,
& par les fentimens qui les accom-
pagnent : toutes chofes où il n'eft
prefque pas permis à l'Hiflorien de
fouiller,
tant par rap- Si l'on n'avoit à écrire que la
port aux Té- vie d'un Héros de quelque fiecle
fort éloigné du nôtre > il feroit ai-
fé de compofer fon hiftoire , fans
craindre d'être contredit par au-
DE TlTRENNE. Llv. L II
cun témoin , en ramaffant tout ce
qui fe trouveroit de lui dans les li-
vres. Mais quantité de perfonnes,
qui ont vécu avec le Vicomte de
Turenne , vivent encore : c'eft aux
Officiers & aux foldats , qui ont
fervi fous lui , qu'il faut que l'Hif-
torien raconte ce qu'ils ont fait eux-
mêmes, & ce qu'il n'a pas vu. Il
faut faire une Hiftoire détachée,
pour un homme qui a eu tant de
part aux événemens publics, qu'il
iemble qu'il faudroit écrire l'Hif-
toire générale de fon tems , pour
bien faire la fienne.
D'ailleurs , comment conferver <iue pa* »?-
le génie du fiyle hiftorique , enpo"au tyiC
racontant certaines actions fi gran-
des & fi élevées , que le récit le
plus fimple qu'on en puiffe faire , ne
iauroit manquer d'avoir toujours
je ne fais quel air d'éloge & de pa-
négyrique }
Telles font les difficultés qu'il vains y ont
y a à faire l'Hiftoire du Vicomte de écboué?
Turenne. Plus d'un Ecrivain y a
déjà fuceombé ; & il femble qu'el-
les devroient détourner tout h
A vj
i 2 Histoire du Vicomte
monde de l'entreprendre , outre
que perfonne ne paroît avoir moins
befoin d'Hiftoire que ce Prince ;
les chofes qu'il a faites pour le bien
ck pour la gloire du Royaume ,
étant d'une nature à ne pouvoir ja-
mais être oubliées. En effet, il
n'y a point de François qui ne fâ-
che de quoi la France lui eft rede-
vable ; il n'y a point de père qui
ne l'apprenne à fon fils : de forte
que, lans le fecours de l'Hiftoire ,
ce qu'il a fait ne fauroit manquer
de paffer jufqu'à la dernière pofté-
rité ; mais outre ces actions écla-
tantes , que prefque perfonne n'i-
gnore, il y en a beaucoup d'au-
tres qui font moins connues, &
dont je crois être affez inflruit pour
en faire part au Public , les ayant
apprifes par le moyen des Mémoi-
res particuliers qui m'ont été com-
Kouveaux muniqués. Ces Mémoires font ceux
Mémoires fe- du Vicomte de Turenne , qu'il
««s , commença à écrire de fa propre
main, fi-tôt qu'il fut à la tête des
armées ; les Lettres du Roi & des
Secrétaires d'Etat qui lui ont été
DE TURENNE. Liv. I. Ij
écrites pendant tout le tems qu'il a
commandé , ôc fes réponfes à ces
Lettres.
Des perfonnes d'une haute dif- commune
tinclion m'ayant procuré ces diver- ^euuers a 1 Aaz
fes pièces , dont on peut tirer de fi
grands fecours pour fon Hiftoire ,
je me trouve engagé , par leurs
inftances , à les mettre en œuvre ,
& à faire tous mes efforts pour ré-
pondre à la confiance dont on m'a
honoré.
Je vais donc efiayer de raconter quî entre-
tout ce qu'a fait le Vicomte de Sg*^"
Turenne , foit en France , foit
dans les Pays Etrangers, durant
la plus grande partie du fiecle
paffé.
Je tâcherai de faire connoître Son plan;
cetteprofonde intelligence avec la- géunc£n£ Jfc
quelle , ayant formé le plan de fa
Campagne, il favoit où il rencon-
treroit les Ennemis, où il leur li-
vreroit bataille , & tous les mou-
vemens qu'il leur feroit faire : ce
caractère particulier de valeur , qui
le rendoit en même - tems fi cir-
confpeft à donner des batailles, &
Us vertus
1 4 Histoire du Vicomte
fi prompt à s'y déterminer dans
l'occafion : car , quoique , pour
ménager le fang de (es foldats , il
évitât, autant qu'il pouvoit , d'atta-
quer les ennemis , il prenoit néan-
moins fi promptement fon parti,
lorfqu'il étoit néceflaire d'en venir
aux mains , qu'il ordonnoit un com-
bat & une bataille , comme un
autre auroit fait un fimple campe-
ment & une fimple marche , fans
aflembler pour cela de Confeil : de
quoi même qui que ce foit ne fe
formalifoit ;la fupériorité de fes lu-
mières reconnue , faifant que per-
fonne ne s'offenfoit de n'être pas
côKifulté. Je ferai voir cette difpo-
fition d'efprit û fage , qui le porta
toujours à penfer modeftement de
lui-même avant le combat, & à
parler des Ennemis avec honneur
après la vi&oire.
Je dirai comment fa vertu naif-
fante excita d'abord la jaloufie ;
& comment fon mérite s'accrut par
la fuite jufqu'à un tel point, qu'il
fit de fon vivant même taire la
médifance , & que fes Concurrens
BE TURENNE. Liv. I. Ij
cefferent enfin d'être fes envieux ,
& applaudirent comme les autres
à fa gloire.
Il n'y a rien dans ces derniers & le caraftere
fiecles , qui puiffe nous fournir de fon Heros*
une idée jufte de la {implicite gui
étoit le véritable fond de fon ~ca-
ra&ere : il faut remonter pour
cela jufqu'au premier âge de la
République Romaine ; ôt c'eft là ,
où, dans les fentimens d'un pe-
tit nombre de Capitaines égale-
ment grands & modeftes , nous
trouverons des traits , parle moyen
defquels nous pouvons nous for-
mer quelque image de ce caractère
{impie , qui a porté à un fi haut
point de grandeur le Vicomte de
Turenne. Cette réputation générale
qu'il s'efl acquife , il ne la doit
à rien de ce qui éblouit la plupart
des hommes. Il n'avoit ni l'air
impofant , ni même l'extérieur pré-
venant; mais une aimable fimpli-
cité accompagnoit toutes fes pa-
roles & fes actions ; vertu rare dans
une aufli grande élévation que celle
cù il étoit, & qui, jointe à ce
1 6 Histoire du Vicomte
génie éminent qu*l avoit pour là
Guerre , le fit adorer de tout le
monde , ainfi qu'on le verra dans
la fuite de fon Hiftoire,
Année
Henri de la Tour d'Auver-
itfit. gne, Vicomte de Turenne, na-
Naiflknce qUit à. Sedan le 1 1 Septembre de
du Vicomte^ , , T1 ; .fr , ~.
deTurcnne.l année 1611. Il etoit fécond fils
de Henri de la Tour d'Auvergne,
Duc de Bouillon , Prince Souve-
rain de Sedan , & d'Elifabeth de
Naffau , fille de Guillaume de Naf-
fau I du nom, Prince d'Orange.
Ainfi , du côté paternel , il tiroit
fon origine des anciens Comtes
d'Auvergne , dont la Maifon , par
fes alliances , tient à ce qu'il y
a de plus grand en Europe pour
la nahTance; & du côté mater-
nel, il defcendoit de la Maifon de
Nafîau , qui a donné un Empe-
reur à l'Allemagne , plufieurs Ca-
pitaines généraux à la République
de Hollande, & un Roi à l'An-
gleterre.
SesParens,. Comme les Parens du Vicom-
&fonédu°c^te de Turenne étaient de IaReli-
DE TURENNE. Liv. I. 17
gion Prétendue Réformée , ils le A n n é a
rirent élever à Sedan , dans lesl5lI,ôcc'
principes de cette Religion. Si-tôt
qu'il fut en âge d'avoir des Maî-
tres, le Duc de Bouillon , fon
Père , mit auprès de lui des gens
capables de lui donner une édu-
cation digne de fa naifTance & des
grandes vues qu'il avoit pour lui.
Dans ces premières années , où
l'homme, encore incapable de dé-
guifement , découvre également fes
bonnes &£ fes mauvaifes qualités,
il fit voir une maturité fi fort au-
deffus de fon âge , un fi grand
empire fur lui-même , &l une dif-
pofition d'efprit fi préparée à em-
braifer tout ce qu'on lui propofoit
de raifonnable , qu'on jugea bien
dès-lors qu'il étoit né pour don-
ner au monde de grands exemples
de vertu. ■
Le tems de l'éducation domef- A ] M . _
tique étant fini, &: le Duc deBouil- iJfx<-
Ion étant venu à mourir , la Du- Envoyé en
chefTe de Bouillon , chargée de la Hollande au
conduite de fes enfans , envoya le r^" .
ï8 Histoire du Vicomte
Année Vicomte de Turenne en Hollande ;
"&$• pour y apprendre le métier de la
Guerre fous le Prince Maurice de
NafTau fon frère , qui paffoit à jufte
titre pour un des plus grands Ca-
pitaines de fon liecle.
qui Je fait fer- Si-tôt que le Vicomte de Tu-
;ir , cc0I?\rae renne fut arrivé en Hollande, le
Prince Maurice , ion oncle ? voulut
favoir quel étoit fon caractère ;
& il l'entretint long-tems , pour ce-
la fur toutes les chofes qui pou-
voient le lui faire connoître à fond.
Le Vicomte de Turenne avoit na-
turellement je ne fais quel embar-
ras dans la langue , qui faïfoit que
lorfqu'il vouloit parler il demeu-
roit quelquefois un petit inftant
fur la première fyllabe de certains
mots avant que de les achever;
mais tout ce qu'il difoit étoit fi
fenfé & fi jufte, que cette petite
difficulté qu'il avoit à s'énoncer ,
n'empêcha point que le* Prince
Maurice ne conçût de lui une idée
très-avantageufe. Il lui fit aufTi-
tôt prendre un moufquet, & vou-
D£ TU'RENNE. Liv. I. If)
lut qu'il feryît comme un fimple r~
Soldat , avant que de 1 élever a au- i$15.
cun grade.
Le Vicomte de Turenne , qui Sa grande
ne refpiroit que les fonaions duJJ^
métier , n'en reflifa & n'en dédai-
gna aucune ; il ne trouva rien de
bas pour lui , ni de trop pénible.
Le Capitaine fous qui on le mit ,
étoit né VaiTal du Duc de Bouil-
lon fon père , & le Vicomte de
Turenne lui obéiiïbit comme le
moindre Soldat de la Compagnie :
il ne fe plaignoit ni des incom-
modités du climat , ni des inju-
res des faifons. Enfin il fit paroî-
tre , dans tous les exercices , tant
de fermeté 6c de patience , & une
ii grande application au Service ,
que le Prince Maurice , charmé des
heureufes difpofitions qu'il lui trou-
voit pour la Guerre , fe propofoit
de prendre foin de les cultiver ,
& s'en faifoit déjà un plaifir par
avance , lorfque par malheur il
vint à mourir. Ainfi on peut dire
que le Vicomte de Turenne s'eil
formé lui-même, n'ayant plus fer-
io Histoire du Vicomte
A ***$.* E v* depuis ^ous aucun Capitaine de
qui on puiue avoir lieu de croire
qu'il ait rien appris de tout ce qu'il
a exécuté de grand dans l'Art mili-
taire.
s l6l6t Après la mort du Prince Mau-
Faîc Ca i- r*ce ^e Naffau , les Hollandois
tainedinfan- ayant remis le gouvernement gé-
Princ W'd* n^Yd^ ^e ^eurs Armées au Prince
rie Henn;fert Frédéric-Henri fon frère , ce Prin-
aux sièges de ce donna au Vicomte de Turenne
Boiduc, & Â "ne Compagnie d'Infanterie , à la
repris de trop tête de laquelle il fervit aux Sièges
de Groll & de Boiduc, &: montra
qu'il n'étoit pas moins bon Offi-
cier que bon Soldat. On ne voyoit
point , dans toute l'Armée ,. de
Compagnie plus belle , ni mieux
disciplinée que la fienne. Tout jeu-
ne qu'il étoit , il ne s'en repofoit
point furies foins d'un Lieutenant;
il faifoit lui même faire l'exercice
aux Soldats, il les dreffoit avec pa-
tience , il les formoit avec bonté ,
il les corrigeoit à propos ; & fa
bourfe leur étpit ouverte dans tous
leurs befoins. Il alloit toujours le
premier à la tranchée ôc aux at*
DE TURENNE. Liv. L II
taques. Son Gouverneur, quiétoit a n n é
un homme de fervice, s'efForçoit I*i**
en vain d'empêcher qu'il ne s'ex-
pofât comme il faifoit ; hors de-là ,
il le refpecloit comme fon père ;
mais quand il s'agifîbit de don-
ner l'exemple à ceux à la tête de
qui il étoit , il n'avoit égard qu'à
ce que demandoit fon honneur.
Le Prince Frédéric-Henri , ion on-
cle , crut même devoir lui repro-
cher , comme une ardeur immo-
dérée , ce courage qui ne connoif»
foit point de péril ,afïn de lui don-
ner quelques bornes; mais il avoit
bien delà peine à difîimulerla joie
qu'il reflentoit d'être obligé à lui
faire de tels reproches , dans le tems
même qu'il les lui faifoit : juf-
ques-là qu'un jour, après lui avoir
fait une de ces fortes de répriman-
des , il fe tourna vers les Officiers
qui étoient préfens , & leur dit
qu'il fe trompoit fort, ou que ce
jeune homme effaceroit la gloire
des plus grands Capitaines. AufTi
n'y avoit-il pas un feul des Soldats
de fa Compagnie qui n'eût eu hon-
I6i6.
11 Histoire du Vicomte
Ai* w t i te de ne le pas fuivre aux endroits
même les plus périlleux , & de
n'y pas faire paroître de la bra-
voure à fon exemple. Celui qui
a dpnné fa vie au Public , avant
moi , raconte plufieurs actions fort
brillantes que le Vicomte de Tu-
renne fit , à ce qu'il prétend , n'étant
encore que fimple Capitaine , & je
pourrois en embellir ici cette Hif-
toire ; mais n'en trouvant aucune
preuve en nul autre endroit , &C
n'eftimant pas que le témoignage
d'un particulier fuffife pour fonder
la certitude d'un fait hiftorique ,
je ne les rapporterai point. J'aime
mieux m'expofer au reproche d'a-
voir omis quelques actions glorieu-
fes à la mémoire du Prince dont
j'écris la vie , qu'à celui d'en avoir
fuppofé pour lui faire honneur ; &
je yeux raconter toutes chofes avec
tant d'exactitude & de fincérité ,
que cet Ouvrage ne foit pas moins
un monument de la fidélité avec
laquelle on doit écrire l'Hiftoire ,
que de la gloire immortelle du
Vicomte de Turenne* Cependant,
DE TURENNE. Liv. L 2$
i continuent de. fervir en Hollan- A M N i j
le. Les François , qui s'y trou- ^^>
f oient en grand nombre , & qui
ivoient été témoins de fes actions
&defa conduite , enavoient écrit
iluûeurs fois à la Cour : ils en par-
oient comme d'un prodige de fa-
;effe, Se il étoit déjà connu en
7rânce , lorfque les affaires de fa
vlaifon l'obligèrent à s'y rendre,
sdais avant que de raconter ce
ju'il fit pour le fervice de cette
Couronne , aux intérêts de laquelle
1 demeura attaché pendant pref-
jue tout le refte de fa vie , il efl
i propos de faire connoître quelle
îtoit , dans ce tems là , la diipofi-
ion de la France , tant pour les
iffaires du dedans du Royaume ,
jue par rapport aux Etats voifins,
Si de donner une idée du caractère
de ceux qui a voient part au Gou-
vernement.
Louis XIII , qui régnoit alors , Richelieu
avoit bien fu connoître que le è-^™01^
Cardinal de Richelieu avoit un gé- Louis xm.
nie fupérieur à celui de toutes les
âutresperfonnes qui entroient dans
'Année
.1616.
24 Histoire du Vicomte
fon Confeil , & perfuadé qu'il avoit
d'ailleurs du zèle pour fon fervice ,
& de l'attachement pour fa per-
fonne , il l'avoit fait fon premier
Miniftre , & lui avoit remis l'ad-
miniûration générale de toutes les
affaires.
forme le def- Le Cardinal de Richelieu fe
fein d'abaif- vovant maître de difpofer comme
fer la Maifon .. J * • 1 * -rr r
d'Autriche. « voudroit de la puiilance iouve-
raine, réfolut d'élever la France
à un fi haut point de grandeur ,
que fon Miniflere devînt célèbre
dans tous les fiecles à venir. Il
falloit pour cela abaiffer la Maifon
d'Autriche, qui, poffédant l'Em-
pire d'Allemagne & la Monarchie
d'Efpagne, fe trouvoit fort au-
deffus de toutes les autres Maifons
de l'Europe ; ôt c'efl: aulîi ce qu'il
avoit entrepris de faire. Mais com-
me l'autorité de Louis XIII n'é-
toit pas fort abfolue dans fon pro-
preTloyaume , le Cardinal de Ri-
chelieu n'avoit pas ofé d'abord
faire déclarer ouvertement la Fran-
ce contre la Maifon d'Autriche. Il
s'étoit contenté d'aflifter^ comme
Alliés «,
DE TURENNE. Liv. L If
Alliés , les Suédois & les Hollan- Année
dois , qui etoient en guerre avec
l'Empereur & avec le Roi d'Ef-
pagne ; & afin de pouvoir bien-
tôt tourner toutes les forces de la
France contre les Impériaux , 6c
contre les Efpagnols , il appliquoit
tous fes foins à rendre le Roi fi ab-
fblu chez lui , qu'il n'eût plus rien
à craindre du dedans du Royau-
me , lorfqu'il porteroit la Guerre
au dehors : car la PuhTance Sou-
veraine partagée , comme elle Té-
toit alors , fe trouvoit réduite à
bien peu de chofe. La Reine Mère ,
le Duc d'Orléans > frère du Roi ,
les Princes du Sang , & les Grands
du Royaume, vouloient tous avoir
part au Gouvernement. Les Parle-
mens prenoient connohTance des
Affaires d'Etat ; les Calvinifîes
avoient des Chefs &c des Places
de fureté ; les Mécontens entrete-
naient des liaifons avec les Ducs
de Lorraine &: de Bouillon , qui ,
par le moyen de Nancy &c de
Sedan , Places fi voifines de la
France ? leur fourniffoient dans le
B
16 Histoire du Vicomte
befoin des retraites faciles &c affu-
rées,
Le Cardinal de Richelieu , avant
&fommer les <Iue ^e r^en entreprendre contre les
Grands du Etrangers , obligea la Reine Mère
Royaume. * fortir du Royaume , & les Prin-
ces du Sang à fe contenter de leur
Appanage. Il fit couper la tête à'
quelques-uns des Grands , & ar-
rêta les autres par la crainte du
même traitement : il réduifit les
Parlemens à ne plus fe mêler d'au-
tres affaires que de celles des par-
ticuliers : il enleva aux Calviniïtes
la Rochelle , & leurs autres Forte-
reffes les plus confidérables : il en-
voya une armée dans la Lorraine ,
pour fe rendre maître des princi-
pales Places de ce Duché ; & enfin
il fit figner à la Ducheffe Douai-
rière de Bouillon , un Traité , par
lequel elle promettoit de demeurer
toujours attachée aux intérêts du
Roi , qui , de fon côté , s'engageoit
à prendre fa Maifon fous fa pro-
tection.
"" Telle étoit la fituation des Af-
faires de la France , lorfque la Du-
DE TURENNE. Liv. I. 1J
cheffe de Bouillon , ayant appris a n n ê *
que le Cardinal de Richelieu , non l6*°>
content du Traité qu'il lui avoit Turenne en-
fait figner , avoit defïein de lui de- cv°yéeû Fc^
mander qu'elle reçût garnifonFran-
çoife dans Sedan , elle jugea à pro-
pos d'envoyer le Vicomte de Tu-
renne en France ; afin qu'il y fer-
vît comme d'otage & de caution
des engagemens qu'elle avoit con-
tractés avec cette Couronne , &
qu'on ne lui fît pas de nouvelles
proportions , au préjudice de la
Souveraineté du Duc de Bouillon,
fon fils aîné.
Le Vicomte de Turenne étant y eft très-bie*
donc allé à la Cour de France , il j^* Et
fut reçu du Roi & du Cardinal mène,
de Richelieu , avec tous les hon-
neurs ôc toutes les carefTes que
lui dévoient attirer fa naifTance &c
fon mérite perfonnel ; & on lui don-
na un Régiment d'Infanterie , à
la tête duquel il fervit au fiége
de la Mothe : car le Cardinal de
Richelieu , ayant envoyé ordre au
Maréchal de la Force d'afliéger
cette Ville , qui étoit la feule Pla-
Bij
18 Histoire du Vicomte
A n m e e ce confidérable , qui reftât au Duc
l6™- de Lorraine , le Régiment de Tu-
renne fut du nombre de ceux
qu'on deflina pour cette expédi-
tion.
Sert au siège La Mothe étoit une ForterefTe
4eiaMcnhe. fituée fur le haut d'un Rocher fort
élevé , & d'une dureté à l'épreuve
de la fape & de la mine. Lorfque
le Maréchal de la Force eut avan-
cé fes travaux , d'une manière à
pouvoir attaquer un des battions
de la Place , il y envoya le Mar-
quis de Tonneins fon fils , avec
fon régiment , qui y fut fi maltrai-
té , qu'il fut contraint de venir fe
renfermer dans les lignes. Le len-
demain , le Vicomte de Turenne
fut commandé avec fon régiment,
pour attaquer ce même baftion.
Chacun avoit les yeux tournés fur
ce jeune Colonel; &fa réputation
naifTante rendoit toute l'armée
attentive à l'événement de cette
entreprife. Les Affiégés faifoient
non-feulement un très-grand feu ,
mais ils tranfportoient encore fur
leurs remparts des pierres d'une
DE TURENNE. Liv. 1. 1<)
groffeur prodigieufe : ils les jet- a n n é
toient de deffus le parapet ; ôc ces *6**
pierres venant à donner fur les
pointes de la Roche , en tombant >
le fendoient en pièces &£ en éclats ,
qui , volant de part &: d'autre ,
tuoient ou eftropioient par-tout les
Afîiégeans. Malgré tout cela , le
Vicomte de Turenne s'avança d'un
grand fang froid vers la brèche :
les foldats de fon régiment , fiers
de l'avoir à leur tête , ne furent ar-
rêtés par aucun danger , quelque
grand qu'il fût. Les Afîiégés , ani-
més par l'avantage qu'ils avoient
eu le jour précédent , firent les der-
niers efforts pour chaffer le Vi-
comte de Turenne , qui faifoit tout
enfemble le devoir de Capitaine,
& celui de Soldat , attaquant les
ennemis avec vigueur, & donnant
(es ordres avec beaucoup de pré-
fence d'efprit , au milieu des morts
&: des bleffés , que le canon , la
moufqueterie & les pierres , fai-
foient tomber à fes côtés. Aufîi ,
malgré les efforts des ennemis, qui
fe battirent en défefpérés , il les
B iij
jo Histoire du Vicomte
A n N é * chaffa du baftion , y fit fon loge-
i6>4* ment , & fut caufe en partie de la
prife de la Ville. Il en reçut des
complimens de toute l'armée , Se
enfuite de toute la Cour, quand
on y eut appris ce qu'il avoit fait
pour la prife de cette Place ; car
le Maréchal de la Force lui rendit
toute la juftice qui lui étoit due ,
dans la relation qu'il envoya de
ce fiége au Cardinal de Riche-
lieu : générofité rare dans ceux
qui commandent les armées , &
qui toucha tellement le Vicomte
de Turenne , que préférant l'al-
liance de ce Maréchal à toute au-
tre, il époufa fa petite-fille, com-
me nous le verrons dans la fuite de
cette Hiftoire. Il femble que le
Marquis de Tonneins auroit dû
être fort piqué d'avoir échoué dans
une entreprife où le Vicomte de Tu-
renne avoit fi heureufement réuifi;
& il l'auroit peut-être été , s'il
avoit eu affaire à un Concurrent qui
en eût tiré vanité : mais la modeftie
du Vicomte de Turenne étoit telle ,
que le Marquis de Tonneins ne put
DE TURENNE. Liv. I. 31
lui envier l'honneur d'un fuccès fi Amnéi
glorieux. i6j4>
Le Cardinal de Richelieu , re- Fait Mare-
gardant le Vicomte de . Turenne f * *£*"«
comme un homme dont l'expérien-
ce & le jugement devançoient de
beaucoup l'âge , le fit Maréchal de
Camp , quoiqu'il n'eût que vingt-
trois ans , &: que le grade de Ma-
réchal de Camp fût alors le pre-
mier après celui de Maréchal de
France.
L'année fuivante , l'Empereur — — — —
ayant fait afiiéger la Ville de May en- 1 6 i 5 '
ce , dont les Suédois s'étoient Safagecon-
1 * y r « duire a la
rendus maîtres en 163 1 , ious la Retraite da
conduite du grand Guftave , le Mayencc.
Cardinal de Richelieu envoya au
fe cours des Suédois le Cardinal de
la Valette , à la tête d'une armée ;
& il lui donna pour Maréchal de
Camp le Vicomte de Turenne. A
l'approche des François, les Impé-
riaux levèrent le Siège. Le Car-
dinal de la Valette s'approcha aufli-
tôt de Mayence , & y jetta tou-
tes les munitions dont cette grande
Ville avoit befoin : imprudence a
B iv
3 1 Histoire du Vicomte
Année que les Impériaux avoient bien ju-
*?**• gé qu'il ne manquer oit pas de com-
mettre. Aufïi ne fe fut-il pas plu-
tôt défait de fes vivres , que les
Généraux de l'Empereur , qui s'é-
toient rendus maîtres des paffages
par où il en pouvoit faire venir, em-
pêchèrent de telle forte qu'on n'en
apportât dans fon Camp , qu'on y
manqua bientôt de toutes ehofes.
Le pain y enchérifïbit de jour en
jour , & devint enfin fi rare , qu'il
fe vendoit jufqu'à un écu la livre.
Dans cette extrémité le Vicomte
de Turenne diflribua aux foldats
les provifions qu'il avoit fait ap-
porter pour lui , & qui furent bien-
tôt confommées. Il vendit enfuite
fes équipages , pour faire fubfifler
une partie de 1 armée ; la plupart
des foldats ennemis s'expofant à
tout , pour nous apporter des vi-
vres , à caufe du prix exceffif qu'on
leur en payoit. Mais enfin la difette
devint fi grande , que l'armée fe-
roit périe , fi on l'avoit biffée là
plus long-tems. Il fallut donc que
le Cardinal de la Valette prît le
DE TuRENNE. Liv. L 3J
parti de fe retirer , quelque dan-
ger qu'il y eût à le faire devant une "^ ,
armée auiîi nambreufe qu'étoit cel-
le des Impériaux. Ilfe propofoit de
décamper la nuit , &: de fe fauver
dans les trois Evêchés par Sarbruk
& Saint Àvaud , où il y avoit beau-
coup de vivres; maisles Impériaux ,
s'étant apperçus de fa retraite , mi-
rent aufli-tôt à fes troufles le Gé-
néral Galat , qui , avec un corps de
troupes fraîches, lui coupa ce che-
min facile , & le réduifit à prendre
celui des montagnes, qui étoit bien
plus long 6c entièrement défera
L'Hiftoire nous fournit peu d'e-
xemples d'une retraite aufli trifte
que le fut celle-là. Les François r
fans vivres , travaillés de toutes les
maladies qui font inféparables de la
famine, &c s'enfuyant à travers les
bois 6c les rochers, étoient pour-
fuivis par les Impériaux qui avoient
tout en abondance. Les fuyards ne
gardoient aucun ordre dans leur
marche : ceux qui pouvoient trom-
per la vigilance des O^nciers , al-
loient fe jetter parmi les ennemis y
B v
% 4 Histoire du Vicomte
. dans I'efpérance qu'ils leur donne-
*s*JtE E roient de quoi anouvir la faim qui
les dévoroit : la plupart s'écartoient
à droite & à^auche, pour tâcher de
découvrir quelque cabane , & y
trouver au moins un morceau de
pain. Ceux qui , épuifés de forces ,
ne pouvoient quitter le gros de
l'armée , fe traîncient le long des
chemins . plutôt qu'ils ne mar-
choient : ils dévoroient des yeux
tout ce qu'ils voyoient manger aux
Officiers; & les Officiers étoient
contraints à fe cacher d'eux. Le
Cardinal de la Valette fut obligé
d'abandonner toute l'artillerie , 6c
la plus grande partie des bagages ,
afin de pouvoir gagner Vaudre-
vange , pour y paffer la Saare &:
fe mettre à couvert fous le canon
de Metz , comme il fit. Durant
cette longue marche , qui dura trei-
ze jours , le Vicomte de Turenne
partagea avec les foldats le peu
de vivres qu'il pouvoit trouver :
il fit jetter de deffusles charriots
les chofes les moins néceffaires ,
& y fit monter quantité de malheu-
DE TlJRENNE. Liv. 1. }f
reux , qui n'avoient pas la force de , —
marcher : en ayant trouvé un que \£ $ * *
la faim & la fatigue avoient fait
tomber au pied d'un arbre , où ré-
folu d'abandonner fa vie à la merci
des ennemis , il attendoit la mort,
il lui donna fon propre cheval , &
marcha à pie jufqu'à ce qu'il eût
joint un de fes charriots , fur lequel
il le fit mettre. Il confoloit les uns,
il encourageoit les autres , il les ai-
doit & les aflifloit, fans faire diffé-
rence de ceux de fon régiment d'a-
vec ceux qui n'en étoient pas : û
bien que tous les foldats commen-
cèrent dès-lors à le regarder com-
me leur père ; car il compatiffoit
à leurs peines , & il les foulageoit
tous également. D'ailleurs., il com-
battit avec beaucoup de valeur dans
tous les endroits où l'on fut obli-
gé de faire tête aux Impériaux :
il fe faifit des défilés où Ton pou-
voit les arrêter, & des hauteurs
d'où ils nous auroient fort incom-
modés , s'ils les avoient occupées
avant nous : il logea dans quelques
mafures qui fe trouvèrent fur le
B vj
3 6 Histoire du Vicomte
"■*— — — chemin : de l'infanterie , dont le feu
Année a^i • 1 />
l6i6i arrêta les ennemis en plusieurs en-
droits : enfin, il prit des mefures û
fages , & agit avec tant de vigueur,
que ce qu'il fit dans cette retraite
fut regardé comme un des plus
grands fervices qui puffent être ren-
dus à l'Etat.
l6i6t Le mauvais fuccès de l'affaire
Prend Sa- de Mayence avoit tellement dé-
ITbikt Û g°flté le Cardinal de la Valette du
métier de la Guerre , qu'il l'auroit
abandonné pour toujours, file Car-
dinal de Richelieu , qui avoit fes
raifons pour mettre des Eccléfiaf-
tiques à la tête des armées , ne l'eût
obligé bientôt après de prendre le
commandement de celle quidevoit
afïiéger Saverne , ville d'Alface , qui
étoit alors entre les mains des Im-
périaux. Cependant, le Cardinal de
la Valette ne voulut point fe char-
ger de cette entreprif e , qu'il n'eût
avec lui le Vicomte de Turenne :
& il le demanda au Cardinal de Ri-
chelieu , qui , fouhaitant pafîionné-
ment qu'il rétablît au plutôt fonhoi>
ï^ur, le lui accorda volontiers* Le
DE TURENNE. Liv. I. 37
Vicomte de Turenne, touché de la — —
confiance que ce Cardinal avoit en A N * é
lui , fe furpafla , pour ainfi dire ,
lui-même au fiége de Saverne , foit
qu'il fallût aller à la tranchée , ou
aux affauts qui furent donnés à la
Ville & au Château. Les foldats
n'ayant pu arracher les palifïades ,
il fauta par-defïus, & fit ferme
lui feul au-delà , jufqu'à ce que
ceux qu'il commandoit fuffent paf-
fés avec lui : il força les retranche-
mens que les ennemis avoient faits
fur la brèche 6c dans le terreplain
du baftion : tout fut pris & empor-
té. Le Cardinal de la Valette re-
couvra par-là fon honneur ; mais
il en penfa coûter un bras au Vi-
comte de Turenne, qu'il eut per-
cé d'un coup de moufquet , dont
la balle lui fit une fi dangereufe blef-
fure , que quelques Médecins fu-
rent d'avis , qu'on ne pouvoit lui
fauver la vie , qu'en lui coupant le
bras : on fuivit néanmoins le {en-
timent de ceux qui n'opinèrent pas
pour un fi trifle remède : il guérit
enfin avec le tems, 6c l'on connut.
16}6,
3 8 Histoire du Vicomte
par les alarmes que caufa fa bleffure^
& par la joie que répandit par-tout
fa guérifon, combien il et oit géné-
ralement aimé & eftimé.
Chaffe&dé- Quelque-tems après la reddi-
«ouvreieVi^ ^on ^e Saverne , Galas ayant paf-
ge de Jonvd- fé le Rhin , à deffein de prendre des
quartiers d'hiver en Franche-Com-
té, avoit fait avancer fes gardes
pour fe faifir des poftes les plus
commodes & les plus avantageux
de cette Province. Le Cardinal de
la Valette , en ayant été averti, en-
voya le Vicomte de Turenne avec
un détachement au devant des en-
nemis. Le Vicomte de Turenne
marcha jour & nuit ; & étant ar-
rivé à JufTey , l'un des plus gros
Bourgs de la Franche-Comté , où les
gardes de Galas commençoient à
faire des retranchemens, il les atta-
qua , il les défit , & força Galas à re-
brouffer chemin. Ce Général , avant
que de repaffer le Rhin, voulut tra-
verser le iiége de Jonvelle , que
le Duc de Veimarfaifoit pour nous
en un autre endroit de la Franche-
Comté ; mais le Vicomte de Tu-
N N E S
DE TURENNE. Liv. I. 39
renne fe pofta d'une manière fi avan-
tageufe entre les Impériaux & nous, n "Ztf
qu'il rompit toutes les mefures que
prit Galas pour jetter du fecours
dans Jonvelle , & que cette place
fiit enfin forcée de fe rendre au Duc
de Veimar.
Ces heureux fuccès déterminè-
rent le Cardinal de Richelieu à Prend ûn-
donner au Cardinal de la Valette le drecy » u
commandement de l'armée qui de-
voit agir en Flandres. Le Cardinal
de la Valette voulut encore avoir le
Vicomte de Turenne avec lui ; &
lui ayant fait ouvrir la campagne
par 1 attaque du Château d'Hirf on ,
çfiii fit très peu de réfiftance , il alla
invertir Landrecy , Ville du Hai-
naut , au fiége de laquelle le Vicom-
te de Turenne fe donna des peines
incroyables pour empêcher que ce
Cardinal n'eût le chagrin de voir
échouer fon entreprife ; car le tems
devint fi mauvais, & la pluie tom-
ba en fi grande abondance, que
les foldats étoient jufqu'à la cein-
ture dans l'eau , dont la tranchée
étoit toute remplie. Le Vicomte de
A N N
l657
40 Histoire du Vicomte
Turenne y étoit entré avec eux, &
n'en fortoit que pour aller rendre
compte au Cardinal de ce qui s'y
paffoit : il les encourageoit au tra-
vail & à la patience , fans leur fai-
re de longs difcours , mais en leur
montrant l'exemple, & en y joi-
gnant la libéralité. Il donnoit de
l'argent à ceux des foldats qui
avoient le plus d'expérience, pour
les engager à venir dans la tran-
chée , même hors de leur rang. Il
furmonta ainfi tous les obftacles,
ue l'art , la nature , & les efforts
es ennemis , oppofoient , comme
de concert, aux afliégeans; 6c la
place fe rendit enfin au Cardinal de
la Valette.
îeChiccaudc La prife de Landrecy fut fuivie
de celle des villes de Maubeuge
& de Beaumont, d'où le Vicomte
de Turenne eut ordre d'aller pren-
dre Solre , qui étoit le Château le
plus fort de tout le Hainaut ; & on
lui donna les régimens de Cham-
pagne & de Saint Luc pour cette
expédition. Il y avoit deux mille
hommes de garnifon dans ce Châ-
Solre
DE TURENNE. LlV. I. 41
teau; mais le Vicomte de Turen- A N N \ %
ne les fit attaquer fi vivement , qu'en »*î7.
très-peu d'heures ils furent forcés rare °exempÏÏ
de fe rendre à difcrétion. Les fol- defafageffc
dats entrèrent aufïi-tôt dans la Pla-
ce ; & y ayant trouvé une femme
d'une très-grande beauté , ils la
lui amenèrent comme la plus pré-
cieufe portion du butin , & celle
qui devoit le plus flatter fes de*
firs. Le Vicomte de Turenne fut
fe retenir fur le bord d'un précipi-
ce ii dangereux, mais fans faire pa-
rade de l'empire qu'il avoit fur lui-
même , il fait femblant de ne pas pé-
nétrer le deffein de fes foldats , &C
comme fi en lui amenant cette fem-
me ils n'avoient penfé qu'à la déro-
ber à la brutalité de leurs camara-
des , il les loue beaucoup d'une con-
duite fi fage ; il fait chercher fon
mari en diligence , & il la remet en-
tre fes mains, en lui témoignant
que c'étoit à la retenue & à la dif-
crétion de fes foldats qu'il devoit
la confervation de l'honneur de fa
femme.
Les ennemis fe portèrent enfui- Pourfuiç *
4i Histoire du Vicomte
Année teen deçà deMaubeuge , pour em>
***?• pêcher la jonction des armées du
défaû les en- Cardinal de la Valette & du Duc
de Candale ; mais n en ayant pu
venir à bout , ils furent contraints de
s'en retourner ; & le Vicomte de
Turenne ayant eu ordre de les pour-
fuivre avec un détachement, il en
força une partie à reparTer la Sam-
bre , où il y _ en eut beaucoup de
noyés ; il en fît parler au fil de l'épée
urfgrand nombre dans tout le refte
de la retraite , & finit par là cette
campagne.
— L'année fuivante le Cardinal
3 ; de Richelieu ayant chargé le Car-
AifacITVy dînai de .la Valette d'aller fecourir
féconde le la Ducheffe Douairière de Savoie ,
mar au fiegê 5U* avoit bien delà peine à fe main-
de Brifac. tenir dans la Régence des Etats du
jeune Duc fon nls , contre les en-
treprifes du Prince Thomas & du
Cardinal de Savoie , (es beaux-fre-
res , le Cardinal de la Valette de-
manda encore au Cardinal de Ri-
chelieu le Vicomte de Turenne , &C
il le lui auroit accordé volontiers ,
s'il n'avoit pas cru avoir abfolu-
DE ÎURENNE. Liv. 1. 4$
nent befoin de lui pour une très- A M N é
;rande entreprife qu'il méditoit i«i*
lu côté du Rhin. En effet , il
ivoit réfolu de faire afliéger cet-
e année-là , par le Duc de Veimar ,
a Ville de Brifac,qui étoitregar-
lée alors comme le boulevard de
'Allemagne. Ayant donc déclaré
tu Cardinal de la Valette qu'il
l'a voit qu'à fe réfoudre , pour cet-
:e fois , à fe paffer du Vicomte de
Hirenne , il l'envoya au Duc de
Veimar avec un corps de quatre
mile hommes qu'il avoit levés
lans le pays de Liège. Le Duc de
Veimar ayant reçu ce renfort , fit
iuffi-tôt avancer fon armée du cô-
té de Brifac , 6c fe rendit maître
de tous les Châteaux & de tous les
Poftes des environs , pour ferrer la
Place de près. A la première nou-
velle de cette entreprife, Gceutz
& Savelli , Généraux de l'armée
Impériale, ayant ramaffé toutes
leurs troupes, fe mirent en marche
pour tâcher de jetter un fecours
d'hommes & de munitions dans Bri-
fac, avant que les avenues de cette
44 Histoire du Vicomte
Année Ville leur fiuTent entièrement fer-i
16)8. mées. Le Duc de Veimar alla aul
devant d'eux jufqu'à Witthenvhir,
qui eft vis-à-vis deRinaw.Iîs vou-
loient éviter le combat ; il les y
Le 9 Août, força. Le Duc de Savelly y fut bief
fé très-dangereufement , Gœutz
prit la fuite , &: les Impériaux fu-
rent fi entièrement défaits , que le
Duc de Veimar eftimant qu'il leur
étoit impofTible detraverfer fon en-
treprife fur Brifac , commença à
en faire le fiege dans les formes.
Mais à peine les lignes en furent-
elles achevées , que le Duc de Lor-
raine , qui étoit dans les intérêts de
l'Empereur , fe mit en marche avec
un corps de troupes , dans le def-
fein de faire lever le fiege. Le Duc
de Veimar prit aufli-tôt une partie
de l'armée ; oC lahTant l'autre de-
vant Brifac fous la conduite du
te iy oaob. Comte de Guébriant &c du Vicom-
te de Turenne , il alla au devant
des ennemis , ôc fa victoire fur les
Lorrains fut aufîi complette que
celle qu'il avoit remportée furies
Allemands,
DE ÎURENNL Liv. I. 45
Cependant Gœutz & le Gé- A N N J B
iéral Lamboy , qui a voit pris la pla- * 6 3 s-
:e du Duc Savelly , ayant encore chaffe de &s
amaïTé quelques troupes, vinrent ^^y"
l Brifac par des chemins fi cou- Le iooao-
rerts , qu'ils arrivèrent au quartier bre-
lu Duc de Veimar avant qu'on fe
ût apperçu de leur marche. Ils re-
:onnurent nos lignes. Ils les at-
aquerent avec vigueur. Ils empor-
tèrent deux redoutes qui les dé-
endoient de ce côté-là; 6c tout
)lioit déjà devant eux , lorfque le
Domte de Guébriant &L le Vicomte
le Turenne , avertis du danger où
îous étions , accoururent au quar-
:ier. du Duc de Veimar, où ils
butinrent d'abord les efforts des
impériaux. Ilsles pouffèrent enfuite
avec vigueur , ils leur rirent lâcher
pié , & les chaiïerent entièrement
de nos lignes.
Les ennemis pafTerent le Rhin, Fait lever ï«
6c vinrent afîiéger Eniisheim , pe- ^ > |nba*
tite ville qui eft dans le voifi- k* ennemis.
nage de Brifac , $c de laquelle ils
auroient pu nous incommoder s'ils
s'en fuffent rendus les maîtres. Mais
^__ 46 Histoire du Vicomte
a n n é * Ie Vicomte de Turenne y étant
*M- allé avec une partie de notre ar-
mée , leur en fit lever le fiege ,
les attaqua jufques dans le camp
où ils s'étoient retirés , &: en tail-
la en pièces un fi grand nombre ,
qu'il les mit hors d'état de pen-
fer déformais à tenter le fecours
de Brifac.
Serendmaî- De tous les dehors de cette Pla-
treduraveHnce J| ne nouSreftoit plusàpren-
de Raynach , 7 . r fc r r
& fait rendre are que le Fort nomme le rave-
Biifac \\n ^e Raynach , qui, rendant les
ennemis maîtres du principal bras
du Rhin , leur laiffoit toujours l'ef-
pérance d'être fecourus par cet en-
droit , & les empêchoit de fe ren-
dre. Le Duc de Veimar , qui avoit
vu le Vicomte de Turenne réufîir
heureufement dans tout ce qu'il
avoit entrepris durant ce fiege , le
chargea encore de l'attaque de ce
Fort. Le Vicomte de Turenne y
alla avec quatre cens hommes. 11
fit rompre la paliffade à coups de
haches, fes gens y entrèrent par
trois endroits à la Fois , tout y fut
tué ? ôc le Gonverneur de la ville
DE TURENNE. Liv. L 47
€ pouvant plus compter lur aucun a n n é à
scours, capitula enfin , & fe rendit l6*8-
e 17 Décembre.
Ce qu'il y a d'étonnant dans ce Fort loué par
[iiele Vicomte deTurenne fit pour ^1™"^?-
î prife de cette Place , c'eft. qu'il che ieu , qui
ut la fièvre quarte pendant tout le J^n °uff^ J
ems que dura le fiége. Aufii le fes parentes.
i )uc de Veimar ne pouvoit-il s'em-
>êcher de l'embrailer au retour de
haque expédition oùiU'envoyoit ;
'* après la reddition de la Ville ,
l en écrivit au Cardinal de Riche-
ieu , comme d'un homme qui éga-
eroit bientôt les plus grands Ca-
ûtaines ; & cela , à la manière de
:eux de fa Nation , c'efl-à-dire ,
tvec je ne fais quel efprit de fran-
:hife , qui , fe faifant fentir dans
out ce qu'ils difent , perfuade efE-
:acement , malgré même les expref-
10ns les plus exagérées dont iis fe
ervent; de manière que lorfque
e Vicomte de Turenne arriva à la
Cour , il n'y eut fortes de carefTes ,
que le Cardinal de Richelieu ne
lui fit , jufqu'à lui demander fon
amitié ; faveur qu'il n'a voit en-
,48 Histoire du Vicomte
E
Année core faite qu'aux Princes du Sang.
16 * ' Il lui offrit même une de fes plus
roches parentes en mariage ; mais
e Vicomte de Turenne appré-
hendant que la différence de Re-
ligion ne mît quelque obftacle à
l'étroite union qui devoit être en-
tre lui & une perfonne avec qui il
contra&eroit un pareil engage-
ment , le dit franchement au Cardi-
nal de Richelieu , & lui fit entendre
avec tant de bonne foi ce qui lui
faifoit peine en cela , que le Car-
dinal goûta fes raifons. Il trouva
même un caractère d'honnête-hom-
me dans ce procédé ; de forte que,
bien loin de s'offenfer de fon refus,
il l'en eftima davantage , & conti-
nua à lui marquer fa confiance , en
l'employant aux affaires les plus
difficiles.
1 x6i9t II l'envoya en Italie , où pen-
dant que le Duc de Veimar avoit
Ftivoye en r . * r t . r
Italie. fait une h glorieuie campagne en
iUface , le Cardinal de la Valette
avoit perdu Yvrée , Verceil , Ver-
rue , Nice , Coni , &: plufieurs au-
tres Places confidérables ? dont les
Princes
DE TURENNE. Liv. I. 49 _
Princes de Savoye , fecourus des Année
Efpagnols , s'étoient rendus mai- l6>9'
très. L'Empereur ayant dans ce
même tems-là fait publier un Dé-
cret , par lequel il déclaroit la Du-
cheffe de Savoye déchue de la
tutelle du jeune Duc fon fils ,
prefque tout le Piémont fe fouîe-
va contr'elle , & fe livra à {es
beaux-freres ; de manière qu'il ne
lui refloit plus que Suze , Savilian ,'
Carignan , Chivas & la Citadelle
de Turin ; la Ville même ayant .
été furprife de nuit par le Prince
Thomas.
Les chofes étoient dans cet état ,' 11 y fecon-
lOrfque le Cardinal de la Valette 6*h Comce
stant venu a mourir, le Cardinal
de Richelieu donna ordre au Corn-
:e d'Harcourt d'aller fe mettre à
a tête de l'armée d'Italie , où il
ivoit déjà envoyé le Vicomte de
Turenne. A l'arrivée du Comte
d'Harcourt , on tint Confeil ; on
f examina l'état des troupes ; &,
quoique les ennemis en euffent
deux fois autant que nous , on ré-
élut de les aller chercher, quelque
C
_ 5° Histoire du Vicomte
Année part qu'ils fuffent. On marcha donc
l6i 9- à Villeneuve d'Aiti , où ils étoient.
Les ennemis ., qui auroient peut-
être fait la moitié du chemin , û
nous avions eu autant de monde
qu'eux , étonnés de ce que nous
venions les attaquer avec une ar-
mée fi inférieure à la leur ? non-
feulement n'oferent fortir de leurs
«quartiers , mais encore s'y retran-
chèrent ; de forte qu'il fallut aiïié-
ger Quiers, ville en-deçà de Ville-
neuve d'Afti, pour les obliger A for-
tir de leurs tetranchemens. Le Vi-
comte deTurenne fe poita avec tou-
te la cavalerie au-delà de Quiers ,
entre les Efpagnols 6c le Comte
d'Harcourt , qui prit ainfi la ville
le 18 oao- fans aucun obftacle. Mais , comme
bre' il y avoit très-pe u de vivres , il n'y
put pas refier long-tems : & les en-
nemis ayant bien prévu qu'il feroit
obligé de marcher vers Carignan ,
pour en trouver , le Marquis de Lé-
•ganez à la tête des Efpagnols , alla
vers la hauteur de Poirin , au bas
de laquelle notre armée ne pou-
voit s'empêcher de païTer ; &: le
DE TURENNE. Liv. /. 51
Prince Thomas marcha vers la pe-
tite rivière de Santena , qu'il nous
falloit aufîi nécessairement traver-
fer, Comme le Marquis de Léga-
nez venoit de Villeneuve d'Afti,
&: le Prince Thomas de Turin ,
l'armée de l'un devoit fe trouver
à la droite du Comte d'Harcourt ,
6c celle de l'autre à fa gauche ; de
manière qu'il ne pouvoit aller à
Carignan, fans s'expofer à prêter
le flanc à ces deux corps de trou-
pes, qui félon toutes les apparen-
ces , ne dévoient pas manquer à
profiter de ces avantages, & à don-
I ner rudement fur fon arrière-gar-
de. Cependant il n'y avoit plus ni
I munitions ni fourage à Quiers »
6c il falloit tenter la retraite à quel-
que prix que ce fût. Dans cette
extrémité le Vicomte de Turenne ,
tout malade qu'il étoit encore de la
fièvre quarte , s'offrit à aller avec
deux mille nommes fe rendre maî-
tre du pont fur lequel il falloit paf-
fer la rivière , &: qui étoit auprès
du Village nommé la Route , s'en-
eu
N M
i6$:
5i Histoire du Vicomte
Anne e gageant à défendre fi bien ce pofte ,
l6*?> que les ennemis ne pourroient em-
pêcher le pafiage de l'armée.
Met en fuite Le Comte d'Harcourt , ravi de
^sr;nceTh°- cette offre , lui donna les deux
mille hommes qu'il demandoit. Le
Vicomte de Turenne marcha avec
tant de diligence , qu'il prévint le
Prince Thomas ; ci étant arrivé
avant lui au pont , il s'en faifit , ain-
û que de tous les poftes des envi-
rons , d'où l'on pouvait favorifer le
paffage de notre armée. Le Prince
Thomas y arriva peu de tems après
avec neuf à dix mille hommes ,
6l vint fondre fur le Vicomte de
Turenne , qui après avoir foutenu
le premier choc des ennemis , les
fit charger à fon tour avec tant
de vigueur, qu'il rompit leurs trois
lignes , &: les mena battant l'efpa-
ce de plus d'un mille. Le Prince
Thomas fut renverfé deux fois
dans un fofie ; & il auroit infail-
* îiblement été pris , fans l'obfcurité
de la nuit , qui fit qu'on ne put le
reconnoître , ôc que malgré une
DE TURENNE. Liv.'I. tf ___
déroute fi générale , la plus grande A n n é a
partie de ion armée fe fauva par la l6i9%
fuite.
Pendant que le Vicomte de Facilite le
Turenne étoit aux mains avec le partage du
Prince Thomas , le Marquis de co°u™cll Caii^
Léganez étoit defcendu de Poirin , gnan.
&: étoit venu avec fes Efpagnols
attaquer le Comte d'Harcourt , qui
de fon côté étoit aufli demeuré vic-
torieux des ennemis : mais com-
me ils ne laiffoient pas de l'inquié-
ter encore , il n'ofoit s'avancer plus
près de la rivière , craignant que
le Prince Thomas ne fe fût ren-
du maître des paffages. Le Vi-
comte de Turenne lui envoya dire
alors , qu'il n'avoit rien à craindre ,
qu'il pouvoit faire avancer l'armée
en aflurance , qu'il fe chargeoit de
feire l'arriere-garde , &: qu'il lui
répondoit de tout. Le Comte d'Har-
court s'avança fur fa parole : tout
défila devant le Vicomte de Tu-
renne , troupes , canons , bagages , *
& cela au petit pas , &C fans aucun
défordre. Il parla le dernier : &C
ayant mis pied à terre , il aida
C iij
54 Histoire du Vicomte
lui-même à rompre le pont ; après
A £* * E quoi le Comte d'Harcourt alla fans
peine à Carignan , où il mit en
quartiers d'hiver une partie de
l'armée , 6c le refte aux environs.
Tel fut le combat de la Route , fi
célèbre fous le nom de la Route
de Quiers.
Gloire qui lui On donna prefque tout l'honneur
en revient. de cene viftoire au yicomte de
Turenne , qui en effet féconda û
bien le Comte d'Harcourt en cette
occafion , que le Cardinal de Ri-
chelieu le regarda dès-lors comme
un homme capable de commander
une armée en chef; & l'éclat de
cette action fut fi grand , que com-
me s'il eût fait oublier toutes celles
que le Vicomte de Turenne avoit
faites jufques-là , on commença à
ne plus compter fes exploits , que
de la Route de Quiers ; époque qui
eft refiée depuis dans la mémoire
de tous les François.
Chargé de La campagne étant ainfi finie ,
îWed'ica-te Comte d'Harcourt s'en alla à
Pignerol , pour y parler l'hiver. Il
laiffa le Vicomte de Turenne à la
DE TURENNE. Liv.L J}
tête de nos quartiers, pour les dé- —
fendre ; & il le chargea , avec cela , *é^tE
de ne laiffer manquer de rien la Ci-
tadelle de Turin, que le Comte de
Cou vonges défendoit toujours con-
tre le Prince Thomas , qui la tenoit
aiîîégée de dedans la ville , dont il
étoit le maître. ««__
Le Vicomte de Turenne trou- l6\0t
vant que nos troupes étoient trop prend Bufca
ferrées dans les endroits où elles & Dronero ,
5 / • 1 / o -i 1 & ravitaille
s etoient logées , ex que la cavale- ja citadelle
rie y manquoit de fourage , corn- de Turin,
mença par afliéger les villes de Buf-
ca &: de Dronero , qu'il prit en fix
jours ; & notre armée eut de quoi
s'étendre & fubfifter à fon aife. Il
fit enfuite entrer dans la Citadelle
de Turin les munitions de guerre
&: de i>ouche nécefïaires , malgré
tout ce que le Prince%Thomaspût
faire pour l'empêcher.
Peu de tems après , ayant fu Enlevé un
que ce Prince avoit envové un corpsdetrou-
1 1 1 • /r 1 1 Pes > confeil-
corps de cavalerie allez près de ie le recours
là pour y hiverner, il alla l'invef- de Gaza1'
tir , 6c il l'enleva. Au commen-
cement du Printems , le Comte
C iv
A N N
56 Histoire du Vicomte
d'Harcourt ayant appris que lé Mar-
^o.11 * quis de Léganez, à la tête de vingt
mille hommes avoitaffiégé Cazal ,
que nous défendions pour le jeune
Duc de Mantoue , notre allié ,
il manda au Vicomte de Turen-
ne de le venir trouver à Pignerol ,
pour délibérer fur ce qu'ils dé-
voient faire en cette rencontre.
Le Vicomte de Turenne déter-
mina bientôt le Comte d'Har-
court , en lui difànt que Cazal
nous étoit d'une telle importance,
qu'il fallait promptement affem-
bler le peu de troupes que nous
avions, & y marcher fans perdre
un moment de tems ; & qu'avant
qu'on fut à moitié chemin , on re-
cevrait immanquablement ordre
de la Cour de tout hafarder pour
fecourir cette Place : ce qui arriva
comme il l'avoit dit. Nous n'a-
vions que dix mille hommes : néan-
moins le Comte d'Harcourt mar-
T , » cha aux ennemis , avec fon întrépi-
Lers Avril. . ' v . r
dite ordinaire ; oc après avoir re-
connu leurs lignes , il les fit at-
taquer par le Comte du Plefîis-
DE TURENNE, Liv. L &f
Praflin, qui fut à la vérité repouffé a n n é b
par trois fois ; mais le Vicomte l64°*
de Turenne y ayant enfin marché >
il les força , 6c r en ver fa tout ce
qui fe préfenta devant lui : les Al-
lemans lâchèrent pied aufïi-bien
que les Efpagnols , Se prirent la
fuite à droite ou à gauche , les uns
vers le Pont de Sture , les autres
vers Frafcinel, où ils avoient un
Pont fur le Pô. Le Vicomte de Tu-
renne les pourfuivit tant que le jour
dura. On leur prit douze pièces de
canon , fix mortiers , vingt-quatre
drapeaux , toutes leurs munitions y
la plus grande partie de leur ba-
gage, &£ les papiers même du Mar-
quis de Léganez , qui fut obligé
de fe fauver avec tant de précipi-
tation, qu'il n'eut pas le tems de
les emporter. On leur tua trois mil-
le hommes ; on en fit dix-huit cens
prifonniers ; il s'en noya un grand
nombre dans le Pô , & la nuit fau-
va le refte.
Comme nos troupes étoient fort fo^refaJe ^
animées par ce fuccès, le Comte ge de Twm>
d'Harcourt crut qu'il devoit pro-
C v
58 Histoire du Vicomte
— "; — nter de leur ardeur ; & ayant af-
**4o* E ^emklé ^e Confeil de Guerre , pour
y réfoudre quelque entreprife , le
Vicomte de Turenne y propofa le
fiege de Turin. Les autres Officiers
Généraux s'opoferent à ce deffein ,
foutenant qu'il y auroit de la témé-
rité à entreprendre d'afîiéger , avec
dix mille hommes une ville où il
y avoit une garnifon de douze
mille foldats fans les bourgeois ,
& qui pouvoit être fecourue par
une armée de "quinze mille hom-
mes, comme étoit encore celle du
Marquis de Léganez. Mais le Vi-
comte de Turenne ayant perfifté
dans fon avis, & ayant repréfenté
que les affaires du Roi feroient ab-
folument perdues en Piémont, û
le Prince Thomas fe rendoit une
fois maître de la citadelle de Tu-
rin , dont on ne pouvoit empê-
cher la prife qu'en affiégeant la
ville , le Comte d'Harcourt fe dé-
clara pour le fentiment du Vicom-
te de Turenne.
&onlecom- Le fiege de Turin ayant été
ainfi réfolu , on y marcha auiîi-tôt,
mence.
DE TURENNE. LlV. L 59
On fe faifit du pont, qui efl fur le ^
Pô ; du Couvent des Capucins , qui , 640%
eft fur une hauteur , à la droite de
ce fleuve ; du Valentin , maifon
de plaifance des Ducs de Savoie ,
qui efl à la gauche , & de tous les
autres poftes avantageux qui font
aux environs. On renverfa à coups
de canons les moulins de la ville
qui étoient fur la rivière nom-
mée la petite Noire. On fit des LeisMaî*
lignes de circonvallation & de
contrevallation , & on ferra la
Place autant qu'on le pouvoit ,
dans l'efpérance qu'en n'y laiffant
rien entrer on l'affameroit en peu
de tems.*
Le Marquis de Léganez re-
gardant cette entreprife du Comte
d'Harcourt comme une occafion
favorable que la fortune lui pré-
fentoit pour fe venger de l'affront
qu'il venoit de recevoir devant Ca-
zal , manda au Prince Thomas
qu'il alloit marcher à fon fecours ;
que pour cette fois le Comte
d'Harcourt ne lui échaperoit pas ,
&: que lesDames de Turin pour-
C vj
%
6o Histoire du Vicomte
■ roient louer d'avance des fenêtres
"4o* E ^ur *a gran(le rue , pour le voir
parler prifonnier. Il grofîit fon ar-
mée des garnifons de la plupart
des Places du Milanez, & vint avec
dix-huit mille hommes fur la Mon-
Le i6 Mai. tagne qui efl au-defTus des Capu-
cins, au-delà du Pô, à deffein de
parler ce fleuve fur le pont de
Turin. Mais il trouva ce pont fi
bien gardé , qu'il n'ofa l'attaquer.
Il décampa donc ; & comme il prit
fon chemin par derrière les mon-
tagnes de Sanvito & de Covoretto ,
qui bordent le Pô , le Comte d'Har-
court fe douta bien qu'il vouloit al-
ler parler ce fleuve à Montcalier,
au-defTus de Turin ; il y envoya
le Vicomte de Turenne , avec un
détachement pour s'oppofer à fon
pafTage.
«ju'il repoufle Quelque diligence que pût fai-
au-deià dure \e Vicomte de Turenne, lorf-
qu'il arriva à Montcalier , quatre
à cinq mille des ennemis avoient
déjà pafTéle Pô, &C commençoient
à fe retrancher dans les caiîines
qui étoient en-deçà de ce fleuve.
DE TURENNE. Z/v. L 6l
Il marcha à eux fans perdre un a n n é i
moment : fes foldats font difficul- l6*°\
té de paffer un ruiffeau que les
pluies de la nuit avoient fait dé-
border; il le paffe le premier , il Le 4 J"în«
attaque les caiîines que les enne-
mis avoient déjà percées pour s'y
défendre; il les en chaffe, il les
taiile en pièces , en les pouffant vers
le Pô ., où tous ceux qui lui échap-
pent fe noient ; ils brûlent le pont
qui n'étoit que de bois , & fe re-
tranche fur le bord du Fleuve , vis-
à-vis des ennemis. Cette action ,
ainfi exécutée , fit une telle impref-
fion fur l'efprit du Marquis de Lé-
ganez , qu'il fe retira vers le Ri-
vigliafco , fous prétexte d'aller
chercher un renfort de troupes, Se
laiffa fon armée fous la conduite
de Carlo délia Gatta , le plus bra-
ve 6c le plus entendu des fes Offi-
ciers, qui lui promit qu'il la fe-
roit parler de quelque manière que
ce fut. Le Vicomte de Turenne ,
ayant affaire à un homme qui avoit
la réputation d'être le plus vigilant
des ennemis , fit garder jour &
62 Histoire du Vicomte
A N N é nuit tous les gués qui étoient au-
1*40. defïus de Montcalier ; de forte que
Carlo délia Gatta n'ofa ni les paf-
fer en fa préfence , ni jetter des
ponts en aucun endroit. Tout ce
qu'il pu faire fut de s'emparer de
quelques petites Mes qui étoient
plus proche du bord du Pô , fur
lequel il étoit , que de celui oit
nous étions. Le Vicomte de Turen-
»e trouva moyen d'y parler avant
que les ennemis y euftent achevé
leurs retranchemens : il les en délo-
gea ; & tous ceux qui y étoient fu-
rent encore ou taillés en pièces ,
ou noyés dans le Pô. Mais le Vi-
comte de Turenne y reçut lui coup
de moufquet à l'épaule , & fut
obligé de fe faire porter à Pigne-
rol : ce que le Marquis de Léga-
nez ayant appris , il revint auffi-tôt
à Montcalier , il jetta un pont fur
le Pô , paffa ce fleuve malgré tous
nos efforts , alla refferrer le Com-
te d'Har court dans fon camp ; &
peut-être n'y eut-il jamais en au-
cun endroit une pareille difpofi-
tion d'armée , où les troupes des
DE TURENNE. Liv. I. 63
deux partis , également arîiégeantes A N K ^ B
&arîiégées?s'environnoientles unes 11140.
les autres , &: étoient de même tel-
lement environnées , que le Prince
Thomas, qui afliégeoit le Comte
de Couvonge dans la Citadelle , fe
voyoit afîiégé dans la Ville par le
Comte d'Harcourt, que le Marquis
de Léganez tenoit pareillement af-
fiégé dans ion camp.
En cette fituation , le Marquis de , Amené des
Léganez étant convenu d'attaquer ^if^a*
nos lignes , pendant que le Prince Camp devanc
Thomas feroit une fortie , le jourJ^J^ Le "
qu'ils avoient pris pour cela étant
arrivé , le Comte d'Harcourt fut
vigoureufement attaqué tout à la
fois du côté de la ville & du côté
de la campagne. Le Prince Tho-
mas fe rendit maître du Valentin ;
& Carlo délia Gatta ayant comblé
nos lignes au quartier du Marquis
de la Mothe Houdancourt , qu'il
força , entra dans Turin avec dou-
ze cens chevaux & mille hom-
mes de pied : après quoi le Mar-
quis de Léganez ayant fait occu-
per Je pofte de Colegna, qui le
64 Histoire du Vicomte
T rendoit maître de la petite Noire,
A **"J E comme il rétoit du Pô , par Mont-
ealier , où il avoit lahTé quelques
régimens , il empêcha qu'il ne nous
vînt des vivres, ni de Suze, ni de
Pignerol, & nous affama tellement
dans notre camp , que tous les Offi-
ciers Généraux vouloient obliger le
Comte d'Harcourt à fe retirer de
devant Turin , lorfque le Vicomte
de Turenne , fe trouvant guéri de fa
U i\. Juillet, blefïure, amena de Pignerol à no^
tre armée, un grand convoi de
vivres 6c de munitions , malgré ce
que put faire le Marquis de Léga-
nez , qui le fuivit dans toute fa rou-
te , voltigeant fur les ailes de fon
efcorte pour l'enlever, ÔC lui dref-
fant toutes fortes d'embûches pour
le furprendre.
RepoufTeia L'arrivée de ce iecours penfa
Gaua dans j^fefpérer le Prince Thomas , qui
Turin, qui le , . r . -., 7 "1
rend eniuice. etoit réduit dans 1 unn a une auiii
grande difette de vivres que nous.
Carlo délia Gatta entreprit de fo»s
îager la ville , en faifant paffer
une partie de la garnilbn dans l'ar-
mée du Marquis de Léganez, àc
DE TURENNE. Lïv. I. 65
crut en fortir comme il y étoit en- ,
tré. Mais depuis que le Vicomte *J0.E '
de Turenne fut revenu dans notre
camp , les chofes changèrent de
face. Carlo délia Gatta, ayant voulu
fortir de Turin, y fut ramené bat-
tant, 6c repoufTé l'épée dans les
reins. Les afîiégés firent plufieurs
autres forties , où ils perdirent beau-
coup de monde. Le Marquis de Lé-
ganez tenta toutes chofes pour for-
cer nos lignes & jetter des vivres,
dans la Place ; mais ce fut toujours
fans fuccès. Le Prince Thomas
n'ayant pas mieux réuiîi dans une
nouvelle fortie , où les afTiégés
firent tous les efforts dont ils étoient
capables , & fe voyant réduit à
la dernière extrémité , demanda en-
fin à capituler, &c fe rendit. Le Lei7Sep-.
Marquis de Léganez, abandonnant tem^"«
la partie , reparla le Pô avec fon
armée ; ck le Comte d'Harcourt ,
s'en retournant en France , laifTa la
fienne fous le commandement du
Vicomte de Turenne , par ordre de
la Cour.
Comme nos troupes a voient ex-
66 Histoire du Vicomte
1 trêmement fouffert au fiége de
A %+!.* E Turin , le Vicomte de Turenne
Prend Mon- ^eur donna tout le tems dont elles
caivo , & ai- avoient befoin pour fe rétablir ;
îegeYvree. ma^ ^ qU>eV]es furent en état
d'agir , quoique l'hiver ne fût pas
encore fini , il les fit marcher à
ythr. " Fe" Moncalvo : il afiiégea cette Place ,
& s'en rendit maître en dix jours.
Après la prife de Moncalvo , il parla
le Pô, il alla mettre le fiége de-
Le 1 1 Avril. Vant Yvrée , où étoient tous les
Magafins du Prince Thomas : 6c
ne doutant point que ce Prince ne
vînt en grande diligence pour y
• jetter du fecours, il ne defcendit
point de cheval , qu'il n'eût fait
achever fes lignes , &£ qu'il n'eût
afïuré fes quartiers. Le Prince Tho-
mas ne manqua point d'accourir à
Yvrée, perfuadé que le Vicomte
de Turenne n'auroit pas eu le tems
de pourvoir à la fureté defon camp ;
mais il le trouva fi bien rétranché ,
qu'il n'ofa l'attaquer : & fe flat-
tant de lui donner le change , il
alla mettre le fiége devant Chivas,
pour lui faire abandonner celui
DE ÎURENNE. Liv. L 6j
d'Yvrée. Il eft vrai que la ville de ~ ~
Chivas , où nous avions un pont *^x* E
fur le Pô , ne nous étoit pas moins
importante que celle d'Yvrée. Mais
le Vicomte de Tut?enne , efpérant
d'être toujours affez à tems de fe-
courir Chivas , n'abandonna point
le fiége d'Yvrée , 6c fe contenta
d'en prerTer vivement les travaux.
Cependant le Comte d'Harcourt
ayant appris que le Vicomte de
Turenne avoit en fi peu de jours
pris Moncalvo , 6c qu'il avoit mê-
me arliégé Yvrée , flit piqué d'é-
mulation jufqu'au milieu des déli-
ces de la Cour. Il partit pour fe
rendre à Yvrée ; 6c à fon arrivée ,
ayant fait donner un alfa ut à la
Place , il leva le fiége , difant qu'il Le 17 Mai.
falloit tout abandonner pour fe-
courir Chivas. Le Prince Thomas ,
qui n'avoit point eu d'autre deffein
que de nous faire lever ce fiége,
leva auiîi celui de Chivas , avant
que nous y fuirions arrivés , &
fe retira au-delà du Pô avec fon
armée. Il femble que le Comte
d'Harcourt auroit dû , après cela >
68 Histoire du Vicomte
" *-, — revenir afïiéeerYvrée: cependant,
Année. , . ° _. 7 r . 7
1.^41. abandonnant toutes les vues que te
Vicomte de Turenne avoit eues en
affiégeant cette Place, il pafTa le Pô *
&: il alla prendre les villes de C eva ,
de Mondovi & de Coni.
Sert aux fie- Quoique le Vicomte de Turen-
ges de Ceva , ne n'eut j^ d'être COntent
de Mondovi r
& de Coni , du Comte cl Harcourt, il travailla
îf {La.fe "néanmoins de fi bonne foi pour la
gloire de ce General, aux lièges de
ces trois Places, que toute l'Ar-
mée en fut dans la dernière fur-
prife.Ceprocédéaugmental'eftime
que le Cardinal de Richelieu avoit
pour le Vicomte de Turenne ; &
la confiance qu'il avoit en lui alla
jufqu'à un tel point, qu'il n'y avoit
aucune entreprife fi difficile dont il
ne tînt le fuccès affuré , dès que
ce Prince y avoit quelque part.
Auffi ne fe faifoit-il plus rien de
grand en aucun endroit , qu'on ne
l'y appellât auffi-tôt, comme il ar-
î6 riva Tannée fuivante , où le Car-
dinal de Richelieu ayant formé le
deffeinde conquérir le Rouffilîon,
pour pénétrer dans la Catalogne
DE TU RENNE. Liv. I. 6<)
dont les hdbitans s'oiTroient à la A N N ,
France , & ayant même engagé le l6l* *
Roi à y aller en perfonne , il y fit
aufii venir le Vicomte de Turenne,
quelque néceffaire qu'il fût en Ita-
lie , où il étoit en état de rendre de
grands férvices par la connohTance
qu'il avoit acquiie de ce pays-là.
Si-tôt que 1 armée qui devoit Aide à la
agir en Roufiillon fut affemblée , ʰh3# du
on marcha a Perpignan qui en elt
la Capitale , dans le defïein d'alîié-
ger cette Place ; mais comme les
Efpagnolspouvoientlafecourirpar
Collioure , où il leur étoit aile d'a-
border avec leurs vahTeaux , on fe
contenta de bloquer Perpignan , ck Le i s Mars.
on alla afiiéger Collioure qui eu
par-delà. Le Gouverneur avoit fait
faire quantité de forts & de re-
doutes tout au tour de la Ville ; on
les prit tous l'un après l'autre, Té-
pée à la main , &c la Ville fut con-
trainte de fe rendre. On afîiégea Le 10 Avril,
enfuite Perpignan : le fiége dura
pluslong-tems; mais enfin le Gou-
verneur fut obligé à capituler. On
70 Histoire du Vicomte
-*—- le rendit maître après cela de la
A i4i.E E Fortereffe de Salces , & des autres
Places fortes , fans beaucoup de
peine ; &: la conquête de toute la
Province fut faite en une feule cam-
pagne,
fon fore le Ce fut dans ce tems-là, que le
follet Duc de Bouillon , frère du Vicom-'
fa Principau- te de Turenne , s' étant trouvé im^
lé de Sedan. ^[[^ fans un Jm'lté que le DllC
d'Orléans avoit fait avec l'Efpagne ,
&: ayant été arrêté à la tête de no-
tre armée d'Italie qu'il comman-
doit , fut obligé , pour fauver fa
vie , de livrer Sedan au Roi , qui
s'engagea à lui donner en échange
. plufieurs grandes Terres, &c àcon-
ierver le rang de Prince à tous ceux
de fa Maifon.
Richelieu La poffefîion de cette importan-,
meure , & te Place , qui efl demeurée depuis
unie à la Couronne , fut le dernier
des avantages que le Cardinal de
Richelieu procura à la France; &C
Le4Décem- ce grand Miniftre mourut peu de
bte* tems après , craint , haï , envié , ÔC
admiré de prefque tout le monde.
DE TURENNE. Liv. L 71
Le Cardinal Mazarin fuccéda à \ N N è E
la place du Cardinal de Riche- 1643.
lieu auprès de Loirs XIII, mais Mazarin lui
il n'y fut pas pas long-tems , car ce ^uc"cl-, Lc
Prince mourut cinq mois après , &C
laifla la Reine Anne d'Autriche , fa
femme, Régente du Royaume du-
rant la minorité de Louis XIV fon
fils, qui n'avoit que quatre ans 6c
demi.
Cependant le Vicomte de Tu- Reparte en
renne , qui étoit prefque le feul qui Icahe ' &
fe fut intéreffé pour le Duc de
Bouillon durant fa détention , s'é-
toit donné tous les mouvemens
qu'il eft naturel de fe donner en
pareil cas pour un frère , mais
fans manquer en rien de ce qu'il
devoit à l'Etat ; & il s'étoit com-
porté d'une manière fi fage pen-
dant tout le cours de cette affaire,
que fa conduite redoubla l'eftime
qu'on avoit pour lui à la Cour , &:
qu'on l'envoya fervir dans notre
armée d'Italie. On venoit de don-
ner le commandement de cette ar-
mée au Prince Thomas ? qui avoit
N N
72 Histoire du Vicomte
abandonné le parti des Efpagnols
i^43 • pour fe joindre à nous : mais com-
me on ne comptoit pas beaucoup
furfon attachement à nos intérêts ,
on voulut envoyer avecJui un
homme de la fidélité duquel on
fût entièrement afTuré , ck ce .fut
le Vicomte de Turenne qu'on choi-
sit pour un pofte d'une aufli grande
confiance. Si- tôt qu'il fut arrivé
à l'armée , le Prince Thomas
marcha vers Alexandrie , ville du
Milanez , qu'il fit invertir de maniè-
re que les quartiers étant affez éloi-
gnés les uns des autres , les en-
nemis pouvoient facilement jetter
du fecours dans la Place par les
intervalles qui fe trouvoient entre
ces quartiers. C'eft. auiîi ce que ne
fait le fiege manquèrent pas de faire les Efpa-
de Trin. gnols , qui tirèrent pour cela pref-
que. la moitié de la garnifon de
Le 4 Août. Trin. Alors le Prince Thomas ,
qui n'avoit feint de vouloir aiïié-
ger Alexandrie que pour engager
les Efpagnols à dégarnir Trin , al-
la mettre le fiege devant cette
ville
BE TURENNE. Liv. I. ,73 .
ville dans toutes les formes. On at- a n n é e
taqua les dehors avec beaucoup de l643«
vigueur , & ils furent bientôt em-
portés. Les Efpagnols vinrent recon-
noître nos quartiers pour tâcher de
faire rentrer dans la place les trou-
pes qu'ils en avoient tirées ; & n'y Le 14 Sep -i
ayant pu réuffir , ils feignirent d'en tembre*
vouloir à Aft , 6c allèrent invertir
cette place : mais comme nous l'a-
vions pourvue de tout ce qui étoit
néceflaire pourfoutenir unlongfie-
ge , nous continuâmes celui de
Trin fans rien craindre. Nous nous
en rendîmes enfin les maîtres ; Ôcle
Vicomte de Turenne fe préparoit
à marcher à de nouvelles con-
quêtes.
Mais la Reine Régente fâchant H eft &"e
ce qu'un homme tel que lui pou- î?™haI* dc
voit pour la derenle d un Etat , lui ans,
envoya le bâton de Maréchal de
France , & lui donna le comman-
dement de notre armée d'Allema-
gne , quoiqu'il n'eût encore que
trente-deux ans , dans la vue de
l'attacher entièrement à fon fils y
D
A N
K ]
Ï643,
74 Hist.duVic.deTurenne.
6c d'en faire un appui de fa Cou-
ronne contre les entreprifes où fon
Royamne ne pouvoir manquerd'ê-
tre expofé par les cabales & les fac-
tions qui font comme inféparables
d'une minorité.
Fin du premier Livre.
HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE.
WSSëÊ.
LITRE SECOND.
U s Q u'i c i nous avons ÀHi|é£
pafTé afîez légèrement ié45.
fur toutes les a&ions mi- Cc feConct
litaires que nous avons Lîvre & les
[écrites, parce qu'elles ne regar-^S
doient pas dire&ement le Vicom- que le prê-
te de Turenne , qui ne comman- mler*
doit point en chef. Car , quoi-
qu'il fût peut-être fupérieur par
la capacité à ceux qui étoient
au-deilus de lui par le gracie ;
quoique par le conïeil & par l'exé-
D ij
j6 Histoire du Vicomte
Année cution il eût en certaines occa-
»^4i' fions plus contribué à faire réuf-
fir les entreprifes , que ceux mê-
me qui en étoient chargés ; ce-
pendant comme c'efl un ufage
établi de donner aux Généraux
tout l'honneur des fuccès , nous
laiffons à ceux qui écrivent la
vie dés Capitaines fous lefquels
le. Vicomte de Turenne a fervi , le
foin de raconter plus au long les
fieges ÔC les batailles dont nous
venons de parler , comme faifant
plutôt partie de leur Hifloire que
de la fienne. Mais déformais que
prefque toujours feu! maître des
armées où il fe trouvera, il fera
auiîi prefque toujours feul chargé
desévénemens ; nous les décrirons
avec toutes leurs circonflances &t
dans tous les détails qui pourront
convenir à un ouvrage du caractère
de celui-ci.
Ttiftc fitoa- Le Maréchal de Guébriant , qui
«on de l'ar- après ja m0rt du Duc de Veimar
mee de bran- i . , , • \ i a ^ r
cecnAlîema- avoit ete mis a la tête de ion ar-
gne, méz , venoit de mourir de la blef-
fure qu'il avoit reçue au iiege de
DE TURENNE. Liv. IL 77 _
Rottweil , ville Impériale fituée a k n é *
à la fource du Necker. Le Comte l64i*
de Rantzaw , qui étoit le plus an-
cien Officier de l'armée , en avoit
pris le commandement , & l'avoit
menée aux environs de Dutlinghen ,
ville peu éloignée de la fource
du Danube , où le Baron de Mer-
çy , Général des troupes du Duc
de Bavière , qui s'étoit ligué avec
l'Empereur contre nous , l'enleva
avec tous fes Officiers Généraux 6c
toute fon armée , à la réferve de
cinq à fix mille hommes quife fau-
verent en-deçà du Rhin , fans chef,
fans argent & fans armes. C'efl
à quoi fe trouvoit réduite cette
armée , qui avoit été la terreur
de l'Empire fous le Duc de Vei-
mar; 6c ce fut avec ce débris de
troupes, fans autres forces , qu'on
chargea le Vicomte de Turenne de
défendre la France du côté de
l'Allemagne contre les efforts des
amées de l'Empereur , du Duc de
Bavière & du Duc de Lorraine y
que les ennemis avoient réunies y
Diij
7§ Histoire du Vicomte
Année dans l'efpérance de profiter dutrifte
1644. état où l'affaire de Dutlinghen nous
avoit réduits. Pour furcroît de mal-
heur, Torflenion, Général de l'ar-
mée Suédoife y qui jufques-là avoit
agi de concert avec la nôtre contre
les Impériaux , s'en alla dans le Hol-
frein, fans même nous donner avis
de fon départ.
Défait le Tel étoit l'état de nos affaires
frère du Gé- en Allemagne , lorfque le Vicomte
à Hucinghen. de 1 urenne y arriva. 11 commen-
ça par emprunter fur fon crédit
une fomme conlidérable d'argent
pour fubvenir auxbefoins des trou-
pes ; &C pendant que prefque tous
les Grands du Royaume furven-
doient à la Reine Régente les moin-
dres fervices qu'ils rendoient à la
Couronne , il fit remonter la ca-
valerie & r'habiller l'infanterie à
fes propres dépens ; il acheta de
nouveaux équipages d'artillerie ,
& les recrues de chaque régiment
ayant été faites , il trouva , par la
revue qu'il en fit , que ce petit
corps de troupes étoit de fix à
K N £9|
DE TURENNE, Liv. IL 79
fept mille hommes. Avec une aufïi ^
foible armée, bien loin d'être en 1644.
état de faire aucune entreprife ,
il n'y avoit pas d'apparence qu'il
pût feulement tenir la campagne.
Néanmoins comme au commence-
ment d'une minorité il «toit très-
important , pour les intérêts de la
France , de faire tête par tout à nos
ennemis , le Vicomte de Turenne Le * Juin.
pafTa le Rhin à Brifac ; & ayant
lu que le frère du Général Mer-
cy étoit avec un corps de deux
mille chevaux aux environs d'Hu-
tinghen , au-delà de la Forêt-Noi-
re , il le fit attaquer par quatre ou
cinq régimens ; il lui tailla en pie-
ces fix cens hommes , $Z en fit cinq
cens prifonniers , avec beaucoup
d'Officiers : le refte fe fauva vers
le Général Mer cy, qui, malgré cet
échec , ayant encore quinze ou fei-
ze mille hommes , alla mettre le
fiege devant Fribourg , capitale du
Brifgaw. Quelque foible que fut le
Vicomte de Turenne ,il vouloit ten-
ter de fecourir cette place : mais
la Reine Régente lui ayant défen-
Div
80 HlSTOTRE DU VlCOMTE
Année du de rien entreprendre de ce côté-
1 *44. là , jufqu'à ce que le Duc d'Anguien
y fût arrivé avec le Maréchal de
Guiche, qui y conduifoit douze
mille hommes, il fut obligé de les
attendre.
Dîfpofnion Cependant les Bavarois ayant
ï larmée de vivement preffé Fribourg , ils s'en
Mercy encre v * 1
Fribourg & rendirent maîtres avant que le
Bnfac. Le 18 £)uc d'Anguien fût arrivé. Mais ce
Juilleç, _ . ,0 1 a • • r
Prince n eut pas plutôt joint les
troupes à celles du Vicomte de
Turenne , qu'il réfolut d'aller cher-
cher l'ennemi , & de le combattre
en quelque endroit qu'il fût. Le
Général Mercy, après la prife de
Fribourg , étoit reflé dans le camp
qu'il avoit auprès de cette ville, ne
croyant pas pouvoir fe potier ail-
leurs plus avantageufement. En ef-
fet , il étolt dans une plaine tou-
te environnée de marais 6c de
montagnes , qui formoient une ef-
pece de quarré long , lequel n'avoit
pour toute ouverture , de notre
côté , que le grand chemin de
Brifacà Fribourg. Il avoit derrière
lui cette dernière ville ; la tête de
DE TURENNE. L'iV. Iî. $1 _
fon armée faifoit face au chemin Année
de brifac , par lequel on devoit l644.
naturellement venir à lui ; car les
marais qui étoient fur fa droite
étoient abfolument impraticables ,
& les montagnes qui fermoient fa
gauche , étoient fi près l'une de l'au-
tre , que Tefpace qui fe trouvoit
entre deux devoit plutôt être re-
gardé comme un défilé , que com-
me un vallon. Cependant , com-
me fon armée prêtoit le flanc à
ceux qui l'auroient attaquée par ce
pafTage , il y avoit fait faire des;
retranchemens outre ceux que les
ravins y formoient déjà : il l'a-
voit fait barrer de fapins couchés
en travers , dont les branches
étoient coupées par la moitié, &
qui , par ce moyen , hérifles de
pieux en tout fens, iervoient de
chevaux de frife : il avoit garni le
bois à droite & à gauche de Mouf-
quetaires ; fi bien qu'il étoit per~
fuadé qu'on n'oferoit pas l'attaquer
par cet endroit. Quant au chemin
de Fribourg à Brifac , il croyoit
y avoir allez bien pourvu , en met?
D y
Si Histoire du Vicomte
A N M \ E tant un gros corps de troupes fur
*é44« la montagne, qui étoit à la tête de
ce chemin & qui le commandoit
entièrement.
Elle y eft Le Duc d'Anguien ayant re-
A"a??le ptr connu la difpofition de ce camp .
relolut de 1 attaquer , oc par le
chemin de Brifac , 6c par le val-
lon tout - à - la - fois. L'armée des
Bavarois étoit de quinze mille
hommes , 6c la nôtre de dix-neuf
mille. Le Duc d'Anguien prit la
moitié des troupes , &: voulut at-
taquer les ennemis par la monta-
gne qui défendoit le chemin de
Brifac à la tête de leur camp ; ôc
le Vicomte de Turenne , avec l'au-
tre moitié de l'armée , fe chargea
de les aller attaquer par le vallon*
Pour cela il falloit faire le tour
de la montagne à travers les bois..
Il partit donc dès la pointe du jour r
Jfe j Août, afin d'arriver affez tôt , & de pou-
voir faire fon attaque en même-
tems que le Duc d'Anguien feroit
la fienne , comme cela arriva ; car
à l'heure dont ils étoient convenus,
«'eft-à-dire 3 trois heures avant
DE TURENNE. Liv. H. 83
la nuit, le Duc d'Anguin fit char- a n k \ \
ger les ennemis au pied de la mon- l6w*
tagne , & en ayant gagné le fom-
met après trois heures de combat, il
réfolut d'y parler la nuit , &: d'atten-
dre au lendemain à descendre dans
la plaine.
Le Vicomte deTurenne étoit f$f parTareajiej
tré dans le vallon à la même heu- f-' chafnfT d.e
re, oc avoit fait charger tintante- re,
rie que le Général Mercy avoit lo-
gée à droite & à gauche dans les
bois dont les deux montagnes
étoient couvertes» Cette infanterie
s'étoit fait par-tout des retranche-
mens par des abbatis d'arbres, Sd"
il falloit livrer un nouveau com-
bat à chaque pas qu'on faifoit. Ce-
pendant le Vicomte de /Turenae
pouffa fi vivement les ennemis s
qu'il fe rendit maître des deux cô-
tés du défilé, parla tous les foffés
& les ravins qui le traverfoient ^
& pénétra dans la plaine , où il fit
entrer une partie de fes troupes*
Comme ce fut juitement le tems
où le Duc d'Anguien avoit cef-
0 le combat., le Général Mer»
D v)
?4 Histoire du Vicomte
6 N n é e cy , qui n'étoit plus obligé à par*
i<?44' tager fes forces , vint contre le Vi-
comte de Turenne avec toute fort
armée. Le feu fut continuel de
part & d'autre , durant toute la
nuit, c'eft-à-dire, plus de fept heu-
res entières. Les Bavarois firent
les derniers efforts pour nous obli-
ger à repaffer le défilé; néanmoins
quoique leur infanterie fut foute-
ïiue de toute leur cavalerie , 6c
que nous n'eufîions pu avoir qu'un
feul efcadron derrière la nôtre ,
faute d'efpace , le Vicomte de Tu-
renne conferva le terrein qu'il
avoit gagné , &: le Général Mercy
ayant déjà trois mille hommes hors
de combat , crut devoir p enfer
îout de bon à fauver le refte de
fon armée. L'obfcurité de la nuit
«mpêchoit que le Vicomte de Tu>
renne ne vit les mouvemens qu'il
faifoit ; il n'y avoit déjà plus vis-à-
vis de nous que quelques rangs
de Moufquetaires , qui faifoient de-
fréquentes décharges de leurs ar-
ines, pour nous faire croire que
toute l'armée y était encore; ôc.
DE TURENNE. Liv. H. 8? >J^
Mercy s'étoit retiré avec le refte XTTTe
de fes troupes, fans qu'on s'en fut l644>
apperçu; de forte que lorfque le
jour parut ces Moufquetaires ayant
pris la fuite , le Vicomte de Tu-
renne vit qu'il n'y a voit plus per-
sonne dans la plaine , &: y entra
avec le corps qu'il commandoit :
ce que le Duc d'Anguien ayant
apperçu de l'endroit oii il étoit, il
defcendit au(Ii dans la plaine avec
fes troupes. Cependant les Ba-
varois ayant gagné la Montagne
Noire , commençoient à s'y re-
trancher. Nous n'étions à la véri-
té qu'à une lieue de cette monta»
gne ; mais comme les foldats que
commandoit le Vicomte de Tu-
renne, étoient extrêmement fati-
gués du combat, qui avoit duré
toute la nuit, 6c de la pluie qu'ils
avoient eue , outre cela , conti-
nuellement fur le corps, on ne ju-
gea pas à propos de marcher aux
ennemis , qu'on n'eût fait repofer
les troupes. Il efl vrai que pen-
dant ce tems4à les ennemis tra-
vaillèrent fans rçiâçhe; à fortifier
$6 Histoire du Vicomte
aTTTT leurs retranchemens : néanmoins
1^44. quand le lendemain on fut arrivé
au pied de la montagne fur laquelle
étoient les Bavarois , on fe pré-
para à les attaquer de telle forte
que le Vicomte de Turenne , qui
n'étoit pas d'un caractère à fe flat-
ter , fe fenoit affuré de leur défaite
fur la feule difpofition des attaques
dont il de voit ce jour-là condui-
re la principale ; mais s'étant avan-
cé avec le Duc d'Anguien pour
aller reconnoître encore une fois
le camp dès ennemis , d'une hau-
teur qui étoit à deux mille pas de
là , dlifpenan qui commandoit
toute l'infanterie de l'armée du
Duc d'Anguien, & à qui le Vicomte
de Turenne avoit dit exprefTément
de ne rien engager jufqu'à ce qu'il
fût revenu, comme s'il avoit prévu
ce qui devoit arriver ; d'Efpenan ?
dis-je , pour fe faire valoir par une
aufîi petite action que celle de la
prife d'une redoute , en attaqua
une qui étoit au pied de la mon-
tagne , d'où les ennemis firent une
Si furieufe décharge de' canon ££
DE TURENNE. Llv. IL 87
de moufqueterie , que nos foldats , a k » é
croyant le combat engagé , s'a van- _ um>
cerent de tous côtés, fans ordre, 8c
fans Chefs. Les Bavarois, tirant
avantage de cette confufion , forti-
rent de leurs retranchement , àz
firent un grand carnage de nos gens.
Le Vicomte de Turenne , ayant
été averti , accourut à eux; mais
le défordre étoit fi grand , qu'il ne
put , ni fe faire reconnoitre , ni fe
faire entendre : de forte qu'il fal-
lut qu'il gagnât les rangs de nos
troupes les plus avancés , & qu'à
leur tête il pouffa les ennemis &
les fît rentrer dans leurs retranche-
mens, pour retirer nos gens du
danger où ils s'étoient précipités.
Le Duc d'Anguien voulut réparer
ce contre-tems par de nouvelles at-
taques , qui n'eurent pas le fuccès
qu'on en avoit efperé. On foutint
par honneur le combat jufqu'au
foir , afin qu'il parût que c'étoit la
nuit feule qui y avoit mis fin ; mais
il nous en coûta la meilleure par-
tie de notre infanterie , qui y fut
défaite, Cependant % comme les en*
, 88 Histoire du Vicomte
TTTTe nemis n'avoient perdu guère moins
i*44. de monde que nous dans cette?
dernière affaire , & qu'ils en avoient
beaucoup plus perdu dans le pre-
mier combat , notre armée fe trou-
voit encore fupérieure à la leur.
Nous nous préparâmes donc à les
attaquer , lorfqu'ils auroient aban-
donné la montagne où ils avoient
tant d'avantage fur nous : & com-
me ils ne pouvoient fe retirer que
par le Val de Saint-Pierre , nous
allâmes nous porter à Lansdelin-
ghen , à deffein d'enfiier le Val du
Bloterdal lorqu'ils entreroient dans
celui de Saint -Pierre , & de les
couper à l'Abbaye qui eft au bout
de cette Vallée ; ce qui arriva
Le 10 Août, comme- nous l'avions prévu. Mais
les ennemis ? qui ne vpuloient point
en venir aux mains avec nous ,
voyant que nous nous mettions err
bataille auprès de cette Abbaye y
nous abandonnèrent leur canon ,
leur bagage, &c toutes leurs mu-
nitions , & s'enfuirent avec précipi-
tation dans le Pays du "NVirtem-
berg ? par lçs montagnes <fc la N|
DE TuRENNE. Liv. IL 89
;uien.
rêt- Noire. Le Duc d'Anguien les a n n s «
pourfuivit jufqu'à Holgrave , 6c le l6^>
Vicomte de Turenne encore deux
lieues plus loin i ayant campé cette
nuit-là à cinq grandes lieues de l' Ab-
baye du Val Saint-Pierre , oit s'étant
rendu le lendemain , toute l'armée
retourna à Lansdelinghen y d'où elle
îtoit partie.
La retraite des ennemis nous Conquête*
ahTant maître de la campagne J dl
e Duc d'Anguien s'avança vers
e Marquifat de Baden ; & defcen-
lans le long du Rhin , il s'empara
le Lichtenaw , de Baden , de
3urlach , Landau , Philisbourg ,
^euftas y Spire , 6c Manheim ,
Worms , Mayence , & de toutes les
uitres Villvs 6c Forterefles qui fe
rouverent , à droite ou à gauche ,
iir fa route , 6c qui rirent peu de
éfiftance , à la réferve de Philis-
bourg ; fi bien qu'en une feule
zampagne il fe rendit maître d'u-
îe grande partie du Brifgaw 6c de
'Ôrtnaw , du Marquifat de Baden ,
lu Palatinat du Rhin , du Land-
^raviat de Darmftat , de l'Eleâo-
tobre.
90 Histoire du Vicomte
A x n é'e rat de Mayence , & de tout le cours
l644- du Rhin depuis Strasbourg jufqu'au-
près de Coblentz dans l'Electoral
de Trêves , c'eft-à-dire , d'une éten-
due de pays de plus de cinquan-
te lieues. 11 donna ordre qu'on ra-
Le is Oc- menât ion armée en France : il
s'en retourna à la Cour , pour y joiiii
de la gloire de tant de conquêtes ;
êc tailla le Vicomte de Turenne fur
la frontière , pour les conferver,
avec cinq à fix mille hommes qui
lui reiloient.
Mercy re- . Cependant le Général Mercy,
prend MaD- .* < ! / -\f f
beïm. ayant eu le tems ae retabnr ior
armée, s'approcha du Rhin; &me
naçant trois ou quatre de nos Ville?
à la fois pour nous mieux embarraf
fer , il fe jetta tout d'un coup fui
Manne im , où nous n'avions pi
mettre pour toute garnifon qi«
quatre compagnies, dont les Ofn
ciers fe fauverent à l'arrivée des Ba-
varois , qui après cela s'empare
rent ailement de ia Ville.
Gleen fe D'autre côté , Gleen , Généra!
^LoL^ne! des Impériaux , avoit joint.fon ar-
mée à celle que le Duc de Lor-
DE TlJRENNE. Liv. IL 91
aine commandoit en perfonne fur a n n é a
a Mofelle : & il étoit à craindre l644.
[ue ces trois Généraux unifiant
eurs troupes , ne vinffent nous ac-
abler tout d'un coup ; ou qu'agif-
mt féparément , l'un ne nous fur-
irit, tandis que nous ferions en gar-
ie contre l'autre.
Le Vicomte de Turenne étoit T"ren^nrf
eut - être l'homme du monde le tr'eux avec
lus capable de défendre une auf-erès-Peu de
S < t - 1 1 monde.
. grande étendue de pays avec un
uni petit nombre de troupes.
>'étoit-là fon véritable talent :
éanmoins comme il avoit des fen-
mens très-modefles de lui-même,
demanda du renfort à la Cour,
îmoignant que fans cela , il ne
royoit pas pouvoir empêcher que
limeurs de nos Places n'euiTent le
îême fort que Manheim. On ne
d répondit autre choie , finon
u'on avoit befoin des troupes
illeurs , qu'il fit de fon mieux , &c
ue c'étoit tout ce qu'on deman-
oit de lui. Voyant donc qu'il ne
ouvoit rien obtenir de plus que
e qu'il avoit , il fut obligé de fuj>
Spire
92 Histoire du Vicomte
A N N é E pléer au nombre par fes ftratagêmes,
1^44. ck de fe multiplier pour ainfi dire
lui-même par fort a&ivité , afin de
pouvoir faire tête aux ennemis , qui
étoient devant & derrière lui , &
qui fe préparoient à l'attaquer de
tous côtés.
11 fauve Les Bavarois avant pratiqué des
intelligences dans Spire , mirenl
douze cens Moufquetaires fur des
bateaux , efpérant les faire defcen
dre par le Rhin dans la ville. Maiï
le Vicomte de Turenne ayant dé-
couvert leurs defTeins , borda a
fleuve d'infanterie , 6z empêcha le;
bateaux de parler : il fit arrêter le:
traîtres 6c fauva Spire.
fait lever Prefque darts le même-tems le
.&ccirTh.dc Général Gleen & le Duc de Lori
raine , étant venus afîiéger avec
deux armées Baccarach , ville di
Palatinat , fituée fur le Rhin , le Vi \
comte de Turenne laifTa un corp:
de deux mille hommes fous Philif
bourg , pour empêcher toutes forte '
de furprifes de la part du Gêné
rai Mercy : & prenant feulemen
cinq cens chevaux avec lui , il s'a-
DE TURÉNNE* Liv, IL 93
rança jufqu'auprès de Binghen , T"^ T
l'où ayant envoyé vers Baccarach 1^44.
les Officiers 6c des Commiflaires ,
>our marquer un camp & préparer
les vivres à une grande armée ,
es ennemis qui crurent qu'effec-
tvement il marchoit à eux avec
.n grand nombre de troupes , le-
rerent le fiege avec précipitation,
z fe retirèrent au-delà de la Mo-
îlle.
Quelques jours après le régi- ^p^nd
lent de Nettancourt , qui étoit dans Creuunach*
^reutznach , polie important entre
; Rhin &: la Mofelle , ayant aban-
onné la place à l'arrivée des Bava-
is , le Vicomte de Turenne la fit
ttaquer & la reprit. Il renforça les
arnilons de toutes les autres Vil-
*s : il les mit en état de faire une
igoureufe défenfe , au cas qu'elles
iflent attaquées ; 6c il fe pofta fi
ien entre les trois Généraux enne-
ùs , qu'ils ne purent joindre leurs
mées enfemble durant tout le ref-
de l'hiver. „ „
D\ 1 • 1 » i Conferve les
es le mois de Mars , ayant villes, & en
oulu commercer la campagne , Prend d>au~
très,
©4 Histoire du Vicomte ^
■7 • E il fît attaquer Germcsheim , qui d
5£$* un peu au-deffus de Philisbourg
& prit cette place par efcalade. 1
parla le Pvhin à Spire : il fit mar
cher fon petit corps de troupes
Pforszheim dans le Marquifat d
Baden ; le Général Mercy fe rc
tira auffi-tôt au-delà du Necker
r.ous abandonnant ce qui étoit er
deçà. Le Vicomte de Turenne, er
tré dans la Souabe , fait lever î
fiege du château de Magold au
Bavarois , s'empare de Stugard
dans le Duché de "Wurtemberg
paiTe le Necker , prend Suabfcha
d'emblée ; & forçant Mercy à :
retirer jufqu'à Dunckelfpield , s'
vance vers le Tauber dans la Frai
conie , y prend Rottembourg , <
Mariandal , où s'étant établi poi
avoir derrière lui les Etats de
Lantgrave de Heffe notre alliée
qui devoit joindre fon armée à
nôtre , quand le tems du quarti<
d'hiver feroit fini , il envoya è
partis dans la Souabe , dans
Franconie , & dans tous les pa]
des environs , d'où par ce moy«
DE TURENNE. Llv. IL 95
l faifoit apporter dans fon camp année
outes (ortes de provifions en abon- » 6 4ï»
lance ; û bien qu'avec un aufïi
>etk nombre de troupes que celles
fti'on lui avoit laifTées , non-feu-
nent. il conferva toutes les pla-
ies que nous avions conquiiès ,
nais il en prit encore aux enne-
mis cinq fort confidérables , d'où
faifoit des courfes jufqu'aux por-
?s de Wirizbourg , de Nuremberg ,
C de plufieurs autres villes aux-
uelles il fit payer toutes les con-
ibutions qu'on a coutume d'exi-
er quand on efl maître de la cam-
agne.
Ces heureux fuccès furent fuivis Eft prefïé
'un revers de fortune , que le %&-*£>% ^
amte de Turenne avoit prévu , rer fon Ar-
ontre lequel il s'étoit même pré- mée*
lutionné , & qu'il ne fut néan-
toins éviter. Car , comme fes
oupes , fatiguées de tant de mou-
emens , d'adions <k de marches ,
ii demandoient à aller dans les
etites places des environs , pour
y repofer & fubfifler plus com-
modément, il le leur refufa ; quoi-
96 Histoire du Vicomte
r 7. que jamais aucun Capitaine ne ù
ù", .E " foit fait un plus grand plaifir qiu
lui, de procurer à fes foldats tou-
tes fortes de commodités : mai
en cette occafion il appréhendoi
que les ennemis ne fuffent encor<
affemblés en correfpondance ; ê
que retournant fur leurs pas , ils n
vinffent attaquer fes quartiers lorl
qu'ils feroient féparés. Cependar.
les Officiers le lui redemanderei
avec de nouvelles inftances : t
comme le Général Major Rofe
preffoit fur cela jufqu'à l'imporft
nité ? il lui donna un détachemej
de cavalerie , pour aller reconnc
tre ce que faifoient les ennemi;
& il envoya encore quelques autr
Officiers en parti pour le mên
fujet. Tout le monde lui rappor
que l'armée ennemie étoit lép;
rée , &c que les Bavarois fë fort
fioient dans les diverfes places c
on les avoit mis#en quartier , cor
me des gens qui ne fongeoient
rien moins qu'à en fortir. Il cé<
donc enfin à l'importunité de Rof
fur le rapport duquel il crut qu
devc
b e Turin ne. Liv. II. 97
devoit compter , parce que c'était A\, N é E
un vieil Officier: n'y ayant pas d'ap- 1645,
parence que des gens qui fuyoient
devant nous, duflent venir ii-tôt
nous attaquer ; ck que quand ils le
voudroient ils le piiffcnt faire fi
fubitement que nous n'en fuirions
pas avertis , étant à plus de feize
lieues de nous. Néanmoins le Vi-
comte de Turenne appréhendant
toujours quelque fuprife , retint
iiitour de lui le canon 6c l'infan-
:erie , & ne voulut pas que la ca-
valerie s'éloignât de plus de deux
du trois lieues de Mariandal, dont
1 fit le quartier général ; comman-
iant aux Officiers de s'y rendre en
liligence au premier ordre qu'ils en
•ecevroient.
Le lendemain du jour auquel il & ob%6 dû
épara ainfi fon armée, ne Te te- h caflemblc*
iant pas aiîuré de la féparation de
relie des ennemis, quelque chofe
m'onlui en pût rapporter , il fit rap-
>rocher de Mariandal tous les au-
res quartiers. Plus il y réflcchif-
bit , plus il fe repro choit d'avoir
ru trop légèrement que les ennemis
E
i s 9S Histoire du Vicomte
Année ?e faffent féparés , fur le rapport
J^4y. de quelques Officiers qui pouvoient
s'être acquittés de leur cômmiiîioiV
avec négligence. Voulant donc
s'en éelaircir par lui-même , il prit
la grande garde de l'armée , iV
s'avança trois lieues dans le che-
min par où on le pouvoit venir
attaquer ; & n'ayant rien décou-
vert, il envoya un parti encore
plus loin , avec ordre à l'Officier
qui le commandoit de ne point
revenir qu'il ne lui apportât des
nouvelles bien certaines des enne-
mis; & ce fut* cet Officier, qui ,
le lendemain dès cinq heures dv
matin , vint lui dire que le Gêné
rai Mercy s'avançoit à grands pas
avec toute fon armée -, & n'étoit
pas "fort éloigné de lui. Le Vi-
comte de Turenne fe levé à là hâ-
te , il envoie ordre à tous les quar
tiers de fe rendre à Herbfthauién ,
village où étoit la grande garde.
à une lieue 6c demie de Mariandal
& commande au Général-Majoi
Rofe de s'y rendre en diligence
pour y recevoir- les troupes 1
©E TU RENNE. Liv. IL 99
aiefure qu'elles arriveroient. Le A N N t E
Général-Major Rofe reconnut la 1645.
difpofition des lieux , & ayant vu
qu'il y a voit une afTez grande plai-
ne au-delà d'un bois qui étoit à la
tête de notre grande garde , il
lui fit parler ce bois qui avoit cinq
ou fix cens pas de longueur , &t
commença à ranger quelques ré-
gimens dans la plaine j en quoi il
fit une très-grande faute d'expofer
ainfi à découvert le petit nombre
de nos troupes : au lieu que û
nous fuirions demeurés en-deçà du
bois , & que nous en eufTions fer-
mé l'entrée avec quelques batail-
lons , les ennemis , qui enflent pu
:raindfe que toute notre armée
ne fût derrière ces bataillons , n'au-
*oient peut-être oie nous attaquer,
k fe feroient retirés fans combat-
te. Le Vicomte de Turenne con-
mt la faute aufîi-tôt qu'il fut fur le
ieu; & fans s'amufer à en faire des
•eproches au Général-Major Ro-
ï , il donnoit fes ordres pour fai-
*e reparler le bois à nos troupes ,
orfqu'ayànt découvert l'avant-
Eij
ioo Histoire du Vicomte
Année garde de l'armée ennemie , qui
1*4$. n'étoit plus qu'à un quart de lieue
de nous , il vit bien qu'il n'a voit
pas affez de rems pour aller fe met-
tre derrière le bois ; & que le feul
parti qu'il avoit à prendre , étoit
de ranger promptement en ordre
de bataille le peu de troupes qui
étoient là ; car il n'y avoit que
trois mille hommes d'infanterie
arrivés, &c fept ou huit régimens
de cavalerie. Dans cet état ? vou-
lant profiter de tous les avantages
du lieu , &: ayant vu à droite un
petit bois , il y mit toute ion in-
Fanterie,foutenue feulement de deux
efcadrons, & en fit fon aile droi-
te; il compofa l'aile gauche de tout
le refte de la cavalerie qu'il mit
fur une feule ligne , excepté deux
efcadrons , dont il fit une efpece de
féconde ligne ; &: attendit ainfï
l'ennemi.
Après s'être Le Général Mercy , qui avoit eu
bravement \e terns ^e mnaer régulièrement
défendu con- r , ,° *?-v-' _T.
lit Mercy. ion armée , pendant que le Vicom-
te de Turenne s'étoit appliqué à
tirer avantage de la difpoiition du
1645
de Turenne.ZjV.77. ioï :
terrein , commença à nous canon- a n n é
ner ; mais voyant que fon canon
ne faifoit" pas grand effet , &c que
-cependant il nous arrivoit à tous
momens de nouvelles troupes qui
auroient bien pu à la fin rendre
notre armée égale à la fienne , il
fe mit à la tête de fon infanterie
pour aller attaquer le petit bois,
dont il falloit abfolument qu'il fe
rendit le maître , afin de pouvoir
faire agir fon aile gauche. Le Vi-
comte de Turenne marcha en mê-
me-tems avec fa cavalerie contre
l'aile droite de l'ennemi , l'enfon-
ça , rompit tous les efcadrons ,
ébranla môme la féconde ligne ,
| & prit douze étendarts. Mais pen-
dant qu'il renverfoit ainii la cava-
lerie des Bavarois , notre infante-
rie , alarmée de ce que le Vicomte
de Turenne avoit pris tant de pré-
cautions , &C fe croyant à caufe de
cela dans un péril inévitable , jet-
ta les armes bas à la première at-
taque des ennemis & fe fauva à
travers le petit bois , dont le Gé-
néral Mercy s'étant rendu maître ,
E iij
joi Histoire du Vicomte
A«nêe il fit avancer toute la cavalerie de
I(J4j. .fon aîle gauche derrière la nôtre
pour l'envelopper. C'étoit en quoi
confifloit alors toute notre armée ,
n'y ayant plus d'aile droite. Le
Vicomte de Turenne , qui avoit
rompu la féconde ligne de l'aile
droite des ennemis comme la pre-
mière , & qui n'avoit plus devant
lui que trois efcadrons du corps
.de referve à défaire , ayant vu fon
.infanterie jetter les armes bas , 6c
le mouvement que les ennemis
faifoient pour le venir envelopper,
cefla de combattre ; 6c ayant fait
en un moment le plan de fa re-
traite, il commanda à l'infanterie
de marcher droit à Philisbourg fans
s'arrêter : il y envoya Beauregard-
Chabris pour la rallier, la faire def-
cendre fur le Rhin jufqu'à Mayen-
ce , 6c la lui amener dans le Land-
graviat de HefTe oit il réfolut d'al-
ler avec toute fa cavalerie , quoi-
qu'il en fût à plus de trente lieues ,
6c qu'il lui fallût pour cela tra-
verfer toute la Franconie , pays qui
étoit à la dévotion du vainqueur.
DE TURENNE.LV.//. 10}
Suivant ce plan , il ordonna à a n n i s.
d'Efpence de Beauveau de fe met- x*4f.
tre à la tête de la cavalerie , de pafr il fait une
fer le Thauber & le'Mein, & de belle retraicc'
marcher toujours jufqu'à ce qu'il
fût arrivé aux frontières du Pays
de Heffe ; & pour lui s'étant mis
à l'arriere-garde , il repafîa le
bois , en foutenant avec les derniers
efcadrons tous les efforts des en-
nemis qui le pourfuivoient. Mais
il fut bien furpris, lorfqu'étant ar-
rivé à la fortie du bois , il fe vit
coupé par un corps de cavalerie
à qui le Général Mercy avoit fait
faire le tour de ce bois , dans l'ef-
pérance que cette cavalerie mar-
chant toujours fans trouver aucun
obflacle, elle arriveroit au grand
chemin de Mariandal avant le Vi-
comte de Turenne , qui feroit obli-
gé de s'arrêter fouvent pour faire
tête à l'autre corps de cavalerie ,
qu'il avoit détaché après lui. Ce-
pendant le Vicomte de Turenne ,
ne pouvant pas reculer, 6c fe trou-
vant renforcé de trois régimens
tout frais qui venoient d'arriver là 3
E iv
i04 Histoire du Vicomte
Année fuivant l'ordre qu'il leur avoit en-
l6v> voyé de fe rendre à la grande
garde, il crut qu'il n'avoit point
d'autre parti à prendre, que celui
de parler fur le ventre aux enne-
mis , 6c de s'ouvrir un partage à la
pointe de l'épée ; ce qu'il exécu-
ta très-vigcureufement, fans autre
perte que celle de quelques cava-
liers ; après quoi il gagna Marian-
dal. Il pafTa le Tauber , où il fit fer-
me deux ou trois fois, pour s'oppo-
fer aux Bavarois , qui vouloient paf-
fer au même gué que nous : il con-
tinua fa retraite , en faifant tête aux
ennemis à tous les défilés ; & en ral-
liant à droite & à gauche tous ceux
qui s'écartoient , il arriva au Mein ,
qu'il pafTa à gué : &C craignant que
quelque corps de cavalerie ne nous
pourfuivît , il demeura deux jours
entiers dans les bois avec quinze
cens chevaux, avant que d'entrer
clans la HefTe , où il rejoignit enfin
fes troupes.
Réflexions \\ n'arrive gueres de malheurs
furm!n! eve" à une armée , qui ne foient d'a-
bord imputes au General ; mais
DE TURENNE. Liv. IL 105 ____
bien loin qu'on rejetta celui-ci fur A N N é 8
le Vicomte de Turenne , qui au i^j.
fond avoit pris de grandes pré-
cautions pour s'en garantir , on
releva beaucoup la préfence d'ef-
prit avec laquelle il prit le parti
de marcher aux Bavarois dans le
moment même où il apprit qu'ils
venoient à lui ; car s'il fut de-
meuré à Mariandal pour y atten-
dre fes gens , le Général Mercy
auroit pu attaquer fes quartiers les
plus avancés l'un après l'autre , &C
les enlever avant qu'ils euffent pu
le joindre ; au lieu qu'ayant gagné
la tête de tout , il fe trouva en
état de réfifter aux ennemis fi-
tôt qu'ils parurent. On fît encore
extrêmement valoir cettepénétra-
tion par le moyen de laquelle il
forma le projet de fa retraite , &C
en prévit toutes les conféquences
comme en un infiant. On admira
enfin , au-delà de tout ce que j'en
faurois dire , cette profondeur de
jugement &.cet efprit de refîbur-
ce , qui lui fit prendre la réfolution
de mener fi avant dans l'Allema-
Ey
io6 Histoire pu Vicomte
An née Sne ^e débris de fon armée battue;
x$4î. car il n'y avoit perfonne qui , en
fa place , ne fe fût retiré du côté
du Rl^in ? 6k qui n'eût cru faire un
coup de grand Capitaine en al-
lant couvrir Philisbourg , &: f è
mettre tout enfemble à couvert de
cette place. Mais le Vicomte de
Turenne , qui avoit des vues plus
.étendues qu'un autre , jugea plus à
propos d'aller dans la Hefle ? per-
îuadé que les ennemis ne manque-
roient pas de l'y pourfuivre , dans
l'efpérance d'achever fa défaite , &
qu'en y attirant ainfi la guerre ,
4'un côté nos conquêtes du Rhin
feroient en fureté ? & de l'autre la
Landgrave de HefTe , qui , fuivant
1 ufage de l'Allemagne , vouloit ab-
folument laiffer encore un mois fe&
troupes dans leurs quartiers d'hi-
ver , fer oit obligée de les en faire
fortir incenamment pour la défenfe
de fon propre pays , &; de les join-
dre aux nôtres ; ce qui nous met-
trait auiîi-tôt en état de pouvoir ré-
fifter aux ennemis.
«e>oîntaur. En effet y nous ne fumes pas
DE-TURENNE, Uv. II. IOJ ^
plutôt dans le Comté de Valdeck , A N N é %
que le Général Mercy vint aflié- \6^.
ger Kircheim , ville fituée à l'en- H.flo's &
trée du pays de HeiTe. Nous nVsVd:iso,[^
. - r J . . ... . palis ;e Rhin
vions pas plus de trois mille che- &ieNec.er,
vaux & douze censhommes depied. & Fe,oi,H An?r
La Landgrave de HeiTe fut donc Gwmmonfc
obligée , malgré elle , à faire for-
tir les troupes de leurs quartiers
pour a 1er au fecours de Kircheim.
Le Vicomte de Turenne fit même
fi bien , qu'il engagea Le Comte de
Konigsmark , Général des Suédois ,
qui hivernoient dans le Duché de
Brunswic , à fortir aufîi de (es quar- Le z? H&,
tiers , .& à joindre les quatre mille
hommes qu'il commandoit aux iix
mille que la Landgrave de Hefle
envoya fous la conduite du Géné-
ral Geis. A la tête de cette ar-
mée ? le Vicomte de Turenne s'a-
vança vers Kircheim , & le Géné-
ral Mercy ù retira aufîi-tot de de-
vant cette place. Nos foldats , qui
fa voient que la dif grâce de Ma-
riandal étoit arrivée au Vicomte de
Turenne , en partie par fon trop de
bonté pour eux y bruloient Sstàr
Hvj
mmmm_mmmt ïo8 Histoire du Vicomte
A , vie de le venger , *$£ vouloient Qu'il
Année- a °r . x , ~ ■
i64î. lesmenat en rranconie, ou les en-
nemis s'étoient retirés après la le-
vée du fiege de Kircheim ; mais
comme il reçut ordre de la Cour
de ne rien entreprendre jufqu'à- ce
que le Duc d'Anguien 6c le Ma-
Ccft aïnfi réchal de Grammont fiuTent arrivés
eue s'appei- j nuit ^ hommes qu'ils
Joit le Mare- . ,r . ,t -. r j
chai de Gui- conduitoient, il fallut quil fufpen-
che , depuis dît i»ardeur ae fes foldats ; & tout
la more du . . '
DucdcGram- cequ il put, pour fatisraire en quel-
jriorn fonpe-que fâçon à l^j. impatience , fut
de les mener au devant du Duc
d'Anguien , afin d'avancer de quel-
ques jours la jonction des deux
armées, & être plutôt en état de
pourfuivre les ennemis. Pour ce-
la , il repaffa le Mein ; il traverfa
le pays de Darmftad & le Berg-
ûraas. Il prit chemin faifant la
ville de Venheim , & arriva en-
fin à Spire , où le Duc d'Anguien
ayant paffé le Rhin & ayant joint
fon armée à celle du Vicomte de
Turenne , on marcha vers Hail-
bron à deffein d'y paffer le Nec-
-ker ; mais comme les ennemis
DE TURENNE. LiV. IL IO9
nous avoient prévenus , & avoient aTTTb
déjà rangé leur armée en bataille *h£
fur les hauteurs , nous defcendî-
mes à Vimphen , qui eft deux lieues
au-defTous de Hailbron. Nous nous
rendîmes maîtres de cette* ville,
nous y fîmes un pont , & le Gé-
rai Mercy voyant que nous
avions un pafTage fur le Necker,
fe retira à Feuchtwang, qui eft à
plus de vingt lieues de-là dans la
Franconie.
Ce fut immédiatement après le Abandonnés
paffage du Necker , que le Qétté-^%^
rai Konigsmarck 6c le Général affiégcrDunc-
Geis , piqués de ce que le Duc kelspield*
d'Anguien leur avoit parlé avec un
certain air de hauteur en leur com-
mandant quelque chofe , déclarè-
rent qu'ils alloient quitter notre
armée , & emmener avec eux leurs
troupes. Le Duc d'Anguien vou-
loir cju'on les chargeât , pour les
retenir par la crainte d'être taillés
en pièces : mais le Vicomte de
Turenne lui ayant fait entendre
que ces étrangers n'étoient pas ac-
coutumés à être traités de cette
no Histoire du Vicomte
a N.N é e manière, il parla aux Chefs avec
Itf4f. fa douceur 6c fa politeffe ordinal
r.e , & il fit fi bien qu'il engagea
le Général Geis à refier avec nous.
Quant au Général Konigsmarck ,
il fit monter un fantafîin en crou^
pe derrière chacun de fes cava-
liers , 6c fe retira de cette forte à
Bremen dans la baffe Saxe. Les
Suédois nous ayant ainfi quittés*
nous marchâmes avec les Hefiiens
vers leTauber, 6c nous nous em-
parâmes de toutes les Villes qui fe
trouvèrent fur la route. Les enne*-
mis ne défendirent que Rottem-
bourg ; mais cette place ayant été
Le 16 Juillet, prife d'affaut en une nuit, le Gé-
néral Mercy décampa de Feucht-
■wang y 6c fe retira du côté de Do-
nawert , après avoir jette beau-
coup de troupes dans DunckeHV
pield r perfuadé que nous allions
faire le fiege de cette ville , 6c
que nous n'aurions garde de nous
engager entre fon armée 6c une
place où il avoit mis une fi groffe
garnifon. En effet * nous y ouvrît
mes la tranchée , mais dès le
DE TURENNE. Llv. IL III
foir même , ayant été avertis que le a * n â e
Général Mercys'avançoit vers Nor- l6v»
linghen , nous quittâmes Dunckelf-
pield, &c toute l'armée fe mit en
marche à Minuit dans le deffeinde
prévenir les ennemis.
A la pointe du jour nous dé- On quitte
couvrîmes leur avant-garde , qui "on ,ep^ *
tenoit la route qu'on nous avoit dit. Noriingbcn,
Le Général Mercy nous apperçut
aufîi dans le même tems , & comme
l'endroit où il fe trouvoit lui étoit
:rès-favorable , il y rangea fon ar-
née en bataille , 6c réfolut de nous
y attendre. Il avoit une rivière
levant lui , ck de grands étangs à
à droite & à fa gauche. Nous ne
Douvions aborder les ennemis par
uicun endroit : nous fîmes avancer
lotre canon , ôt les Bavarois mirent
mfli le leur à la tête de leur camp.
On fe canonna pendant toute la
lournée avec une perte à peu près
égale de part & d'autre , 6c corn- ^
me on ne pouvoit faire autre cho- $
fe en ce lieu-là , nous en décam- Le 5 Àofo
pâmes deux heures avant le jour
pour aller à Norlinghen, où il nous
1 1 1 Histoire du Vicomte
Année ^toit an^ d'arriver avant les etv»
*Hu nemis. En effet, dès les neuf heu-
res du matin nous nous trouvâmes
dans l'a grande plaine qui eft de-
vant cette ville , & fur le midi
nous apprîmes que le Général Mer-
cy , perfuadé que nous allions nous
attacher au fiege de Norlinghen,
avoit paffé la petite rivière de
Vernitz , & commençoit à faire
travailler en diligence aux retran-
chemens d'un camp déjà très-avan-
tageux qu'il avoit occupé à deux
lieues de nous , & d'où il avoit
deffein de nous difputer la prifé
de cette place. Nous nous ran-
geâmes aufii-tôt en bataille : nou5
marchâmes aux ennemis , laiffant
nos bagages derrière nous dans les
villages de Petizheim & de Me*
xeinghen ; &c fur les quatre heures
nous étant trouvés enleur préfence ,
nous reconnûmes la difpofition de
. leur camp.
DifpoffSm Vers le milieu de la plaine de
de la pi™* Norlinehen , qui eft très-étendue,
le trouve un vallon d une mechov
cre grandeur, devant lequel eu AI-
E H
DE TlJRENNE. LiV.îl. II?
erheim , gros village qui eft com- A N N
ne flanqué de deux montagnes , 1*45.
ju'il a à fes côtés : la montagne
le "Wineberg qui eft fort haute,
:ft à droite , quand on va du villa-
;e à Norlinghen ; & la montagne
ur laquelle eft le château d'Aller-
îeim , eft à gauche. Ces deux mon-
agnes font à un quart de lieue l'une
le l'autre ; & le village qui dft
intre deux , eft plus avancé vers
Norlinghen d'environ trois cens
>as. Le terrein , qui eft entre le
hâteau d'Allerheim &: le village ?
ft uni comme une plaine ; & celui
[ui eft de l'autre côté , eft une pen-
e qui defcend infeniiblement de la
nontagne de Wineberg jufqu'au
nême village.
C'eft-là où le Général Mercy sitnatîoa
voit rangé fon armée en bataille, fiuV P'enf
a« 1 • \ r ie Cr-nerat
Ion aile droite , commandée par Mercy.
e Général Gleen , s'étendoit juf-
mes fur le haut de la montagne de
<J7ineberg ; & fon aile gauche , où
koit le Général Jean de Werth ,
ufquau château d'Allerheim. Le
;orps de bataille où il s'étoit mis ,
ii4 Histoire t>u Vicomte
Année occupoit le vallon , qui faifoit U
i^4f. centre de l'armée , & avoit à fa
tête le village d'Allerheim. Seï
deux ailes étoient toutes compo
fées de fa cavalerie , excepté quel
ques bataillons qu'il avoit mis aiw
extrémités , c'eft-à-dire fur la mon
tagne de Wineberg , & fur celh
du château d'Allerheim ; & tou
le refte de l'infanterie formoit h
corps de bataille. Il avoit fait en
trer quelques bataillons dans h
village , & avoit jette quantité àt
Mousquetaires dans l'Eglife , dan;
le clocher & dans le cimetien
■qui étoit fermé de murailles. I
avoit fait faire des retranchemen
à la tête de toutes fes troupes ; &
ceux des deux montagnes étoien
bordés de canon , ainfi que le ri
deau qui règne de l'un à l'autre
où il avoit fait drefler plusieurs bat
teries. C'eft dans cette fituatior
qu'il prétendoit nous recevoir , f:
nous venians à lui; ou demeurei
campé , fi nous formions le fiegt
de Norlinghen. Son armée étoit df
quatorze à quinze mille hommes.
DE TURENNE. Liv. IL 1 1 5
k la nôtre de feize à dix-fept mille. A N ~ l E
Tout ayant été examiné dans »?4?'
e Confeil de Guerre , le Vicom- _ Confeii de
. _ c j, , Guerre des
e de Turenne rut davis quon neFrançois.
Douvoit engager une affaire gêné-
•aie avec les ennemis ainii pof-
:és &: retranchés, fans expofer no-
re armée à être entièrement dé-
faite. Mais le Duc d'Anguien & le
vlaréchal de Grammont , quiétoient
l'un autre fentiment , l'ayant em-
porté fur lui , il fut réfolu qu'on
lonneroit bataille ; que le Mare-
:hal de Grammont commanderoit
'aile droite ; le Vicomte de Tu-
enne l'aile gauche ; le Comte de
vlarfin , Maréchal de Camp , le
x>rps de bataille ; & le Chevalier
Chabot , aum* Maréchal de Camp ,
e corps de réferve. Quant au Duc
l'Anguien , qui difpofa de tout ces
>oftes , il n'en choifit aucun pour
ui, difant qu'il vouloit être par- tout
;e jour-là.
Il étoit déjà cinq heures après M Bf.taî!ic de
• i. / V , r , NocJinghem..
mai , quand tout fut en état de
îotre côté. Alors nous commen-
tâmes à canonner le village ; ce
é_^___ 116 Histoire du Vicomte
Année ^ ne ^ura qu'une demi -heure
»*45» car les batteries des ennemis , qu:
avoient été dreffées les premières
avoient beaucoup d'avantage fui
les nôtres ; & le Duc d'Anguien
voyant qu'il n'avançoit pas beau
coup avec l'artillerie , fit attaque:
le village par quelques bataillons
à la tête defquels étoit le Comte d<
Marfm.
Les premiers retranchemens fu
rent bientôt forcés : mais quan(
on fut auprès des maifons , les en
nemis qui s'y étoient logés , &C qu
les avoient percées & crénelées
firent de fi fiirieufes décharges d
moufqueterie , que nos gens s'ar-
rêtèrent tout court d'abord , plie
rent enfuite , ôt enfin reculèrent. L
Comte de Marfin y ayant été trè<
danger eufement blefle , le Du
d'Anguien y renvoya le Marquis d<
la MoufTaye avec un renfort d<
quelques régimens , qui ne puren
foutenir le feu des ennemis nor
plus que les autres ; & îe Marqui
de la MoufTaye ayant été mis hor,
de combat par les bleffures qui
.
DE TU RENNE. Liv. IL ri 7
2çut, le Duc d'Anguien mena lui- année
lême nos bataillons à la charge , i.*4S-
l fe fit fuivre de toute l'infan-
îrie. Le Général Mercy voyant
1 mouvement , vint aufîi lui mê-
ie à la tête du village , & fe fit fou-
rnir par tout fon corps de batail-
\ Le combat fut fanglant 6c opi-
iâtre. Le Duc d'Anguien y re-
ît quelques coups dans fes habits ,
: y eut deux chevaux bleffés fous
li. Le Général Mercy y fut tué
un coup de moufquet; ckla mort
2 ce grand homme excita dans
cœur de fes foldats une fureur
2 vengeance , qui les fit fondre fur
os gens , comme un torrent qui ti-
î de nouvelles forces de tous les
bftacles qu'on oppofe à fa violen-
2 : ce fut plutôt un carnage qu'un
3mbat. Le Duc d'Anguien y fit
es actions de valeur étonnante ;
îais il ne put néanmoins empê-
ber que la plus grande partie de
otre infanterie ne fut taillée en-
iéces, & que toute notre cava-
me Françoife ne fut entièrement
éfaite par le Général Jean de
n£ Histoire du Vicomte
A N N é E Werth, qui , à la tête de l'aîle gau-
i^45« che des ennemis, culbuta du pre-
mier choc notre aile droite , fitpri-
fonnier le Maréchal de Grammon*
qui la commandoit , battit le Che-
valier Chabot à la réferve , & pé
nétrajufqu'à nos bagages avec quel
ques efcadrons qui fe mirent à le:
piller,
part qu'y eut Cependant le Vicomte de Tu
Turenne. renne , avec notre aile gauche qn
étoit toute compofée d'Allemans
avoit marché à la Montagne d<
Wineberg contre l'aîle droite de
ennemis; & effuyant les déchar
ges continuelles de leur artillerie
fans s'arrêter un moment, avoit ei
un cheval bleffé fous lui , 6c avoi '
reçu un coup dans fa ctiiraffe d'ur
canon chargé à cartouche ; mai
il étoit enfin arrivé en bon ordn
au haut de la montagne , où le Dm
d'Anguien vint le joindre , voyan
qu'il n'y avoit plus rien à faire , n
à l'aîle droite , ni au corps de ba
taille. Ce Prince fe mit à la têt<
de la féconde ligne : & le Vicom
te de Turenne ayant mené la pre
DE TURENNE. L'iV. IL 119
liere à la charge, il rompit du prê-
ter effort tous les efcadrons en- 164
:?mis qui étoient fur la montagne;
: défit l'infanterie qui y étoit aum* ,
I: prifonnier le Général Gleen , ga-
îa le canon, le fit pointer con-
le le refte de cette aile qui s'é-
\ rtdoit jufqu'au village ; & pré-
vint les ennemis en flanc , les
• largea fi vigoureufement, qu'ils
: rent obligés d'abandonner le
aamp de bataille, &C de fe retirer
• us de cinq cens pas au-delà du
'liage. Les régimens qui s'étoient
3 tranchés dans l'Eglife & dans le
imetiere, fe voyant près à être
• rcés , fe rendirent à difcrétion.
U Général Jean de Werth, ayant
r >pris ce qui fe pafïbit à la mon-
l?ne de "NVineberg , y accourut
recfon aile viclorieufe ; mais le
jur étoit déjà fini lorfqu'il y ar-
:va : & d'ailleurs il trouva les cho-
Jis dans un fi grand déibrdre, qu'il
.'ut ne pouvoir faire rien de mieux,
*ie de profiter de l'obfcurité de la
ï lit pour gagner Donawert , &£
uver- le débris de fon armée ? en
N N É I*
no Histoire du Vicomte
T~^ !"" fe retirant au-delà du Danube. Le
1645. Vicomte de Turenne le pourfiùvit
jufqu'au bord de ce fleuve, avec
trois mille chevaux, & ne revint
point qu'il ne l'eût vu reparler avec
toutes fes troupes. Après la re*
traite de l'armée ennemie , les
villes de Norlinghen & de Dune-
kelfpield nous ouvrirent leurs por-
tes. Le Duc d'Anguien tomba ma-
lade dans ce tems-là ; & s'étanl
fait porter à Philisbourg, & enfuitt
à la Cour , il laifTa fon armée foui
la conduite du Maréchal de Gram-
mont, quiavoit été échangé contre
le Général Gleen.
Le Duc ^e Comme les Etats du Duc de
nwndee& re- Bavière le trouvoient expofés pai
çoic du fc- la victoire d^ Norlinghen, ce Prin-
ce follicita fortement l'Ernpereui
de lui envoyer un renfort de trou-
pes, qui fût capable de nous em-
pêcher de prendre des quartiers
d'hiver dans ion pays; ■& lui man-
da , que s'il n'étoit promptement
fe couru , il feroit obligé de s'ac-
commoder avec nous. L'Empereur
qui appréhendoit qu'il n'écoutât les
proportions
cours.
N N E E
DE TURENNLZrivJ/. 121
proportions que nous lui faifions , ^
& qui venant de faire la paix avec le 1*4
Prince Ragotzki , n'avoit plus be- „
foin de troupes en Hongrie , lui en-
voya un grand corps de cavalerie
k de Dragons , fous les ordres de
.'Archiduc Léopold, qui prit Ga-
as avec lui : comme il ne menoit
Doint d'infanterie , il eut bientôt
oint Gleen , Jean de Werth , & les
bavarois. L'Archiduc, fécondé de
ant de grands Capitaines , marcha
.vec toute la diligence poffible.
Le Maréchal de Grammont, &Z Turennsfe
2 Vicomte de Turenne , qui n'a- ^?nCphiiif--
oient pas la moitié tant de trou- bourg , se
>es que lui, fe retirèrent au plutôt Gr*m^onc
'1 ni- o r • Palle a Lan;
'ers le Rhin, oc ne crurent point dau.
eurs armées en fureté , qu'elles
e fuffent fous le canon de Phi-
sbourg. Là ils envoyèrent cher-
jher des bateaux à Spire , pour fai-
e un pont fur le Rhin; mais à
•eine enavoit-on amené quelques- te 1 3oa^
.mis, que l'Archiduc Léopold arri-bre«
a avec toute fon armée , 6c fe
ampa à une demi-lieue de Phi-
..sbourg, dans l'efpace qui eft en-
F
; m Histoire du Vicomte
Année tre cette Place &le Rhin. Nous nous
i^4j. y retranchâmes : nous fîmes parler
nos bagages dans des bateaux au-de-
là du Rhin, à la faveur de notre
retranchement & du canon de Phi-
lisbourg.Le Maréchal de Grammont
y paffa lui-même avec l'armée du
Duc d'Anguien , &c toute la cavale-
rie de celle du Vicomte de Turenne.
qu'il mena à Landau.
L'Archiduc L'Archiduc Léopold demeun
Pheend £r^eilx îours à tâter de tous côté:
keïfpièid & le camp du Vicomte de Turenne
Norlinghen. &■ défefpérant enfin de le pouvoi:
forcer par aucun endroit , il re
brouffa chemin , & marcha à Wim
phen , qu'il affiégea dans les for
mes. Comme tout le gros canoi
de notre armée étoit dans cett
Place, le Vicomte de Turenne vou
lut la fecourir. Pour cela il en
voya chercher fa cavalerie , que 1
Maréchal de Grammont avoit cor
duite à Landau. Les François via
rent ; mais les Allemands refuferer
d'obéir à leurs Officiers qui voj
loient les amener ; de forte qu
"Wimphen n'ayant point été fecoi
DE TURENNE. L'iV. IL 123
ru l'Archiduc Léopold s'en rendit"! P.
a î • • a \ .Année
maître en huit jours. Apres quoi, 1645.
ayant palTé le Necker, il s'empara
des villes de Dunckelfpield &: de
Norlingen , & continua fa route
vers la Bohême ? pour y mettre fon
armée en quartier d'hiver.
Les ennemis étant tout-à-fait re- Grammone
tirés , le Maréchal de Grammont 5f^afre en
, 7 r ., France.&Ttt-
s en retourna en France avec 1 ar- renne refte
mée du Duc d'Anguien ; & le feuI en AIIe"
Vicomte de Turenne demeura en-masnc"
core fur le Rhin avec la fienne.
Tout le monde étoit dans l'impa-
ience de voir comment il en ufe-
:oit avec les Allemands. Il efl vrai
jue , par leur défobéifTance , ils
ivoient été caufe de la perte de
•yimphen & de celle de notre gros
i:anon. Néanmoins , comme tous
es corps étoient coupables , il ne
ugea pas à propos de les punir;
Fautant plus qu'il étoit periuadé ,
m'on ne pouvoit avoir de trop
ip-ands ménagemens pour les étran-
gers; cette qualité d'étranger lui
tyant toujours paru avoir quel-
que chofe de facré, qui rendoit
1 24 Histoire du Vicomte
a n n é e les perfonnes inviolables : outre
**4J. qu'il avoit befoin de ces Allemands
pour le fuccès d'une entreprife dont
il avoit formé le deffein; ôt qu'il
ne doutoit point que , touchés d'u-
ne indulgence qu'ils méritoient fi
peu, ils ne fe piquafTent d'honneur. ,
et ne voulurent expier eux-même;
leur faute , en fignalant leur coura-
ge à la première occalionquife pré i
fenteroit.
'Turenne Le rétabliffement de l'Eiefteu
prend Trêves, de jYeyes étoit cette entreprife I
& remet I E- ; r I
lefteur en qu'il meditoit comme une choi< i
TEkaôu^ <Iui étoit caPa^le d'honorer la Ré
gence de la Reine ; car il y avoi
plus de dix ans que l'Empereur &
le Roi d'Efpagne avoient dépoui)
lé ce Prince de fes Etats, parc
qu'il avoit fait un traité partiel
lier d'alliance avec nous. Le V:
comte de Turenne ayant donc n
folu de rétablir cet Electeur dan
Trêves , il y marcha quoiqu'il e
fût à quarante lieues , & qu'il lit 1
froid très-rigoureux pour la faifoi
Il lahTa quelques troupes pour ga
der les pailages du Rhin ëc les b;
DE TURENNE. Liv.IL I25_
gages de l'armée : il ne mena avec A N N é 5
lui que très -peu d'infanterie , pour 1*45.
Ifaire plus de diligence ; mais il en
fît venir un corps de l'armée du .
Duc d'Anguien , laquelle étoit à
Metz , d'où il fit aurîi descendre du
:anon par la Mofelle. Il fe don-
la le foin de tout le détail du fie-
ye ; il fe faifit des paffages par où
on pouvoit fecourir la place ; il
'invertit : &: ayant fu que les en-
îemis s'affembloient pour venir la
ecourir , il fit parler la Mofelle au
Colonel Schûts , & l'envoya con-
:r'euxavec les Allemands, qui bru-
ant d'envie de réparer leur faute ,
îe refpiroient que l'occafion de
:ombattre. Le Colonel Schûts ayant
lonc marché aux ennemis , il les
iiflipa entièrement; ëî il les auroit
aillés en pièces, s'ils ne fe fufTent
jettes dans les bois dont le pays
?ft tout couvert. Le Gouverneur
le Trêves , voyant qu'il ne pouvoit
plus être fecouru , demanda à ca-
intuler, §t fe rendit Le Vicomte £e 10 Noë-
lle Turenne remit ainfi i'Elefteur en vembre-
^oiTefTion de fes Etats : & ce fut
F iij
1 16 Histoire du Vicomte
Année P0Lir ^re éclater cette glorieufe
*N$ action dans toute l'Europe , qu'on
frappa là Médaille n°. i.
On y voit la France , fous la figu-
re d'une femme, qui remet dans les
mains de l'Electeur une épée , une
croffe & un bouclier où font les
armes de l'Electeur. Les mots de
la Légende , Tutdcz Gallicœ Fideli-
tas , fignifient, La France fidè lie. à
protéger fes Alliés. Ceux de l'Exer-
gue , ELclor Trevirenjis in integrum
rejîitutus. M. DC. XLV. veulent di-
re , V Electeur de Trêves rétabli dans
fapojjejfjîon de tous fes Etats. 1 6 '4S,
Année Ce rétablhTement engagea nos
1 ttf. Alliés à nous demeurer fidèles ,. fruf-
con u^esl & tra ^ô ^Llc ^e Lorraine des quartiers
va à1 la Cour qu'il avoit compté de prendre dans
[Soï^ecCetEleftorat, & fit de la Mofelle
les Suédois , une nouvelle barrière à la France,
qmeftacceP-Le yicomte de Turenne fit faire
un réduit près le pont de Trêves ,
dans lequel il laiffa cinq cens hom-
mes : il prit Ober^efel , château
que les ennemis occupoient enco-
re en-deça du Rhin ; il renforça la
garnifôn de Philisbourg ; il vifita
DE TURENNE. Liv. IL 1ZJ
toutes nos autres Places , & il les a n n i »
mit en état de défenfe ; il diftri- »6^.
'bua fon armée le long du Rhin &
de la Mofelle , & s'en alla à la
Cour au commencement du mois
de Février. Il y fut reçu avec tous
les applaud'nTemens que méritoit
une campagne fi glorieufe. Pour
lui il ne cefia de repréfenter qu'on
ne feroit jamais rien en Allemagne ,
tant que notre armée &: celle des
Suédois nos alliés feroient fépa-
rées : que comme l'une étoit tou-
jours vers les pays héréditaires de
la Maifon d'Autriche , & l'autre du
côté du Rhin , il étoit facile aux
Impériaux & aux Bavarois , qui
fe trou voient entre deux , de jetter
leurs plus grandes forces du côté
où ils étoient le plus preffés , &
d'empêcher ainfi qu'on ne rempor-
tât de grands avantages fur eux. Ces
çaifons furent enfin goûtées du Car-
dinal Mazarin , en qui la Reine
avoit une confiance fans réferve , &
qui avoit fous la Régence prefque
la même autorité que le Car-
dinal de Richelieu avoit eue fous
F iv
n8 Histoire du Vicomte
A n h e e le Règne de Louis XIII. La jon£tion I
164S. jçg jeux armées fut donc réfolue.
Quant à l'exécution de ce grand pro-
jet, le Cardinal Mazarin s'en remit,
entièrement à la prudence du VK
comtç de Turenne.
KefufeieDu- Cependant ce Miniftre , maî-
ché de châ- tre des grâces , <k chargé du poids
& repaffe en ties affaires , voulant reconnoitra
Allemagne les fervices rendus à la Couronne
jour ajonc- par ^ vicomte de Turenne , & en(
faire le principal appui de fon Mi-
nifrere , lui offrit le Duché de
Château -Thierry. Il efl peu de
cadets , de quelque maifon que ce
foit , qui n'euffent. accepté l'offre
avec joie. Néanmoins, comme ce
Duché étoit du nombre des terres
que le Confeil avoit propofé de
joindre enfemble pour faire l'équi- -
valent qu'on devoit donner au Duc
de Bouillon en échange de Se-
dan , le Vicomte de Turenne , ap-
préhendant que ce qu'il prendroit
ne fût autant de diminué fur ce
qu'on devoit '-donner au Duc de
Bouillon fon frère , remercia le
Cardinal Mazarin : Se quoique le
DE TURENNE. Liv.IL 1 29
Cardinal l'anurât qu'on remplace- A N N É E
|oit le Duché de Château-Thierry 1646.
; -ar quelqu'ai/£ Terre , il le refula
loujoursave.: la même générofité ;
U ayant déclaré qu'il n'accepteroit
ien que l'afFaire de l'échange ne
ût confommée , il s'en retourna
ur le Rhin. Il afîembla fon armée
lux environs de Mayence ; il fit A» moîs
lefcendre un pont de bateaux au-
près de Bacharach : il envoya un
îomme de confiance au Général
AVrangel , qui commandoit l'armée
iuédoife , pour lui donner part du
Ieffein qu'il avoit de pafler le Rhin
i Bacharach , de traverfer le Comté
de Naffau ê£ de l'aller trouver dans
ia HefTe , & concerta avec lui toutes
chofes pour la jonclion.
Il alloit faire marcher l'armée, Cette jonc-
lorfque le Cardinal Mazarin , fe «on traverse
fiant aux promeuves que faiibit le pac azarm^
Duc de Bavière de ne point join-
dre fon armée à celle de l'Em-
pereur ; fi la nôtre demeuroit en-
deçk du Rhin , lui envoya or-
dre de ne point pafler ce fleuve %
d'abandonner tous les projets qui
F y
____^ 130 Histoire du Vicomte
a „ « • dévoient être "exécutés enfuite de
«INNEE.
1646. la jonction , & d aller afîiéger Lu-
xembourg. Le VicurÉte de Tu-
renne fut affez furpris de ce chan-
gement ; il pénétra tout d'un coup
les artifices du Duc de Bavière :
néanmoins pour né pas contreve-
nir à un ordre aufïi pofitif , il ne
pafTa point le Rhin ; mais comme
il étoit perfuadé que le fiege de
Luxembourg , dans l'état où les
chofes étoient pour lors , eût caufé
la ruine entière de nos affaires du
côté de l'Allemagne , il fe donna
bien de garde de l'entreprendre.
Cependant ? tandis que le Duc de
Bavière amufoit le Cardinal Maza-
rin par de belles promettes , fon
armée mar choit toujours , & ayant
enfin joint celle de l'Empereur dans
la Franconie , les Impériaux & les
Bavarois , avec toutes leurs forces
réunies , fe mirent encore entre
nous & les Suédois ; de forte que
notre pont du Rhin nous devint
inutile , puifque nous ne pouvions
plus aller dans la Heffe par le Com -
té de Naffaiij que les ennemis oc-
cupoient.
DE TU RENNE. Liv.IL 131
Turenne alors , ayant pris fon A N N J g
parti , manda au Cardinal Mazarin isA6.
ce qu'il avoit deflein de faire ; & fans Ec enfin exé*
attendre fa réponfe , il laiffa une
partie de fon infanterie à Mayen-
ce , & marcha avec l'autre , & avec
toute fa cavalerie vers la Mofelle ,
qu'il pafla à un gué , fix lieues au-
defTus de Coblents. Il traverfa l'E-
le&orat de Cologne & le Comté
de Meurs ; & ne pouvant avoir de
pafTage fur le Rhin , que par les
villes de Hollande , il envoya de*
mander permifîion aux Hollandois
de le parler à Wefel , où il arriva
après quatorze jours de marche. Il
dépêcha en même-tems un Courier
au Général Wrangel , pour lui faire
part de fon deffein : après quoi il Le 25 Juillet
parle le Rhin ; il marche par le Com-
té de la Mark , le long de la ri-
vière de Lippe jufqu'à Lipftat : là
il prend fur la droite , il traverfe
toute la Weitphalie ; & ayant trom-
pé les ennemis par un fi grand dé- Le 1© Août;
tour , il joignit l'armée Suédoife fur
les frontières de la HefTe , entre
.Wetzlar ôc Gieffen 3 où le Général
F v)
131 Histoire du Vicomte
A N N é Wrangel , ferré de près par les Im-
1 6+6. périaux & les Bavarois , fe tenoit re-
tranché dans des poftes avantageux,
en nous attendant.
Turetine& A la nouvelle de cette jonc-
fan dSel Vf' t^on » *es ennem^s ^e retirèrent fix
Jeaorac de lieues par-delà l'endroit où ils
Mayence. étoient , & allèrent fe camper près
de la ville de Fridberg. Nous n'a-
vions que quatorze à quinze mille
hommes , & ils en avoient vingt-
trois à vingt-quatre mille. Néan-
moins le Vicomte de Turenne ré-
folut de marcher à eux , & de for-
cer tout ce qui s'oppoferoit au
deflein qu'il avoit d'aller au Mein %
afin de pouvoir faire venir le refte
de fon infanterie , qui étoit à
Mayence. Il fit donc avancer les
deux armées à Fridberg : mais
l'Archiduc Léopold nous voyant fi
près de lui ? bien loin d'accepter
la bataille , ne s'occupa qu'à faire
encore creufer nuit & jour les re-
tranchemens de fon Camp , où il
étoit déjà prefque tout-à-fait en-
terré avec fon armée. Le Vicom-
te de Turenne 2 qui ne vouloit que
DE TUHENNE. Liv. IL 133 ^
le parTage, &: qui n'eût eu garde de A N N 7 £
fe flatter qu'an ne le lui eût point i^.
difputé, laifla l'Archiduc fur {es
retranchemens , &: continua fa
route vers le Mein , 011 étant arri-
vé entre Francfort &C Hanau , il
fît venir fon infanterie de Mayen-
ce , qui n'étoit qu'à dix lieues de-
là. Toutes nos troupes étant ainfi
lointes , le Vicomte de Turenne
k le Général Wrangel parlèrent
e Mein avec les deux armées , &:
prirent les villes de Selingeftat
& d'AfcharFembourg dans l'Ele do-
rât de Mayence.
On peut fe figurer quelle fut Us jetfenc
'alarme qui fe répandit dans tout le J^^
)ays , ou l'on croyoit devoir jouir en Franconïe
l'une grande tranquillité à l'abri * e°sff™fj:
le deux auffi puifïantes armées Danube i
jue celles de l'Empereur & du Duc 9««™*
le Bavière qui le couvroient. Les
)ayfans fe réfugient en foule dans
es villes. Les Magiltrats de ces_
ailles viennent au devant de nous
iious en apporter les clefs. Mais
l:omme notre armée feroit deve-
nue à rie& fi nous avions laiffé des
134 Histoire du Vicomte
garnifons dans toutes ces villes >
i^.E E on fe contenta de faire fauter les
fortifications des unes, & d'emme-
ner les principaux habitans des au-
tres pour otages. Ces otages voyant
que nous n'avions pas dix-huit
mille hommes, ne pouvoient com-
prendre comment , avec fi peu de
troupes, nous pouvions être les
maîtres d'une auffi grande étendue
de pays. Cependant le Duc dé
Bavière ayant fu que nous avions
paffé le Mein , envoya faire rom-
pre les ponts de Dilinghen & de
Hochfïet fur le Danube , qui étoit
la feule barrière qui reftoit entre
nous & fes Etats. Il fit tranf-
porter de Munich à Burckaufen
ce qu'il avoit de plus précieux ; il
envoya faire de grandes plaintes à
l'Empereur contre l'Archiduç Léo-
pold , qui avoit fi mal défendu
l'Allemagne. En effet , en nous
lairTant paffer à Fridberg , il nous
avoit ouvert les trois Cercles de
Franconie , de Souabe & de Ba-
vière : les Places y étoient rem-
plies de. toutes fortes de prqy iûo.ns $
N N E S
DE TlJRENNE. Liv. IL 135
les - ennemis n'avoient pris aucune
précaution pour en empêcher le iH«
pillage , les croyà'nt fort en fure-
té derrière toutes les forces de
l'Empire , qui dévoient défendre
le pafTage du Mein. Nous y ali-
gnons pu faire un butin ineflima-
ble ; êc le Vicomte de Turenne
auroit tiré pour lui feul, s'il l'avoit
voulu , plus de cent mille écus de
contributions par mois , &C cela ,
fans rien faire qui ne fût félon les
afages de la guerre. Mais par un
défintéreffement fans exemple, il
fe contenta de tirer des villes où
les ennemis avoient fait leurs ma-
?afins de quoi faire fubfifter fon
irmée ; & pendant qu'au grand
konnement de toute l'Europe les
Impériaux & les Bavarois demeu-
roient dans le pays de Fulde où
ls s'étoient retirés , l'armée de
France &: celle de Suéde entrant
dans la Franconie &; dans la Soua-
be, prirent de force SchorendorfF %
Dunckelfpield & Norlinghen , qui
voulurent faire quelque réfiftance ;
Scpafferent le Danube à Ponawert
winghen.
136 Histoire du Vicomte
Année & à Lawinghen , dont les ennemis
164s. n'avoient point encore fait rompre
les, ponts.
ils entrent Le Duc de Bavière n'eut pas
prennent" ' plutôt appris que nous avions paf-
Rain , & teïè le Danube , qu'il fe retira à Bru-
*h°£nàLa'nau, fur la rivière d'Inn , ne fe
croyant pas en fureté dans fa ca-
pitale. Le Vicomte de Turenne 6c
le Général Wrangel avançant tou-
jours dans le pays , parlèrent le
Lech , & fe rendirent maîtres de
la ville de Rain9la meilleure for-
terefTe de la Bavière de ce côté-
là; & voyant que l'Archiduc Léo-
pold ne faifoit pas le moindre-
mouvement pour arrêter les pro-
grès de nos conquêtes , ils mar-
chèrent à Ausbourg , en deçà du
Lech ? perfuadés qu'ils forceroient
cette Place à fe rendre comme les
autres , fi on leur en lairloit aufïi
tranquillement faire le fiege. Mais
le Duc de Bavière fit déclarer fi
pofitivement à l'Empereur qu'il
s'accommoderoit avec nous fi on
îaifîbit prendre cette importante.
Ville , entre laquelle & Munich
DE TURENNE. LiV. IL 137
l n'y avoit plus aucune Place de "ÂTT7V
iéfenfe , que l'Archiduc Léopold 164s.
sut ordre d'en aller faire lever le
fiege, L'ordre étoit le plus abfo-
u qui fe pût donner : il vint donc
ians la Bavière , oii on lui envoya
encore de grands renforts de trou-
ves ; Payant paru à la vus d'Augs-
Dourg avec une armée fort fupé-
ieure à la nôtre , nous nous reti-
•âmes à neuf ou dix lieues de-là ,
lu côté de Lawmghen. L'Ar-
:hiduc parla le Lech , vint fe carn-
>er aux environs de Memmin-
^hen, & ayant un grand maga-
in de vivres à Landsherg, il ré-
blut de demeurer là fi k>ng tems ,
me nous fuirions obligés à fortir
le la Bavière , ô£ à aller prendre
les quartiers d'hiver au-delà du
i Danube.
Les chofes étoient en cet état , ils vont fe
orfque le Vicomte de Turenne & ^ifirdeLand-
A 1 1 -»xr sberg Se des
e Général Wrangel ayant con- magafïns des
certé enfemble un nouveau de{- ItnPériaux»
fein , firent partir notre armée
!des environs de Lav/inghen , Le u No-
: quoique la terre fût déjà toute vem re*
138 Histoire du Vicomte
Année couverte de neige , &c marche-
16+6. rent droit aux ennemis. L'Ar-
chiduc , qui avoit devant lui d*
grands marais &C de longs défi
lés, crut que nous allions le ve-
nir attaquer dans un camp fi avan«
tageux. Pour le confirmer dans cet
te perfuafion , le Vicomte de Tu
renne 6c le Général Wrangel s'é-
tant approchés à une lieue d<
lui , laifîerent là deux mille che
vaux qui faifoient face à foi
camp, ôc marchèrent avec tou
le refle de l'armée vers le Lech I
Ils y trouvèrent le pont des Im 1
pénaux , fur lequel ils parlèrent : il ]
s'avancèrent auiîi-tôt jufqu'à Land< 1
berg qu'ils prirent par efcalade J
& s'étant ainfi rendus maîtres d\ I
magafin des ennemis y où Ils trou
verent de quoi faire fubfifter no I
tre armée pendant fix femaines 1
ils fe campèrent en cet endroit j
& commencèrent à envoyer de;
partis jufqu'aux portes de Mu-
nich.
L'Archiduc Cependant l'Archiduc Léopold.
le retire ; & r x r . x
tes François ie trouvant fans vivres avec
t)E TURENNE. Liv.IL 139
eux grandes armées qu'il étoit année
ibligé de faire fubfirter , fut con- lé46.
raint de décamper &: de repayer c™™™*£:
? Lech pour gagner les pays hé-viere.
éditaires de la Maifon d'Autriche ,
»'fr il mena hiverner l'armée de
Empereur , &: laifla celle du Duc
;e Bavière dans les Etats de ce
^ince, lequel voyant toutfon pays
n proie à nos troupes, & ne pon-
ant efpérer de fecours d'aucun
ndroit , nous demanda la paix ,
ffrit de fe détacher entièrement
11 parti de l'Empereur, & de de-
îeurer à l'avenir inviolablement
ttaché à nos intérêts : promettes
rivole, dont on ne fe contente,
infi que nous avions fait au com-
lencement de la campagne , que
uand on n'eu pas en pouvoir d'exi-
ger d'autres fur étés. Mais comme
ious étions alors en état de lui
tonner la loi , nous l'obligeâmes
l nous remettre entre les mains
.awinghen , Gundelfinghen &
rîochftet , dont il étoit le maître ,
ifin que s'il venoit encore à nous
____ 140 Histoire du Vicomte
Année manquer de parole , nous puffions
1646, nous en fairre raifonpar le moyen
de ces Places , qui nous ou-
vroient un parla ge dans fes Etats,
Ce fut en partie à l'occafion de ces
Conquêtes , que la France fit frap-
per la Médaille N°. 2.
On y voit Mars portant un Jave-
lot chargé de plufieurs Couronnes
murales. La Légende , Mars Ex- 1
pugnator , fignihe , Mars preneur dt
Villes. L'Exergue , XIII. Urbes
aut Arces captœ. M. DC. XLVL
veut dire , Treize Villes ou Forte»
tejjes prifes 1 646.
De ces treize Villes , le Duc
d'Orléans , le Duc d'Anguien ,
A n n i e le Marquis de la Ferté, le.Maré-
1 647' chai de la Meilleraye , & le Maré-
\l Vend' màî- cnal du Plefîis en prirent huit ; &
tre de plu- [e Vicomte de Turenne en prit lui
iieurs autres, r \ ■
ieul cinq.
La Paix ayant été ainfi faite
avec le Duc de Bavière , & les
Suédois étant affez forts pour Sou-
tenir eux feuls la Guerre contre
l'Empereur en Allemagne , le Car-
dinal Mazarin envoya ordre au
DE TURENNE. Liv. IL 141
Vicomte de Turenne de mener ÂTT7T
Ces Troupes en Flandre , où notre l6+7«
armée n'étoit pas , à beaucoup
près fi forte que celle des Espa-
gnols , qui étoit commandée alors
par l'Archiduc Léopold. Le Vi-
comte de Turenne quitte donc la
Bavière ; &: avant que d'aller à
Philisbourg pour parler le Rhin ,
prend Béblighen &C Tubingue , dans
.e Duché de Wirtemberg ; Sten-
beim &c Hoechfl , fur le Mein ;
Darmaft , Ghetnsheim , & quel-
ques autres Places , qui pouvoient
arlurer nos conquêtes le long du
Rhin , 6l nous ouvrir divers paf-
fages dans le refte de l'Allemagne.
Cependant les Allemands, qui
étoient à notre folde dans fon ar- _ : „ .
, , . , ~ Les Aile*
mee ayant témoigne allez ouver-mans, réduits
tement la répugnance qu'ils avoient Pa/- R°fen » fe
à aller en Flandre , Rofen , le
plus accrédité d'entr'eux , penfa à
fe rendre maître de ce corps de
troupes , de la même manière que
le Duc de Veimar l'avoit été de
fon armée. Pour cela il engagea
les étrangers à refufer d'aller où
ï 4i Histoire du Vicomte
XTT7I on les vouloit mener , fous prt,j
1647. texte qu'il leur étoit dû cinq ou fi \
mois de leur paie ; ii bien qui
lorfque l'armée , qui avoit parle 11
Rhin à Philisbourg , flit arrivée |
Saverne, on vint dire au Vicoir
te de Turenne que les Allemanc s
le j Juin, ne vouloient plus marcher ,& qu'il
difoient tout haut qu'ils ne paifc
roient pas outre. Ce Prince , qi
étoit bien éloigné de croire qi
l'auteur de cette révolte fut R<
fen , à qui il venoit tout récemmei
de procurer le grade de Lieut |
nant Général de Cavalerie , l'ei
voya vers fes compatriotes , poi >
les porter à faire leur devoir : ma
bien loin de faire ce qu'il devo |
pour cela, il demeura avec eux
il envoya dire au Vicomte , qu i
le retenoient par force ; & coït
mençant à donner des ordres con :
me un Général qui ne reconnohTo
plus de Supérieur , il ût marche
jour & nuit les Allemands , & h
mena au-delà du Rhin , qu'il pan
au-defîbus de Strasbourg. Le V
comte de Turenne le fuivit auff
E S
DE TURENNE. Lïv. II. 143
:ôt avec ce qui lui refloit de trou- A N N
Des ; & quoiqu'il eût trois mille ^47.
îommes d'Infanterie , il fit quator-
ze lieues en un jour , 6c joignit
Dientôt les rebelles. Rofen fût
)ien étonné de voir le Vicomte
de Turenne ; il ne pouvoit guère
douter que fon infidélité ne lui fût
:onnue : néanmoins , s'imaginant
p'il pouvoit encore la lui dégui-
er , ou plutôt n'ayant , ni allez
le temps , ni allez de liberté d'ef-
)rit dans une aufîi grande furpri-
é pour réfléchir fur le parti qu'il
levoit prendre , Fous voyei , lui dit-
.1 , comme on m emmené malgré moi.
Le Vicomte de Turenne feignit Turenne les
le croire ce qu'il lui difoit de la reenf *£>*£
prétendue violence qu'on lui fai- fen , & pafTe
bit. 11 étoit en droit de donner dans, I(LLu"
r 1 1 11 o m / • xembourg.
ur les rebelles ; & comme il etoit ■>
beaucoup plus fort qu'eux ? il pou-
voit les faire pafler au fil de l'é-
pée : mais confidérant le befoin
que la France avoit alors de ces
troupes , il aima mieux effayer de
les ramener à leur devoir. Il pria
Rofen de pérfévérer dans l'atta-
144 Histoire du Vicomte
a"T7T"e chement qu'il avoit pour la Couron
^47« ne , au fervice de laquelle il s'é-
toit dévoué depuis fi long-tems
& d'employer les bons offices au
près de fes compatriotes. Il ren
voya toutes {es troupes , pour n<
donner aucun ombrage aux Aile
niands : il ne prit avec lui que qua
tre de fes dom étriqués , & mar
chant toujours avec Rofen fan
le quitter d'un pas , cet Officie
n'eut bientôt plus aucun crédi
parmi fes propres foldats , qui 1<
foupçonnerent de tramer quelqu
chofe contr'eux avec le Vicom
te de Turenne, parce qu'il vivoi
bien en apparence avec lui; à quo
il étoit alors en quelque façon en
gagé d'honneur, fans pouvoir fain
autrement. Il voulut perfuader ai
Vicomte de Turenne , qu'il y avoi
peu de fureté pour lui parmi ce_:
étrangers , afin qu'il retournât \
fon armée : mais il lui répondit
fur cela , d'un ton qui lui ht corn
prendre , qu'il n'avoit nul befoir
d'être rarïuré. Il continua donc
de marcher. On arriva à _ Etlin
ghen
DE TURENNE. Liv. IL 145
ghen , petite ville du Marquifat de A „ ,: t
Bade , à huit lieues de Philisbourg ; i*47«
& là , le Vicomte de Turenne
voyant que Rofenavoit perdu tou-
te la confiance des Allemands, il
fit venir de Philisbourg cent Mouf-
^uetaires qui l'enlevèrent , 6c qui
le conduisirent dans cette forte-
reffe. Alors deux régimens en-
iers vinrent fe joindre au Vicom-
e de Turenne , 6c le reconnurent
:>our leur Général : tous les OrH-
:iers de ce corps de troupes , juf-
i [u'aux caporaux , fe rendirent aufîî
uprès de lui , proteftant qu'ils lui
>béiroient en toutes chofes. Les
utres ayant choifi des cavaliers
»our Commandans , prirent le che-
lin delà Franconie , 6c le Vi-
i omte de Turenne voyant qu'il n'y
voit plus rien à ménager avec eux,
es pourfuivit à la tête de ceux qui
toient rentrés dans leur devoir >
Z les ayant atteints à Koningsho- Au^ mois
j'en dans la vallée du Tauber , il d'Aoû^
es fit charger, il en tailla en
ûeces trois cens , il en fit un pa-
eil nombre de prifonniers , 6c le
G
'
____ i4<î Histoire du Vicomte
Année refte lui échappa par la fuite. Il
l647> auroit pu faire punir les prifon-
niers comme rebelles , mais ayant
Au mois de égard à leurs fervices paffés , il
Septembre. jeur parcionna , il les incorpora
dans les troupes qu'il alla rejoindre.
& étant enfin arrivé dans le Luxem-
bourg , il fe rendit maître de la ville
de Virton, du château de Manguin,
& de quelques autres Places.
L'Arctûduc L'Archiduc Léopold , croyan
affoibii par fa qU'^ avoit de grands defleins fui
venue , perd * ^ . ° r i i* / w
diverfes yii cette Province , tut oblige d y en
Ies* voyer un détachement de fon ar
mée ;& l'ayant ainli affaiblie , non
feulement il ne fut plus en état d<
rien entreprendre en Flandre, mai :
encore il ne put fauverles villes d«
Dixmude , de la Baffée & de Lens
qui furent prifes par les Maréchaux
de Rantzau & de Gaflion.
La conduite La Cour rendit toute la juftio
de Turenne qu'elle devoit à la conduite que 1<
approuva! Vicomte de Turenne avoit tenu»
à l'égard des Allemands : die dor
na de grandes louanges à la pm
dence avec laquelle, prenant d<
fages tempéramens dans cette con
DE TURENNE. Llv.lL 147 .
on&ure délicate , il avoit fu fi à A N N \ %
propos difîimuler , punir , pardon- 1647.
1er , ménager les efprits , fans rien
perdre de ion autorité; faire des
exemples des particuliers, & con-
erver la confiance du corps ; 6c
>our faire parler jufqu'à la dernie-
e poflérité le fouvenir des con-
[iiêtes qu'il avoit faites durant
:ette campagne , on fit frapper la
Médaille N°. 3.
On y voit un Quadrige chargé
.'un trophée que couronne la Vie-
Dire,
La Légende Diverfo ex Hofle 9
gnifle , la France triomphante de
ifferens ennemis.
L'Exergue , XI Urbes aut Ar-
\es captez. M. DC. XL V IL veut
ire , on^e Villes ou Fortere[fes
rifes. 1647.
De ces onze villes , les Maré-
haux de Rantzau &: de Gafîion
n prirent trois , & le Vicomte de
Turenne en prit lui feul huit.
Cependant le Duc de Bavière TZ —
* 1 r> 1 1 • . I646.
oyant que les Suédois rempor- Ilretournâ
rient de très-grands avantages fur cnAiicjnagaç
Gij
148 Histoire du Vicomte
Année l'Empereur , & craignant qu'ils m
1*48. devinffent trop puiffans , joignii
& chaffe les fon armée à celle des Impériaux
Impériaux & r > 1 • / v
les Bavarois ians avoir égard au traite qui
au delà du yenoit de faire avec nous & ave<
la Couronne de Suéde ; 6c le Gé
néral Melander, qui étoit alors à 1;
tête des deux armées , étant entr<
dans la Heffe , avoit déjà pouffé 1
Général "Wrangel jufques dans 1
pays de BrunrVich , lorfque le V j
comte de Turenne reçut ordre d'à -
1er à fon fecours. Il part aufîi-tô
du Duché de Luxembourg avec fo I
armée , s'avance dans le Palat
nat , fait lever , chemin faifant ? 1
fiege de Worms aux Impériaux t
aux Efpagnols, & paffe le Rhin
Mayence. A cette nouvelle les In
périaux & les Bavarois quittent 1 \
pays de Heffe , &£ fe retirent ve
le Danube.
joint Wran- Le Général Wrangel fe troi
se ' vant ainfi délivré d'eux , traver:
la Heffe , 6c s'avance jufqu'à Gh
yourfuit les lenhaufen dans le Comté de H;
«anemis; nau , entre ja Heffe & la Fra]
çonie , où le Vicomte de Turenr
DE TURENNE. Liv. IL 149 __
l'étant venu joindre , ils réfolu- ÂTTTT
rent de parler le Mein , & d'al- »«4*.
1er chercher les ennemis poux
les combattre. Le Général Me-
ander ayant appris que nous
avions parTé le Mein , paffe le
Danube à la hâte , & marche vers
Ausbourg. Nous le pourfuivons
avec encore plus de diligence.
Nous parlons le même fleuve après
lui à Lawinghen , où nous laiffons
nos gros équipages , nos malades ,
$c tout ce qui pouvoit nous embar-
-arTer. Le Vicomte de Turenne &
e Général Wrangel prennent les
devans avec la cavalerie , en don-
lant ordre à l'infanterie de fuivre
ivec le canon le plus promptement
qu'il fe pourroit.
On atteignit bientôt à Zufmars- & ies défait à
îaufen , l'arriére - garde de l'ar- Zufmarshau^
née ennemie qui achevoit de paf- en*
er un bois à la faveur de trente
efcadronsque commandoitle Com-
:e de Montecucully. Comme l'ar-
mée du Vicomte de Turenne avoit
'avant-garde dece jour-là , il chargea
ttfti trente efcadrons à la tête de
G iij
_ ijo Histoire du Vicomte
A~n k é i notre cavalerie : il les rompit , les
'^48. mit en défordre , les obligea à fe
fauver au travers du bois , & les
pourfuivit jufqu'à une petite plai-
ne qui étoit au bout de ce bois,
où il trouva le Général Melan-
der qui , ayant été averti de ce qui
fe panoit à fon arriere-garde , y
étoit accouru avec un grand corps
de cavalerie. Le combat fut fan-
glant en cet endroit , & le terrein
long-tems difputé ; mais le Géné-
ral Melander ayant été tué , fa
cavalerie gagna un fécond bois
qui étoit au bout delà plaine , poiu
fe retirer à la faveur de l'infante-
rie dont il étoit tout bordé du côté
de cette plaine. Le Vicomte de
Turenne pourfuivit les fuyards juf
qu'au bois : le feu de l'infanterie en-
nemie fufpend l'ardeur de fesfol-
dats ; mais le Général Wrangel
ayant trouvé moyen d'entrer au
milieu du bois par un chemin dé-
tourné qui étoit fur la gauche.
les ennemis qui fe virent coupés
perdirent courage. Tout ce qu'ils
avoient là d'infanterie flit taillé
DE TURENNE. Liv. IL 151
en pièces ; leur canon & leurs ba- a n n é
^ages furent pris ; on pourfuivit l6*%*
a cavalerie qu'on mena toujours
Dattant pendant une heure & dé-
nie , & on arriva à un ruiffeau
brt profond où il n'y avoit qu'un
eul gué très-étroit , qui étoit gar-
lé parle Duc de Wirtemberg , Gé-
îéral-Major de l'armée impéria-
e , &c ce Prince avoit avec lui fix
>u fept efcadrons de cavalerie ,
k trois bataillons retranchés au*
lelà du ruiffeau pour en défendre
e paffage. Comme nous n'avions
>oint là d'infanterie pour le for-
:er, on pointa contre les ennemis
artillerie qu'on leur avoit prife ,
:royant les contraindre à coups de
:anon à quitter ce pofte ; mais on
ait beau les canonner, le Duc de
Wirtemberg vit tuer plus de la
noitié de les gens fans abandon-
îer le paffage : il effuya notre feu
ufqu'à la un du jour : il eut cinq
:hevaux tués fous lui ; &£ par cet-
e étonnante fermeté , il empêcha
me toute l'armée ennemie ne fût
aillée en pièces ; ce qui en ref-
G iv
152 Histoire du Vicomte
a n n é 1 toit fe retira durant la nuit vers
i6**i Augsbourg , & y paiTa le Lech. Le
Vicomte de Turenne & le Géné-
ral Wrangel les y pourfuivirent
fans leur donner de relâche ; mais
ils n'eurent pas plutôt parlé le Lech
que les ennemis fuyant toujours,
parlèrent l'Amber , l'Ifer &: l'Inn ,
& fe réfligierent dans l'Autriche,
abandonnant toute la Bavière à no-
tre armée.
Alors le Duc de Bavière ne
trouvant plus de fureté pour lui
dans aucune ville de fes Etats , il
en fortit & fe retira dans l'Arche-
vêché de Saltzbourg , où il fut obli-
d'aller chercher un afyle à l'âge
ge de foixante & quinze ans. Delà
il dépêcha couriers fur couriers à
l'Empereur , &il le prefîa tellement
Le 14 Oc- de faire la paix , qu'elle fut enfin
lobre. conclue à Munfter entre l'Empereur
& le Roi de France , & les Alliés de f
l'un & de l'autre. Toute l'Europe
reconnut qu'elle étoit due en par-
tie aux grandes actions que le Vi-
comte de Turenne avoit faites cette
année en Allemagne ; & la France ,
DE TlJRENNE. LlV. IL T^J
»our immortalifer une campagne A N N t *
i glorieufe , fit frapper la Mé- 164a.
aille , N°. 4.
On y voit la Victoire , qui d'une
îain tient une couronne de lau-
1er, & de l'autre une pique , au
out de laquelle eft un trophé. La
■égende Vicloriafraclœ Fidei Ultrix ,
gnifie , la Victoire venger ejje de la,
"oi violée, L'Exergue , Pulfo trans
)enum Bavaro. M. DC. XLV1II.
eut dire : Le Duc de Bavière chajfé
u-ddà de la rivière d*lnn. \6^8.
Par le Traité de Munfter , le Ce que ga2
andgraviat d'Alface , le Suntgaw , sneAa ^rf n"
rifach , & la Préfecture des dix Munaer.e C
illes Impériales qui font en Alfa-
?, ainfi que le droit de mettre
irnifon dans Philisbourg , furent
:cordés à la France , avec tous les
roits de Souveraineté que l'Em- . j
ereur 6c l'Empire pouvoient avoir I j
rr Pignerol , & fur les Villes &
vêché de Meu , Toul & Verdun.
m céda aufll à la Landgrave de
iefle , qui avoit toujours été at-
ichée à nos intérêts , l'Abbaye
'Hirfchfeld , avec le droit de Sei-
G y
154 Histoire du Vicomte
: — gneurie fur quatre Bailliages de la
Année vV^ /i i_ v o, r ' j •
1648. Weltphalie ; &: aux Suédois no<
alliés, les Duchés de Brémen & de
Ferden , avec \& ville de Wilshu-1
fen y la ville & le port de Wifmar ,
toute la Poméranie citérieure , le:
Ifles de Rugen & de Wollin , le:
villes de Stetin , Gartz , Dam &
Golnau, & plusieurs autres avanta
ges très-conîidérables. Ainfi fîniren
nos guerres avec l'Empereur 6
avec l'Empire..
Fin du Livre fécond.
HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE.
LIVRE TROISIEME.
E n d A N t que nos guer-
res étrangères fe termi-
noient fi giorieufement y. ".'«..
y il s en tormoit une beau- à ce livre
oup plus dangereufe au milieu
e l'Etat , où la fureur des diiTen-
ons civiles s'étant élevée , l'efprit
e révolte gagna en moins de rien
out ce qu'il y avoit de plus fi-
tele dans le Royaume , les Parle-
rons , les Princes du Sang , &£
G v j
Anne
ij6 Histoire du VicomPte
a n n é*E & même le Vicomte de Turenne ;
16 48. trifte, maisfincere partie de l'Hif-
toire de ce grand Homme , ou je
raconterai fes fautes , fans en dilïï-
muler la honte , comme j'ai ra- :
conté jufqu'à préfent fes belles
actions , fans en exagérer le méri-
te. Mais afin de pouvoir faire bien
entendre quelle part il eut à nos !
malheureufes divifions , il faut re-
monter jufqu'à leur origine , & fai-
re voir la fituation où étoit la Fran-
ce alors , par rapport au Gouver-
nement.
Caufes & Le Roi Louis XIV étoit en-J
me^SriâCore mineur ; & la Reine Ré-
Guerre civi- gente ne faifant rien que par le ]
confeil du Cardinal Mazarin , c'é- j
toit proprement lui qui gouvernoii 1
le Royaume. Ce Minirire , charge j
des entreprifes , & perfuadé que
l'argent étoit le reffort des fuccès .
multiplioit , par toutes fortes de
moyens , les Importions publiques
Le Parlement de Paris , qui croyoit
que ces importions ne fe pou-
voient faire fans fon confentement.
DE TURENNE. I*V. ///. I 57
s'oppofa formellement à l'exécu- A N
tion d'un Edit , par lequel on vou- 1*4*
loit faire une nouvelle levée de
deniers fur le peuple, Le Cardi-
nal Mazarin , choqué de l'obftacle
que le Parlement mettoit à fes
defleins , retrancha par un autre
Edit , les gages de tous les Officiers
de Juitice , afin de regagner fur
eux ce qu'on l'empêchoit de pren-
dre fur le peuple. Le Parlement ,
piqué à fon tour de ce retranche-
ment de gages , entreprit d'éta-
blir une Chambre de Juftice , qui
prît connoiffance des malverfations
commifes au maniment des Fi-
nances, & de faire rendre comp-
te au Cardinal Mazarin de l'em-
ploi de tous les deniers levés de-
puis le commencement de la Ré-
gence. Le Cardinal regarda cette
entreprife comme un attentat con-
tre l'autorité Royale , 6c fit arrêter
quelques Membres du Parlement,
croyant intimider par -là tout le
Corps. Mais à cette nouvelle , le
i peuple qui étoit perfuadé que le
NES
158 Histoire du Vicomte
Année Parlement n'avoit en vue que le
1648. foulagement du public , s'étant
foulevé , & ayant pris les armes ,
la Cour fut obligée de remettre
en liberté les Officiers qu'elle avoit
fait arrêter. Le Cardinal Mazarin y
outré d'avoir été ainfi réduit à
céder aux Rebelles , qui fembloient
triompher de fon peu d'autorité ,
réfolut de fe venger du Parle-
Le g jan- ment & du Peuple. Il fortit de
vien^. Paris . ^ emmena le Roi & la
Reine à Saint Germain en Laye ;
& fe flattant de forcer les Parifiens
à tout ce qu'il voudroit par la fa-
mine , il engagea le Prince de
Cefi ainfi Condé à bloquer Paris. Le Parle-
que s appel- , r T- A , r . x
Joû le Duc ment de ion cote , le prépara a
«FAnguien , une vigoureufe défenfe , donna un
depuis lamort A°^i 1 -i 1 ' t • i /->
eu Prince de Arrêt par lequel il decraroit le Car-
Condé fon dmal Mazarin, perturbateur du re-
pos public , & lui enjoignit de for-
tir du Royaume , délivra des com-
mifïions pour lever des gens de
guerre : & les Ducs de Bouillon
ck d'Elbeuf lui étant venus offrir
leurs fervices , il les donna pour
N M E
de Turenne.ZjV.777. 159
Lieutenans Généraux au Prince de
Conti , qu'il fit Généraliflime de l6w?
fes troupes. En cette qualité , le
Prince de Conti envoya un hom-
me de confiance à l'Archiduc Léo-
pold , pour le porter à joindre les
forces des Efpagnols à celles du
Parlement,
Telle étoit la fituation des affai- dJ™ nn^e
res , lorfque le Cardinal Mazarin le Parlement
envoya ordre au Vicomte de Tu-? elî aba.n"
J „ r donne des
renne d amener les troupes aux troupes,
environs de Paris, & que le Duc de
Bouillon lui écrivit pour l'engager
à prendre le parti du Parlement, lui
repréfentant que le Cardinal Maza-
rin faifoit naître tous les jours de
nouvelles difficultés pour empêcher
la confommation de l'échange de
Sedan , &: que s'il ne favoit tirer
avantage de Farmée à la tête de la-
quelle il étoit , on n'auroit bientôt
plus aucun égard pour fa maifon»
Chacun étoit fort en peine de fa-
voir quel parti il prendroit. D'un
côté une conjoncture fi favorable
<le revenir contre la celîion forcée
Année
î6o Histoire du Vicomte
d'une Souveraineté , faifoit crain-
te, dre qu'il ne voulût profiter de la
conjoncture; &: de l'autre, l'exa&e
probité dont il faifoit profefiion ,
donnoit lieu de croire , qu'il ne
voudroit pas facrifier fon devoir
au rétabliffement de fa maifon.
Toute la France étoit dans l'im*
patience de voir à quoi il fe déter*
mineroit , lorfqu'on apprit qu'il
s'étoit déclaré pour le Parlement,
& qu'il avoit pris le Serment de
tous les Officiers de troupes qui
étoient à fes ordres ; tant il efl
vrai , qu'il arrivera plutôt que
l'homme agifTe contre fon propre
caractère , qu'on ne voie une vertu
entièrement pure en ce monde. Le
Parlement , ravi d'avoir le Vicomte
de Turenne de fon côté , donna un
Arrêt par lequel il étoit enjoint à
tous Officiers & Sujets du Roi d'o-
béir à ce Général ; & par lequel il
étoit ordonné qu'on feroit un fonds
pour fournir à la fubfiilance de fon
armée. Mais le Cardinal Mazarin
ayant envoyé Hervard à cette ar-
mée avec beaucoup d'argent , la '
de Turenne. Liv. 1IL 161
lus grande partie des Officiers & A N N ? £
es foldats abandonnèrent le Vi- 1^49.
omte de Turenne.
r> r^ 1 ' \ vi II fe retire
Ce General , voyant qu une pou- en Hollande,
oit rien exécuter de fort confidé- Se revient à
ible avec le relie des troupes quila Cour% *
oulo ent fuivre fa fortune , fe
îtira t-i Hollande, où il demeura
ifqu'à la conclufion du Traité de
aix qui fe fit , peu de tems après ,
ntrele Roi 6c le Parlement. Par un
ies articles de ce Traité, » le Roi
| déclaroit qu'en échange de la Prin-
cipauté de Sedan , il donneroit
! incerTamment de fes domaines au
Duc de Bouillon jufqu'à la con-
! currence de la valeur de ladi-
te Principauté : que ce qui lui
avoit été promis pour le rang de
ceux de fa maifon , feroit ponc-
tuellement exécuté : que quand
|il difpoferoit du commandement
de fes Armées , il auroit égard au
i mérite du Vicomte de Turenne;
& qu'il le gratifieroit même en
(toutes fortes d'occafions de ce qui
! lui conviendroit félon fa naif-
fance«.Sur la foi de ce Traité, le
î6i Histoire du Vicomte
Année Vicomte de Turenne partit de Hol-
l*49» lande , & revint à la Cour , où il ar-
riva juftement dans le tems que le
Cardinal Mazarin & le Prince de
Condé , voulant être chacun feul k
te i4 Juin. maître, faifoient paroître quelque
chofe de fi aigre & de fi piquant ,
jufques dans les premières froideur:
par où commença leur méfintelli-
gence , qu'il etoit aifé de juger :
qu'elle dégénéreroit bientôt en un<
haine implacable. Leur divifionpar
tageant toute la Cour, il n'y avoi
perfonne qui ne prît parti pouri'ui
ou pour l'autre. Le Vicomte de Tu
renne feul demeuroit neutre , & n«
s'était point encore déclaré pour au
ain des deux.
u fembîe Cependant notre armée d'Al
pncher pour lemagne ayant appris fon retour ei
Je Prince, &c r & ■> r| . ^ j j/|
eft recherché France , envoya a la Cour des de
par Mazarin. pûtes , qui le demandèrent pour Gé
néral ; mais on ne jugea pas à pro
pos de lui confier fi-tôt un parei
emploi. Le Vicomte de Turenne
regardant ce procédé comme un<
contravention à ce qu'on lui av<
promis par le Traité de Paix %
DE TURENNE.LV.7/7. 163 ,
'en prenant au Cardinal Mazarin aTTTb
ït auprès du Prince de Condé quel- l54*
nies démarches , par lesquelles il
embloit qu'il eût defTein d'entrer
lans fon parti. Mais le Cardinal
viazarin ne fe mit pas fort en peine
le rompre cette liaifon : fe perfua-
lant que la fortune éclatante où
toit alors le Prince de Condé , lui
ttiroit tous fes partifans ; & que ,
uand il auroit exécuté ce qu'il me-
itoit contre ce Prince , on ne s'em-
refleroit pas beaucoup à s'attacher
lui. Enfin , il le fit arrêter avec le
rince de Conti fon frère , & le Duc £e 1 8 Jân-
eLonguevilleleurbeau-frere; &viec i6)9>
les fit conduire tous trois au Châ-
?au de Vincennes. Il envoya le
larquis de Ruvigni au Vicomte de
\irenne pour l'aflurer de fon ami-
é, lui promettre le commande-
îent de l'Armée de Flandre , lui
•ffrir une de (es nièces en mariage ,
Z lui protefter qu'il vouloit défor-
lais partager fa fortune avec lui.
Mais le Vicomte de Turenne , il fe déclare
ui étoit bien éloigné de régler fes P™r Ie Prin'
ffe&ions fur la profpérité ou la dif-
K N
164 Histoire du Vicomte
~~7 grâce des perfonnes, n'accepta au-
î«;o. cune de fes offres. Ce qui lui faifoit
& traite avec prendre, ce parti n'étoit, ni lanaif-
]«EfFagnol,fance du prin^ Çondé, ni foi!
rare mérite , ni même les avance?
qu'il lui eût faites ; car bien loir
de le rechercher avec les emprefTe-
mens avec lefquels, au jugemeir
de tout le monde , il méritoit d'ê-
tre recherché , il Tavoit affez né
gligé. Mais il fuffîfoit qu'un hom-
me fût perfécuté ou malheureux
pour que le Vicomte de Turen
ne fe f entît aurli-tôt porté par foi
penchant naturel à le fecourir
Ainfi , dès qu'il vit les Princes ai
pouvoir du Cardinal Mazarin , i
iortit de Paris : &: s'étant rendu ;|
Stenay , place forte fur la Meufe
qui appartenoit au Prince de Con-
dé , il invita tous les amis & tou
tes les créatures de ce Prince i
l'y venir joindre. Le Cardinal Ma-
zarin envoya après lui , ajoutam
encore de nouvelles promettes 3
celles qu'il lui avoit faites : mai;
le Vicomte de Turenne n'y voulin
point entendre ; 6c perfévéram
N N E £
DE T-URENNE. Liv. III. 165
lans le deffein qu'il avok formé, il
rendit fa vaifTelle d'argent pour is$o.
ever des troupes : il employa au
nême ufage les Pierreries de la
Ducheffe de Longueville , qui les
ui vint apporter ; il fit tenter la fi-
lélité des troupes qui a voient fer-
n fous lui en Allemagne , &C il
:n débaucha trois régimens qui
dnrent le trouver. Il propofa une
-igue à l'Archiduc Léopold, qui
ommença par demander qu'on lui
émît la Ville de Stenay ; mais le
Vicomte de Turenne la lui refufa ,
ie voulant point fe défaiiir de l'un-
ique Place où il pouvoit fe reti-
er & fe mettre hors du pouvoir
les Efpagnols. On ne laifTa pas
éanmoins de conclure le traité ,
•ar lequel l'Archiduc Léopold s'en-
;agea , pour le Roi d'Efpagne , à
ie point faire la Paix , qu'on n'eût
endu la liberté aux Princes : & le
/icomte de Turenne promit de ne
>oint mettre les armes bas , que
a France n'eût offert des articles
le paix juftes & raifonnables aux
Lfpagnols ; & ce Traité ayant été
i66 Histoire du Vicomte
A N N £ E ratifié par le Roi d'Efpagne , le Vi
i^jo. comte de Turenne &£ l'Archidu<
Léopold joignirent leurs troupe
& à la tête de leur Armée , qu
étoit de dix-fept à dix-huit mill<
-hommes , ils entrèrent en France
par les Frontières de la Picardie
ils afiiégerent le Catelet , petit
Place à la iource de l'Efcaut , qu'il
prirent en trois jours. De là , il
Le 14 Juin, allèrent affiéger la Ville de Guife
mais il tomba une telle abondanc
de pluie pendant ce Siège , qu j
les chemins en furent entieremer
rompus ; de forte que les charriol »
deftinés à voiturer des vivres au i
afïiégeans , ne pouvant plus aile
fans un nombre prodigieux de chc
vaux , ck les Espagnols en ayar ;
très-peu , la difette devint fi grand
dans leur Camp, qu'ils furent obli
gés de lever le fiége , & d'alk
chercher des vivres du côté de lj
Capelle. La pluie ayant enfin cefle
le Vicomte de Turenne &c l'Arch
duc Léopold afiiégerent la Cape
te j Août, le 9 & s'en rendirent maîtres en di
jours. Après la prife de cette Place
DE TURENNE. Liv. III. \6j
Is pafïerent la Rivière d'Oife : le année
Vicomte de Turenne s'avança avec No-
rois mille chevaux jufqu'à Vervins
our obferver notre armée qui
toit à Marie. Mais le Maréchal du
lefîis-Praflin , qui la commandoit,
n délogea aiuTi-tôt , &fe retira der-
iere les Marais de Notre-Dame de
iefTe. Le Vicomte de Turenne , fe
oyant maître de la Campagne , par
i retraite de ce Maréchal , alla
rendre Rhétel, Château Porcien
: Neufchâtel , paffa la Rivière
'Aifne , prit la Ville de Fifme , for-
i le Maréchal du Plefîîs à s'aller
îfermer dans Reims avec fon ar-
iée , envoya prier l'Archiduc Léo-
old de lui amener le refte des
oupes, en pofta un corps derrie-
ï la Marne , en fit avancer un autre
la Ferté-xMilon ; & s 'étant ainfi
indu maître de tous les partages
fquà Paris, il fe difpofoit à venir
• lendemain invertir le Château
2 Vincennes , pour en tirer lesLc lS Août,
rinces : 6c il auroit peut-être
•œcuté ce deffein , fi on ne les eût
romptement transférés au Châ-
i___ 168 Histoire ou Vicomte
A n n é i teau de Marcouffis, qui eft entre Ps
itfjo. ris &c Orléans. Le Vicomte de Tuj
renne ayant ainfi manqué fon coup
ait obligé de rebrouffer chemin
& ayant repaffé l'Aime avec fol
Le 15 sep- armée, il alla afliéger Mouzon fi
ccmbre. ia Meufe. La pluie qui tomba el
abondance durant ce fiége, &
peu d'artillerie qu'avoient les Efp;
gnols , fut caufe qu'il demeura fe
femaines à prendre cette Place :1'A
chiduc Léopold ayant remené ei<
fuite le gros de l'armée hiverner <
Flandre , le Vicomte de Tureni
demeura avec huit mille homrri
fur la frontière , entre l'Aime &
Meufe, pour veiller à la conferv
rion des Places qu'il avoit prifes fi
ces deux rivières.
Perd Rhe- Quoique la faifon fût déjà
cfcei, eftforcé avancée le Maréchal du Pleflis ,
& difpofuîon le Cardinal Mazann qui 1 etoit v
de fonArmée. nu ;omc[re ne lanTerent pas d'e
Au mois de ' \ r > j t,l 1 i
Décembre, treprendre le liège de Rhetel av<
l'armée du Roi , qui s'étoit rep<
fée durant toute la campagne ,
qui grofîie de plufieurs détach
mens que le Cardinal Mazarin
avo
BE TURENNE.Zrt'.///. 169
ivoit fait venir, fe trouvoit alors A N N j
brte de dix-neuf à vingt mille hom- 1650,
nés. Le Vicomte de Turenne lanTa
nveftir cette Place , 6c ne voulut
narcher pour la fecourir , que lorf-
m'elle feroit afîiégée dans les for-
nes : il comptoit de défaire aifé-
nent notre armée , quand elle fe-
oit partagée en quartiers autour de
Ihetel , & de faire ainfi lever le
ege de cette ville. Delliponti, le
>remier homme de cetems-là pour
1 défenfe des Places, en étoit Gou-
erneur. Il y avoit dedans dix-fept à
ix-huit cens hommes de garnifon ,
I le Vicomte de Turenne n'auroit
II garde de croire qu'elle n'eût te-
u que trois jours ; néanmoins , y
tant arrivé le quatrième jour du
ege , il trouva que Delliponti l'a-
oit lâchement vendue & livrée ;
Z que le Maréchal du Pleiîîs , ayant
ufli-tôt levé fes quartiers, avoit
émis toutes fes troupes en un feul
orps d'armée , qui étoit même déjà
ange en bataille. Le Vicomte de
Turenne n'ayant donc point d'au-
re parti à prendre que celui de la.
H
170 Histoire du Vicomte
Année retraite , retourne au plus vite fur
j*jo. fes pas, fait quatre grandes lieues
fans s'arrêter , gagne la Vallée de
Bourg , & y faitrepofer fon armée,
après avoir toutefois laifTé der-
rière lui quelques cravates pour le
venir avertir en cas que nous le
pourfuivnTions , comme en effet
nous le fîmes. Car le Maréchal du |
PleiTis, ayant entrepris de forcer
ï-e 1 j Dé? le Vicomte de Turenne à com
ccmbw, battre, ou à repaffer la Meufe
marcha après lui prefque toute la
nuit, fi bien qu'à la pointe du joui
le Vicomte de Turenne fut avert
par" les cravates , que nous non
avancions avec toute la diligena
poflible, & que nous n'étions pa!
fort éloignés de lui. Le Vicomte d(
Turenne fort auffi- tôt de la Vallée,
& prenant fur celle des deux hau
leurs qui eft à gauche lorfqu'or
vient de Rethel , fait encore dein
grandes lieues , en fe retirant avec
fon armée par un brouillard i
épais , que nous ne le voyons nul-
lement , quoique nous marchaf
fions de l'autre côté du vallon , fui
DE TURENNE.Iîv,///. 17Î
ia hauteur qui étoit à droite. Mais
le foleil diflipant peu- à -peu le
brouillard , fur les dix heures &
demie , les deux armées , qui n'é-
:oient féparées que par le vallon, le
lécouvrirent l'une l'autre en même-
ems. Le Vicomte de Turenne , pér-
imant dans le defTein de fe retirer ,
continua fa route ; 6c le Maréchal
lu Plefïis, réfolu de le combattre ,
>ourfuivit aufîi la fienne , marchant
>lus d'une lieue durant fur une col-
ine parallèle à celle où étoit le Vi-
omte de Turenne. Il paffa ainfi le
illage de Semuyde &C le bourg de
aint Etienne, les deux armées fe
ôtoyant , tantôt à la demi-portée
u canon , tantôt à la fimple portée
u moufquet, félon que la vallée
toit plus large ou plus étroite. Il
herchoit quelque paffage aifé , par
ù il pût aller attaquer le Vicomte
Le Turenne, & il s'étoit déjà re-
>enti plus d'une fois d'en avoir
nffé d'aflez faciles , dans l'efpé-
ance d'en rencontrer de plus com-
jnodes qu'il ne trouvoit pourtant
hoint ; lorfque voyant qu'il étoit
Hij
ïji Histoire du Vicomte
 K N É E midi, &c qu'il n'y avoit plus gueres
1650. gue trois heures de foleil , il ré*
folut de paffer le vallon de quel-
que manière que ce fût , dans la
crainte de ne plus retrouver le len-
demain le Vicomte de Turenne , s'il
lui lahToit la nuit pour fe retirer,
Il fît donc faire halte à fon armée
entre le bourg Saint Etienne & le
bourg de Sommepy dans la plaine
nommée le Blanc-Champ , &£ com-
manda qu'on la mît en ordre de ba
taille pendant qu'il iroit reconnoî-
tre le fond du vallon. Le Vicomte
de Turenne , qui s'apperçut de ce
mouvement , vit bien qu'il alloi
être attaqué , &t qu'il ne pouvoit ab
folument s'empêcher d'en venir aiu
mains avec nous, quoique la parti<
fût fort inégale. Il avoit un gran(
avantage fur nous , en demeurant lu:
la hauteur où il étoit , puifque nou
ne pouvions venir à lui qu'en mon
tant; mais d'un autre côté notr<
infanterie n'étoit point encore ar
rivée , & il lui étoit avantageux d<
nous attaquer avant que nous eu(
fions toutes nos^ troupes enfemble
de Turënne.ZjV.77/. 173
ïl balança queique-tems ces deux A N N . 8
avantages; ck s'étant enfin déter- . 165©.
miné à attaquer le premier , il parla
le vallon : il s'avança dans la plaine
de Blanc-Champ avec (on armée,
ou plutôt avec ce petit corps de
troupes qui lui tenoit lieu d'armée,
& qui étoit compofé d'Allemands ,
de Lorrains & de François. Il n'a-
voit que huit mille hommes en tout,
& ils furent bientôt rangés en ba-
taille. Il mit les Allemands à l'aîle
droite , avec îe Sieur de Lavau pour
les commander ; les Lorrains à
'aile gauche avec leurs Officiers ;
Se les François au centre de ces
deux ailes.
D'autre côté , le Maréchal dit Dîfpofïcïon
Plefîls avoit auffi. rangé fon armée , <*e f^* j*
r • r ' r\ Maréchal du
quoique toute ion intantene ne fut pieffis - praf-
pas encore arrivée. Il avoit donné Iin«
le commandement de fon aile droi-
te au Marquis de Villequier, &: ce-
lui de l'aile gauche au Marquis
d'Hocquincourt , tous deux Lieu-
tenans Généraux : &c il s'étoit mis
au milieu de la première ligne , à
la tête du corps de bataille. Il
H iij
174 Histoire du Vicomte
avoit avec lui les vieux régimens
A n.n e E . . . r - r
lé^o. Allemands, qui avoient lervi ious
le Vicomte de Turenne ; & fon
armée étoit de quinze à feize mille
hommes.
Turenne eft Les chofes étant dans cette dif-
defait a Rhe- ^ • 1 1 >
&1 polition , les deux armées com-
mencèrent à s'approcher fort près
l'une de l'autre. Le Vicomte de Tu-
renne, à la tête de fon aile gauche,
chargea l'aile droite du Maréchal
du Plefïis : & de cette première
charge, furent tués de notre côté
le fils aîné du Maréchal du Pleffis
& le Prince Palatin, du côté des
Efpagnols* Il eft vrai que le Vi-
comte de Turenne enfonça l'aile
droite du Maréchal du Pleflis ; mais
il lui fallut faire pour cela , de fi
grands efforts, que fesefcadrons ne
fe trouvèrent guère moins rompus
que les nôtres : de forte qu'ayant
été obligé de reculer pour fe re-
mettre en ordre , le Maréchal du
Plefïis eut aufli letemsde fe rallier:
&: la contenance avec laquelle il
fe préparoit à foutenir un fécond
choc j faifant juger au Vicomte de
DE TuRENNE.Liv./77. 175
)^
Turenne, qu'il ne trouvèrent pasA
moins de réfiftance qu'au premier, j*$o
il fit mettre les deux lignes de
L'aile où il étoit, en une feule; &
lyant fondu fur nous avec encore
dIus de vigueur que la première fois
qu'il nous avoit chargés, il rom-
pit entièrement nos efeadrons , &C
e rendit maître de notre canon,
Vlais il n'en alloit pas de même
1 fon aile droite. Le Sieur de La-
fau qui la commandoit , eut bien
imelqu'avantage à la première char-
ge furie Marquis d'Hocquincourt,
jui commandoit la gauche de notre
irmée; mais à la féconde charge ,
ryant été fait prifonnier , & les
allemands qui étoient de ce côté-
à , ayant pris la fuite , le Marquis
l'Hocquincourt détacha un Offi-
cier Général avec quelques efea-
Irons après eux pour les pourfui-
/re ; & ayant mené le refte de fon
lîle viclorieufe au fecours du Ma-
réchal du Pleffis , nous chargeâ-
mes à notre tour le Vicomte de
Iurenne avec beaucoup de vi-
gueur : & ce fut-là que le fort de
H iv
_ 276 Histoire du Vicomte
^nnée la bataille étant tombé , on com-
l6î°- battit avec tout l'acharnement
qu'on voit dans les combats les
plus opiniâtres 6c les plus fan-
glans. Les efcadrons de l'un 6c de
l'autre parti furent plufieurs fois
rompus , 6c fe rallièrent autant de
fois , 6c revinrent toujours à la
charge. Le Vicomte de Turenne
fit un ravage effroyable dans no-
tre armée avec fon canon char-
gé à cartouches à la tête de fon
bataillon. Mais le Maréchal du
Pleflis , qui avoit là l'élite de
fes deux ailes, ayant encore joint
fa féconde ligne à la première ,
tomba d'abord très-rudement fur
le Vicomte de Turenne , 6c éten-
dant enfuite fa droite 6c fa gauche
autour de ce Général, l'enveloppa
d'une ii grande multitude de trou-
pes , qu'il fe trouva avec le feul la
Berge , fon Capitaine des Gardes,
au milieu de notre camp. Huit
cavaliers qui le reconnurent vou-
lurent fe faifir de lui ; mais en
ayant mis quelques-uns hors de
combat, il fe débarraffa fort vi-
DE TU RENNE. Llv. III. I77 _____
goureufement du refte. A peine A N N i g
étoit-il fauve de ce danger, qu'il i6$o.
fut arrêté par quelques autres de
nos foldats , qui l'ayant vu aux
prifes avec les huit cavaliers , ju-
gèrent qu'il devoit être de l'armée
ennemie; mais la Berge leur ayant
ait qu'ils étoient de l'armée de
France , & que ces huit cavaliers
Soient des Allemands , qui ne les
ivoient voulu tirerque parce qu'ils
îe les connoiflbient point , ils laif-
erent aller le Vicomte de Turen-
îe, qui n'auroit jamais pu leur
échapper s'il eût été obligé d'en
fenir une féconde fois aux mains ;
:ar fon cheval étoit bleffé de cinq
:oups. Il marcha encore long-tems
tu petit pas, & rencontra enfin
in Officier de fes troupes qui lui
)rêta un cheval , avec lequel il
irriva à l'endroit où il a voit rangé
on armée en bataille. Les deux
ignés avoient été entièrement
•ompues : la cavalerie Lorraine &
allemande étoit en fuite ^ fon
irtillerie avoit été prife , 6c Dont
'Siftevan de Gamarre qui la com-
Hy
__ 178 Histoire du Vicomte
Jr~N t E mandoit fait prifonnier ; toute foi*
16 50. infanterie avoit j etté les armes bas y
excepté le feul régiment de Tu-
renne qui s'étoit fait hacher en pie-*
ces, de forte qu'il fi'eut pas d'autre
parti à prendre que celui de rame-
ner les débris de fon armée.
ïl fe retire II donna ordre qu'on menât dans.
dans le Lu- \e Diidié de Luxembourg ce qu'on
acembourg. . r » 1
en pourroit iauver. Comme il ne
reftoit pas encore une heure de
jour , Û. que les troupes du Ma-
réchal du Pleffis étoient extrême-
ment fatiguées , le Vicomte de
Turenne fut foiblement pourfuivi
dans fa retraite ; & n'ayant perdu
en tout que la moitié de fon armée ,
il retrouva encore quatre mille hom-
mes qu'on lui ramena à Mont-
medy , ville du Luxembourg, où il
fe rendit le lendemain du combat.
II fe retira dans cette Place plu-
tôt qu'à Stenay dont il étoit le maî-
tre , afin qu'on ne s'imaginât pas
qu'il voulût abandonner les Efpa-
gnols par la mauvaife opinion qu'il
pouvoit avoir du parti depuis la
perte de la bataille > ce que TAr-
DE TURENNE. Liv.IIL ÎJÇ
hiduc Léopold ayant appris , il a n n é g
ui en fut fi bon gré , qu'il lui en- l6î°»
oya un pouvoir pour nommer à
Qutes les charges qui vaquoient
>ar la mort des Officiers qui
voient été tués dans le combat,
£pour donner aux troupes qui lui
eftoient des quartiers en tel en-
iroit des terres du Roi d'Efpagne
[u'il voudroit. Il lui envoya même,
>eu de tems après , cent mille écus
ur la fomme qu'il lui avoit promi-
e par le traité fait entr'eux. Mais
e Vicomte de Turenne ayant re-
u alors des lettres par lefquelles
>n lui mandoit qu'on travailloit
ortement à la liberté des Princes ,
l renvoya les cent mille écus , ne
:royantpas pouvoir , avec juftice,
>rendre l'argent des Efpagnols ,
lans un tems où il eftimoit que
on engagement avec eux alloit
inir. En effet , le Cardinal Maza-
in en avoit agi avec tant de hau-
teur depuis la victoire de Rhetel,
que fa fierté avoit réveillé la haine
publique , de manière que la Reine
voyant tout le monde réuni contre
Kvj
180 Histoire du Vicomte
A n k é e lui •> fut enfin obligée à le faire for-
rff** tir du Royaume , &c à remettre les
Princes en liberté.
iifahfapaîx Turenne ayant appris cette
;rciaLritTe nouvelle à la Roche en Ardenne
es ) ex quitte
lesEfpagnols. où il étoit, fe retira à Stenay , d'où
il écrivit à l'Archiduc Léopold ;
pour l'affurer qu'il ne fortiroit poinl
de cette Place qu'il n'eût exécuté \
ce à quoi il s'étoit engagé par le
|:e ï^révrier. traité qu'il avoit fait avec les Ef-J
pagnols ; à favoir , de ne point met' i
tre les armes bas que la France ntûi \
offert à F Ef pagne des articles dt I
paix jufles& raifonnables. Il écrivil \
aum* en même-tems au Prince (te 1
Condé , pour le prier de faire en- i
forte que la Cour envoyât inceflam- i
ment uneperfonne de confidératior j
à Stenay , avec ordre d'y travailler
à la paix , lui repréfentant que fans
çâa il ne pouvoit fe retirer hon-
nêtement d'avec les Efpagnols. Le \
Prince de Condé ayant follicité
fortement cette afraire , la Reine
Régente envoya à Stenay le Sieur de
Croiffy, Confeiller du Parlement,
& le Sieur Friquet y étant auflîyft;
N N E E
DE TlJRENNE. LiV. III. l8l
u de la part de l'Archiduc Léo-
>old, le Vicomte de Turenne prefta l^u
i fort la négociation, que la France
bffrit d'abandonner la Catalogne ,
jle ne fe plus mêler des affaires du
|loi de Portugal , 6c d'envoyer
jiir la frontière le Duc d'Orléans,
ivec un plein pouvoir de conclure
a paix, fi les Efpagnols y vou-
I oient aufîi envoyer l'Archiduc avec
le même pouvoir. Mais le Roi
jl'Efpagne refufa de le faire ; &le
/icomte de Turenne l'ayant en
j'ain follicité pendant deux mois
>our cela, il fe crut fuffifamment
: légagé d'avec les Efpagnols , de
ibrte qu'après les avoir remerciés
ivec toute la reconnoifTance pofli-
)le de l'afîiftance qu'ils lui avoient
lonnée , & des manières honnêtes
rvec lesquelles ils en avoient tou-
ours ufé envers lui , il partit pour
Paris ; ÔC ayant appris en chemin que
:es Princes &: plufieurs Grands du
Royaume vouloient venir au de-
vant de lui , il prit fi bien fes mefu-
ires , qu'il arriva un jour plutôt qu'on
KLelattendoit; pour ne pas recevoir Le m. M».-
181 Histoire du Vicomte
Année des honneurs d'un fi grand éclat à la
l6)1' vue de toute la Cour , eftimant que
ç'auroit été infulter en quelque ma-,
ni ère à la foibleffe du Prince , forcé ,
aie bien recevoir au retour d'une,
guerre où il venoitde porter les ar-
mes contre lui , que d'entrer d'une,
manière d brillante dans la capitale!
de fes Etats ; & que la Ma j efté royale ,
fi fort humiliée, exigeoit au moins \
la bienféance d'un air modefte dans j
des fujets qui triomphoient fi vifi- 1
blement du Souverain. Si-tôt que :
le Prince de Condé fut qu'il étoit j
arrivé, il l'alla voir : le mena aui
Louvre ; il l'anima à former des|
vues pour les plus grands établiffe-1
mens qui fufîent dans le Royaume 3 1
lui proteilant qu'il s'emploieroit i
avec chaleur pour les lui faire ob- 1
tenir r &: il 1 affura que {i jamais ,
Foccafion s'en préfentoit , il lui ren- ,
droit le même fervice qu'il venoit
de recevoir de lui. Le Vicomte
de Turenne répondit à ces honnê-
tetés comme il le devoit ; & fans
vouloir tirer aucun avantage du cré-
dit de ce Prince pour fon utilité
DE TU RENNE. Liv. IlL l8|
irticuliere , il le pria feulement de a h n l 3
ire enforte que les troupes qui l65*»
înoient de travailler avec tant d'ar-
mrpour fa liberté, euflent de bons
lartiers d'hiver.
Peu de tems après le Prince ** obtîe*£
î Condé fe plaignant de ce que Sedan?Se
îfprit du Cardinal Mazarin ré-
îoit toujours dans le Confeil , mal-
é Ton éloignement, rompit ouver-
ment avec la Cour , & fit tout ce
i'il put pour engager le Vicomte Le* Juillet
ï Turenne dans fes intérêts, of-
int de lui donner Stenay , & pro-
ettant de faire rétablir le Duc de
)uillon dans fa Souveraineté de
:dan. Mais la Reine , qui avoit
icore la même autorité pour le
ouvernement^ quoique le Roi
it été déclaré majeur y voulant
ifîi de f on côté gagner le Vicomte
! Turenne , fit pafter au Parlement
ichange de Sedan , & par-là donna
dernière main à la confomma-
on de cette grande affaire ; de
•rte que le Prince de Condé Jetant
lé dans fon Gouvernement de
uienixe pour fe préparer à la
i?4 Histoire du Vicomte
Année guerre ; & la Reine ayant mem
lH^ le Roi à Poitiers, pour être plus;
portée d'obferver les démarches di
Prince de Condé , le Vicomte d<
Turenne , qui n'avoit plus aucur
lieu de fe plaindre de la Cour, parti
de Paris , & alla offrir fes fervice
à la Reine.
il accepte Comme le Maréchal d'Hocquin
îe comman- court avoit déjà été mis à la têt
Hoceqnuina-veC de ^mée , la Reine fit deman
co«t. der au Vicomte de Turenne , s'i
voudroit bien la commander con
jointement avec ce Maréchal. Oi
doutoit que le Vicomte deTurenn
voulût s'accommoder de cette aiTo
dation r mais ce Prince , entran
dans la néceiTité où la Cour étoi
alors de ménager toutes les perfon
nés de fervice, ne voulut pas qu'or j
dégoûtât un homme de ce mérite- 1
là , en le dépouillant tout-à-fait di y
commandement , & fe contenta di
le partager avec lui.
L'fpartîdu Cependant le Prince de Con-
Ptince de dé fortifioit de jour en jour fon
g^fefor" parti; & la Reine ayant fu qu'il
avoit fait un Traité avec les-Efpa-1
N N E »
"DE TURENNE. Liv. III. I S Ç
,ols, rappeila auprès d'elle le Can-
nai Mazarin pour fe fervir de fes **!
•nfeils , ÔC lui redonna ladminif-
ition générale des affaires. Le
tablirTement de ce Miniftre irrita
telle forte le Parlement de Paris,
t'il mit fa tête à prix , & que le
uc d'Orléans fe déclara pour le
ince de Condé , dans le parti du-
lel entrèrent le Prince de Tarente ,
; Ducs de Beaufort , de Nemours
de Rohan , les Comtes de Tava-
s & de Marfm , & plufieurs autres
rfonnes confidérables , qui ayant
vé des troupes chacun de leur cô-
, trouvèrent moyen de faire une
mée de quatorze à quinze mille
>mmes , qu'ils menèrent aux envi-
ns de Montargis.
Le Prince de Condé ayant ap- & il joîntfe
is cette agréable nouvelle , partit Pamfans>
iîi-tôt de Guienne , pour venir
mdre cette armée , avec laquelle
fe promettoit de défaire aifément
lie du Roi , qui étoit fort infé-
eure.
Le Roi avoit alors quitté Poi- Tu renne raa^
îrs , pour fe rendre à Saumur ve er£eai**
186 Histoire du Vicomte
dans l'Anjou; & le Cardinal Maza
rin ayant jugé à propos de mené
la Cour le plus près qu'il fe poui
roit de Paris , pour maintenir dar.
le devoir cette grande ville qui dor
ne ordinairement le branle au reft
du Royaume , il fut réfolu qu'o :
marcheroit , de Saumur où l'o
étoit , jufqu'à Gien en remontant 1 j
Loire , pour s'afïurer des villes qi j
font fituées fur cette rivière. Tour* j
Amboife , Blois & toutes les autr< j
Places donnèrent au Roi des ma
ques de leur obéhTance ; & il n'
eut que la feule ville d'Orléans qi
lui ferma fes portes, à la follicifci
tion de Mademoifelle , fille du Di |
d'Orléans > qui l'y avoit envoyé
exprès pour cela* Comme on appr<
choit fort des quartiers de l'armé
ennemie , le Vicomte de Turenn i
fut chargé du foin de couvrir 1
marche de la Cour , & de veille
à fa fureté* Aufli-tôt qu'il eut reç
cet ordre , il partit avec feulemer
vingt ou vingt-cinq perfonnes pou
aller reconnoître l'état de Gergeau
petite ville entre Orléans ck Gien
DE TURENNE. LivJlL 187
le pont de laquelle les ennemis A n n
roient pu parler la Loire , & fur- l6^-
fjendre la Cour dans fa marche»
(j; pont avoit deux portes , Tune
I a droite de la rivière du côté où
S)it l'armée ennemie , & l'autre
sj côté de la ville , fous les murail-
de laquelle la Cour devoit paf-
; & il y avoit un petit pant-levis
vant cette porte. Les ennemis
i voyoient l'importance des fui-
que pouvoit avoir pour eux la
fe de ce paffage , y avoient en-
yé le Baron de Sirot , Lieutenant
:néral , avec un corps de troupes y
ur s'en rendre le maître ; & lorf-
e le Vicomte de Turenne y ar-
a , il entendit un grand bruit du
ion & de la moufqueterie des
aemis qui avoient déjà forcé la
rte qui étoit au-delà de la ri-
re , &c caffé les chaînes du pont-
ris , & qui n'avoient plus que
porte de la ville à enfoncer
ur entrer dedans. Le Vicom-
de Turenne , voyant que tout
3Ît perdu , fi les ennemis ve-
•ient à bout de leur entreprife 9.
i88 Histoire du Vicomte
Année & réfolu de périr s'il le falloit
l6îl> pour fativer le Roi d'un danger
éminent , envoya ordre à quelqu(
régimens qui étoient à deux lieu<
de là , de venir en diligence : ilo
donna aux ibldats de la garnifon c
la ville , qui n'avoient ni balles
ni poudre , de fe faire voir fur 1»
remparts avec leurs moufquets:
fit en même-tems ouvrir la por
du pont , il mit pied à terre avi
le ' peu de gens qu'il avoit ; &C
tournant vers le rempart de defli
le pont-levis .> il cria de toute fa fo
ce aux foldats , qu'il leur défei
doit de tirer fans {on ordre , fi
peine de la vie ; afin que les ei
nemis l'entendant , cruffent qu'i
avoient de quoi tirer. Après cela
ayant ordonné qu'on fît une ban
cade la plus forte qu'on pourro
devant le pont-levis , il s'avanç
jufqu'au milieu du pont pour coi
vrir ce travail , s'abandonnant à toi
le feu des ennemis , qui lui tuerer
dix à douze de (es domeftiques
les côtés , &C blefferent prefqu
tous les autres : &; la barricad
ïe TurennlI/vJ//. 189
ant été achevée , il fe mit der- "ÂTTTe
?re en attendant fes troupes. Le i6^«
iron de Sirot fît en vain tout ce
l'il put pour forcer cette barrica-
\ , pendant que ies gens travail-
ient à un logement vers le milieu
1 pont. Le Vicomte de Turenne la
fendit durant trois heures entie-
s , au bout defquelles le fecours
l'il avoit envoyé chercher étant
•nu , il défit lui-même la barrica-
; , il chargea i'épée à la main les
xipes du Baron de Sirot , il les
affa du logement où elles s'é-
ient établies, il les pouffa au-de-
de la rivière dans une féconde
arge où le Baron de Sirot fut
é : il rompit le pont ; &C ayant
é par-là aux ennemis toute efpé-
nce de parler , il alla rejoindre
Cour , en préfence de laquelle
Reine dit tout haut . qu'il ve-
nt de fauver l'Etat. En effet ,
mais le Roi n'avoit couru un fi
and danger ; &c la fureté de fa
srfonne & de tout l'Etat dépen-
dit tellement du fuccès de cette
Faire , que fi les ennemis euffent
190 Histoire du Vicomte
Année emporté Gergeau, ils auroient e!
1*5 1. levé toute la Cour fans aucun ol
tacle.
11 fait tête Gergeau ayant été ainfi fauve'
Q>n?dtCe dele Roi marcha à Gien, & l'an»
y ayant pafTé ia Loire , le Vicom
de Turenne & le Maréchal d'Hc
quincourt , qui commandoient cr
cun la moitié des troupes , ail
rent fe pofter, le premier à Bri!
re &c le fécond à Blefneau , av
Le * 1# l'infanterie ; & répandirent la cl
valerie en divers quartiers aux en
rons , afin qu'elle pût fubfiïter pi !
commodément pour les fouragej
n'y ayant point encore d'herbe i ]
la terre. Le lendemain le Vicoi J
te de Turenne , étant allé dîner I
Blefneau avec le Maréchal d'Hc]
quincourt, & ayant vu par occl
fion la difpofition de les que]
tiers qui étoient extrêmement <fl
gnés les uns des autres, il lui di
» qu'il ne pouvoit s'empêcher il
» lui témoigner qu'il le trouve :i
» bien expofé , & qu'il lui co
» feilloit de refTerrer fes quartiei \
w A quoi le Maréchal d'Hocqui
1>Z TURENNE, Liv. III. 191
uirt répondit , » qu'il n'y avoit A „ N
rien à craindre , & qu'en fai- 16^
fant une bonne garde , on remé-
dieroit à tout «. Le Vicomte de
irenne , n'ayant répliqué rien au-
; chofe , linon » qu'il ne préfu-
moit pas affez de lui-même , pour
prétendre lui donner des avis»,
>'en retourna à ion porte de Bria-
; &£ la nuit fuivante on lui vint
*e que le Prince de Condé , qui
)it alors à la tête de l'armée en-
mie , ayant forcé la garde avancée
Maréchal d'Hocquincourt, avoit
nétré jufqu'aux quaniers qui en
)ient les plus éloignés. A cette
uvelle , le Vicomte de Turenne,
enant l'infanterie qu'il avoit au-
ès de lui , réfolut d'aller promp-
nent au fecours du Maréchal
locquincourt , quelque danger
'il y eût pour lui à fe mettre en
irche fans fa cavalerie , à qui il
voya ordre de le venir joindre en
: igence à Ouzouer , entre Blef-
| au & Gien , où il falloit nécef-
rement qu'il allât fe porter , afin
mettre la Cour hors d'infulte:
£ £
j 192 Histoire du Vicomte
à N N é E malheureufementpourlui,ilnepi
a^jz. trouver aucun guide ; de maniei
que la nuit étant très - obfcure ,
devoit craindre de donner à toi
momens dans les troupes du Prin<
de Condé. Il falloit donc qu
s'arrêtât prefque à chaque pas po
écouter les tambours & les tir
baies 1 ôc voir fi nous ne nous a
prochions point trop des ennem
Ayant marché dans ces inquiet1
des durant toute la nuit, enfin
fe trouva à la pointe du jour da
une fort grande campagne où
cavalerie Tétant venue joindre ,
- vit deux ou trois des quartiers
Maréchal d'Hocquincourt en fei
&C il apprit que le Prince de Con
en a voit enlevé cinq de fuite , pi
tous les bagages , forcé l'infant
rie à fe renfermer dans Blefnea
& pouffé la cavalerie trois ou qi
tre lieues vers la Bourgogne,
nouvelle de cette défaite répan
l'alarme dans la ville de Gien ,
jetta la Cour dans la dernière co
ternation. On crut que le Roi '
loit être enlevé par le Prince
Cond<
BE TURENNE. Liv. III. 19}
londé : on ne favoit où le fauver , A "**
7 Année
1 le Confeil auquel affilia le Ma- kj;*,
îchal du Pleffis-Praflin , délibéra
ir la proportion qui fut faite , de le
tener promptement à Bourges , &C
e rompre le pont de Gien dès
u'il auroit paffé la Loire. Cepen-
int le Vicomte de Turenne , ju-
rant qu'il auroit bientôt le Prince
2 Condé fur les bras , cherchoit
lelque porte avantageux où il pût
rrêter feulement pendant un jour ,
>ur donner le tems au Maréchal
Kocquincourt de raffembler les
xipes diffipées. Tous les Officiers
énéraux , au contraire , étoient
ivis qu'au lieu d'attendre avec
s forces fi inégales l'armée vie-
rieufe , il falloit retourner vers
en pour mettre la perfonne du
I )i en fureté , foutenant que c'é-
| .t le feul parti qu'il y eût à pren-
l * dans cette extrémité. Mais le
H comte de Turenne perfiflant dans
f 1 deffein , marchoit toujours en
a ant. Fortement occupé du foin de
p urvoir à un fi grand danger , iln'é-
Éjutoit perfonne : ainfi fans rien
I
194 Histoire du Vicomte
^ n n é e répondre , il donnoit fes ordres , &
'ffi. fe hâtant de gagner un endroit qu'i
avoit remarqué la veille en rêve
nant du quartier du Marécha
d'Hocquincourt , & qu'il croyoi
tout-à-fait propre pour exécuter c
qu'il avoit envie de faire, il preffo
les troupes , qui alloient déjà
grands pas , de hâter encore lei j
marche. Tellement qu'étant arrivé
ce pofte qu'il cherchoit , il réfol
d'y attendre les ennemis. La Berg-
Ion Capitaine des Gardes , lui vi
dire là , que chacun murmuroit,
[u'on croyoit qu'il alloit tout pe
Ire , s'il ne retournoit au plutôt à
perfonne du Roi pour le lauver. 1
Vicomte de Turenne , plus atten
alors à ce qu'on lui difoit , par
plaifir qu'il avoit d'avoir heureul
ment trouvé un endroit fi favoi
ble , qu'il n'avoit remarqué le je
précédent qu'en paffant , répond:
la Berge , qu'on propofoit là u
plaifante reflburce ; lui demanda
fi après ce qui venoit de fe parle
Orléans , où l'on avoit fermé
portes au Roi, dont l'armée n'avi
7
DE TURENNE. LiV. III. Itf
icore reçu aucun échec , on pou- A N N i
Dit le flatter qu'aucune Ville vou- 1651.
t le recevoir , lorfqu'il fe préfen-
roit vaincu & fugitif ? Il faut ,
outa-t-il , vaincre , ou périr ici.
îrfuadé donc , que les armes du
yi feroient entièrement décrédi-
is , s'il fuyoit devant les ennemis ,
fe difpofoit à leur faire tête dans
e affez grande plaine , au milieu de
[uelle étoient un bois 6c un ma-
I s qu'il a voit devant lui : le bois
>it fur fa droite , & le marais fur
gauche. Il y avoit entre l'un &C
"itre une efpece de levée de terre
chauffée , par laquelle on pou-
t venir à lui , & par où il ne
ivoit paffer que deux efcadrons
front. Le Prince de Condé
Bût quatorze mille hommes ; ÔC
il n'en avoit que trois mille
:j cens. Néanmoins ayant fait
réflexions fur le fuccès de fon
fein , par rapport à la fituation
l< lieux , il envoya le fieur Per-
aJ dire au Cardinal Mazarin , que
eltoi pouvoit demeurer à Gien en
il rance.
196 Histoire du Vicomte
a N n s e D'autre part , le Prince de Con-
l6fr- dé , qui venoit de défaire le Mare
& Je trompe j^^ d'Hocquincourt , ne croyan
pas que le Vicomte de Turenne osa
l'attendre , s'avançoit vers Giei
à deffein d'y envelopper le Roi à
toute la Cour : 6c il fut fort furpris 1
lorfqu'étant arrivé ou bout de 1
chauffée , oppofé à celui où éto
le Vicomte de Turrenne, il le vj
arrêté là , de manière qu'il feirJ
bloit vouloir lui difputer le paff j
ge. Il eft certain , qu^ s'il avoit e j
la liberté de mettre toute fon a 1
mée en bataille dans le même cl
té de la plaine ou étoit le Viconl
te de Turenne ? il l'auroit taillé « 1
pièces ; 6c il eût pu paffer égàll
nient par fa droite 6c par fa ga ]
che , en faifant le tour du mar; I
ou du bois : mais le Vicomte 1
Turenne , voulant l'empêcher c
faire réflexion, 6c l'engager à el
trer dans la plaine , en pafTant ptf|
la chauffée , fans lui laiffer le tem >l
d'examiner s'il ne pouvoit poi
aller d'une manière plus fure p 'k
un autre endroit, leva tout-d'i I
deTurenne Llv. III. 197 _^
oup fon camp ; & reprenant le a n n ê e
iemin de Gien, il fît marcher fes i6v-
oupes avec la même vîtefTe que
il avoit pris la fuite.
Le Prince de Condé, perfuadé pour rctom-
u'il le fauvoit à Gien , il enfila aufîi- er- iur
>t la chauffée pour le pourfui-
*e. Le Vicomte de Turenne , de
n côté , ravi de le voir donner
ms le piège , continuoit à fuir de-
mt lui : mais ne voulant pas laif-
r parler plus de troupes qu'il n'en
nivoit battre , il fit enfin tout-
un coup volte-face , 6c marcha
:pée à la main aux ennemis. Le
ince de Condé , qui vit bien
Drs qu'il s'étoit laiffé furprendré ,
voya ordre à les troupes de paf-
r au plus vite ; mais le Vicomte
Turenne ayant prévu ce mou-
iment , avoit fait pointer tout fon
| non droit à la chauffée , fi-bien
1e le canon emportant des files
itiers de ceux qui la repaffoient ,
le fut bientôt toute couverte de
orts.
Cependant la Cour étoit dans
I grandes inquiétudes touchant le
mi
N N
198 Histoire du Vicomte
fuccès de cette journée , quelque
sji. chofesquele Vicomte de Turenn
lui eût fait dire pour la raffurei
On envoyoit des gens à tous mq
mens pour favoir des nouvelles cl
ce qui fe pafïbit , ôc être avert
affez à tems pour fe fauver : o
commençoit à détendre l'appart ;
ment de la Reine ; les équipagi 1
avoient même paffé le pont, &c L )
Pionniers fe tenoient tout prêts' )
le rompre , pour mettre la Loi: :
entre le Roi & les ennemis , loi
qu'on apprit que le Prince de Co:
dé ayant manqué fon coup , s'étc
retiré avec fon armée , & que
Vicomte de Turenne revenoit <
Gien fans avoir perdu un feul hor i
me. Le Roi , le Cardinal MazarL i
& toute la Cour, lui donnèrent m
le marques de reconnoiflance :
la Reine , rendant témoignage à < I
qui lui étoit dû pour un fi impc
tant fervice , dit encore devant to
le monde y qiïil venoit de remeti
une féconde fols la Couronne fur
tête de fon Fils*
DE TURENNE Liv. III. 199
Le Prince de Condé fe plaignit TTTTe
brtdu malheur qui lui avoit julle- ««**•
lient fait trouver en fon chemin le Condé ferc^
eul homme du monde qui le pou-
roit empêcher de mettre fin à la
îuerre ce jour là ; & laiffant fon ar-
lée fous les ordres du Comte de
Tavannes , il s'en alla à Paris , pour
r rafïurer i'es partifans, qui étoient
ort ébranlés de ces deux grands
oups , par lefquels le Vicomte de
\irenne venoit de donner tant de
éputation aux armes du Roi.
La Cardinal Mazarin fit faire une Gênérofité
Lelation de cette heureufe journée, fnve^Hoc-
ù reprenant les chofes dès la veil- quincourc.
; , il commençoit par le confeil
ue Le Vicomte de Turenne avoit
onné au Maréchal d'Hocquin-
ourt de rapprocher fes quartiers :
I mis le Vicomte de Turenne , ayant
u cette Relation avant qu'on l'im-
j rimât , pria le Cardinal Mazarin
'ôter cet article , lui reprefentant
jUe ce Maréchal avoit déjà afTez
e chagrin d'avoir été battu , fans
augmenter encore par une cir-
I iv
2ôo Histoire du Vicomte
A n h é e confiance fi mortifiante : 6c l'arti
16 jz. cle fut ôté à fa prière ; pendant qui
le Maréchal d'Hocquincourt, vou
lant rejetter fa faute fur le Vicomt
de Turenne , fe plaignoit hautemer
de ce qu'il n'étoit pas venu afiez-tc
à fon fecours , & faifoit tout c
qu'il pouvoit pour lui imputer i
défaite ; ce qui ayant été rapport j
au Vicomte de Turenne , il ne d j
autre chofe , finon » qu'un homm
» aufïl affligé que l'étoit ce Mar» I
» chai, devoit avoir au moins la 1 :
» berté de fe plaindre. « y
ïisremenent La faute du Maréchal d'Hoc
Gemiàîn"2 *■* quincourt ayant été fi glorieufemei
réparée, le Roi continua fa roui
vers Paris , le long de la riviez j
d'Yonne. Le Comte de Tavanmi
fe mit auiTi-tôt en campagne , poi j
Surprendre la Cour en quelque ei '■
droit : mais le Vicomte de Turei :
ne & le Maréchal d'Hocquincour
qui couvroient la marche , laiflai
Montargis & l'armée du Princ
de Condé fur leur gauche , firei
pafifer le Roi à Auxerre & à Sen:
pour gagner Melun \ &c ne bornai
DE TURENNE.LV.///. 201
>as leur attention à garantir la A N N t z
our de toutes furprifes, mais ta- 1*51.
:hant encore de dérober une mar-
:he au Comte de Tavannes pour
xniper fon armée , firent une tel-
e diligence , qu'ayant paffé la ri-
dere de Loing à Moret , &c traver-
é la Forêt de Fontainebleau , ils
rriverent à la Ferté-Alais avant
es ennemis ; ils affluèrent par-là
/lelun & Corbeil au Roi , qui fe
endit à Saint Germain en Laie :
£ ayant de cette forte couvert fa
larche l'efpace de près de quatre-
ingt lieues , vinrent fe camper à
Châtre, entre l'armée du Prince
e Condé &c Paris ; ôtant aufli au
>omte de Tavannes toute commu-
ication avec cette grande Ville ,,
e laquelle il tiroit fes recrues , Se
Dûtes les autres choies dont il pou*
oit avoir befoin,
Le Comte de Tavannes n'ayant & défont /«
lus de fourages à Montargis , &:Rebell'esàE-
Li'i if 11» tamres, qu'ils
raignant les entreprîtes de 1 ar- aiBegenu
née du Roi, s'il s'écartoit dans la
rampagne pour y chercher de la.
ubfiftance , s'alla enfermer avec
I y
loi Histoire du Vicomte
a w h è e ^on arm^e ^ans Etampes , où l'oit
i<s{u avoit retiré toute la récolte de la
BeaufTe , Province très-fertile en
bleds : & quelques jours après,
Mademoifelle y étant venue , pour
s'en retourner de là à Paris , &
ayant envoyé demander un Paffe-
port au Vicomte de Turenne pai
un Trompette, le Vicomte de Tu-
renne le fît attendre jufqu'au len-
demain ; de forte que Mademoi- s
felle fut obligée de refter deun
jours à Etàmpes. Le Vicomte d(
Turenne 6c le Maréchal d'Hocquin l
court , qui favoient que l'armée di .
Comte de Tavanes n'avoit poin
été au fourage ces deux jours-là
fe doutant bien qu'elle iroit fi-tô :
que Mademoifelle feroit partie , 4
j& 4 Mai. marchèrent toute la nuit avec leur: ;
troupes vers Etampes y pour voii -
s'ils ne pourroient point entrepren
dre quelque chofe contre l'armée ,
lorfqu'elle feroit fon fourage. Le:
premiers prifonniers , qu'ils firenl
en appro chant, leur apprirent que k
Gomte de Tavannes avoit rangé fon
armée en bataille fur le chemin
DE TURENNE.£*V./77. XOJ
par où devoitpaffer Mademoifelle,
qui a voit fouhaité de la voir fous l6î*
les armes ; curiofité qui coûta cher
au Prince de Condé : car le Vi-
comte de Turenne & le Maréchal
d'Hocquincourt s'avancèrent avec
tant de diligence , que le Comte
de Ta vannes n'eut pas le tems de
iàire rentrer toute fon armée dans
a Ville, lorfqu'il les eut apperçus;
i bien qu'ils lui taillèrent en pièces
ieux mille hommes dans le Faux-
>ourg , outre plufieurs Officiers , du
îombre defquels fut le Comte de
wftemberg ; & rirent deux mille
ept cens prifonniers, qu'ils emmê-
lèrent avec eux à Châtre r avec
out ce qui fut pris dans le Faux-
>ourg , qui fut pillé» Trois jours
iprès le fuccès de cette affaire, dont
e Vicomte de Turenne feul avoit
x>nçu le deifein ,. le Maréchal
l'Hocquincourt étant allé dans for*
jouvernement de Peronne 9 toute
l'armée du Roi , demeura fous les
>rdres du Vicomte de Turenne. Ce
Général , alors maître d'entrepren-
Ire ce qu'il jugeroit à propos p
l vj
NEE
204 Histoire du Vicomte
Année voyant que toutes les forces du
^j*« Prince de Condé & de fes Parti-
fans , en deçà de la Loire , étoient
réduites à ce qui leur reftoit de
troupes dans Etampes , & qu'en les
difîipant il mettoit fin à la guerre
U 2? Mai. civile, réfolut d'aller afïiéger cet-
te Ville , ou plutôt l'armée qu:
étoit dedans. Cette armée étoiw
de fix mille hommes ; & il n'ei
avoit que fept mille cinq ceas. Ain j
fi totit le monde regarda ce fieg< 3
comme l'entreprife la plus témé
raire : mais le Prince de Condé I
qui connoifîbit mieux que perfon I
ne la capacité & la prudence du Vi f
comte de Turenne , en jugea au .
trement. L'armée qui étoit dan ;
Etampes, étoit tout ce qui lui ref I
toit de troupes ; il craignit que 1< î
Vicomte de Turenne n'eût de tel: I
avantages au fiege de cette Place S
que cette armée ne fût enfin for-
cée de fe rendre à difcrétion , au
quel cas il fe trouveroit fans ref-
fource : il manda donc à l'Archiduc
Léopoîd, que s'il ne lui envoyoi
promptement du fecours, fon parti
N N E 8
DE TURENNE. Lîv.IIL 10J
itloit être entièrement détruit.
.'Archiduc , voyant le prefTant dan- i*s ^
;er où il étoit y fit marcher en dili-
;ence vers Paris le Duc de Lor-
aine, qui dépouillé de fes Etats,
L'a voit pour tout bien que neuf
dix mille hommes de troupes,
fu'il s'étoit engagé d'employer au
srvice du Roi d'Efpagne pour cet-
e année-là.
Cependant le Vicomte de Tu- Turennei*;
enne continuoit à battre la Vil- ^f donnera'
* d'Etampes, au fiege de laquel- chafleauDuc
i le Duc d'Yorc, qui fut depuis de Lorraine'
loi de la Grande-Bretagne , vint
I trouver, pour apprendre fous lui
Ê métier de la guerre; & quoi-
ue ce Prince , fugitif du Royaume
e fes Pères, fut alors dans une
Drtune fort au-defïbus de fa naif-
mce, le Vicomte de Turenneen
fa envers lui avec des manières
I refpe&ueufes 6c û tendres , qu'il
ai fit, en quelque façon, oublier
Dûtes fes infortunes. Il ne pou-
'oit guère commencer par une
>lus belle occafion d'apprendre le
aétier 7 que par celle de ce fiege ;
io6 Histoire du Vicomte
a m n é e car u les attaques furent vives
i6it. la défenfe ne fut pas moins vigou^
reufe : les affiégés , qui étoient ei
aufli grand nombre que les ame-
geans, changèrent ceux-ci de quel
ques ouvrages qu'ils avoient pris
de forte qu'il fallut les reprendr
une féconde fois ; & le Vicomfcj
de Turenne n'étoit pas encorl
fort avancé , lorfqu'ayant apprij
que le Duc de Lorraine marchoij
à grandes journées, il manda ai i
Cardinal Mazarin , qu'il croyoi j
ne devoir pas attendre qu'il il
trouvât enfermé entre l'armée dl
ce Prince & celle du Prince dl
Condé. Mais le Duc de Lorrain»!
ayant fait accroire au Cardinal Mal
zarin , que c'étoit pour le fervij
ce du Roi qu'il amenoit fes trou:
pes en France , ce Cardinal en)
voya des routes pour les faire vel
nir par Etampes, &c manda au Vi'
comte de Turene ,. qu'il eût à de-i
meurer fans nen craindre ; qu'i
avoit un Traité fecret avec h
Duc de Lorraine ,. & qu'il étoi
fur de lui & de fon armée, ht
A N N É S
DE TURENNE.I/v.///. 2O7
'icomte de Turenne continua donc
; fiege , prefïa {es attaques , fe 16^
?ndit maître de la contrefcarpe
: de la demi -lune ; ÔC il alloit
ire attacher le mineur aux mu-
illes de la ville , lorfque le Car-
nal Mazarin lui fit lavoir par
1 courier , que fi-tôt que le Duc
; Lorraine étoit arrivé à Paris 9
s'étoit déclaré pour le Prince de
onde ; que fon armée étoit au-
'iTus de Charenton , entre la Sei-
; & la Marne ; &: qu'il faifoit re-
onter de Paris un grand nom-
e de bateaux , à deftein de fai-
un pont. A cette nouvelle , le
icomte de Turenne leva le fie-
5 d'Etampes , vint paffer la Sei-
] i à Corbeil , traverfa la forêt de
| nart , &C s'approcha le plus près
fil put du Duc de Lorraine. Ce
•ince s'étoit campé fur la hau-
ur de Villeneuve - Saint - Geor-
?s , pofte très - avantageux , où il
'oit devant lui la rivierre d'Yerre,
: fa gauche un bois , & à fa
•oite la Seine , fur laquelle il
ifoit faire un pont 9 afia que fou
io8 Histoire du Vicomte
Année arrr,ée & ceu*e du Prince de Con
i«i*. dé fe puiTent joindre. Le Vicom-
te de Turenne ayant reconnu cet
te difpofition y alla fur le foir pal
fer l'Yerre auprès de Brunoy , mar
cha toute la nuit autour de Groi
bois , &: ayant gagné le derrière di
camp des ennemis à la pointe d
le i7 Juin, jour , il fe difpofa à les aller atta
quer 9 quoiqu'il eût trois mille hoir
mes moins qu'eux. Le Duc d
Lorraine, qui ne fubfiftoit plus qu
par le moyen de (es troupes , n
voulant pas les expofer au fort d'i
ne bataille r lui envoya demar
der quartier. Le Vicomte de Ti
t renne , qui fa voit que l'armée d'1
tampes venoit joindre les Lorrain*
ÔC qui craignoit qu'elle ne parût
tous momens, demanda au Du
de Lorraine qu'il lui livrât fon por
fur le champ , & qu'il fortît de fo
poite à l'heure même , pour s'e
retourner d'où il étoit venu , £
s'avançant toujours plus près pou
achever de le déterminer ,. le Duc
qui vit bien qu'il alloit charger , li
yra fon pont , qui fut aufli-tôt roir
D E T U R E N N E. Liv. III. 200
u , &C donna des otages pour af- A N N â E
irance qu'il fortiroit du Royaume iSji.
jours comptés, & par la route
ui lui feroit prefcrite ; & au mê-
le infiant il commença à faire dé-
ler fes troupes devant le Vicomte
e Turenne , qui demeura en batail-
: jufqu'à ce qu'elles fuiTent entie-
îment forties de leurs retranche-
tens. L'armée d'Etampes , qui
•riva alors de l'autre côté de la
?ine , voyant le pont rompu 6c le
>uc Lorraine parti,, fe retira à
illejuy, où le Prince de Condé
ant venu en prendre le com-
landement, il la mena à Saint
loud : il la fit camper le long de
rivière jufqu'à Surefne, & s'é-
.ntafïuré du pont de Saint Cloud > j
crut n'avoir rien à craindre dans
g pofle , quoiqu'il n'eût plus que
iiq mille hommes.
D'autre part le Vicomte de J L% *ïncre
1 r n 1 1 i rr • «e Conde le
urenne périmant dans le deflein retire fous les
|u'il avoit formé de difîiper ce n.iurs de Pa*
jefle de troupes pour mettre fin à
i guerre , &: voyant que de quel-
que côté qu'il marchât au Prince
A
N N E E
110 Histoire du Vicomti
de Condé , ce Prince pouvoit tou
r*jV * jours mettre la Seine entre foi
armée &: celle du Roi , en faifan
rompre le pont de Saint Cloudê
éviter le combat j il engagea L
Cardinal Mazarin à faire venir d
Lorraine le Maréchal de la Fert
avec le corps qu'il y commandoit
afin d'avoir afîez de troupes pouj
aller attaquer les ennemis pard<|
vant et par derrière en mêmej
tems, ce qu'il ne pouvoit fairl
avec fon armée , qui , par les pe: j
tes qu'il avoit faites à Etampeîl
n'étoit plus que de fix mille hom j
mes. En attendant ce renfort, I
alla prendre la Cour à Melun o J
elle étoit alors , il pafla la Marn I
àLagny , &c la mena à Saint Denis J
où fon armée fe rendit aufîi-tôtl
& le Maréchal de la Ferté l'ayar
joint avec trois mille hommes, ilj
ordonnèrent qu'on leur amenât d
Pontoife des bateaux pour fair
un pont à Epinay , & y fair
paffer une partie de leurs trov
pes , afin que le Maréchal de 1 1
Ferté pût attaquer le Prince d
DE TURENNE. Liv. III. lit
!ondé de l'autre côté de la Seine , a « * é
endant que le Vicomte de Tu- x*î**-
mne l'attaqueroit en deçà. Mais
peine le pont fut-il achevé , que
! Prince de Condé en ayant eu
ns, & voyant que fa défaite étoit
lévitable s'il demeuroit dans fon
imp, réfolut de mener fon ar-
ée dans cette langue de terre
il fe fait la jonction de la Seine
: de la Marne au deiïus de Cha- •
•nton 9 comme le meilleur porte
fil pût prendre aux environs de
iris. Dans cette vue il décam-
i à l'entrée de la nuit , il pafla
r le pont de Saint Cloud &: le fit
>mpre , il traverfale bois de Bou-
<gne, defcendit au Cours de la
eine, croyant venir pafler au mi-
Sd de la Ville par la porte de la
onférence ; mais les Parifiens
ayant point voulu la lui ouvrir,
fut obligé de faire le tour de la
ille pour gagner le porte où il
Duloit aller. Il tourna donc au
ouï du Cours de la Reine , prit en-
e le Roule & la porte Saint Hono-
; 3 marcha par la Ville-l'Evêque r
2 1 1 Histoire du Vicomte
àTTTT par les-Porcherons;&laiffant Mofr'J
i^ji. martre à gauche, il alla paffer-lJ
long des Fauxbourgs Saint Denis"
Saint Martin ck du Temple , faifl
iant défiler fes troupes par 1(1
foliés & les. jardinages qui fe troil
vent autour de la Ville de al
côtés-là y 6c preffant la marcr.j
tant qu'il pouvoit, dans la craim
que 4e Vicomte de Turenne 1 1
tombât fur fon arriere-garde ava:
qu'il fût à C harenton. Mais .
Vicomte de Turenne , ayant :
que le Prince de Condé avoit d
campé , & fe doutant bien qu
vouloit aller prendre le pofte d'ei
tre la Seine & la Marne , où il a
roit pu tirer les chofes en loi
gueur , partit aufli-tôt d'Epine >
pour le fuivre ; ck ayant fait ave '
tir le Maréchal de la Ferté , q '
étoit déjà au-delà de la rivière, c'
revenir le joindre avec (es troupe
il marcha toute la nuit avec 1<
fiennes : il paffa par Saint Denis , t
par la Chapelle; il joignit fur 1<
huit heures l'arriére - garde à
l'armée du Prince de Condé a
DE TURENNE.iSv.77/. 213
iiixbourg Saint Martin ; & l'ayant A ~ N T j
it charger, l'alarme fe répandit 1*5*»'
1 un moment jufqu'à l'avant-gar-
3 , qui étoit déjà bien près du
mxbourg Saint Antoine. Le Prin-
de Condé, voyant alors qu'il lui
oit impofïible de gagner le pof-
où il vouloit mener fon ar-
ée , fit fa're halte; &c trouvant
la tête du Fauxhourg Saint An-
ine des retranchemens que les Pa-
fiens y avoient faits pour arrêter
5 Lorrains qui venoient piller
I [qu'aux portes de Paris , pendant
l'ils étoient à Villeneuve-Saint-
eorges , il profite de cet avanta-
: que le hazard lui offre : à mè-
re que fes troupes arrivent , il
> fait entrer dans ce Fauxhourg ,
I toutes les avenues duquel iltrou-
î encore des barrières faites pour
rêter les denrées qui paient des
roits d'entrée , outre les retran-
;iemens qui étoient à la tête,
les Pariiiens , ne voulant pas re-
jsvoir fes bagages dans la Ville ,
I les fait mettre le long du fof-
'i ; il fortifie les retranchemens
îi4 Histoire du Vicomte
A N N É E & les barrières autant que le tem
i*ji. le peut permettre; il fait faire de
barricades & des traveries au m'
lieu des rues; il fait percer les mai
fons, & y loge des Moufquetav
res qui puhTent tirer à couvert;
garnit de cavalerie &£ d'infanter:
tous les endroits par où il pei^
être attaqué, &: il en donne le con I
mandement à des Officiers égal*
ment dhlingués par leur expérien
ce ; il fait fa place d'armes du gran
efpace qui err. devant la porte d
la Ville, & prend toutes lesprécai
tions néceffaires pour une vigoi
reufe défenfe.
Turehnei'y Cependant le Vicomte de Til
pourfuit, juf- renne avoit continué de charg<|
<iu au Faux- i> • j j 1? i
bourg saint * arrière - garde de 1 armée enm]
Antoine. mie, en la fuivant le long ât\
Fauxbourgs , & étoit enfin arriv I
à celui de Saint Antoine, où il votij
loit demeurer fans combattre julj
qu'à ce que le Maréchal de î]
Ferté l'eût joint; afin qu'attaquarto
enfemble le Prince de Condé, l'u j
du côté de Rambouillet , & l'ai]
tre du côté de Pincour , il ne pin
DE TURENNÉ.I/V.r//. I15
folument échapper : & de cette A N K £ E
rte fa défaite paroifToit infailli- 1551.
e. Mais le Cardinal Mazarin ,
oyant que les troupes du Vi-
>mte de Turenne feules étoient
(fifantes, lui fît donner ordre d'at-
quer les ennemis par le Roi mê-
e , qu'il a voit amené fur la hau-
arde Charonne, afin que de cet
droit il pût voir tout ce qui fe
fferoit dans une action , qui al-
it, félon toutes les apparences ,
•nner le dernier coup au parti du
ince de Condé, £: finir la guerre
vue.
Le Vicomte de Turenne fufpen- & recoïc or-
: néanmoins l'exécution de cet f,re abfoiu de
1 o \-rr> vi 1 y attaquer.
dre ; & différant tant qu il pou-
>it le combat pour s'afïlirer mieux
victoire, il envoya repréfenter
la Cour, que fon canon n'étoit
>int encore arrivé ; & qu'il y au-
it de la témérité à attaquer >
îs canon , une armée dans un
|>fte aiuTi bien retranché que l'é-
it le Fauxbourg 011 le Prince de
jondé s'étoit logé. Mais le Car-
jnal Mazarin , impatient r'de voir
il 6 Histoire du Vicomte
JTT77 entamer l'affaire , lui envoya un (à
i6y~. cond ordre de la commencer; <J
cela en termes fi abfolus , que à
Prince, ne pouvant s'empêcher ca
l'exécuter , s'y prépara tout de boiLî
&: prit toutes les mefures qui po I
voient le faire réufïir dans cette ir]
portante journée,
pian de ce Pour avoir une idée jufte <
Fauxbourg. terrein qui fervit de fcene à cel
grande action, il faut le figurer
Fauxbourg Saint Antoine comr
une efpece de patte d'oie , dont
partie la plus large s'étend du c
té de la campagne , 6c va toujoi
en fe refTerrant du côté de la pc
te de la Ville. Tout cet efpace
divifé par cinq rues , dont tr<
grandes le percent de part en pai
fçavoir , la grande rue , qui eft
milieu du Fauxbourg, & qui vaç
puis la porte jufques dans la ca)
pagne; la rue de Charenton , ^
efl fur la droite ; &: la rue de Cl
ronne, fur la gauche. Ces tr<
rues fuivent la difpofition de
patte d'oie , & font plus éa
té es lune & l'autre à proporti<
quel 5
DE TURENNE.Z/V./If, 217
a'elles font près de la campa- A N N é ,
ie. Des deux autres rues, l'une 1651.
*rce depuis la campagne jtifqu'au
ilieu du Fauxbourg ,' & aboutit
ms la grande rue du côté de celle
: Charenton ; & l'autre eft du co-
de Charonne. Outre ces cinq rues
11 partagent le Fauxbourg dans
longueur , il y en a plufieurs
11 le traverfent dans fa largeur ,
as ou moins longues , félon qu'el-
; font plus proches de la ville ou
| la campagne.
Le Vicomte de Turenne , qui ^Bataille qui
anoiffoit parfaitement ce Faux- sJe dc°0nnndeée^
arg , commença par étendre fon Turenne.
née fur une feule ligne courbe ,
puis le bas de Charonne jufqu'à ,
L rivière de Seine , pour ne laiifer
a :une ifTue libre aux troupes du
Bnce de Condé. Après cela, il
fl plufieurs détachemens pour les
ajiques qu'il ordonna de faire à
\i tête de chaque rue , lorfqu'on
al oit forcé les premiers retran-
ebmens. Il commanda qu'on eût
fin de s'aflurer des rues de tra-
tkp à mefure qu'on avançerok
K.
_^ iî8 HlSTOIKE DU VlCOMTI
Année dans *e Fauxbourg , afin que le
i^jz. divers corps de troupes puftent i
prêter la main l'un à l'autre dar
les grandes rues , & s'entre-fecou
rir : ayant donné {es ordres pov
toutes les autres chofes qu'il juge
à propos , il marcha aux retra
chemens des ennemis qui faifoiei
un feu terrible ; il les chaffa néa
moins par un feu fupérieur ; il
combler les retranchemens ; ÔC
trouvant à l'entrée du Fauxbourj
il s'avança vers la grande rue , do
il s'étoit deftiné l'attaque : il en
abbatre la barrière à coups de h
che;il en força même la ban fi
cade, malgré la vigoureufe réfiffe I
ce de ceux qui la défendoient; I
marchand en bataille dans œi
grande rue , en renverfant tout j
qui fe trouvoit fur fon paffage ; I
alloit emporter les traverfes , d(i
niers retranchemens des ennemi i
lorfque le Prince de Condé, ei-j
mant qu'il devoit marcher lui-él
me pour repomTer le Vicomte &
Turenne , ramaffa autour de I
toutes les perfonnes de qualité 3
:
BE TURENNE I/V. III. ïïff
fon armée qui n'avoient point aTTTT
de commandement , les Volon- i6$*.
taires & les Gentilshommes qui
itoient à fon fervice,&à la tête de
i:e corps de cavalerie, ayant fon-
!lu fur les troupes du Roi , il les fît
>lier, &les ramena battant jufqu'à
ja barricade ; derrière laquelle le
/icomte de Turenne ayant pris des
j.ens frais, pendant que le Prince
e Condé faifoit reprendre haleine
ux fiens , il paffa une féconde fois
J i barricade ; & taillant en pièces
; dus ceux qui fe préfentoient devant
li , il força toutes les traverfes ; &:
I avoit déjà pénétré jufqu'à l'Ab-
jj aye de Saint Antoine , qui efl au
îilieu du Fauxbourg : mais le Prin-
b de Condé étant revenu fondre
r lui avec fon efcadron choifi , le
t encore reculer jufqu'au-delà de "
grande barricade. Le Vicomte
lie Turenne revint une troilieme
>is à la charge : il entra encore
!ès avant dans la rue ; & trouvant
•ujours le Prince de Condé de-
int lui , il fut encore repouffé. On
iîfauroit combattre avec plus dV
Kij
$10 Histoire du Vicomte
A N .N à \ piniâtreté . qu'on le fit en cet en*
i5ji. droit. Les maifons de cette rue
furent prife. & reprifes par les deu?
partis. Le Prince de Condé &: 1<
Vicomte de Turrenne efïuyeren;
fouvent le feu des Moufquetaires !
qui étoient dedans , pour aller l'un ; i
l'autre. Jamais deux Généraux n'ej
vinrent aux prifes de plus près , qu
firent là ces deux grands homme
Ils fe mêlèrent , l'épée à la main
toutes les charges qui furent fa
tes. Ils fe trouvèrent par-tout a
milieu du feu & des armes. I
combattirent fouvent l'un contr
l'autre à la portée du piflolet ,
ils étoient tous deux tout couver
de fang. Les autres attaques fe I
rent &: âirent foutenues avec
même vigueur. La confuiion 61
fi grande en quelques endroits , qi i
deux efcadrons du Prince de Co
dé , fe prenant pour ennemis ,
chargèrent l'un l'autre , pendai
que ceux du Vicomte de Turenr
donnoient également fur tous h
deux. Les Comtes de Boffut <
de Gaflres , les Marquis de Flan
DE TURENNE Liv. III. 221 m
marin Se de la Roche-GiflFart , y fu- TTT7V
' 1 A/i r\ • J 1 ANN E mi
rent tues du cote du Prince de x*m
Condé ; & le Duc de la Roche-
7oucaut y reçut un coup de mouf-
juet * dont il penfa perdre la vue.
Du côté de l'armée du Roi , les
vfarquis de S, Maigrin & de Nan-
ouillet furent tués;& le Marquis
le Manciny , neveu du Cardinal
vlazarin , bleffé à mort. Enfin le
Vicomte de Turenne , après avoir
»ien des fois avancé &: reculé dans
i grande rue , voyant qu'il ne pou-
oit venir à bout de forcer ce gros
e gens de qualité &c de bra-
es , qui étoient autour du Prince
e Condé , afFoiblit adroitement
>n attaque , pour fortifier celle du
lomte de Navailles, qui combat-
)it à fa gauche dans la rue de Cha-
mton ; de forte que le Comte de
favailles , ayant forcé les barrica-
es , & les traverfes , fe voyoit maî-
•e de toute la rue , & alloit pren-
re le Prince de Condé par derrie-
ï pour l'envelopper, fi ce Prince
verti qu'il alloit être coupé , n'eût
romptement gagné fa place d'ar*
K ii}
mmmmmmmmmt iiï Histoire du Vicomte
Année mes. Les troupes du Prince deCon
****• dé, rebutées de tant d'attaques
refuferent d'avancer , & ne lui von
lurent plus obéir. Le canon di
Vicomte de Turenne étant arriv
dans ce moment , il le fit pointe
à la tête de chaque rue , où per
fonne n'ofa plus paroître : &: tout
l'armée du Prince de Condé s'<
tant recognée contre la porte d
la Ville & dans la place qui efl ai
devant , le Vicomte de Turenne i
avancer fon canon , & alloit fait
un carnage épouventable de toi
tes ces troupes ainfi ferrées & I
maffées y lorfque les Parifiens , qi
jufques-là étoient demeurés fpe£fc
teurs neutres entre les deux partis
voyant l'extrémité où étoit rédu
le Prince de Condé , fe déclarerei
en fa faveur , 6c lui ouvrirent le
portes de la Ville. Le Maréch;
de la Ferté , qui arriva alors , ayar
joint le corps qu'il commandoit au I
troupes du Vicomte de Turenne
ce Prince alloit fuivre les ennem
jufqiles dans la Ville , où ils fe fan
voient avec beaucoup de défordre
N N E B
DE TuRENNE. Liv. Ht. 11 j"
nais Mademoifelle s'étant fait ou- A
Tir la Baftille , & en ayant fait ti- i*î*.
er le canon fur l'armée du Roi ,
e Vicomte de Turenne fut obligé
[e fe retirer.
Le Prince de Condé ayant paffé Co"fé ****
. J r / au travers de
u travers de Pans avec ion armée , paris, fe cam-
i mena au-delà duFauxbourg Saint j;rcieareIa *^
/i£tor,verslaSalpêtriere, entre la çok un puif-
eine 6l la rivière de Biévre , ou fans *"ecouts>
es Gobelins ; & s'étant retranché
| ntre ces deux rivières , de telle
prte qu'on ne pouvoit , ni le for-
| er , ni affamer fon armée , qui
[ voit derrière elle Paris , d'où elle
| iroit abondamment toutes fortes de
abfiftances , il écrivit à l'Archiduc
| .éopold , pour lui repréfenter qu'il
'étoit plus en état de tenir la cam-
pagne; & que s'il ne lui envoyoit
Le plus puiiïans fecours que par le
Laffé, il ne pourroit pas réfutera
j armée du Roi. L'Archiduc, crai-
gnant que le Prince de Condé n'a-
bandonnât le parti , s'il ne lui ac-
i:ordoit tout ce qu'il demandoit y lui
envoya aulïi-tôt fon armée de
Flandre ? fous les ordres du Corn*
K.iv
_ ii4 Histoire du Vicomte
XTTTI te ^e Fuenfaldaigne , & engagea et
»*?*. même - tems le Duc de Lorraine
qui étoit demeuré fur les frontie
res, à marcher avec fes troupes. Ce
deux armées faifoient plus de ving
mille combattans : elles avoier
ordre de joindre le Prince de Cor
dé 9 & d'aller enfuite accabler l'ai
mée du Roi , qui n' étoit que de bu:
:1 _ , mille hommes.
La Cour te- , , . , A * A
duite à fe ré- Mazann n eut pas plutôt appr
fugier à Pon- ce deffein , qu'il crut que tout éto
perdu. Il voulut traiter avec 1
Prince de Condé : maïs ce Prince
qui , à l'approche de tant de troi
/*_ /i_it_*^ TA.,, i • ^.itj. j*
pes
fe flattoit d'être bientôt e
état de lui faire la loi , n'écout
fes proportions que pour gagne
du tems, en le leurant d'un accom
modement. On envoya à Rouen
pour favoir fi on y voudroit rea
voir la Cour : mais les Normands
ée qui le Cardinal Mazarin n'étoi
pas plus aimé que des Parifiens
refuferent de donner retraite z\
Roi , tant que ce Cardinal feroi
auprès de lui. On chercha un au-
tre afyle en Bourgogne : mais tf
DE TURENNE.Z/v.7/7. 22^ _
fut fans fuccès. Le Cardinal Ma- A N N é
sarin, rejette de tous côtés avoit 1*5 *.
?nfîn réfolu de mener le Roi à
Lyon ; & il fe difpofoitdéjà à par-
ir pour s'y en aller avec toute la
Cour, lorique le Vicomte de Tu-
•enne lui fit , pour ainfi dire , tou-
:her au doigt & à l'œil , que fi on
'éloignoit fi fort de Paris , les Ef-
>agnols en feroient bientôt les mai-
res ; & que de fe retirer à Lyon ,
'étoit leur abandonner tout ce qui
toit depuis cette Ville jufqu'en
•landre. Il lui fît comprendre qu'il
l'y avoit rien à craindre , ni du
Duc de Lorraire, ni du Comte de
•uenfaldaigne , tant qu'ils n'au-
oient pas joint le Prince de Con-
lé ; àc que pour empêcher leur
Dnttion , il falloit faire enforte
[ue l'armée du Roi fût toujours
:ntre lui & eux: fi bien qu'ayant
ait goûter ces raiions au Cardinal
vlazarin, il mena la Cour à Pon-
oife , afin qu'elle ne fût pas fi ex-
>ofée aux entreprises du Prince de
^ondé : & ayant fu que les enne-
nis étoient déjà arr es à Chauny 7
^__ 226 Histoire du Vicomte
Année petite ville fur la rivière d'Oife, il
**$*• marcha à Compiegne pour défen-
dre le paffage de la rivière d'Aine*
Mort du Duc Ce fut durant ce féjour de la
it Bouillon. çour à Pontoife que le Duc de
Le $ Août, t, .11 ^ \
Bouillon y mourut , après quatorze
jours de maladie , dans un tems 5
où , par la fupériorité de fes lu-
mières pour le Gouvernement, il
avoit pris un fi grand afcendant fut \
tous les Miniftres dans le Confeil 3
qu'on commençoit à le regardei I
comme un homme plus capabk
d'être à la tête des affaires , que le
Cardinal Mazarin même , & qu'i! \
alloit être bientôt en état , par for
crédit , de rétablir les brèches irré i
, parables qu'il avoit faites à fa Mai- j
ion* C'eft ce <me le Duc de h
Rochefoucault donne affez à con -i
noître dans fes Mémoires : & la
réflexion qu'il fait fur cela eft f
belle , quaifurément on me faura j
•.bon gré d'en avoir paré mon Ou-
vrage. La voici en propres termes:
Dans le tems que Monjîeur de Cha •
vigny mourut , le Duc de Bouillon I
mourut à Pontoife, Cette mon de*
DE TURENNE. Liv. ///. 217
vroit elle feule guérir les hommes a n n é 1
le V ambition , & les dégoûter des l6\*\
ilans divers qu'ils font pour leur
iévation ; car l'ambition du Duc
le Bouillon étoit foutenut de toutes
es grandes qualités qui pouvoient la.
tndre heureufe. Il étoit vaillant ,
\ favoit parfaitement tous les or-
dres de la Guerre. Il avoit une élo*
uence facile , naturelle & injinuan-
% Il avoit Uefprit net 9 fertile en
Kpédiens , & propre à foutenir les
flaires les plus difficiles ; outre
'iil avoit un fens droit , & un\
ifeernement admirable. Il écoutoit
s confeils qiCon lui donnoit , avec
ouceur , avec attention , & avec
v certain égard avec lequel ilfai-
dt valoir les raifons des autres 9
fembloit en tirer fes réfolutions.
es avantages pourtant lui furent
\refqu1 inutiles par V opiniâtreté de
|| fortune , qui s'oppofa toujours
\ fa prudence ; & il mourut pré-
fément dans le tems que cette
Verne prudence & les befoins de
b Cour Cavoient apparemment fur»
lontée*
K Yj
^ 218 Histoire du Vicomte
•4- Quoique le Vicomte de Tit-
16^1. renne ne tut pas inienlible au re~
' „ . tabliffement de fa maifon , ce ne
Turennefait r . , . ... r ■
sêtt aux Ef- fut point par cet endroit qu il tut
jagnois & touché de la mort du Duc de Bouil-
orrams. ^^ ^ ^ pleura un frère très-aimable ,
& pour qui il a voit toute la ten-
dreffe poffible. Il faudroit être d'un
aufli bon naturel que lui , pour com-
prendre combien fa douleur fut vi-
ve : & ce qui achevoït de la ren-
dre accablante pour lui , c'eft qu'il
étoit obligé , malgré qu'il en eût , de
l'étouffer , & de la renfermer en
lui-même ; l'Etat étant alors en un fi
grand danger , que , s'il avoit paru
la moindre altération fur fon vifa-
ge , on auroit cru les affaires du
Roi entièrement ruinées. En effet ,
le Comte de Fuenfaldaigne , après
la prife de Chauny, avoit joint le
Duc de-Lorraine : ils avoient paffé
l'Aine ,. ils avoient marché à Fif-
mes , 6c alloient s'avancer vers la
Marne , fi le Vicomte de Turenne
ne s'y fut oppofé. Mais ce Géné-
ral, fe tenant toujours vis-à-vis
d'eux % pour obferver leurs mou*
deTurenne.Z/v.Z/7. ifjjf
remens , fit fi bien pofler fon pe- ~" T*
it corps de troupes , quen quel- 165t.
ue endroit qu'ils fe préfentaflent y
! leur en fit par-tout une barrière
npénétrable , de forte que le Corn-
e de Fuenfaldaigne fut contraint
e retourner en Flandre avec fon
rmée , de laquelle il détacha
éanmoinsfïx mille hommes , qu'il
liffa au Duc de Lorraine , qui les
d demanda , en l'afïurant qu'avec
e renfort il fauroit bien venir à
out de joindre l'armée du Prince
e Condé. Ainfi le Duc de Lor-
dne , fe trouvant à la tête de feize
tille hommes , manda au Prince
e Condé , qu'il alloit tâcher de fe
ofter encore une fois à Ville neu-
e-Saint George , où il feroit faire
n pont fur la Seine , par le moyen
uquel leurs armées pourroient fe
>indre. Dans cette vue , il propo-
1 quelques articles à la Cour , fe
attant qivon ne prendrait pas fi
rès garde aux mouvemens qu'il
îroit faire à fon armée , pendant
u'on traiteroit d'un accommode-
ment, avec lui j mais comme on y;
_____ ijo Histoire du Vicomte
A n * ê e a voit déjà été trompé , le Vicomte
16 'f *'• de Tur enne obferva fes démarches
d'une manière qui lui fit bien voir
qu'on ne faifoit aucun fond , ni fur,
fes propositions r ni fur fa parole, i
Ayant donc tenté en vain de paffer
la Marne aux environs de Lagny 3
de Meaux & de Château-Thierry .
et fâchant bien que le Vicomte de i
Turenne n'oferoit pas s'éloigne] i
beaucoup de Pontoife, oùétoitle
Roi y à caufe du voifinage du Prin
ce de Condé 9 il alla paner la Mar
ne vers Châlons , prefqu'à l'extré
mité de la Champagne ; & redef
cendant enfuite entre cette riviè-
re & la Seine , il s'avançoit à gran-
des journées par la Brie , fe hâtanl
de gagner la hauteur de Villeneu
ve-Saint-George : mais le Vicomte
de Turenne ayant paifé la Marne à
Lagny , arriva à ce pofte avant le
Duc de Lorraine , & s'y retrancha
d'une manière à ne pas craindre
qu'on ofât l'y attaquer. Cependant
comme en demeurant là , les deux
armées ennemies pou voient fe
joindre fans aucune oppofition ; on
DE TURENNX. Liv+ III. 1} I
rut que le parti qu'il avoit pris , A N N é 3
iroit des fuites très-fâcheufes pour i*$ *.
ii. Le Prince de Condé ne man-
ia point de venir , avec fon armée
ouver le Duc de Lorraine , qui
:oit à Montgeron.
Ils unirent leurs troupes , ils dé- , Condé é§
/ r »«i 1 • \ > ■ Lorraine re&
Dererent fur ce qu ils dévoient fair ferrent Tu.
I , & ne jugeant pas à propOS d'at- renne entre la
1 xr *. J T J Seine & la
quer le Vicomte de Turenne de ce Marne . belle
ké-là , où il leur auroit fallu paffer retraite que
rivière d'Yerre devant lui , ils au ureane*
:folurent de s'y prendre comme
avoit fait lui-même , lorfque le
^ic de Lor aine occupoit ce mê-
e pofle. Ils allèrent donc parler
if erre aux environs de Brunoy ;
> tournèrent autour de Grosbois ,
: vinrent fe préfenter en bataile
ins la plaine qui efl du côté de
harenton. Ils avoient vingt mille
Dmmes ; & le Vicomte de Tu-
mne n'en avoit que huit mille,
eanmoins , lorfqu'ils eurent vu
Dmment il avoit fortifié fon camp 9
s ne crurent pas pouvoir mieux
2uflir par cet endroit que par l'au-
*e i & n ofant entreprendre de
N N E E
232 Histoire du Vicomte
forcer fes retranchemens , ils ré
t6i** folurent de lui fermer tellement h
pafTage de ce -côté-là , qu'il ne pu
te retirer que par l'une des deu:
rivières entre lefquelles il étoi
refferré , & de profiter de l'avan
tage qu'ils aur oient à l'attaque
dans fa retraite. Comme il n'a
voit que vingt-huit efcadrons d
cavalerie , & qu'ils en avoient qua
tre-vingt , il leur fut aifé de lui bai
rer la plaine ; ils s'approchèrent d
lui à la portée du canon , ils i
campèrent là , ils s'y retranchèrent
& le tenant comme afîiégé dan
Fangle des deux rivières 011 j
étoit, ils mandèrent à ceux de leu
parti qui étoient à Paris , qu'il
avoient enfin réduit le Vicomte d
Turenne , ou à combattre , ou à pé ;
rir de faim dans fon camp ; qui
ne leur pouvoit plus échapper , ô
que fa défaite étoit inévitable ; & |
il n'y avoit perfonne qui ne le crût i
& qui n'en jugeât ainfi. Tout 1<
monde frondoit ouvertement 1;
conduite de ce Général , fur c(
qu'il s'étoit laiffé enfermer de cetfc
BE TURENNE.IzV.///. 13}
naniere ; quelques-uns même Tac- a n n é b
:ufoient d'intelligence avec les En- I61U
îemis. Jamais la Cour ne s'étoit
rue fi embarraffée : le Rai avoit
;ncore une fois éloigné le Cardi- Le isAoûj;
îal Mazarin y pour faire ceffer le
>rétexte de la Guerre civile ; mais
es Ennemis n'en avoient que plus
l'audace , regardant l'éloignement
te ce Cardinal comme un effet de
1 foibleffe du Confeil , qui cédoit
la nécefiité où ils avoient fil le
éduire. Le Parlement avoit dé-
laré le Duc d'Orléans , Lieutenant-
général du Royaume , & le Prin-
e de Condé , Généraliffime des
j*mées de la Couronne. Les Mi-
iftres , tremblans , faifoient des of-
es excefîives à ce Prince , qui , fe '
^gardant déjà comme l'arbitre de
)ut , rejettoit bien loin tous les
rojets d'accommodement qu'on
li propofoit , quelque avantageux
u'ils lui fuffent : & jamais il n'a-
oit conçu de (i hautes efpéran-
es , lorfque le Vicomte de Tu-
mne , ne pouvant fubfifter plus
mg-tems dans fon camp , où il y
234 Histoire du Vîcomte
A N H é E avoit déjà cinq femaines qu'il étoit
i^ji. & voyant quil falloit néceffaire
ment en déloger , fe mit à obfer
ver les ennemis 9 comme s'il f I
fut promis quelqu'avantage dan
fon pofle , fur les mOuvemens d
leur armée. Il ordonna même
fon avant-garde d'efcarmoucher d i
tems en tems , pour leur faire cro I
re qu'il vouloit en venir aux main* 1
il fit remplir de pieux de bois I
fichés en terre , tout l'efpace qu' I
avoit deffein de laiffer derrière lu:]
pour y embarrafîer les ennemis I
en cas qu'ils voulurent le pouil
fuivre. Il fit faire plufieurs ponl
4 aÛ ftoc- far la tiviere û Yerre ; & il fit A j
t©brc.' filer fon armée fi fecrettement di j
rant une nuit , qu'avant que 1(1
ennemis s'apperçuffent d'aucu |
mouvement , il étoit déjà arriv •
à Corbeil avec fon artillerie &C û
bagages. Cette retraite le combla d
gloire , & couvrit de confufion le
ennemis.
Ces Princes peu Je jours après , le Duc d
Fiandrc.nt ™ Lorraine s'en retourna en Flandre
ôc le Prince de Condé fç retira par
DE TURENNE. Liv.IIL %tf
\\ les Efpagnols. Les affaires ayant Année
tiluite changé de face : La Reine Tl6XH [
;mena le Roi a Pans , ou il rut vient à Paris;
îçu au milieu des acclamations Se f Ju^enîff
t r/V , « les chafle du
es applaudiflemens du peuple : Royaume.
: elle y établit l'autorité Roya- LBe»°^
; avec tant de hauteur , qu'au pre-
tier ordre le Duc d'Orléans fe
jîtira à Limours , Mademoifelle à
ûnt Fargeau > 8c tous les Officiers
.1 Parlement, quiétoient fufpects,
îx divers endroits qui leur furent
ïfignés pour exil. Le Vicomte de
urenne fut toujours auprès de la
îrfonne du Roi , à fon entrée
ms Paris , mais il ne demeura pas
•ng-tems à la Cour : & fâchant
le le Prince de Condé avoit pris
hâteau-Porcien , Rhetel , Mou-
n , Sainte-Menehould , Bar-le-
'uc & quelques autres places , à la
veur defquelles il fe flattoit d'hi-
>rner en France 7 il réfolut de re- LejoOa«
)mmencer la campagne , quoi- bre
.l'on fût dans la faiion où les ail-
es ont coutume de la finir. Il dit
i Roi en partant , qu'il efpéroit
npêçher les ennemis de prendre
i$6 Histoire du Vicomte
n . des quartiers d'hiver dans le Royair
1^52. me. Il alla fe remettre à la tête d1
l'armée avec le Maréchal de la ¥ei\
té , il s'avança du côté de la Loi1
raine , &c fans s'amufer à toutes le!
petites Places , où les Ennemi (
avoient mis garnifon pour l'ail
rêter , il marcha à eux dans ]J
deffein de leur donner bataille. !
parla la Meufe, derrière laquel'l
étoit le Prince de Gondé 5 aux ei I
virons de Toul ; & le Prince cl
Condé fe retira aufîi-tôt à Conl
mercy. Le Vicomte de Turenrl
l'y pourfuivit ; &: le pouffant toi jl
jours devant lui, il le fit reculer cl
Gornmercy à Saint Mihel , de Saii I
Mihel à Damvilliers r & de Dair I
villiers encore plus loin dans le Li j
xembourg , où il le força de fe r<|
tirer : & rabattant enfuit e fur lespJ
tites Places de la Lorraine , il Ici
prit toutes à difcrétion. Le Ca;
dinal Mazarin , apprenant ces fuel
Au eemmen- ces , rentra dans le Royaume , cl
Décembre/6 vint trouver le Vicomte de Twl
renne , comme il afliégeoit Bar-le
Duc , fe flattant qu'on attribueroi
N N £ S
I65J,
DE TURENNE. Liv. III 237
fes confeils les entreprifes de ce
énéral , & que cela le réconci- U51.
=roit peut-être avec les peuples,
>'nt il étoi.t fi prodigieufement haï.
; fiége de Bar-le-Duc ne dura que
pt jours , & après la prife de cet-
Ville , le Vicomte de Turenne
archa à Château Porcien , dont il
rendit maître en fix jours. Il
t vrai que le Prince de Condé
oit pris Vervins durant le fiége
cette dernière Place : mais le
comte de Turenne ne voulant
Iffer aux ennemis aucun pofte
|i Picardie , mena fon armée à
} ?rvins , & cette Place ne tint
Il e douze heures 9 quoique la gar-
bn fût de feize cens hommes. Il
t bien voulu enlever encore au
ince de Condé Rhetel , Moufon,
Sainte-Menehould, avant que de
itter la frontière , mais le froid
ceflif qu'il faifoit cette année
oit tellement gelé la terre , qu'il
impofîible d'ouvrir la tranchée
Avant aucune de ces Places.
11 s'en retourna à Paris avec le 11 revient à
< .r.dinal Mazarin ? qui fut auffi-tôi la Cour ' *
%$t Histoire du Vicomte
Année remis à la tête des affaires. LeR<
i^î3- donna le gouvernement du L
tft fait Gou moufin au Vicomte de Turenni
LimouL , & & le fit Miniftre d'Etat , afin qu
^lininre a e< eût entrée au ( onfeil , penda
tout le tems qu'il refleroit à
Cour.
il époufe Ce fut fur la fin de cet hive
^ademoifeiie qUe je Vicomte de Turenne épc
o'ra&ere de & Mademoifelle de la Force. E
cetce Perfon- £t01t d'une des plus grandes m:
ions de la Guienne , & fille u
que & héritière du Maréchal D
de la Force ; mais les qualités
Tefprit & du cœur étoient en €
fort au-deffus des avantages dej
naiffance 6c de la fortune. Il
vertus , que l'on a tant de pein i
infpirer aux personnes de fon ft
à force d'inftru&ions & d'ext
pies , fembloient être le fond r
me de fon tempérament & de l
caractère. Elle avoit naturellem
dans l'ame je ne fais quelle gr
deur , qui ne de voit rien à l'é
cation. C'étoit l'efprit le plus i
vé , &: en même-tems le plus <i
cile« Elle poffédoit les langues 1
A N N S 1
I653.
deTurenne.I/v.7/7, 239
■antes , & avoit des connoiffan-
es qui pafîent de beaucoup la por-
ie ordinaire des femmes ; fans fe
roire pour cela au- deflus d'elles,
es manières , quoique pleines de
ignité , étoient toutes limples &
)utes unies. Enfin , pour faire corn-
rendre tout fon mérite en deux
iots, elle étoit véritablement di-
îe d'être la femme du Vicomte
; Turenne.
Ce Prince paffa avec elle le H faïc tête
•intems de cette année-là ; car g^cr£
>mme nos troupes avoient fatigué loigne de Ja
irant prefque tout l'hiver , nous ^J*6 **
1>. pûmes nous remettre en cam- fours villes.
gne qu'au mois de Juin. Il pré-
nt néanmoins encore les enne-
is ; & fâchant qu'une partie de
ir armée étoit (ur la Sambre &
utre dans le Luxembourg , il s'al-
mettre entre deux avec les trou-
:s ; & ayant obligé par-là les en-
mis à faire un grand détour
>ur fe joindre , il eut le tems de
h- prendre Rhetel , avant qu'ils u ? Juilitt.
j:ffent être affemblés. Il eft vrai,
* 'alors ayant trente mille hommes ,
t4° Histoire dv Vicomte
A & le Vicomte de Turenne n'ti
ï£j3. ayant que douze mille , ils nrer
trembler la Picardie , fur les froni
tieres de laquelle le Prince de Cor
dé vint fe préfenter , menaçant 1
Royaume d'une invaiion général
Il n'y avoit point de garnifon dai
la plupart des Places ; & s'il y el
avoit dans quelques-unes, c'étoj
ii peu de chofe qu'on n'y devcj
faire aucun fond en cas de liégj
Cependant 9 comme elles étoiel
également expofées , on ne favc I
îaquelleferoitla première attaqué I
les Ennemis pouvoient choifir, I
leur gré, Corbie, Peronne , Han1
Saint-Quentin, Guife, ou Noyol
Il aurait fallu jetter des troupl]
dans toutes ces Places ; ce que i
Vicomte de Turenne ne pouvcl
faire fans réduire fon armée |
rien, n'ayant que fept mille hor^
mes d'Infanterie. Dans cet étaS
il réfolut de conferver fon arnuh
entière , de fuivre le Prince <ljj
Condé par-tout où il iroit, & de il
s'éloigner jamais plus de troislieii'
des Ennemis ; afin que s'ils &I
noie:
IDE ÎURENNE. Liv. III. 24Î
loient afliéger quelque Place , il A "
>ut être a portée d en renforcer la 1*5*4 *
;arnifon , &; de choifir toujours ,
trois lieues à la ronde autour de
ur camp , l'endroit le plus avan-
igeux pour s'y pofter ; & c'eft ce
u'il exécuta avec fuccès , durant
Hite cette campagne. Le Prince
e Condé vint plufieurs fois recon-
Ditre fon camp ôc fon armée ;
ais l'ayant toujours trouvé très-
en retranché , il ne jugea pas à
•opos de l'attaquer. Il voulut fai-
venir de Cambrai un grand con-
)i de vivres : mais le Vicomte
: Turenne en ayant été averti,
iffa promptement la Somme , ÔC
:tant avancé avec cinq cens die-
ux jufqu'à Bapaume , les enne-
is , qui étoient déjà iortis de
imbrai , n'oferent paffer outre ,
y rentrèrent au plutôt avec leur
-nvoi. Le Prince de Condé dé-
:ha le Comte de Duras avec
)is mille chevaux , pour aller in-
ftir Guife , mais le Vicomte de
arenne ayant aufîi-tôt repaffé la
î -mme , envoya dans Guife deux
la
242 Histoire du Vicomte
A k n E e mille chevaux , qui y arriverez
16 tft avant le Comte de Duras , quoi
qu'ils eufTent la moitié plus de che
min à faire que lui. Le Prince d
Condé & l'Archiduc Léopold , qi,
avoient joint depuis peu l'armée er
nemie , voyant ainfi tous leurs dei|
feins traverfés , furent quinze joun
à délibérer fans rien entreprendre
&: après avoir tenu beaucoup cl
confeils , ils quittèrent enfin la P|
cardie , &C marchant à grandes joi
nées en Champagne , ils allere
aiTiéger Rocroi , qui efl la demi
re Ville frontière de cette Provi
ce , du côté de la Flandre. Comn
cette Place efl toute entourée
bois , 6c qu'il efl impofîible de
fecourir , quand elle efl une fc
inveflie , le Vicomte de Tureni
leur lahTa faire le fiége ; & cèpe
dant nous allâmes prendre Mo
fon & Sainte Menehould ; de foi
que les ennemis furent entier
ment chaffés de la France , où
ne leur refla plus aucune Place qi
Rocroi.
BE TURENNE. Llv.IIL 243 ^^^^
L'année fuivante , le Roi étant Année
lié fe faire facrer à Reims, le Car- Ru-
inai Mazarin, pour donner de l'é- , Le J J"ln.»
lat a cette cérémonie , eut deilein & stenay af-
e faire en même-tems quelque flé2é*
onquêtefur les ennemis, &C le ref-
:ntiment qu'il avoit contre le
rince de Condé lui ayant fait
îoifir Stenay ; qui étoit la place de
reté favorite de ce Prince, Fabert
it ordre d'en faire le fiége , 6c le
icomte de Turenne fut chargé du
in d'en empêcher le fecours.
Le Prince de Condé ? piqué de Condé affil-
; qu'on s'attachoit à une ville qui £e Arras • &
. a • o * Turenne mar-
1 appartenoit, oc ne voyant pas che à foafe-
Iur à la pouvoir fecourir, fe pro- cours*
)fa d'afïiéger de fon côté quelque
ace de réputation , dont la con-
lête pût le venger de la prife de
nay , & même dédommager les
pagnols de toutes leurs pertes
ffées. Dans cette vue , il fit con-
itir l'Archiduc Léopold au fiége
\rras, capitale du pays d'Artois
juelle n'eft qu'à quarante lieues
Paris y la Place étoit déjà in- Le 3 Juillet;
Lij
___ î44 Histoire du Vicomte
Année vefHe , qu'on ne pouvoit encor
i^55» croire que les ennemis ofafïent fo?
mer une pareille entreprife. Mor
dejeu , qui étoit Gouverneur d'A
ras , s'attendoit fi peu à être afli<
gé , qu'il avoit envoyé toute fa t\
valerie , à la réferve de cent ma i
très , à de Bar , qui avoit ordre
fe jetter , avec le camp volant qu
commandoit 9 fur la frontière
dans la première Ville des em
rons qui feroit inveftie ; & il
put rentrer dans Arras , - où Mo
dejeu fe trouvoit avec deux mi
cinq cens hommes de pied , &; cf
chevaux pour toute garnifon.
Cardinal Mazarin , alarmé de I
te entreprife , s'adrefla au Vicon
de Turenne pour y mettre ordi
lui offrant pour cela de faire
ver le fiége de Stenay , s'il av
befoin des troupes qui étoient
vant cette Place. Mais le Vico
te de Turenne , croyant qu'on p«
voit bien fecourir Arras , i
j abandonner Stenay ? en laiffa c<
tinuer le fiége , 6c commença j
détacher le Chevalier de CrecjT
deTurenne. Liv. III. 24^ _
£ deux autres Officiers , avec dou- a n k é *
e cens chevaux, leur ordonnant ^n»
'aller par divers endroits fe jetter
ans Arras , où ils entrèrent heu-
eufement , & où il marcha après
ux avec le Maréchal de la Ferté.
,es ennemis avoient trente mille
ommes , &£ nous n'en avions que
uatorze mille. Avec û peu de trou-
es , il n'étoit pas porîible de les
haffer de devant Arras à force 011-
erte. Aufli le Vicomte de Tu-
=nne n'entreprit- il pas de les at-
iquer dans leurs lignes : il fe pro-
ofa feulement d'empêcher qu'ils
e fifTent venir des vivres d'aucun
tidroit ; afin que, ne pouvant fub-
(ter devant la Place , ils fuffent
bligés de lever le liège. Pour
;la , il s'avança jufqu'à la vue de
ur camp , auprès de Mouchy-le-
reux , entre la Scarpe &; le petit
liffeau qui defcend à Arleux. Le
laréchal de la Ferté fe campa fur
bord de la Scarpe : & le Vi-
:>mte de Turenne s' étant poilé
:r la hauteur de Mouchi , pour
puper les vivres aux Efpagnols
L iij
t 446 Histoire du Vicomte
Année du côté de Douay , de Bouchai]
l*i$ 6c de Valenciennes ^il envoya fu j
fa gauche le Colonel d'Efpence
Bapaume ? pour empêcher les er
nemis de faire rien venir de Catr
bray ; &: fur fa droite , le Comte <3
Broglio à Lens ? pour leur ôter ]
communication de Lille ; &C
Comte de Lillebonne à Perne<
pour barrer le paffage à tout <
qu'ils auroient pu tirer d'Aire l\
de Saint Orner : il s'empara des a
très poftes qui étoient entr'eux , i
des Places dont ils pouvoient tir«
leurs munitions ; il fe faifit d
Châteaux 6c autres lieux de d<
fenfe des environs , tout autoi
d'Arras : il y logea quelques trou
pes ; 6c il les fit fi bien retranche;
qu'on ne devoit pas craindre qi
les ennemis les vinffent attaquei
il les refferra enfin , & il les bloque
pour ainfi dire , tellement de toii
côtés , que n'ayant plus la liber
de la campagne pour les four;
ges &: pour les convois , ils mai'
querent bientôt de toutes chofe
Dans cette extrémité ? ils preflerei
N N E »
DE TURENNE. Liv. III. l^j
eurs attaques le plus vivement qu'ils
nirent pour emporter au plutôt la »*$*
3lace ; mais ils n'en purent venir
t bout. Toutes leurs reffources
toient dans un grand convoi ,
jue le Comte de Boutte ville leur
levoit amener du côté de Saint-
yo\. Le Vicomte de Turenne mar-
:ha aufîi-tôt à ce pofte , 6c s'eri
aifit encore. On fit ce qu'on put
>our enlever le convoi , &c l'on
mpêcha bien les charriots de paf-
ïr ; mais le Comte de Bouttevil-
3 ne laiffa pas de trouver moyen
e faire entrer de nuit , dans les
gnes un grand nombre de Ca-
aliers , qui portoient en croupe
es munitions : de forte que les
.fîiégeans s' étant remis à pouffer
:urs attaques avec de nouveaux
(Forts , Mondejeu fit favoir au Vi-
omte de Turenne qu'il ne pou-
oit plus tenir que très-peu de
>urs , & qu'il feroit bientôt forcé
e fe rendre , s'iln'étoit fecouru. Le
ricomte de Turenne favoit fort
ien qu'il n'étoit pas aufîi preffé
u'il le difoit ; mais voyant qu'on
L iv
N N E
148 Histoire du Vicomte
ne pouvoit plus déformais fauve*
J654. la Place qu'en fecourant les afîié-
gés , il réfolut d'attaquer les ligne*
dès le lendemain. Néanmoins ayan
appris le foir , par un courier du Car
U 18 Août. ^na^ Mazarin , que Stenay capi
' tuloit , & qu'on lui alloit envoyé
les troupes qui en avoient fait l<i
fiége , il jugea à propos d'atten"
dre ce renfort , &C cependant
il alla reconnoître le camp de ;
Efpagnols. Il fit pouffer toute |
leurs gardes jufques dans leurs n
* tranchemens , pour mieux décou1
vrir l'état des lignes , & du ter
rein qui étoit devant : il vifit !
tous les côtés du camp , pour dor
ner également jaloufie à tous le ;
quartiers , &: tenir les ennemis dan 1
l'incertitude de l'endroit par où il I
feroient attaqués ; & ce fut en pal1
fant auprès du quartier du Prine1
de Condé, que le Duc de Joyeufè1
qui étoit avec le Vicomte de Turen1
ne , fut bleffé, dans une efcarmou
che , d'un coup de carabine , don
il mourut.
DE TURENNE.Z/V. ///. Ï49
Cette vifite des lignes ayant fait aTTTT
iger aux: ennemis qu'on avoit def- l6)+-
îin de les attaquer, ils redouble- Difpoficion
înt d'une part leurs efforts pour hâ- ennemis!5
r la prife de la Place ; & de l'au-
e, ils fortifièrent de nouveau leur
imp , dans la crainte d'y être for-
îs. Ils avoient prefque par-tout
mbles foffés & doubles lignes,
elle de circonvallation avoit deux
ifes de largeur & neuf pieds de
ofondeur , avec des redoutes &
s fortins d'efpace en efpace , ÔC
l'artillerie dans toutes les embra-
*es. L'avant-fofle , qu'ils avoient
t faire au devant de cette ligne r
qui régnoit tout autour , étoit
Ige de neuf pieds , & profond de
. Ils ordonnèrent , outre cela ,
'on élevât des épaulemens par tout
tr camp , pour fe couvrir du ca-
n de la ville , auffi-bien que de
ui de la campagne. Ils embarraf-
ent tous les paflages , de charriots
îverfés , dont ils firent des efpe-
; de barrières ; &: dans tout le
IJTéiri qui étoit entre la ligne
L v
1 50 Histoire du Vicomte
de circonvallation & Pavant -fof-
fé , ils firent creufer douze rangées
de puits, ou grands trous, de cinq
pieds de profondeur , difpofés en
forme d'échiquier , avec des peti- !
tes palhTades , élevées feulemen';
d'un pied & demi hors de terre
dans les intervalles. Enfin , ils for
îifierent leur camp par toutes for :
tes de travaux & de retranche I
mens, & même par de nouveau:!
ouvrages qui jufques-là n'avoierl
point encore été ufités. Tellemer 1
que l'attaque des lignes effrayo:^
toute l'armée ; & que quand pj
vint à en parler , chacun en mui )
muroit tout haut comme d'uni
«ntreprife impofîible. Cependari
le Maréchal d'Hocquincourt arriv J
avec les troupes de Stenay ; & il
Vicomte de Turenne voulant fai-
re revenir nos Soldats de cette tei t\
reur dangereufe dont ils étoient pr< I
venus , il les mena au Mont Sain tf
Eloi , pofte que les ennemis o<
cupoient à une lieue de leur camp ri
ê£ il s'en rendit le maître. Il Uî
|aifit avec la même facilité 2 d-
DE TURENNE. Liv. III. l^t *
endroit nommé le Camp de Cèfar. aTTTs
fit attaquer divers autres poftes, 1654.
ue les Afliégeans tenoient autour
e la Place ; & nos gens battirent
ar-tout l'ennemi : de forte que,
emandant eux-mêmes qu'on les
lenât aux lignes , le Vicomte de
"urenne fe difpofa tout de bon à
îs attaquer.
Le Prince de Condé , l'Ardu- Tutenneîes
ne Léopold, le Duc de Wirtem- f;^^*"
erg , les Princes de Lorraine & de '
igné , les Comtes de Ftienfaldai-
îe , de Garfie , &c de Ligneville ,
s Barons de Chat e! et &c de Brior-
e, & Dom Ferdinand de So-
? , partageoient toute la circon-*
dlation par leurs différens quar-
ts ; & ils étoiënt convenus d'un
rnal , par le moyen duquel celui
entre eux qui feroit le premier
taqué , avertiroit les autres ; fi
âitefois on oîoit les attaquer
ms la fituation où ils écoient ;
' qu'ils avoient bien de la peine
croire. Néanmoins le Vicomte
î Turenne ? ayant concerté l'exé-
itiQK de cette entre orife avec
L'vj
^___ fi ji Histoire du Vicomte
ÎTTTe les Maréchaux d'Hocquincourt &
Mrt* de la Ferté , il commença par dif-
pofer les chofes de manière , que
li on ne venoit pas à bout de chaf
fer les ennemis de devant Arras J
on y fît du moins entrer un bor
corps de troupes ; & que , fi or
ne pouvoit pas même forcer le
lignes , chacun pût revenir dam
fon camp , & y trouver une re j
traite aiTurée. Il fit avertir de foi j
deiTein Monde jeu , afin qu'il le fe
çondât par {qs forties* Il régla qu< j
les trois corps donneroient tous
trois fur un même front , & noi
point par des endroits féparés ; par
ce qu'alors, les uns s'attendant au:
autres , on ne fait pas toujours tou
les efforts qu'on pourroit faire foi
même pour forcer. Il voulut qu<
l'attaque fe fît de nuit , afin qu<
l'ennemi , ne voyant point de que
côté on viendroit l'attaquer , n'o :
fat dégarnir aucun endroit. Il com
manda divers pelotons d'infante-
rie, 6c plufieurs petites troupes de
cavalerie , pour donner l'alarme
de toutes parts aux environs des
deTurenne. Liv.III. ij)
lignes , ayant réfolu de faire par- J N
tout de fauffes attaques , pour cou- x^4.
vrir le» véritables : &c après avoir
pris toutes les -utres mefures, ôc
ionné tous les ordres qu'il jugea
îéceffaires , les trois Généraux 9
;hacun à la tête du corps qu'il
:ommandoit , commencèrent à fai-
e défiler leurs troupes à l'entrée
le la nuit. Le Vicomte de Turen- Le *4 Ao^
ï , étant à l'avant-garde avec le
)uc d'Yorck , fit prendre la mar-
ne , par deslieux couverts , afin d'en
érober la connoiflance aux en*
émis. Il étoit deux heures après
îinuit , quand on arriva aux li~
nés : on marcha le plus fecrette-
lent qu'on put. Néanmoins un
oup de canon , qu'on entendit du
ôté des Efpagnols , ne pouvant
voir été tiré que pour fervir de fi-
nal , Ri juger au Vicomte de Tu-
*nne que nous étions découverts,
i.'eft pourquoi , fans attendre le
«laréchal d'Hocquincourt , qui de-
oit combattre à fa droite , & qui
étoit égaré par la faute de tes
uides 7 il réfolut de commencer
,i?4 Histoire du Vicomte
Année aufli-tôt l'afFaire avec le Maréchal
.**S4i de la Ferté 9 pour ne pas laiffer
aux ennemis le temps de fe'recon-
noître. Il envoya néanmoins au-
paravant quelques foldats- autour,
de la circonvallation , portant de
longs cordeaux , garnis de mèche;
allumées , afin de faire croire au>
Efpagnols r que c'étoient autant d<
Moufquetaires qui les environ- j
noient , & qui les alloient attaquai
de tous côtés à la fois, & de lel
obliger par4à à fe tenir tous cïan >
leurs quartiers , fans en affoiblir au
cun pour fortifier les autres. Apre
quoi , ayant mis fon infanterie fe j
deux lignes , fa cavalerie derriè-
re , & à la tête de tout quelque '
cavaleries détachées , pour fourmi
aux gens de pied les fafcines & ;
tes outils dont ils pouvoient avoii
befoin ; il marcha au quartier d<
Dom Ferdinand de Solis , où i
s'étoit propofé de faire fon atta
que. L'avant -foffé fut comblé &
paffé en moins de rien. Il fit aufïi
tôt jetter des claies fur tous le:
trous qui étoient entre l'avant
DE TU RENNE. Liv.IIl. l^Ç
N N E «-<
Ibffé & la ligne de circonvalla- A
[ion : il fit arracher ou enfoncer Iôî4
tout-à-fait les petites paliffades qui
étoient dans les efpaces entre ces
trous , 6c franchisant tous les obf-
:acles , par lefquels les affiégeans
ivoient cru rendre leur camp ina~
jordable , il arriva jufques fur le
)ord du foffé dé la ligne. Il eft
rrai qu'en cet endroit, les Efpa-
;nols firent une furieufe décharge
ur nos gens ; mais cela ne fervit
[lia nous faire pouffer plus vive-
nent l'attaque : on effuya le feu
les ennemis : on fe mit à combler
e foffé avec les fafcines. Les fol-
lats du régiment de Turenne n'at-
endirent pas même qu'il fût com-
blé : ils fe précipitèrent dedans , à
i fuite de leurs Capitaines : on
eur y jetta des échelles avec lef-
juelles ils efcaladérent le retran-
chement ; & Fifica , Capitaine
lans ce régiment , ayant le pre-
Inier gagné le haut du foffé, y
>lanta le Drapeau de fa Compa-
gnie, en criant : Vive Turenne ! A
;e çri, nos gens tentant redouble^'
N N
256 Histoire du Vicomte
leur ardeur, commencèrent, avec
6^. ' une émulation incroyable , a arra-
cher les paliffades à l'envi les uns
des autres , à ébouler le parapet ,
& à renverfer tous les travaux de
la circonvallation. Le Marquis de
Bellefond fut le premier qui ouvrit
un paffage à la cavalerie , en for :
çant une barrière. Les lignes fu-
rent bientôt après percées & ou <
vertes en cet endroit : toute la ca-
valerie y trouva entrée à la poin-l
te du jour. Il eft vrai , que fc(
Maréchal d'Hocquincourt n'étoii)
pas encore arrivé , & que le Mare j
chai de la Ferté n'avoit pu venir ï j
bout de forcer le côté qu'il avoi1 )
attaqué; mais les troupes de co
dernier étant entrées à la fuite do
celles du Vicomte de Turenne , or J
abbattit les épaulemens , & toiu<
les ouvrages par lefquels les Af- I
fiégeans avoient fortifié leur camp
Les Efpagnols, faifis d'épouvante,,
abandonnèrent leurs retranche-
mens , avec le défordre & la con-
fufion qu'on peut s'imaginer dans
une pareille déroute. L'ennemi ef-
DE TURENNE. Liv.IIL 1}J
jya toute la fureur du foldat vie- A
\oneux : tout plia oc prit la fuite i*5^
(evant nous , jufqu'aux Généraux;
la réferve du Prince de Condé ,
ui , voyant la plupart de nos fol-
ats courir au pillage , vint avec
îs troupes de Ion quartier char-
sr le Maréchal de la Ferté , &c
ouffa fi vigoureufement tout ce
ui étoit devant lui , qu'on vit
îeure que par une révolution fu-
Lte il alloit faire changer la for-
ne de cette grande journée ; le
[aréchal de la Ferté n'ayant plus
autre reflburce que celle de fe
tter dans Arras pour fe fauver.
orfque le Vicomte de Turenne
t averti des grands efforts que le
rince de Condé faifoit de ce cô-
-là , il y vint à la tête de fon
:giment de cavalerie , chargea
s efeadrons ennemis , le rom-
t entièrement , & les fît fuir
ins un grand défordre. Le Prince
$ Condé ne laifTa pas de tourner
te avec beaucoup de fierté , &
î rallier plufienrs fois fes trou-
as devant nous : mais enfin , le
_____ 158 Hïs.toi&e du Vicomte
Année Vicomte de Turenne le força à £
i6w* retirer , comme les autres Gêné
raux. Il défit quelques-uns des ei
cadrons , que ce Prince avoit lail
fés derrière lui pour faire fa re!
traite : 6c il auroit pu les taille!
tous en pièces , s'il avoit eu pli
de troupes pour les pourfuivre
mais l'impatience de piller poffd
doit tellement nos gens , qu'il fi
impoiFible de les mener plus lo:
que la circonvallation , 6c qu'cj
ne put de tout le jour rallier l'a: i
mée. Les ennemis perdirent , t j
cette occafion , près de fept mil \
hommes, qu'on leur tua, ou qu'cj
£t prifonniers : on leur prit foixaj I
te & quatre pièces de canon , dei I
mille charriots , fix mille tentes j
neuf mille chevaux , tous les équ I
pages des Officiers , & le bagage c j
refte de l'armée. De notre côté?
nous n'y eûmes que trois ou quatu
censfoldats de tués, 6c quelque
blefTés. Le Vicomte de Turenne 3
reçut un coup de moufquet , qui lit{
Bt une contulion, & eut un chevtf
tué fous lui..
DE TURENNE. Llv.HL 1J9
Le Roi & le Cardinal Mazarin . ~~ 7 T
. / . \ r> ' • / A n n e $.
m etoient a Peronne , vinrent a 1*54.
irras , exprès pourlui témoigner la , R .
econnoirTance qu'ils avoient du fer- à Arras.
ice important qu'il venoit de ren- Le i8 Ao^?
re à l'Etat. Ils laifTerent toute l'ar-
îëe fous fes ordres, & ils emmené*
ent les Maréchaux d'Hocquincourt
l de la Ferté avec eux à Paris. Pour
erpétuer le fouvenir d'un événe-
ent fi mémorable , on frappa la
lédaille n°. 5.
On y voit deux Victoires , qui
ettent fur un trophée une couron-
\ vallair e , f emblable à celle que les
omains donnoient aux Généraux
armée , qui avoient forcé les re-
anchemens des ennemis. La Lé-
înde, Perrupto Hifpanorum Vallo9
tflris direptis , lignifie : Les li-
ns des Efpagnols forcées , & leur
wip pillé, L'Exergue , Atrebatum
'nratum , M. DC, LIF. Arras fe-
uru , 1654.
L'heureux fuccès du fecours Prife du
Arras , fat fuivi de la prife du §SS£! ^
Hiefnoi , & de celle de Clermont
Argonne ? par où on finit la cam-
gne,
160 Histoire du Vicomte
Année L'année d'après , quoique l'ar
ltfH- mée des ennemis fût aufîi nombreu
Prife de di- ^e ^ue ^a nôtre , nous ne laiffâme
vcrfes villes, pas de prendre Landrecy , Condé
Saint-Guilain , & plufieurs autre
villes &C châteaux des environs
dont nous nous rendîmes maîtres {
malgré les inondations qu'on avo j
faites tout au tour , & à la vue d
toutes les troupes des Efpagno]
jointes ensemble. Car le Prince cl
Condé vint fouvent, àlatêtedefcl
armée , pour nous faire lever le ûéi I
de devant ces villes : mais noi I
avions û bien pris nos mefures , qt 1
tous {qs efforts fe réduifirent à c ï
légères efcarmouches LeViconrl
de Turenne fit rafer celles de c< g
Places qui ne pouvoient nous êtil
d'aucun ufage ; il fit fortifier les ai I
très, & il les pourvut de vivres lï
de munitions ; il fe rendit maître <|
la campagne, &:fit fubfifterfonail
mée dans le pays ennemi.
l6s6. Tous ces avantages remporta
avec tant de facilité fur les Efp< !
gnols , portèrent , l'année fuivante i
le ^Vicomte de Turenne à affiég*
DE TURENNE.IzV.///. %6î
me de leurs plus importantes pla- A N N . .
es. Dans cette vue , il marcha i^-s.
Valenciennes avec fon armée &C siège de va-
elle du iMaréchal de la Ferté qui ^-^"j^
toit alors malade. Comme l'Ef-
aut traverfe cette Place , il fit
affer le Marquis d'Uxelles , avec
i moitié des troupes , à la droite
e ce fleuve , & demeura avec le
efle à la gauche. Il y jetta deux
onts , l'un au-deffus , & l'autre
Li-deffous de la Ville , pour la corn-
iiinication des deux armées : &
?s ennemis ayant lâché leurs éclu-
?s , pour inonder la partie la plus
affe du terrein où fes troupes
toient campées , il y fit faire une
igue plus élevée que l'endroit le
lus haut où l'eau pouvoit mon-
m II fit faigner les réfervoirs
es afîiégés ; il 'fit creufer plufieurs
anaux , pour faire écouler l'eau
ans l'Efcaut : & la digue étoit
onflruite de manière , qu'elle re-
çoit dans Valenciennes la plus
rande partie des eaux qui auroient
»u entrer dans notre camp , & inon-
loit un Fauxbourg & un quar-
161 Histoire du Vicomte
a n n é i tier de la ville. Les Efpagnols 3
iéj5. voulurent jetter du fecours : mai'
le Vicomte de Turenne fit fail-
li bonne garde tout autour, qu'il
n'en purent venir à bout. Les lî
gnes de circonvallation & dl
contre vallation ayant été faite 1
avec les ouvrages néceffaires poi-|
la fureté du camp , il fit ouvri
la tranchée en deux endroits
il pouffa fes deux attaques ave
toute la vigueur pofîible ; &
en étoit déjà à la contrefearpe
lorique le Maréchal de la Ferté
qui n'étoit pas encore tout-à-fa
guéri y vint au fiége par ordre d
Cardinal Mazarin , qui voulut ai
folument qu'il y allât , peut-êtr
parce qu'il étoit bien aile qu'il y ei
toujours quelqu'un qui eût part au
entreprifes du Vicomte de Tureil
ne , afin qu'il ne s'accréditât p<
autant qu'il auroit fait , s'il n'en ei
partagé la gloire avec perforn*
Quoi qu'il en foit , le Maréchal d
la Ferté étant arrivé devant Val
lenciennes 7 il fe mit à la tête d
fon armée , à la droite de l'Efcan
DE TURENNE.I/V.7/7. 263 ^
h étoit Ton quartier. Comme ce aTTTï
lartier étoit celui où les enne- ^5<>.
is pouvoient arriver le plus aifé-
ent, le Vicomte de Turenne l'a-
>it fait fortifier par des lignes
mbles & palifTadées: mais le Mâ-
chai de la Ferté , croyant qu'une
ule ligne fumYoit , tit rafer l'au-
, &: continua l'attaque que le
icomte de Turenne avoit fait
mmencer.
Cependant Don Juan d'Autri- DonJuanva
e j à qui le Roi d'Efpaene venoit ? u£cour? dc
j ^ , ^ r b . la Placeront
donner le Gouvernement des
ys-Bas , voulant fignaler fon ar-
Tée- en Flandre , avoit ramaffé
.ites les milices du Pays ; & les
ant jointes à fon armée , ainû
e quelques renforts qu'on lui
oit envoyés d'Allemagne , il étoit
nu avec le Prince de Condé fe
mper à la vue de Valenciennes ,
1 ris le deflein de fecourir cette
ice.
Le Vicomte de Turenne fe dou- lefiége t& u-
ît bien que les ennemis attaque- l^ZàJ%
ient les lignes au quartier du la Ferté.
iréchal de la Ferté , parce que
264 Histoire du Vicomte
J*77T7 ce quartier étoit le plus expofé
x*5*. lui manda » que , s'il le vouloit
» il lui enverroit quatre ou cin
» régimens » Mais le Maréch;
de la Ferté , recevant l'honnêt
té du Vicomte de Turenne , con
me il auroit fait une injure , lj
envoya dire , » qu'il garda f
» troupes povir fa propre défenf(
» qu'il auroit peut-être autant h
» foin de fe cours que lui ; & qv
» lui offroit la moitié de fon
» mée ». Le Vicomte de Turen
€ut beaucoup de chagrin de ce q
ce Maréchal prenoit la chofe
cette, manière. Prévoyant le pi
judice qui en pouvoit arriver a
affaires du Roi , il lui envoya f
re encore une fois la même oifi .
en lui repréfentant le danger 0*111
étoit : mais le Maréchal de la F
té ne fit que rire de ces avis ,
ne daigna pas même tenir hors c
lignes , ni gardes , ni battei:
d'eftrade , qui puffent l'avertir
l'approche des ennemis. Aufîi 1
te ï j Juillet, nuit fuivante, le Prince de Con£
& Dom Juan d'Autriche , étant ^1
N N E |
DE TURENNE.ZzV.///. léf
us l'attaquer , ils arrivèrent jufques
■ le bord du foffé de fon premier " 1Y5S
^franchement , fans avoir été dé-
Diivérts. Ils forcèrent la ligne ,
il ils ne trouvèrent prefqu'aucu-
2 réfiftanee , & firent prisonniers
Maréchal de la Ferté , les Corn-
s d'Eftrées , de Gadagne , & de
randpré , Lieiuenans Généraux ,
us de quatre cens Officiers , &
es de quatre mille Soldats ; ce
n fut fait en moins d'un quart
îeure : de forte que le Vicomte
Turenne , qui, à la première al-
*me , avoit couru au fecours par-
Ails la digue : fut à peine au bout,
'il vit les ennemis qui s'avan-
ient déjà de ce côté-là , pour le
nir forcer. Il ordonna au même
tant qu'on rompît la digue : &: les
ant arrêtés par-là , il fit prompte-
mt revenir nos gens de la tran-
ée, retirer le canon des batteries ,
arger les bagages , combler les
nés ; &: ayant fait défiler devant
I l'artillerie 6c les équipages , il -
i a former un camp fous le Quef-
ijiavec fon armie 7 pour fauver
fl:te Place. M
r66 Histoire du Vicomte
A n k é e Le Prince de Condé & Doit
16)6. Juan d'Autriche y marchèrent aprèî
Condé & lui 3 avec leurs troupes ; &: ne dou
D.Juan prcn- tant pomt qu'il ne prît la fuite de
lient Conde , r K* .*■ ,,.N
&Turenne la vant eux , ils avoient déjà com
Capelie. mandé mille chevaux pour le pouî
fuivre ; de forte , que lorfqu'ils fi
rent arrivés affez près de lui pou
découvrir fon camp , ils furent foi ;
étonnés de voir' que les tentes j
etoient dreffées , qu'il avoit laifi
tout ouvert , &: qu'il les y attei
doit de pied ferme. Il eft vrai , qu
l'approche des ennemis , nos fo
dats, épouvantés , commencera
à charger les bagages ; mais le V
comte de Turenne , ayant ordom I
que perfonne ne fortît de fon pofli
oc qu'on ne fît aucun retranch
ment, ni aucun autre travail devai
le camp , il rafïiira toute l'armée p
le peu de précaution qu'il pr eno
Pour défabufer les Flamands , à q
on avoit fait croire que nous n';
vions plus de troupes en campagn
il envoya des Partis jufqu'aux port
de Bruxelles : & fur le bruit qi
çouroit que les ennemis avoie
N N E £
DE TU RENNE. Liv. llL iGj
deffein d'afliéger Condé ou Saint>
Guilain, iljetta dans ces deux Places i*?*
mille cavaliers, qui y portèrent cha-
cun un fac de farine en croupe. Un
fi gros détachement , fait d'un auffi
petit corps de troupes , en préfence
des ennemis , qui étoient beaucoup
plus forts que lui , donna une telle
confiance à fes foldats , qu'ils ne ref-
liroient plus que le combat : mais
e Prince de Condé &c Dom Juan
l'Autriche , n'ayant pas jugé à pro-
pos d'en venir aux mains avec
îous , décampèrent les premiers ,
k: tombèrent fur Condé qu'ils pri-
ent , 6c dont ils firent démolir les
I brtifl cations; après quoi , ils alle-
ent afîiéger Saint-Guilain. Mais le
/icomte de Turenne , qui avoit eu
e tems de ramafTer les débris de
armée du Maréchal de la Ferté ,
yant inverti, la Capelle où étoit le
principal magafin des ennemis , le
}rince de Condé & Dom Juan
l'Autriche levèrent aufîi-tôt le fié-
;e de Saint-Guilain , pour aller au
ecours de la Capelle. Ils s'appro-
;herentdes lignes avec leur armée ;
M ij
*
268 Histoire du Vicomte
Année mais ils n'oferent les attaquer : &
1 £5 s. ie Vicomte de Turenne pritla Place
J*£ Valeur vue .
La pnie de cette Ville arrivée
û - tôt après ce qui venoit de fe
parler à Valenciennes , 6c dans un
tems où la Cour fembloit déM-
pérer des affaires , fut regardée en
France comme un avantage très-
confidérable : 6c pour confervei
éternellement la mémoire d'un fuc
ces fi peu efpéré , on y frappa h
Médaille n°. 6.
On y voit la Fortune , qui , d'une
main , tient une corne d'abondan
ce , 6c de l'autre un Gouvernail , ai
haut duquel eft une couronne mu
raie. Les mots de la Légende
Fortuna redux , fignifient , la Fortu
ne de retour : &c ceux de l'Exergue
Capella capta 9 M. DC. LVI. prij
de la Capelle , i65G.
Turenne eft On félicita fort le Vicomte d<
Gén^raiXiI Turenne fur l'heureux événemen
Cavalerie, de cette entreprife. On lui donn;
la charge de Colonel-Général d<
la Cavalerie , l'année fuivante. Oi
fit même plus pour lui ; on lui ac
i
DE TURENNE. Llv. III. 269
:orda ce qu'il demandoit depuis a n n é 1
ong-tems ; à favoir , qu'on ne le i*i*
:ommît plus avec le Maréchal de r
r / L \ r 1 r 1 1 Le 14 Avn*.'
a Ferfe : de iorte que le liège de
Gambray ayant été réfolu , il y fut Le %% Mai,
mvoyé feul. Mais le Prince de
3ondé ayant entrepris de jetter du
ecours dans la Place , avant que
îous euiTions achevé nos lignes';
k: y étant entré lui même avec
ingt efcadrons de cavalerie , on
[uitta ce deffein. Le Maréchal de
a. Ferté eut ordre d'aller faire le
lége de Montmédy dans le Lu-
lembourg ; 6c le Vicomte de Tu-
enne , de tenir la campagne , pour
'oppofer à ce que les ennemis
>oiirroient entreprendre. Le Prince
Je' Condé & Dom Juan d'Autri-
:hent firent diverfes marches & con-
re-marches , pour s'approcher de
i Place , &C y jetter du fecours. Ils
jent mine de vouloir afïiéger la
>lûpart des Villes qui étoient aux
nvirons , pour nous faire abandon-
ier notre entreprife. Mais ils ne fil-
ent faire prendre le change au Vi-
omte de Turenne : il fe préfenta^
M iij
ifo Histoire du Vicomte
A « n é s avec fon armée , par-tout où ils ef-
- ,tfJ7« fayerent d'aborder les lignes j & ils
n'oferent jamais l'attaquer. Il rom-
pit toutes leurs mefures, il prévint
tous leurs deffeins ; & malgré leurs
le e Août. ftratagêmes& leurs efforts, la -Place
fut enfin emportée par le Maréchal
de la Ferté.
il prend s. Après la prife de Montmédi,!
jev«niVfiégele Vicomte Turenne alla afliégeij
d'Ardrcs , S. Venant, Ville fituée fur la Lys .
dans le Comté d'Artois. Le Prince
de Condé & Dom Juan d'Autri-
che , vinrent encore avec leurs
troupes pour fecourir cette Place ; '
mais ayant été plusieurs jours de-
vant nos lignes , fans avoir ofé les
attaquer , ils pafferent dans la Pi-
cardie , & ils afliégerent Ardres , ,
pour obliger le Vicomte de Tu-
renne à abandonner le liège de S,
Venant. Il efl vrai que le Cardinal
Mazarin ne lui ayant envoyé aucun
argent pour la dépenfe de ce Siè-
ge , il y a voit lieu de croire qu'il
tireroit afTez en longueur , pour que
les ennemis euffent le temps de
prendre Ardres : mais le Vicomte
j DE TURENNE. Liv. III. 1J1
de Turenne ayant fait couper fa a n n é c
ivahTelle d'argent en morceaux , l65>
pour la distribuer aux foldats , il
les engagea fi bien à avancer les tra-
vaux , que le Gouverneur de Saint-
Venant demanda à capituler. Le £e i7 Août*
Vicomte de Turenne , fans atten-
dre que la capitulation fut réglée,
i détacha aiuTi-tôt de fon armée
quatre mille chevaux , 6c leur or-
i lonna de marcher à Ardres , par les
I îauteurs d'Aire Se de Saint-Omer ,
lâchant bien qu'on ne manqueroit
bas de tirer fur eux le canon de ces
3laces,&que le Prince de Condé
k Dom Juan d'Autriche, aver-
:is de notre marche far le bruit
du canon, fe retireroient aufîi-tôt
de devant Ardres. En effet , ils
levèrent le fiége à l'approche de
notre détachement, ils allèrent du
côté de Bourbourg , & fe retran-
chèrent entre les rivières d'Aaa &
de la Colme.
Le Vicomte de Turenne vint à
Ardres avec le refte de l'armée,
après la prife de Saint-Venant ; & * £ defc^
royant que les ennemis étoient fi
M iv
'zyi Histoire du Vicomte
Année éloignés il retourna du côté d<
i*î7. la Lys, fe faifit de la Mothe aux i
vetfes autres Bois ; & fit rafer ce Château , qu
pJacçs. incommodoit fort Saint-Venant : i
marcha enfuite vers la Colme ; i
fe rendit maître de- CaiTel & d<
Vate ; il prit le Fort Rouge , le
Forts de Hennuyn , de Ruth , d*
Saint-Chriftophe , & la Ville d
Bourbourg. Il força le Prince d I
Condé 6c Dom Juan d'Autriche I
fe retirer avec leur armée fous 1 s
canon de Dunkerque. Il fe rendi]
tt } oaobre maître de Mardik , dont la prif I
alarma tellement les Efpagnols ?
que , dans la crainte que nons n'ai "
laffions âffiéger Gravelines, ils le |
verent leur Eclufes , &: inonder ei?
quatre lieues de pays autour d<^
cette Place ; mais la faifon étoi
trop avancée pour une pareille en
treprife. Ainfi le Vicomte de Tu ■
_ LJ 3 E>é- renne , ayant mis fon armée er
quartier d'hiver , s'en retourna l
- la Cour. Les ennemis , croyant pro
fiter de fon abfcence ? affemblereni
quelques troupes , dans le deffein ai
reprendre Mardik : mais ayant fv
DE TURENNE. Liv. III. 723 A NN â fe
que ce Général étoit revenu fur la 1657.
frontière , ils s'en retournèrent chez
sux.
Pour tranfmettre aux fiécles à
yenir la mémoire des principales
idtions d'une Campagne fi glorieu-
e, le Roi fit frapper la Médaille
*°- 7- .
On y voit la France, qui , d'une
nain , tient une épée nue , 6c de
'autre un bouclier ? pour faire en»
endre , que durant cette campa-
;ne ; nous nous étions également
ignalés par l'attaque bc par la dé-' •
enfe. La Légende : Fines defenfi
j ampliati 7 fignifie : Les Frontières
'e la France défendues & reculées ;
C l'Exergue : Mardico & Fa no
lancli Venantii captis , Ardrâ obji-t-
lione Liberatâ, M . DC. LVII. Mar-
\ick & Saint-Venant pris , & Ardres
tcouru , / 65 y.
Cependant il y avoit déjà un T^JfJ'S
:n que le Cardinal Mazarin , 6c Séger^Dun-
3romwel , Protecteur de la nou- keri'*e » & t
'elle République d'Angleterre ym
voient fait un Traité qui portoit,
\mq les François 6c les Anglois at-
M y
'A N N É ï
274 Histoire du Vicomte
i*jt; taqueroient, à frais communs, les
Villes de Dunkerque & de Grave-
lines ; que la première de ces Pla-
ces feroit pour l'Angleterre , & que
l'autre refteroit à la France : &
comme Cromvel demandoit l'exé-
cution de ce traité , d'un ton qui
faifoit appréhender qu'il ne rom-
pît avec nous , fi on n'afliégeoit au
Au eom- plutôt Dunkerque , le Vicomte de 1
îfeMaiî"" Turrenne eut ordre de s'avancer de |
ce côté là , pour voir ce qui s'y
pourroit faire. Il n'y avoit person-
ne qui ne regardât ce fiége com-
me une entreprfe chimérique ; car
attaquer Dunkerque avant que d'a-
voir pris Furnes , Bergues ck Gra-
velines , c'étoit être aSiégé en fai-
fant un fiége , puifque ces Villes J
environnent Dunkerque. L'attaquer i
au mois de Mai , il n'y avoit point
encore de fourage fur la terre : at- .
tendre plus tard , c'étoit donner le
temps aux Efpagnols de venir en
corps d'armée défendre les abords
de cette Place % qui font très-ma-
récageux & tout entrecoupés de
«anaux ? & par conséquent hazar-
de Turenne. UvAlI. ijj
ier une bataille dans un terrein A N N É ,
crès-favorable pour les ennemis , 1*58.
5t fort défavantageux pour nous.
Néanmoins , comme les Efpa-
*nols faifoient de très-grandes of-
fres à Cromwel pour l'engager à fe
oindre à eux , & qu'il s'agiffoit
le conferver ou de perdre une al*
iance fi importante > le Vicomte
le Turenne réfolut de tenter cet-
e entreprife 9 quelque impoffible
[u'elle parût à tout le monde,
lyant donc tiré les troupes de
eurs quartiers , Se afTemblé fon ar-
aée , il marcha vers Dunkerque. A
a nouvelle de cette marche , les
nnemis lâchèrent toutes leurs
clufes 9 de forte que, quand le r.e ij $&à
Vicomte de Turenne fat arrivé à
îergues , outre une efpece de lac ,
[ue fait en cet endroit l'épanche-
nent de la Colme , il trouva -tout
e pays couvert d'eau , & rempli
le marais Se de watergancks. Il
te reftoit pour tout paffage que la
ligue qui va de Bergues à Dun-
:erque , chemin que les pluies de
'hiver avoient entièrement rom-
M v$
276 Histoire du Vicomte
pu , & qui fe trou voit même en
quelques endroits inondé ,. comme
toute la campagne qui étoit des
deux côtés. Les Efpagnols avoient
deux grands Forts fur cette digu€
pour nous en difputer le paiTage,
Ils y avoient fait entrer deux rnilh
hommes , & ces deux.Forts fe dé
fendoient mutuellement , étant i\
la portée du canon l'un de l'autre I
Il y avoit un grand nombre de re
doutes fur les rivières & fur les ca
naux : on ne pouvoit pas s'arrête:
dans la marche , tout étant couver
d'eau ; &: il falloit de nécefïité em
porter tout de fuite les forts j
les redoutes ; & les pafTages qui
étoient fortifiés. Outre cela , 1<
Marquis de Leede , Capitaine con
fommé dans l'art de défendre le: ii
Places, &C qui avoit défendu h\
ville de Dunkerque douze ans au
paravant , lorfque le Prince de Con
dé l'avoit alTiégée , venoit de û
jetter dedans avec tout ce qu'il }
avoit de troupes dans le voifinage ;
&: prétendcit, non-feulement foute
nirvigoureufementle fiége de cette
DE TURENNTE. Liv. III. IJJ __tA_
VïWe , mais encore nous empêcher A
I approcher des environs, par le 1645»
noyen des troupes qu'il a voit fait
Lvancer en grand nombre fur la di-
|;ue , & qu'il avoit envoyées vers les
brts,
Tant de difficultés auroient pu Difficultés
ebuter le Vicomte de Turenne ; ^uil eut à
nais il ne delelpera pas de les lur-p0ur y uùi
lonter : & perfiftant dans la ré-ver»
jlution d'exécuter fon deffeîn ,
lalgré les obftacles qui fe préferv-
Dient de tous côtés , il paffa la
k>lme ; il ordonna qu'on fît un
rand nombre de fafcines ; il les
t jetter fur le chemin ? pour l'af-
ermir & le raccommoder; il fit
n quelques endroits enfoncer dans
eau des pieux qu'on couvrit de
•lanches , afin que les cavaliers
•uffent paffer deffus tenant leurs
hevaux par la bride -r il fit corn-
1er plufieurs foffés ; il fit chercher
2S endroits du marais les plus
&uts & les moins noyés ; il éta-
blit des paffages fur les watergancks
i for les canaux; il fit fonder par-
ij8 Histoire du Vicomte
Année tout le terrein ; précautions , qu
l6i8' néanmoins ne fervirent que pou
le paflage du bagage & du canon
Car Tordre de s'avancer vers Dur
kerque ne fut pas plutôt donné
qu'on vit tous les foldats , les ar
mes hautes , marcher hardiment
travers les eaux débordées, &-f
preffer à l'envi les uns des autres ,
qui pafïeroit le premier y quoiqu'il
euffentde l'eau jufqu'à la ceinture I
Toutes les Gardes des Efpagnol
prirent la fuite à notre approche j
fans attendre que nous les pouij
faffions. La plus grande partie dej
troupes qui étoient dans les fort,
& fur la digue , fe fauva dans Dun
kerque ; le refte fut forcé aprè
quelque réfiftance. Le Vicomte d«
Turenne s'empara des redoutes ;
dans lefquelles les ennemis voulu
rent lui difputer le paflage : il \t\
chaffa des réduits qu'ils gardoien
fur les canaux , & arriva enfin de
vant Dunkerque avec fon armée*
situation de La y^e ^e Dunkerque eft fi-
Dunkerque , , .,. - T .
ic préparatifs tuée au milieu de ces collines «
deTurenne. Liv. III. 279
ible blanc , qui s'élèvent au bord 7T7TT
e la mer Germanique , depuis Ca- 165s.
lis jufqu'à l'Eclufe , & qu'on ap- *™ vm-
elle Dunes ; nom qui vient du
ieux mot Dun , qui dans le lan-
âge des Celtes , fignifioit un lieu
tevé. Du côté du Midi , elle efl
îtourée de canaux Se de marais ;
s Dunes font également à fon
evant & à fon Couchant; & la
1er qu'elle a au Nord , & qui vient
ittre jufqu'au pied de ces Dunes
ins fon flux , laiffe à fec par fon
flux un efpace de grève d'envi-
>n cinq cens pas , qui demeure
îcouvert pendant la bafle marée .>
: qu'on appelle Leftrang , du mot
trang , qui , dans la Langue Teu-
nique , fignifioit Rivage , & qui
unifie encore la même chofe en
amand. Les eaux noyoient tou-
s les terres baffes autour de la
iace ; il n'y avoit aux environs 5
. couvert , ni bois , pour les hutes
is foldats. Le Vicomte de Tu-
:nne fut obligé de faire venir de
alais ? par mer , tout ce qui étoit
*8o Histoire du Vïcomte
néceffaire pour les travaux du fie
ge , ôc poiu* la fubfiftance de l'a
mée , des vivres , des fourages I
des outils r des paliflades, & ju j
qu'à des fafcines , dont on avo^j
befoin pour affermir les retranch* 5
mens qu'il falloit faire aux Dunei i\
dans un terrein fablonneux , & qi j
s'éboule aifément. Lorfque tout»j
ces chofes furent arrivées , il il
travailler aux lignes ; il les il
commencer fur le bord de la me
au pied des Dunes qui font 1
Levant de Dunkerque ; d'où pa
fant par-deffus ces Dunes, ell
alloient gagner , en tournant autoi
de la Place , les canaux de Furne:
du Honfcote , de Bergues , c
Bourgbourg , de Mardick; & paffai
fur les autres Dunes qui font a
Couchant de la Ville , elles aboi
tifToient à Leftrang ; faifant ainfii
dans leur contour une efpece d
crohTant, qui avoit la mer à foi
ouverture. Cromwel , en exéci
tion du traité fait avec nous , er:
voya de ce côté là une, arméi
deTurenne. Llv.III. i8i _
avale > pour empêcher qu'on ne A M N È .
îttât du fecours dans la Place par 16&
et endroit : de forte que la ville
e Dunkerque fe trouva entiére-
îent invertie par mer &: par ter-
;. Néanmoins , pour clorre tout-
-fait notre camp , il nous reftoit
icore à fermer Leftrang : cette
endue de près d'un quart de lieue,
ii, demeurant à fec durant fix heu-
s chaque jour & chaque nuit ,
iffoit aux ennemis un chemin fa-
le , pour venir à Dunkerque ; ou
| Nieuport , du côté du Levant;
i de Gravelines du côté du Cou-
lant. Pour leur barrer ces deux
iflages, le Vicomte de Turenne
folut de faire deux eftacades par
travers de Leftrang , c'eft-à-di-
• , depuis le pied des Dunes où
îhToient nos lignes , jufqu'à l'en-
•oit où la mer fe retire dans les
arées les plus baffes, Il fit donc
îfoncer très-profondément dans
grève de gros pieux , qui for-
cent neuf pieds hors de terre :
les fit lier enfemble d'une chai-
N N
282 Histoire, du Vicomte
ne de fer doublement entrelacé"!
**$*.* ° il fît faire derrière ces pieux , ui
efpece de barrière de tous les ca;
fons de l'armée qu'on rangée.
le long de l'eflacade , quand I
mer defeendoit , & qu'on ôt<J
avec les chevaux , loriqu'elle coïc
mençoit à remonter : enfin , po ]
s'affurer tout-à-fait de Leflrang , j
fit échouer dans le fable , derrie
ces caillons , pluiieurs barques
chaloupes armées , dont le can
défendoit les abords de l'eftax
de ; & pour furcroît de préa
tion , il faifoit garder les bords
la mer par une partie de fa ca^
lerie durant toute la nuit. Ap:
ces mefures prifes , il n'y avoit p
rien à craindre , finon que les I
pagnols ne fe faififTent de quelqi
Dunes fort hautes qu'on n'av<
pas pu enfermer dans notre cira
vallation , parce qu'elles en étoie:
un peu trop éloignées : & cornu,
du fommet de ces Dunes on voy< »
à découvert nos troupes, le Vicom
de Turenne les occupa ôc y fit fait
DE ÎURENNE. Llv. III. 183
(S retranchemens. Tous ces tra-
jux étant finis , & les fix mille An- Uj$*
pis , que le Commandant de l'ar-
me navale avoit fait débarquer ,
jtant joints à notre armée , fous
! ordres de Milord Lockart , on
jhibua les portes aux Officiers
|:néraux : on fit plufieurs ponts fur
canaux pour la communication
; quartiers : le Vicomte de Tu- u 7 juîk
ne fit ouvrir la tranchée , & le
rdinal Mazarin amena le Roi
;c toute la Cour au fpe&acle de
te grande entreprife. On fit d'a-
•d deux attaques , à l'une déf-
iles on employa les François ; &c
autre , les Anglois. Le Vicomte
Turenne ne fe coucha point les
îmieres nuits, pour mieux difpo-
toutes chofes par lui-même : &
neveux , le Duc de Bouillon ,
le Comte d'Auvergne , qu'il
)it amenés cette année - là en
impagne avec lui ,1e fuivirent par
lit.
Durant les premiers iours du Premïef5s
.1 r r 1 r r • \ attaques &.
!ge, il le fit plufieurs lorties oufomcs.
ï§4 Histoire du Vicomte
A N y É E les AfTiégés , qui vinrent plufiein
1^58. fois attaquer les Afliégeansen grar;
nombre & fort vigoureufemen»
furent toujours repouffés par un pi
grand nombre ÔC avec une pareil «
vigueur. On preffoit vivement il
attaques : on avançoit les trava t
avec ardeur : on avoit même enle j
quelques paliïïades fur le glacis ,
quelques traverfes dans le chen
couvert , &Fonitoit tout prêt à
loger fur la contrefcarpe.
Les Efpa- Cependant les Efpagnols n'<
gnolsvontau .:*, 1 ^s. • ° t^
recours; de rent Pas plutôt appris que Dl
Dunkcrque. kerque étoit inverti y qu'ils réfo!
rent de fecourir cette Place , à qu
que prix que ce fût : ils leven
un fubfide particulier fur tous
peuples de la Flandre pour l'exéc
tion de ce deffeiri.Ils convoquera
le ban & Tarriere-ban '9 ils tiren
toutes les garnifons des Places ;
raffemblerent toutes leurs troupe
comme s'il fe fût agi de la confen
tion ou de la perte entière des Pa}
Bas ; fi bien qu'en très-peu de teii
ils formèrent la plus nombrev
be Turenne Z*V. ///. 285
née qu'ils enflent encore eue fur A N N è E
•d. Le Prince de Condé &t Dom i6<i,
in d'Autriche , à la tête de cette
née , qui s'étoit aflemblée aux
/irons deNieuport, s'avancèrent
•s Dunkerque , & le Maréchal
[ocquincourt , qui s'étoit jette
mis peu dans leur parti , s'étant
)roché trop près de nous , en nous
tant reconnoître fut tué d'un
ip de moufquet par quelques fol-
5 avancés.
Dès que le Vicomte de Turenne Turenne
que les ennemis venoient à nous , marche à eux,
;s alla reconnoître ; & ayant vu
: toute leur armée étoit déjà en-
à de Furnes , marchant au mi-?
l des Dunes pour nous venir at-
uer , il réfolut de les prévenir,
'en retourna promptement de-
it Dunkerque ; il laifîa un nom-
fuffifant de troupes pour carder r
01 1 / Ti 1 Le 15 Juin.
:amp 6c les tranchées. 11 voulut
>liquer à Milord Lockart les rai-
s qu'il avoit d'aller combattre les
îemis : mais ce Général le pria
ne s'en point donner la peine ;
, i86 Histoire du Vicomte
A * ï e e difant qu'il s'en rapportoit biei;
X658. lui 9 & qu'il s'informer oit de <t
raiions après la bataille , s'il en I
venoit. 11 emmena donc les Anglî
avec le refte de l'armée : 6c m
chant au milieu des Dunes , du c< :
d'où venoient les Elpagnols , il(
tant de diligence , qu'il arriva ? \
portée du canon de leur armcji
avant qu'ils furTent que nous fufli«
fortis de nos lignes. Les enne:
furent bien furpris de nous voi
près d'eux : ils ne s'étoient avan
vers Dunkerque que pour don
courage aux affiégés ; ils n'avoi
point encore leur canon ; &
avoient fait leur compte de r
venir aux mains que lorfqu'il
roit arrivé : mais le Vicomte (
Turenne , voulant les attaquer I
le lendemain , fe faifit des \ \
hautes Dunes qui étoient aux ei t
rons , &t employa la plus grai)B
partie de la nuit à les fortifier A
des retranchemens. Il dreffa l'or H
de bataille tout prêt,& ayant pou: u
à la fureté des bagages oc à la ga *
DE TURENNE.Zn>./77. 287
1 camp , il fe coucha dans le fable £~ ^
une Dune , enveloppé de fon man- 1 *5 s.E
au , &: dormit ainfi jufqu'à la poin-
du jour , qu'il monta à cheval
)ur ranger ion armée.
U compofa fa première ligne de Difpofuïon
x bataillons & de vingt-huit efca- de fon camP«
ons de cavalerie , quatorze à l'aile
oite , & quatorze à l'aile gauche ,
le canon étoit à la tête. La fe-
nde ligne étoit de fept bataillons
de dix-huit efcadrons de cavale-
, neuf à la droite , &: les neuf
très à la gauche. Quatre efcadrons
Gendarmes étoient derrière la
j emiere ligne , pour foutenir l'in-
jiterie du, corps de bataille; & les
! efcadrons de cavalerie , qui fai-
.ent la réferve , furent placés à
e afTez grande diftance , derrière
.ite l'armée , afin qu'ils fufTent à
>rtée de fecourir même nos trou-
•s devant Dunkerque , en cas de
foin. Sa prem: ère ligne occupoit ,
rfon front de bandiere, tout le
tvers des Dunes avec la prairie
i eft à droite ? & Leftrang qui efi
iS8 Histoire du Vicomte
Année à gauche ; c'eft-à-dire tout cet t<
1^58. pace qUi eft depuis le flot de la m«
jufqu'au canal de Furnes , 6c qui
plus d'une lieue d'étendue. Comn
la pente des Dunes eft affez doue
on y rangea les bataillons 6c les (
cadrons , à leur diitance & à le j
mefure naturelle. Les lignes , à 1
vérité, étoient haut & bas , fuiva
la difpofition du terrein : mail
malgré fon inégalité, elles étoiel
drenees avec tant de juftefTe , qu'<
les paroilïbient avoir été tirées I
cordeau. Le Vicomte de Turen j
donna l'aîle droite à command
au Marquis de Crequi , l'aîle gs
che au Marquis de Caftelnau, i
le corps de bataille aux Marquis - i
Gadagne 6c de Bellefond; & po^
lui , il fe mit au centre de l'arme
Le Comte de Schomberg , les Me '
quis d'Humieres 6c de Varenne
6>C le Baron d'Equancourt , qui îi I
foient la fonction de Lieutenar
Généraux furent diftribués aux pc
tes où ils dévoient être employa
Le Général Lockart commanda 1'
Angloi'
DE TURENNE.Z/v. ///. 289
^nglois , le Comte de Ligneville ÂTTTi
ies Lorrains , le Comte de Soiffons ^s8*
es SuilTes , dont il étoit Colonel
Général , le Marquis de la Salle les
Gendarmes, & le Marquis de Ri-
:helieu le corps de réferve. Le
Domte de Buffi Rabutin y fit fa
:harge de Mettre -de- Camp -Gé-
téral de la cavalerie. Le Duc de
îouillon , Grand Chambellan de
rance , & fon frère le Comte
'Auvergne , fervirent par ordre
u Vicomte de Turenne , à la tête
e fon régiment d'infanterie , com-
te fimples volontaires , quoique le
)uc de Bouillon eût un régiment
lui.
Quant aux ennemis , le Prince DJrp0fitÎ0ïf
î Condé, 6c Dom Juan d'Autriche de celui dis
rent aufîi mettre leurs troupes en Ef?asnolî*
rdre, avec toute la diligence poiîi-
e , y employant tous les Officiers
énéraux , qui eurent bien de la
îine à en venir à bout dans un ter-
,infi extraordinaire. Ils ne firent^
,proprement parler , de toute leur
imée, qu'un corps de bataille fans
'les. Ils mirent fur une feule ligne **N
N
A K N
490 Histoire du Vicomte
toute leur infanterie , foutenue pc
ï^7«* * quatre lignes de cavalerie en
étoient derrière. Ces lignes n;
voient pas plus d'étendue que
travers des Dunes , & n'alloient qi
jufqu au bord de Leftrang d'un c<
té , & jufqu'au commencement <
la prairie de l'autre. Les Générai
n'avoient ofé mettre des troupes i
Leftrang comme nous y enavior*
parce que le Vicomte de Turen jj
avoit fait avancer vis-à-vis Tel
droit où l'on auroit pu les pla<^
une partie des vahTeaux Anglo j
qui avoient ordre de faire feu con î
tous les Efpagnols qui paroîtroii t
fur le rivage. Dom Juan d'Autric r
prit le commandement de la dr -
te qui regardoit la mer. Il av^
pour Lieutenans-Généraux ,1e E :
d'Yorck , qui avoit été obligé def I
tir de France , & le Duc de Gloc -
ter , tous deux frères du Roi d'i -
gleterre , Dom Eflevan de Gama e
& le Marquis de Caracene. Il I
toit faifi d'une Dune , qui étoit s
cent pas plus avancée vers nousc e
ïes autres \ cette Dune étoit tr -
2>E TURENNE. Liv. ÎIÎ. 191 ,
hatite & très efcarpée : il y avoit a^é^
porté un de fes bataillons , & il en l6^
ivoit fait avancer un autre derrière
30ur le foutenir. Le Prince de Con-
ié eut le commandement de la gau-
:he de l'armée qui étoit du côté de
a prairie que le canal de Furnes
raverfe , & qui efl toute entrecou-
pe de petits fofTés. Ce Prince fit ai-
ément la communication de ces
1 3ues ôt du canal , fur lequel il fit
I lire cinq ponts avec des barques.
I lomme fa cavalerie ne pouvoit être
1 mployée dans la prairie, à caufe des
; >fles , il la rangea dans l'efpace qui
El (t depuis le pied des Dunes jufqu'à
[bs fofTés , fur fept lignes plus ou
thoins longues , félon la difpofition
mi terrein. Il mit dans un lieu un
Heu plus couvert, devant fa cava-
le rie , un de fes bataillons ; & il
'ignit tous les autres à ceux de
ii'om Juan , pour achever de for-
er cette groffe ligne d'infanterie ,
è|.ii étoit à la tête de l'armée Efpa-
iiiole. Il avoit fous lui , pour Lieu-
Élnans-Généraux , les Comtes de
îloligny , de la Suze , de Meilles,
N ij
292 Histoire du Vicomte
ji n n é E de Guitaud , de Perfan , 6c de Bou
i6j9, teville , & pour Maréchaux-d<
camp , les Marquis de Ravenel , d
RomainyiHe & de Rochefort.
Fin du Livre troljîcmc,
HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE.
LIVRE QUATRIEME.
E s chofes étant en cet : ; —
t o 1 i ,Annee
état, oc les deux armées l6^.
n'étant éloignées que d'un BataUle dcs
quart de lieue l'une de Dunes.
e Vicomte de Turenne
mmença à faire canoner celle
•s ennemis. Comme ils n'avoient
jûnt de canon, & qu'à cette dif-
lice nous pouvions leur tuer beau-
« up de monde avec le nôtre , fans
«'ils puffent nous bleffer perfon-
N iij
' 294 Histoire du Vicomte
'A N | é £ ne , il femble qu'ils auroient di
i^j8. s'approcher au plutôt de nous
pour ne pas fouffrir la perte qu
leur caufoit notre artillerie dan
cet éloignement , & rendre la pai
tie égale. Néanmoins fe conten
tant de refferrer leurs rangs à me
fure que notre canon les éclairci
foit , ils ne rirent aucun mouv< j
ment pour s'avancer vers nous ; (o j
qu'ils ftiffent abfolument réfolus il
ne point engager la bataille, qujl
n'euffent leur canon : ou qu'ils pr< 1
tendiffent tirer de grands avant h
gesde la confufion où ils croyoie. ::
que nous ne pouvions nous emp<
cher de nous mettre en marchai
Quoi qu'il en foit , le Vicomte ( i
Turenne , voyant qu'ils deme
roient immobiles dans leurs pofle
fit avancer fon armée. Il n'y av<
qu'une heure qu'il faifoit jour , S
il n'étoit encore que cinq heur'-l
du matin. Il ordonna au Marqi
de Créqui & de Caftelnau , c
étoient à la tête des Efcadrons :
nos deux ailes , de modérer le '
ardeur dans les approches , & '■
DE TURENNE Liv. IV. 2Ç)J
ie commencer le combat , que a n » è &
srfque l'infanterie feroit arrivée l6ig>
t pourroit donner en même-tems
ue la cavalerie. On monta &c
n defcendit plufieurs fois dans les
)unes : à chaque fois que le ca-
on fe trouvoit fur les hauteurs ,
n en tiroit quelques volées fur
armée ennemie , &C l'on fit ainfi
uatre ou cinq décharges durant
. .marche. On alloit au petit pas ,
in de pouvoir garder les rangs
ins un terrein fi inégal : on étoit
uvent obligé de s'attendre les
îs les autres , pour les redreffer ;
3 forte qu'on mit trois heures à
ire le quart de lieue qui étoit
litre nous & les ennemis ; le Vi-
>mte de Turenne reconnoiffant
■jours davantage leur difpofi-
pn , leur contenance , & leurs
j»rces , à mefure qu'on approchoit
us près d'eux. Il étoit huit heu-
», quand on fut tout-à-fait en
"éfence. Alors le Vicomte de Tu-
nne ayant fait remettre en ordre
! que la marche a voit dérangé ,
fe montre à tous les corps de
N iv
it)6 Histoire du Vicomte
l'armée avec un air de gaieté \
qui infpire de la confiance à tom
le monde , & il fait marcher au*
ennemis. Comme les Anglois , pai
le rang qu'ils avoient dans notre
première ligne , fe trouvèrent juf
tement vis-à-vis de cette haute Du
ne que les Efpagnols avoient oc
cupée , & qui étoit plus avancée
vers nous que les autres ; lorfquj
dans la marche , ils furent arrivé!
au pied , le Vicomte de Turenni]
envoya prier le Général Lockat
de s'en rendre le maître. Il donn; i
ordre en même-tems au Marqui
de Créquy , de charger les ennemi
avec fon aile droite ; & au Mar
^ quis de Caftelnau , de marcher 1 \
long de Leftrang , 61 de fe replie
fur les ennemis , pour les prendr
en flanc , s'il pouvoit , avec fon a: l
le gauche. Les Anglois monten
aufîi-tôt avec ardeur ; la Dune l
trouve toujours de plus en plus ef I
carpée vers le haut : ils graviffen
dans le fable , & les rangs de der
riere foutenant ceux qui font de
vant avec la croffe du moufquet
DE TURENNE. LiV. IF. 297
Is fe pouffent l'un l'autre vers la A N N é E
ime : à mefure qu'ils en appro- is$8.
hent davantage , les Efpagnols
2s renverfent à coups de piques :
1 réfiftance irrite le courage des
inglois, ils grimpent de tous les
ôtés avec acharnement , ils s'ac-
rochent aux armes même des
nnemis , ils faififfent la pointe des
allebardes dont on veut les per-
sr , & ils s'en aident pour mon-
r. Ils arrivent enfin fur le fom-
iet de la Dune , ils y plantent leurs
rapeaux > & ils en précipitent
s Efpagnols. Notre infanterie fe
•int aux Anglois au-delà de cette
•une ; & le Régiment de Turen-
ï , s'étant avancé hors de la li-
îe , chargea vigoureufement deux
itaillons des Efpagnols , & les
>mpit. Ces deux bataillons prirent
fuite avec tant de défordre y
l'ils entraînèrent avec eux la ca-
[îlerie qui de voit les foutenir : &C
Lieutenant-Colonel du Règl-
ent de Turenne fut bleffé à mort
ms cette aftion , entre le Duc de
2.98 Histoire bu Vicomte
Année Bouillon & le Comte d'Auvergne
i??*- Cependant le Marquis de Ca£
■couCea?«Ef- telnau aYant 9 felon l'ordre di
pagnois , & Vicomte de Turenne , fait marche:
Us charge a- je iong je Leftrang la cavalerl
yec vigueur. , A& ,., & , .
de laile quil commandoit , pn
non-feulement en flanc les enne
mis , mais fe jetta brufquement er
tre leur première & leur fécond
ligne ; & ayant ainû coupé leui
rangs, les prend à revers , les cha: J
ge de tous les côtés , & les jettl
dans une très -grande confufioil
Tous ceux qui pouvoient encor :
s'enfuir , fe fauverent. De ceu
de la première ligne , qui ne 1 'is
pouvoient pas, on fît prifonnier
ceux qui voulurent bien fe rendre
& on parla les autres au fil de l\ >\
pée.
Turenne Le Vicomte de Turenne s'éto
x'oppofe aux toujours tenu jufques-là au centr
ir"£de l'ornée, d'où il envoyoit pa.
remporte une tout fes ordres , & des troupes
Pleine vi^i- fuivant les befoins. Il obfervoit d
haut des Dunes , tout ce qui f
paffoit j & voyant que le Marqui
DE TURENNE. Lïv. IV. 299
le Créquy s'engageoit trop avant aTTTT
lu milieu des ennemis , il courut i6^*
ufïi-tôt de ce côté-là. Ce Mar-
dis avoit d'abord fait plier l'aîle
;auche , qu'il avoit eu ordre d'at-
aquer, & il l'avoit même pouffée
»rès de quatre cens pas devant lui :
îais , comme il n'étoit fuivi que
ar quatre efcadrons , les Efpa-
nols , ayant reconnu le peu de
ens qu'il avoit avec lui , l'eurent
ientôt ramené battant jufqu'au
ont de notre aile droite. Le
I rince de Condé , qui avoit cou-
lime de pouffer les fuccès auffî
• an , qu'ils pouvoient aller , vou-
i I tirer avantage de celui-ci ; & s'é-
nt mis à la tête d'un grand corps
I I cavalerie > avec les Officiers gé-
ikaux & toutes les perfonnes de
i-ialité de fon armée , il chargea
j.goureufementle Marquis de Cré-
Liy; il rompit même quelques-uns
2 nos rangs ; & peu s'en fallut
ae , perçant à travers notre ar-
lée , il ne pénétrât jufqu'à Dun-
srque ? ôc ne fecourût la Ville
N vj
N N E E
300 Histoire du Vicomte
afliégée , après avoir perdu la ba-
**$*• taille. Mais le Vicomte de Tu-
renne , étant venu juftement dam
ce tems-là pour foutenir le Mar-
quis de Crequy ; mena lui-même
à la charge les efcadrons de notre
aile droite , enveloppa prefque en
tiérement ceux du Prince de Con
dé; & les prenant tout -à -la- foi'
par la tête & par les deux flancs i
fit faire une fi furieufe déchar g i
fur ce corps de cavalerie, qu':!
l'ouvrit en plufieurs endroits. Il ;
fait entrer aufli-tôt le Comte dl
Buffy, avec des troupes fraîche- ■
Les ennemis tombent de toute
parts , ou morts , ou bleffés , 0
démontés , fous le feu de nos gens
tout plie , tout fe renverfe. L
Prince de Condé rallie jufqu'à troî
fois fes efcadrons ; mais , ayari
toujours été rompus par le Vicom
te de Turenne ? ils fe lafTent enfi;
de revenir tant de fois à la charge
Le Prince s'avance encore une foi
vers nous , pour redonner du coi
rage à fes Soldats : il s'expofe me
BE TURENNE. Liv. IF. 30T
lie beaucoup plus qu'il ne l'auroit A N N ~£ "M
lu , croyant leur inipirer par ému- isjs.
ation quelque defir de gloire ;
nais il n'en fauroit venir à bout.
Tous fes gens rebutés l'abandon-
ent , à la réferve des Seigneurs
'rançois, qui , fiers d'avoir ce Prin-
e à leur tête , ne favent ce que
l'err. que de fe ménager. Cepen-
ant le Vicomte de Turenne, pouf-
I tnt toujours avec la même vigueur
; Prince de Condé, l'approcha en-
n de fi près , que le cheval de ce
rince fut tué dans une décharge :
JÉpuffoles , l'un de {es Gentils-
ommes , lui donne aufli-tôt le rien
tix dépens de fa liberté , ayant été
lit prifonnier , ainfi que les Com-
hs de Meilles , de Coligni , de
oute ville , & le Marquis de Ro~
nainville , qui fe facrifierent pour
livorifer la retraite du Prince , &
iiuver fa perfonne. Comme cette
iéfaite de l'aîle gauche des en-
semis arriva prefqu'aufîi-tot que
elle de l'aîle droite , on vit aufîi
xite leur armée fe retirer pref-
u'en même -tems. Le Vicomte
301 Histoire du Vicomte
[Année de Turenne commença par ren-
ias, voyer le Marquis de Richelieu de-
vant Dunkerque , avec la Réferve
afin que , par ce renfort , les trou
pes qui y étoient refiées fuffent er
état de s'oppofer aux forties que
les Afîiégés pouvoient faire. Il f<
mit enfuite à pourfuivre les enne
mis. Ils abandonnent par-tout leur
poftes devant nous ; on les chaff»
de toutes les hauteurs , & on le
fuit la pique & l'épée dans les rein
à leur defcente au bas des Dunes
& jufques dans les fonds où ils au
roient pu fe rallier. Les ennemi
font réduits à chercher leur falu
dans la fuite , ou dans la compaf
lion de nos foldats.
., . , Les Lorrains font prifonnier
Suites de cet- . , r 11*
te viaoirc. ceux qui veulent le rendre : les An-
glois font main baffe fur tout , &: n<
veulent faire quartier à perfonne
Prefque tous les Officiers de l'ar-
mée du Prince de Condé avoienl
été pris ; mais le François , né hu-
main & généreux , les laiffa allei
pour la plupart. On pourfuivit les
ennemis jufqu aux portes de la
DE TURENNE.IzV.W. }e>3
pille de Furnes , derrière laquelle a n m f s
ls fe retirèrent. On fit plus de l658»
quatre mille prifonniers ; on mit
eur cavalerie en déroute : la rrweil-
eure partie de l'infanterie fut dé-
aite ; &c toute leur armée tellement
liffipée & détruite , qu'à peine pu-
ent-ils mettre fix mille hommes
nfemble, pendant le refle de la
jampagne. Pour ce qui efl dte
ous , nous n'y eûmes que très-
eu de Soldats tués ou bleffés. Le
ricomte de Turenne ne fuivit pas
armée Efpagnole plus loin, Vou-
I m retourner au plutôt au fiege ,
: rallia les troupes qui s'étoient
n peu difperfées ; il renvoya au
rince de Condé douze defes Gar-
| es ; il donna ordre qu'on menât
I refle des prifonniers 011 on de-
oit les conduire : il fit defcendre
evant Dunkerque, par le canal
le Furnes , les barques chargées
ie munitions , que les ennemis
voient fait venir avec eux par ce
anal pour leur fubfiflance ; &c il
întra avec l'armée dans fon camp,
Chacun y prit fon premier pofle :
3°4 Histoire du Vicomte
A « n é e *e Vicomte de Turenne y pana 1:
ifyfc. nuit à cheval 9 crainte de furprift
& fit commencer quelques fapes
qui fervirent le lendemain pour le;
approches : on les pouffa avec cett<
confiance &c cette fierté , que don
ne une victoire remportée. Les Af
fiégés , de leur part , quoique fan
efpérance de fecours,fe défendoier
toujours avec la même vigueur ; ê j
l'on fut encore trois jours à prendr
la contrefcarpe , au pied de îaquell
on étoit avant la bataille.
De notre côté 9 le Marquis d
teinau ! fait Caftelnau reçut une bleffure , dor
Maréchal de il mourut quelques joiu*s après
furTde Leede^ avec la trifte confolation d'avoi ,
& prife de été fait Maréchal de France , lor:|
to îue* qu'il fut abandonné des Médecins i
& qu'on fut qu'il n'en pouvo:
plus réchapper. Du côté des er
nemis , le Marquis de Leede fu
bleffé à mort , le deuxième jou
après notre retour au fiege. Enfin
tous ks dehors ayant été empor
tés , 6c nos troupes étant logée
au pied du dernier ouvrage , 1
iei4Juin.yine fe rendit ,. le feptieme jc»ii
BE TURENNE.ZzV./r. 3O5 ___
orbs la bataille , Se le dix-huitieme A N N é jj
epuis l'ouverture de la tranchée; iôjS,
:1e Roi y entra comme en triom-
he.
' Pour conferver à la poftérité
mémoire de cette importante
pnquête, & celle de la victoire
?s Dunes, qui l'avoit précédée,
1 frappa les deux Médailles n°. 8
j 9-
| La première fait voir une vie- tMedaiflej
I ire , qui , le caducée en main ,
larchoit fur les ennemis terrafles.
\ es mots de la Légende : ViHoria
Itcifera , lignifient : La Victoire ap-
erçant la Paix» Ceux de l'Exer-
1e : Hifpanis cœjis ad Dunkercam.
Il, DC. INllliLes Efpagnols dé-
I lis près de Dunkerque , / 658.
\ La féconde repréfente une autre n, Médaille
j&oire , qui tient un bouclier ,
1 font les armes de la ville de
unkerque. La Légende : Dunkerca
'■rum capta , fignifie : Dunkerque
jfe pour la féconde fois. A l'Exer-
ie eft la date de n
Ces deux avions étoient û MafarînexIT
i 01 t • . ge de Tuten-
andes , ex le mente de les avoir ne de le «-
3°6 Histoire du Vicomte
Année faites avoir quelque chofe de fi fk
1658. teur , qu'il ne faut pas s'étonner :
connoîtrc au- le Cardinal Mazarin témoigna un
teu&dd Ce flé ^ ardente envie de faire croir
bataille ;"« dans le monde , qu'il en étoit l'Ai
que Turenne teur ? & que ia gloire lui en éto !
due. En effet , il découvrit , fi
cela toute fa foiblefle au Comt
de Moret, fon favori ; & il le cha i
gea de négocier cette affaire ail
près du Vicomte de Turenne , a I
quel il l'envoya. Le Comte cl
Moret avoit ordre d'engager cl
Général à écrire une lettre , p; j
laquelle il témoignât que c'étoit ! I
Cardinal Mazarin qui avoit conçi
le deffein du fiége de Dunkerquel
& dreffé le plan de la bataille d<|
Dunes; & qu'on n'avoit exécul!.
en campagne , que ce que ce M:
niftre avoit projette dans fon c;
binet. On lui avoit recommand
de manier adroitement cette affain
& d'infinuer plutôt les chofes , qu
de les dire. Le Comte de Moret
qui fa voit que c'eût été le \n
moyen d'échouer auprès du Vicoir
te de Turenne 3 naturellement en
DE TURENNE. Liv. IV. 307
«mi des détours & des artifices , a n n é s]
i dit tout franchement ce que le I<5*8;
ardinal Mazarin fouhaitoit de lui ;
iffurant, qu'en cas qu'il voulût
ettre à prix cette complaifance ,
paffion du Cardinal fur cela étoit
vive , qu'il n'y avoit rien qu'il
accordât pour fe fatisfaire. Le Vi-
>mte de Turenne ne balança point
r la réponfe qu'il devoit faire à
ie pareille propofition. Il dit au
Dmte de Moret , que le Cardinal
azarin pouvoit fe fervir de tels
oyens qu'il lui plairoit pour faire
oire qu'il étoit un grand Général
armée ;qu'il n'empêcheroit point
l'on ne le crût ; mais que , pour
lettre qu'il lui demandoit , il fe-
it très-râché de fournir quelque
re qui pût autorifer une chofe
>ntraire à la vérité. „ . „
Cette reponle etoit moyti- renrecherchc
mte pour le Cardinal Mazarin ; pas engins
bnmoins il ne pouvoit s'empê-
ter de rendre Juftice au mérite
.1 Vicomte de Turenne ; il admi-
)it fon défintéreffement ; il le re-
irdoit comme le feul homme qui
308 Histoire du Vicomte
Année pût le foutenir dans une révolutioi
16 s* de fortune ; & il tâchoit , par tou
tes fortes de moyens , de forme
des liaifons avec lui. Il n'étoit pa
trop bien dans l'efprit du Duc d'An1
jou, qui étoit alors l'héritier pré'
fomptif de la Couronne : de fort
que , voyant le Roi réduit à l'extu
Le ( Juillet. m^ Par *a malacke dont ^ ^ut a1'
taqué en ce temps-là 9 il envoya er \
core le Comte de Moret au Vij
comte de Turenne, pourfavoir s'
pourroit compter fur lui , en ca<
que le Roi vînt à mourir. Le Comt
de Moret > ayant propofé la chof '
au Vicomte de Turenne , ce Gi
néral lui dit , avec fa fincérité ac
coutumée , » que , comme il croyoi
» qu'il étoit du bien et de l'intérê
» de l'Etat , que le Cardinal Maza
» rin reftât dans fon pofte , il pou
» voit l'afTurer , que , fi le Duc d'An
» jou parvenoit à la Couronne , i
»lui préfenteroit très-fortemen
» combien il feroit dangereux d'ô
» ter le foin des affaires à un Mi
» mitre auffi établi que l'étoit alor:
» ce Cardinal «..On auroit bien vou
DE TURENNE Liv. IV, 309
qu'il eût promis d'employer fon XTTT"i
mée pour le maintenir dans le 1658.
jiniftere; ôtle Comte de Moret
: , pour cela , tout ce que fçauroit
jire un négociateur affectionné &
ibile : mais le Vicomte de Tu-
inne ne voulut jamais s'engager à
j:tre chofe , qu'à ce qu'il avoit pro-
iis d'abord. Ainfi le Cardinal Ma-
Jrin fut dans de grandes inquié-
jdes, tant que le Roi fut en dan-
Ir : mais le Roi recouvra enfin fa
iité.
I Le Vicomte de Turenne , qui Turenne fou-
;oit fufpendu l'exécution de fes^f^
iffeins, à caufe de la maladie de
I Prince , en pourfuivit le cours
3 tôt qu'il reçut la nouvelle de fa
i nvalefcence. Depuis la reddition
'■* Dunkerque, il s'étoit rendu maî-
iî , en moins de huit jours , du
-Art de Linck, & des Villes de Ber-
■ es , de Furnes , & de dixmude.
.Drès cela , il favorifa la prife de
^avelines, en couvrant l'armée
ià. en fafoit le fiége. De Grave-
lies, il va paffer la Lys à Deynfe;
ife faifit du Château de Gavre fur.
3ï0 Histoire x>v Vicomte
A n n é*e l'Efcaut ; il marche à Oudenarde
i^j8. il trouve en chemin le Comte c
Chamilly , à qui le Prince de Cor
dé avoit donné ordre de fe jett<
dedans avec trois régimens ; il et
te ? Sep-^ve ce Comte &: la moitié de fl
tembrc. troupes , & fe rend maître de
Ville. ^
En prend Après la prife d'Oudenardo
piufieurs au- ie vicomte de Turenne marche^
Menin , pour parler la Lys , & ail j
afliéger Ypres ; & ayant rencont
fur fa route le Prince de Lign
qui conduifoit trois mille ho mm
à Tournay , il les attaque , & I
en fait deux mille cinq cens prifo
niers. Il force les habitans de M
nin à laifTer parler fon armée i1
leur pont; il enlevé outre celai'
régiment de Dragons , que De '
Juan d'Autriche envoyoit da^
Le i7 Sep- Ypres, & réduit cette grande Vil
a capituler en cinq jours de lieg
après quoi il prend encore C
mines , Gramont , & Ninove ;
maître de tout le pays qui efl eni
l'Yper , la Lys & l'Efcaut , il envc
des partis jufqu'aux portes de Bi :
DE TURENNE. LiV. IV. 3 II
ûles , où le Prince de Condé & ~ , !
>om Juan d'Autriche avoient été 1*58.
bligés de fe retirer.
Pour immortalifer le fouvenir
I la prife de toutes ces Places , le
loi fit frapper la Médaille. N°. 10.
On y voit une Bellonne dans un
uar traîné par deux chevaux , &
j;tour d'elle trois Dieux-Fleuves
nverfés. Les mots de la Légen-
: ViUoriarum Impuus , &C ceux
l'Exergue : ad Scaldim , Lyfam
Yperam , M. DC. LVIII. figni-
nt , la rapidité des victoires de la
ance , fur VEfiaut ,fur la Lys 9 &
ïfTper, iG58.
I Cette rapidité de vicloires fit Les Efpa-
4'mbler l'Efpagne pour la perte snolsconfen-
r» t^ S,& „ * . iM • tent au ma~
<s Pays-Bas. Il eit vrai que lhi-riage de leur
flr mit fin aux expéditions du Vi- ïafanttT*vec
. r^ r ..,,,. Louis XIV.
Kmte de lurenne; mais il netoit
q|s impofîible qu'il prît le refte
I la Flandre l'année fuivante. Les
;lpagnols n'avoient de refTource
* e dans la pa i x ; 6c on vouloit bien
«leur accorder, à condition qu'ils
«nneroient au Roi, pour Epoufe ,
lifante Marie-Thérèfe, qui, à eau-
NÉS
311 Histoire du Vicomt»
le de la mauvaife fanté &; de la ma
i6jg, vaife conftruc~tion du Prince d'E.
pagne, étoit regardée comme l'h-
ritiere préfomptive delà Couronr j
Mais le remède , avec cette co
dition,leur parohToit pire quel
mal même : ils trouvoient , que c j
toit expofer leur monarchie à cl
venir, quelque jour, une fimtj
Province de la nôtre , n'y ay<]
pas d'apparence , que lorsqu'un F I
de France feroit maître des dej
Royaumes, il quittât le féjour
Paris pour aller faire fa réfider
à Madrid; & que faire la paix
ce prix , pour empêcher la pe
de la Flandre, c'étoit facrifler
Royaume pour fauver une Provin
Mais, d'un autre côté, ils confie
roient aum* , que , quand nous
rions pris le refte des Pays-Bas ,
nous venions à tourner nos am
contre l'Efpagne , où il n'y av
nulle Place forte, nous pourrions
faire la conquête, en bien moft
de tems que nous n'en aurions mij<
conquérir la Flandre ; & qu'il U I
feroit encore bien plus fâcheux d ?
DE TURENNE. Z/v. IV. 31}
•e à la France de cette manière- — —
. , que de l'autre. Ainfi, après y l6*8,
voir bien penfé, &: avoir d'ailleurs Le s Mai*
it renoncer l'Infante aux Etats du
oi fon père , ils fe déterminèrent
nous la donner : 6c on leur accor-
aufli-tôt une fufpenfion d'armes ,
fqu'à ce qu'on eût réglé les articles
1 traité de paix 6c du contrat de
iriage.
Comme Cromwel étoit mort
elque tems avant cette trêve ,
s'éleva alors en Angleterre un
rti conûdérable , qui prit les ar- Turenne s'ïn-
s en faveur du Roi Charles IL Le vè\fïM ré~
. . tabliflemene
comte de JLurenne , ravi de trou- du Roi d'An»
r une occafion de rendre iervice si«c"c
Roi d'Angleterre ; & perfuadé en
me-tems, que le rétabliffement
ce Prince feroit avantageux à la
I nce , réfolut de profiter de cette
sijon&ure pour le faire remonter
I le Trône il favoit que la flotte
cl ngleterre étoit dans la Mer Bal-
flie : il'voyoit la paix réfolue ôc
fifque conclue avec l'Efpagne ;
«l'y avoit rien à faire pour nos
«jupes ; dans le Royaume , du-
_ 3X4 Histoire du Vicomte
Année rant *a treve : ^ les fit donc fi
i6^. 1er vers les côtes de la Picardie
&C il s'avança jufqu'à Montreuil
afin d'être à portée de difpofe
toutes chofes pour l'embarquemer
qui fe devoit faire à Eftaples.
acheta , pour cela , tous les Vai |
féaux qui étoient fur la côte ,
toutes les munitions de guerre
•fcdrsé,deîrjade bouche néceffaires. Il dort
propre main ce qui lui refloit d'argent au D'
??v D,uc . d'York , qui vint à Montreuil :
d Yorck, oui ? *i
a été depuis lui oirnt , outre cela , la vaiie.
Roi d'Angle- dWent, &fon crédit p on rempru
ter de quoi tourmr a la depenie
cette expédition. Il voulut que :
neveux, le Duc de Bouillon &
Comte d'Auvergne , accompagn
fent ce Prince en Angleterre ,
l'affaire fut fi avancée , que Ton et
déjà à la veille du jour fixe pc
l'embarquement , lorfqu'on apf
que le corps de troupes , qui
toit déclaré pour le Roi d'Ang
terre , avoit été entièrement dél
& diffipé par ceux du parti opp
aux intérêts de ce Prince ; de fo i
que le Vicomte de Turenne ne ]
DE TURENNE. LiV. VI. 3 I Ç
pas pouffer plus loin cette entre- "aTTTi
prife. 1^55.
i Cependant les articles du trai- v . ,
:e de paix entre la France oc 1 El- Pyrénées , &
:>agne , & ceux du contrat de ?"£gxiYdc
Taariage du Roi, avec l'Infante, fu-
•ent enfin arrêtés $c fignés au pied
les Pyrenés , fur les confins des
leux Royaumes ; &: ce fut par
:ette célèbre alliance , que finit
me guerre qui duroit depuis vingt-
inq ans.
Le Roi voulant récomp enfer le rTurenne e?=
,. i t-. 1 . r r 'au Mare-
/îcomte de lurenne des iervices Chai Générai
[u'il lui avoit rendus pendant le dss Armées
v j • • o v . 1 • j as France , Se
:ours de cette guerre , lui donna n>eft poinc
a charge de Maréchal - Général tenté par rof-
le fes camps &z armées. Le Car- chargee de
linal Mazarin lui fit même enten- Connétable.
Ire qu'il ne tenoit qu'à lui qu'il Le * AvriI-
1e fût élevé à une plus haute di-
jnité : que la charge de Conné- ■
able , qui étoit la première du
Royaume, avoit, à la vérité, été
■ imprimée à caufe de la trop gran-
lle puiffance qui y étoit attachée ;
|[iie néanmoins le Roi la rétabliroit
Volontiers en fa faveur, fi lui-mê-
Oij
N N E a
l66o%
- y\6 Histoire du Vicomte
a n n é e nie n'y mettoit un obftacle par la
i66o> Religion qu'il profeffoit. Mais le
Vicomte de Turenne n'étoit pas
d'un carraclere à fe laifler tenter
par l'attrait des honneurs , quand il
s'aghToit de Religion. L'offre de
la première charge de la Couron- ;
ne ne fut pas capable de lui faire
quitter la Religion Calvinifle , tant ij
qu'il la crut la meilleure ; comme
nulle confidération ne put l'y rete-
nir , quand il fut perfuadé du con-
traire , ainfi que nous le verron;
dans la fuite de fon Hiiloire.
inconvénient Les intervalles de la guern
?uque,I,1!.(A'"" f°nt ordinairement de grands vui
jette l'hiitoi- . . n . & f f
ye des Gêné- des dans 1 hiltoire des Généraux
d'armée , qui , tirant pour la plupar
tonte leur élévation du comman
dément des troupes à la tête def
quelles ils font , fe trouvent au ni'
veau des autres hommes durant U
tems de la pai?^ , où ils ne font plu;
rien qui foit digne de la connoif
fance de la poftériîé , & qui puifff
par conféquent fervir de matière <
i'hifloire.
Il n'en -eft pas de même de;
ïaux
DE TURENNE. Liv. IF. 317 *
grands Hommes : ils impriment , a n n é e
ufques dans leurs moindres ac- 1^0.
ions , je ne fais quel cara&ere fin* niaif n(?n «J*
1» • 1 l r 1 le des grands
julier , qui les conlacre en quelque Hommes j
naniere , &C qui les rend dignes
rêtrepropoféspourmodeles à tous
es fie cl es à venir.
Tel fut le Vicomte de Turen- témoin le vï-
ie. Quand il n'auroit jamais donné rce°™ee, e Tl1"
i batailles ni combats , il n'auroit
as laifTé de s'acquérir une très-
rande réputation , par le feul mé-
te de fes vertus civiles ; & quel-
u'avantage qu'on puiffe retirer de
. connoiffance de {es a&ions pu-
liques , comme il n'efl pas moins
nportant de connoître le carac-
tfe de fa vie privée , je crois qu'il
ft à propos d'en dire ici quelque
hofe.
Il eut toujours pour les vérités sa vraie
mdamentales du Chriftianifme un Pié^«
lâchement à l'épreuve de {es
ropres pafïions , &: des mauvais
temples d'autrui. Il ne pouvoit
>uffrir l'impiété des fentimens , ni
' libertinage des mœurs ; &C per-
>nne n'avoit plus d'averfion que
Oiij
__ 3i8 Histoire du Vicomte
^ N „ ^ E lui pour les gens qui menoient une
uso* vie icandaleufe. Il y avoit près de i
cinquante ans qu'il étoit dans lai
Religion Calvinifte , croyant qu<|
c'étoit la véritable Religion ; mai ;
enfin il commença à douter. Il n('
s'en ouvrit néanmoins à perfonne !
& il tâcha feulement de s'éclair'
cir lui-même de fes difficulté1
par la lecture des livres Catholr
ques. Cette lechire augmenta fel
doutes , 6c lui fit entrevoir les erl
reurs y dans lefquelles il fe trouvo:
engagé par le malheur de fa nai:
fance ; & dès-lors, la Religion Ca
viniite lui devint îufpe&e. Il avoi
dès-lors de la révérence pour le
chofes faintes , tout ce qui porto:
quelque caractère de Religion k
étoit facré ; il refpe&oit nos Egl:
fes , nos Myfteres , & jufqu'à no
cérémonies. Aufli étoit-il en vén(
ration aux Catholiques même ; c
qui n'eft arrivé qu'à bien peu d'ail'
très Calviniftes.
Son carac- Quant à ce qui regarde la fo
icrc & fes c^t^ cjvj]e ]amais homme ne fu
o un commerce plus aile : parlan
DE TURENNE. LlV. IV. $l<)
es plus petites chofes, comme s'il A N N é t
àt ignoré les grandes ; &: cela, i^o.
vec les perfonnes de la moindre
)ndition , fans jamais fe prévaloir
2 la fupériorité de fon rang, ni de
.41e de fon efprit. Il s'accommo-
^it avec tant de complaifance au
ira&ere & à l'humeur de tout le
onde , qu'on étoit fouvent éton-
\ qu'avec de fi grandes qualités
wr la guerre , il fut encore le
us poli 6c le plus aimable homme
l fon tems. Tout étoit vrai &C fin-
re en lui , fentimens , mœurs ,
anieres. Auiîl éloigné de la famTe
odeftie que de l'orgueil , il fe laif-
it voir à tout le monde tel qu'il
oit : il parloit de fes a&ions
'ec {implicite ck avec ingénuité ,
as rien exagérer par une vanité
iverte, Se Ians rien abaifTer par
rafînement d'une vanité plus dé-
urnée. Ennemi déclaré des fla-
Lirs, qui que ce foit n'eût ofé le
uer. Il marchoit le plus fouvent
ns équipage &: ians domeitiques y
mêlant dans la foule comme un
>mme du commun ? mais il
O iv
N N E
310 Histoire du Vicomte
avoit beau fe confondre , fa repu
16*0. tation le faifoit par- tout reconno
tre : le peuple , au milieu duquc
il fe meloit avec tant de modeflie t
ne laifToit pas de le regarder coït
me un des plus grands ornement
du fiecle. Chacun s'emprelToit poul
le voir. Ceux qui le connonToient|
le montroient des yeux &C d
gefte à ceux qui ne le connoil
foient pas. Les Etrangers , qui v<
noient en France , s'en retournoier.
fatisfaits quand ils l'avoient vu;^
fou vent nos ennemis même encht
riffoientfur nous , quand on fe mei
toit à faire le dénombrement de fe[
exploits , ou à rappeller la mémo:
re de fes vertus.
Sa vie do- Réduit à quelque chofe de plu,
»ettrçue. particuiier encore , & renfer
mé , pour ainfi dire , dans les bor
nés de fa maifon ? il n'y étoit pa
moins admirable qu'à la guerre &
dans la fociété. C'eftlà qu'il paroi!
foit véritablement grand, par la feu
le fagelTe. Jufqu'aux gens qui le fer
voient , tout le monde étoit éton
né de cette fageïTe : car au liei
DE TURENNE.Iiv./K \ 21
que la plupart de ceux qui attirent a n n
'admiration du public , font pitié l6So*
[ leurs domeftiques témoins de
eurs foibleffes , c'étaient ceux qui
Soient proche de fa perfonne , qui
rvoient pour lui des fentimens
Ifùne plus profonde vénération :
<aree que, voyant fes vertus de
lus près , ils connoiffoient mieux
ombien le motif en étoit pur &C
éfintéreffé. C'étoit le plus parfait
poux , &: le meilleur maître qui
rt jamais. Toutes les lettres qu'il
écrites à la Vicomteffe de Turen-
î fa femme , font pleines de po-
uffes qui vont quelquefois juf-
i*au reipect: on n'y fauroitvoir,
ns furprife , l'attention qu'il avoit
j y&r elle , au milieu de tant de gran-
i »s affaires dont il étoit chargé. Il
jHmpofïible qu'elle ne fut fortfen-
^le à la manière dont il lui ouvre
n cœur dans ces lettres : mais ce
û vraifemblablement la touchoit
;stc©replus, c'eilune certaine joie
ve , qui y eft par-tout répandue,
vqvii fait voir qu'il n'a voit point
h plus grand plaifir que celui de
ri écrire. O y
E l
ttmmmmmÊtmmm^ 32,1 Histoire du Vicomte
Année Pour ce qui eft de fes domef
1.6^0. tiques, il vouloit abfolument qu<
©ou" fcs Do- c^acun ft *°n devoir ; mais quanc
jaîefti.jues. ils étoient fages , ils étoient fur
de fa prote&ion pour eux & pou
leur famille. S'ils avoient une an
faire , il en faifoit la fienne & lj
follicitoit en perfonne , fans vou •
loir toutefois que fon crédit fît toi I
à qui que ce foit. Aufîl fa ma I
fon étoit-elle remplie d'honnêtd
gens ; &£ il n'y avoit pas un d I
les domeftiques qui n'eût de la prcj
bité &C de l'honneur , foit que ceu I
qu'il choififToit fiuTent tels par eu:l
mêmes , ou qu'il communiqué j
quelque chofe de fon caractère I
tous ceux qui l'approchoient.
^Son goûc Quant au goût qu'il pouvol
ircl " " avoir pour ce qu'on appelle litftj
rature ,. il eftimoit les gens de Le
très , 6c il les attiroit chez lui.
aimoit l'hiftoire , &C il en favoi
faire fon profit. Il n'ignoroit rie
de ce qu'un Prince doit {avoir , £
ne s'amufoit pas à apprendre c
qu'il doit ignorer. La converf;
iion des gens de bon fens 5 & ; ' 1
DE TURENNE.Z^V. IV. 313
eéture des livres folides , occupe- A N N é r
ent une partie de fon loifir pen- i&o»-
lant les fix ou fept années de paix
[ui fuivirent le Traité des Pyre-
tées. Mais fes occupations tran-
uilles n'empêchoient pas qu'il ne
rît part aux affaires publiques du-
ant ce tems-là , & que , de fon
abinet , il ne donnât , pour ainft
ire , le branle k ce qui fe faiibit de
lus confidérable chez nos voifins.
Toute l'Europe avoit alors les
eux tournés fur le Portugal. Les
fpagnols s'étoient empares de ce
.oyaume en 1580. Soixante ans
près, c'eft-à-dire en 1640, les Tt^ ftw
ortugais , voyant toutes les for- du Portugal*
es des Efpagnols occupées à re-
lier à la France , avoient fecoué
I joug de l'Efpagne , & proclamé
.oi le Duc de Bragance , qui s'é-
lit aifément maintenu fur le trô-
e, tant que les Efpagnols avoient
té engagés dans une aufïi grande
juerre que celle qu'ils avoient
jontre nous. Mais cette guerre
ttant finie en 1660 , comme nou3
Wons- dit ci-deffus , les Efpagnols
ji4 Histoire du Vicomte
Année firent marcher toutes leurs trou«
i6Gq. pes du côté du Portugal , pour ù
reffaifir au plutôt de ce Royaume
Dom Juan d'Autriche étoit à la ta
te de l'armée , & avait avec lu
toutes les vieilles troupes qu'i
avoit emmenées de Flandre , ave
d'anciens Officiers très-expérimer
tés. Les Portugais , fans Gène
raux &c fans Alliés, n'avoient qu|
très-peu de troupes pour foutenii
une û grande guerre ; & tout 11
monde étoit touché de la trille fi
tuation où ils fe trotivoient.
Turenne s»î«- Le Vicomte de Turenne , û
têrefTe pour chant combien il importoit à î
& y°yean^é France d'empêcher que les Efp;
pour Générai gnois ne fe rendhTent maîtres dl
s'chombag/ Royaume de Portugal , entrepr;
de le défendre en fon nom cor:
tre les efforts de l'Efpagne. Pou g
concerter les moyens d'exécuté j
cette entreprife , il falloit néce!
fairement qu'il conférât avec 1
Comte de Soure , AmbaiTadeur d ;
Roi de Portugal en France , &t qu
cela fe fit fi fecrettement , que le
Efpagnolsn'eaeuffent aucune cor
DE TURENNE. Llv. IV. 315 __^__
10'nTance ; puifque , par le Traité a h n é a
des Pyrénées , nous nous étions l66°*
engagés à abandonner abfolument
:es Portugais. Le Vicomte de Tu-
*enne auroit bien pu prier le Com-
:e de Soure de venir chez lui *
nais fa maifon étoit trop fréquen-
ce , pour qu'un Miniftre de ce
:ara&ere y put être caché. C'efl
>ourquoi il confia le fecret de
:ette affaire à fon neveu le Duc
l'Albret , fi célèbre depuis fous
e nom de Cardinal de Bouillon ,
)oyen du facré Collège , lequel
l'avoit alors que dix-neuf ans , mais
me le Vicomte de Turenne eili-
noit , quoiqu'à cet âge , très-capa-
)le d'une telle confiance. Aufîi le
3uc d'Albret fut-il tenir caché le
Domte de Soure en une maifon
Je campagne , à l'infçu de tout le
nonde , autant de tems qu'il fut
léceffaire. Là , le Vicomte de Tu-
•enne eut plufieurs conférences
ivec cet Ambafladeur, pour pren-
Ire connohTance des forces du
Dortugal ; & étant inftruit à fond
lu nombre des troupes &c de l'é-
f£6 Histoire du Vicomte
a h n é e tat ^es ^aces ^ll Royaume, il en-
i66ot gagea le Comte de Schomberg à
en aller prendre la défenfe , à la
tête de l'armée des Portugais. Ce.
choix étoit d'autant plus judicieux.;
qu'outre la capacité du Comte do
Schomberg , fa qualité d'Etrangei,
faifoit qu'on pouvoit le défavouer
eh cas que les Efpagnols vinfTen.
àfe plaindre de ce que nous fomen
tions indirectement la guerre en
Portugal.
Le Vicomte de Turenne enga-
fesconièihgeâ, outre cela , le Roi d'Angle
jufquàiaPaixterre9 qUi venoit d'être rétabli, ;
tug" & i Ef- époufer l'Infante de Portugal, &'1
pagne. à envoyer un corps de troupes ai
fecours de ce Royaume. Il con>
tribua beaucoup à le déterminer ; I
nous vendre la ville de Diinker-'
que , pour avoir de quoi fournir il
Fentretien de ces troupes ; & il fi"
parler un grand nombre de fol
dats & d'officiers François en An-
gleterre , d'où on les tranfporta er
Portugal , pour y fervir aux ordre!
du Comte de Schomberg. Lorf
que ce Général y fut arrivé 3 I
qu'il
de fei
DE TURENNE.I/v./K 317
îforma encore mieux le Vicomte A N * ? 9
e Turenne des befoins & des ref- ié*o.
xtrces de ce Royaume ; 6c fe fer-
ant à propos des fecours que lui
rocuroit ce Prince , & des avis
u'il lui donnoit , il battit en di-
erfes rencontres les Efpagnols, èc
>utint la guerre avec honneur &C
vec avantage contre eux, jufqu'au
ms où le Roi d'Efpagne fit le
aité de paix , par lequel il laif-
it le Royaume de Portugal à la
aifon de Bragance r qui en a .£ïïf££
mjours joui depuis. Les Portu- 166&.
lis voulant témoigner leur recon-
)iffance au Vicomte de Turenne ,
fut réfolu dans le Confeil d'Etat ,
ae le Marquis de Sande feroit en-
Dyé en France , non-feulement
rec un plein pouvoir de traiter du
tariage d'une des nièces du Vi-
>mte de Turenne avec l'Infant
>om Pedre , qui , dans la fuite , a
:é Roi de Portugal , mais encore
/ec un ordre exprès de conclure
1 mariage , félon la teneur du
écret du Confeil d'Etat ; & la
tiofe fut fi avancée 3 que les ar-
}i$ Histoire dû Vicomte
ticles du contrat furent ligné
Néanmoins ce mariage ne s'étar*
pas fait , la nièce du Vicomte di
Turenne épotifa le Duc Maximilie
de Bavière , frère de l'Electeur d|
ce nom.
Ses foins pour Cependant les affaires du Pcw
les gcDs dctugal n'oceupoient pas tellemenr
***** le Vicomte de Turenne , qu'il ni
donnât en même-tems fes foirl
à celles de la France. On lui coir I
muniquoit les mftruclions que To I
donnoit aux Ambaffadeurs que noi I
envoyions dans les Cours étrange!
res , & les affaires les plus fecre I
tes qu'on négocioit alors avec kl
Princes 6c les Etats Souverains à I
l'Europe j & nous avons eneorl
ce qu'il a écrit fur ces fortes de mal
tieres. Il y démêle les divers intel
rets des Princes , avec les vues d'il I
ne politique très-fine ; & on ]|
trouve des réflexions fi fages
qu'on peut les comparer à ce qu'i:
y a de plus fenfé dans les meilleur
ouvrages que l'on a faits touchan
les Loix de la guerre & de h
paix. Outre cela , il affiftôit àt
N N Z 3
deTurenne. Liv. IK 329
;ms en tems au Confeil , où , tou-
îs les fois que nos voifins nous i**°
mrniffoient des occafions de rom-
re la paix , il fut le premier à diffua-
m la guerre , quelque gloire qu'il
it comme afîuré d'en retirer. Le
oi rendoit à fon défintérerTement
•utc la juftice qui lui étoit due y
nfi qu'à fes autres grandes qua-
és. De fon côté , le Vicomte de
utenne ne l'approchoit qu'avec
ie efpece de timidité & c'étoit
ujours avec les manières les plus
fpe&ueufes qu'il lui parloit , &C
l'il traitoit les affaires en fa pré-
îce. Cette timidité néanmoins ne
mpêchoit pas de parler fortement
ntre les fautes des Minières même
; plus accrédités, de folliciter vi-
ment le Roi en faveur des gens
mérite , 6c de lui demander , juf-
'àl'importunité , les principaux
îplois du Royaume pour ceux
i a voient les qualités les plus
Jopres à les remplir , fans que
h gens-là même en fuffent rien.
ï?s qu'il les connoirToit les plus
<$nes, il repréfentoit continuelle-
33° Histoire du Vicomte
An n é i ment leur capacité & leurs fervices
1660. jufqu'à ce qu'il eût obtenu les pof
tes qu'il demandoit pour eux. (*
Telles étoient les occupation
du Vicomte de Turenne lorfque 1
mort enleva la Vicomteffe de Ti
Il perd fa c c , A •
femme, donc renne la femme , dont je ne cro
il rend la doc. pas qu'on pût jamais affez louer 1(
vertus , û elle n'étoit pas mon
hors du fein de la véritable Eglil
de laquelle fes pères s'étpient ma
heureuiement féparés. Du cara<i
tere dont étoit le Vicomte de T 1
renne , il efl aifé de juger corj
(*) Autant qu'il étoit ardent à procur 1
de J'emploi aux autres , autant rétoit-
peu à recevoir celui qui lui étoit offe
En 1666 , cinq des Provinces-unies vo I
. m loient qu'on le demandât au Roi , po j
commander les troupes de la Républi
que, & même l'illuftre Monfieur W
approuvoit ce deiTein , afin que le Prin ;
d'Orange pût apprendre le métier de 1
guerre fous un fi grand maître. Mol
fieur de Turenne , qui étoit comme (uni
Généraiat des troupes Françoifes, ne jug •
pas à propos d'accepter le commandeme j
des Hollandoifes.
Note de l'Editeur.
DE TURENNE.Z/v./F. 33Î '
en il fut vivement touché de fa AnkU
rte. La tendrefTe infinie qu'il avoit i$*°.
>ur elle , fut la mefure de fa dou-
ir : tout ce qu'on lui put dire
mr le confoler fut inutile ; il la
*retta pendant toute fa vie. Corn-
s il n'en avoit point d'enfans 9
fallut qu'il rendît fa dot au Duc
la Force : il vouloit lui rendre
ts qu'il n'avoit reçu. Le Duc
la Force , de fon côté , en vou-
t moins qu'il ne lui en appar-
10k ; 6c ce combat de généro-
t9 dont il y a fi peu d'exem-
îs , dura long-tems entre l'un &
atre.
Ce fut dans ce tems-là que le -7 7
* . Anne!
>i, ne pouvant tirer aucune rai- l667.
1 des Efpagnols au fui et de quel-
es Provinces des Pays-Bas qu il de en Fian.
étendoit appartenir à la Reine dre , & y
r droit de Dévolution , réfolut de fovilfesj*"
rter la guerre en Flandre. Le
irdinal Mazarin étoit mort , &
Roi gouvernoit par lui-même,
li/ant donc propofé fon defTein au
.'.comte de Turenne , il lui dit,
lai fe repofoit entièrement de l'e-
3ji Histoire du Vicomte
A . xécution fur fes foins ; mais qi1
ftf«7. cependant il vouloit aller dans l1
Pays-Bas enperfonne,pourappr(|
dre de lui le métier de la giw
re. Le Vicomte de Turenne , xi
de cette noble inclination, don1
ordre à toutes les troupes de m;|
cher du côté de la Flandre ; &
tôt qu'elles furent affemblées il
la frontière , le Roi s'y étant r<l
du , il fut réfolu que le gros de 1'
mée attaqueroit la Flandre par
i€ Mai. milieu , & qu'on auroit deux carr
volans fur les ailes ; l'un dans
Luxembourg, fous les ordres
Marquis de Créquy , pour veiller:
les Allemands ; & l'autre veri
Mer , fous le commandement
Maréchal d'Aumont , pour ati
quer quelques Places de ce côi
là. Le Duc de Noailles fut auffif
voyé dans fon gouvernement
Roufîillon avec quelques régimer S
pour avoir foin de cette Provinc1
& la répartition des troupes aya'
été faite félon les divers cor
dont on vouloit fe fervir en difl
rens endroits , la grande arm*
DE TU RENNE. Liv. IV. 333
t ordre de marcher à Charleroi ÂTTTî
• la Sambre. A ion approche , l667*
Marquis de Caftel Rodrigo ,
)uverneur des Pays-Bas , fit fau-
• les Fortifications de la Place ,
l'abandonna. On rétablit très-
jmptement ces fortifications : on
npara de Binche & d'Ath , villes
lées entre la Sambre & l'Éfcaut ;
défit fept à huit cens hommes
vouloient le jetter dans Tour-
, ville de très-grande réputa-
l , & qui ne tint pourtant que
ix jours devant notre armée,
marcha enfuite à Douay fur la
ère de Scarpe : on prit cette
e & fon fort en trois jours , ÔC
denarde fur l'Efcaut en vingt-
tre heures ; après quoi on fe
it d'Aloft fur la Tenre , & on al-
fïiéger Lille , ancienne capitale
la Flandre Françoife , fortifiée
quatorze basions royaux , en-
rée de doubles foffés , dans la-
11e il y avoit une garnifon de fix
le hommes de troupes réglées ,
>lus de trente mille babitans por-
t les armes ? & qui fut néan-
A H Jt S H
334 Histoire du Vicomti
moins réduite à capituler en n<:
66-j, jours de tranchée ouverte. Cep i
dant le Maréchal d'Aumont , |
fon côté , prit Bergues , Furnej
le Fort S. François , Armentier;
& Courtrai ; fi bien qu'on fe renl
maître de treize Places en mcl
de quatre mois. Le Roi voull
que le Vicomte de Turenne lui
remarquer tout ce qui fe parle I
qu'il l'accompagnât à la tranchil
ck qu'il lui rendît raifon de toi|
choies. Aufîi-tôt après la prifel
Lille , il fit un détachement de
armée , qu'il envoya contre
Comte de Marfm &c le Prince
Ligne , qui avoient afïemblé
corps de troupes , pour s'opp<
à nos entreprîtes; mais comm<
ne voulurent pas en venir aux m;
avec nous , on les attaqua cl
leur retraite auprès du canal I
Bruges. On battit leur arrière- 1
de , on leur prit plus de qui!
cens chevaux, on leur tua uxl
fept cens hommes , on mit le ri
en déroute, &: perfonne n'ofa ]I
paroître devant nous. Le Roi3Û
DE TURENNE. Liv. IK 33 <j
oyant maître de la campagne , A N v à %
tablit des contributions jufqu'aux ^e7.
ortes des plus grandes Villes ; il
>rça les petites Places à deman-
er la neutralité , pourvut à la
ireté de celles dont il s'étoit ren-
x le maître , & nt obferver la dif-
pline la plus exacte à les troupes
ms tout le pays nouvellement
>nquis , afin de gagner par- là le
«tir des peuples , & les faire reve-
r de l'averfion que les Flamands
'oient eue jufques-là pour la do-
ination Françoife.
Cependant les Efpagnols ap- -. „..
•ehenderent encore une 101s de u-chapeiie.
rdre tous les Pays-Bas : ils pffri-
nt de terminer par un accom*
odement es conteilations qui fai-
ient le fujet de la guerre. On
xepta le parti. La ville Impé-
ile d'Aix-la-Chapelle fut choifie
)ur le lieu où fe tiendroient les
>nférences ; mais de peur que les
igo dations ne tiraffent en lon-
leur du côté de l'Efpagne , le
oi , en perfonne , fuivi du Prince
Condé ? alla attaquer la Franche-:
336 Histoire du Vicomte
~7 ; Comté , quoiqu'on fût au plus fo:
1667. de 1 hiver; o£ 1 on le rendit ma
tre de cette Province en dix joui
La rapidité de nos conquêtes au]
m enta les alarmes des Efpagnoln
ils demandèrent avec emprerleme]
la paix , laquelle fut enfin conclu
. par un traité , qui portoit qu'en re \
c z a1, dant la Franche - Comté aux Efp j
gnols, nous demeurerions maîtr'
de toutes les Places que nous avio
prifes fur eux en Flandre.
_. . , Les occupations de la euer
îl change de , , r . A , , &
Bdigion -, n avoient point empêche le A
comte de Turenne de continu
à chercher, dans les livres cath
liques , l'éclair ciffement des de
tes qui lui étoient venus au fu;
de la Religion Calvinifte. La pai:
durant laquelle il étoit bien moi
occupé , lui fut encore plus 1
vorable pour s'en éclaircir. Il fe
tit enfin le foible du Calvinifrm
&c preflé par fa confeience , il
connoître ion état à quelques Ev
ques de fes amis : il s'ouvrit ei
core davantage au Duc d'Albre
qui, par d^s lumières fupérieure:
te
N N E E
DE TURENNE. Liv. IV. 337
eva jufqu'aux moindres doutes
[ui pouvoient lui faire quelque ** ^^s,
>eine. Alors , convaincu qu'il étoit
ors de la véritable Eglife , quoi-
u'il fût regardé parmi les Cal vi-
nt es comme un des protecteurs
e leur Secte , il l'abandonna. Jl Le 13 oao*
[la faire fon abjuration entre les bre*
lains de l'Archevêque de Paris;
: il ne l'avertit de fon deflein , que
veille du jour où il la devoit fai-
, voulant éviter l'oftentation qui
■compagne ordinairement cesfor-
s de cérémonies , quand elles vien-
;nt à la connohTance du public.
j Pape lui écrivit un Bref pour le
liciter de fa converfion , qui ré-
uit tous les Catholiques , à mefuçe
te la nouvelle s'en répandit dans
Chrétienté.
'i Cependant le Vicomte de Tu-*-; m*n« u"e
inné, perfuadé que fa conduite ^e, °rt ml"
fes actions dévoient déformais ré -
mdre à la fainteté de la Religion
ji'il venoit d'embraifer , paffoit
1 efque tout fon tems dans des exer-
ces de piété & de charité , qui
Soient tout le monde ; fi bien
P
,. _ , , 3 3^ Histoire du Vtcomte
A N N É E qu'onpouvoitlepropoferpourm
i662. déle aux anciens Catholiques m
me, & que tous les Calviniftes
qui fe réunirent depuis à l'Eglife R
maine , avouoient que rien n'av<
tant contribué à leur converfio
que l'exemple de fes vertus. Il !
voit à Paris avec une fi grande fit »
plicité, qu'il fembloit qu'on fût.j
cet égard , dans l'ancienne Rom j
où l'on ne diftinguoit point les p I
grands Capitaines, d'avec les mo I
dres Citoyens. Ainfi , libre de l'a I
bition & des autres pafîions qui I
tachent les hommes à la Cour, I
pénétré des grandes vérités de 1 1
tre fainte Religion , il avoit réf< î
de paffer fa vie dans quelque retl
te , & ne s'occupoit plus que ;
cette penfée.
Fin du Livre quatrième*
HISTOIRE
DU VICOMTE
DE TURENNE.
N N E E
I67Z.
LITRE CINQUIEME.
E Vicomte de Turenne —
étoit dans cette pieufe
difpofition , lorfque le
Roi lui fit part du deffein & prépare à
Kl avoit de porter la guerre en faire ia guer-j
ollande, où il vouloit aller en[aendo*StHoI::
i^rfonne , & lui ordonna de le te-
r prêt à le fuivre.
La guerre ayant donc été dé-,,1.1 Ia Ieuc
, & r ^Jr^ ' ' J D déclare , &
1 aree aux Etats-Generaux des Pro- fait marchec
inces-Unies, le Roi fit marcher fes woupes*
oites fes trgupes vers la frontière
pij
34° Histoire du Vicomte
A n n é i de la Hollande , & il donna les au-
^7i» tresordresnéceffaires pour pouvoir
attaquer avec fuccès cette puifïant<
République.
Etataauei Les Hollandois, de leur côté
lll unie°s!in"firent toute la diligence pofîible
pour fe mettre en état de fe biej
défendre. Leurs frontières étoient
pour ainfi dire , tout hériffées d
îbrtereffes ; il n'y avoit point d'E I
tat au monde où il eût , à prcl
portion, tant de Places de défenil
que dans le leur; & l'on n'y voyo |
prefque pas une Ville qui ne f{ I
fortifiée régulièrement. Ils avoieil
devant eux la Meufe , le Rhin fi
l'iffel , trois fleuves qu'il fembll
que la nature ait fait exprès poi
défendre l'entrée de leur pays, il
augmentèrent les garnifons de leu
Places. Ils fortifièrent les paff;
ges ; & ils formèrent , de tout<
leurs troupes, trois corps d'armée
qui dévoient être campés en d
vers endroits , de manière qu'i
fufTent à portée d'agir où l'on e
pourroit avoir befoin , dans toul
l'étendue de leurs frontières» I
DE TURENNE. Llv. V. 341
jMeufe leur parut affez bien défen- aTTTT
idue par les villes fortes qui étoient 167%.
deffus ; &C le Rhin , par fa rapidi-
té &c par fa profondeur. Il n'y
ivoit pas moins de forterefîes fur
'Iffel que fur la Meufe : mais
j:ommel'Iffel efl en quelque façon
e dernier retranchement de la
i -lollande , ils firent tirer une gran-
j le ligne le long de ce fleuve, de
i eur côté ; ils la fortifièrent , au- '
ant que le tems le leur put per-
nettre ; & ayant pris les autres pré-
autions qu'ils jugèrent à propos ,
Is nous attendirent , dans la réte-
ntion de faire une vigoureufe ré-
îftance par-tout où ils feroient at-
; aqués.
Cependant nos troupes s'é- ExpMHons
ant aflemblées vers Charleroi fur /im urcent"e
la Sambre , le Roi s'y rendit , fui- campagne»
yi du Duc d'Orléans fon frère ,
lu Prince de Condé , &: du Vi-
:omte de Turenne. L'armée fe trou-
va de foixante mille hommes. On Le % Ma*
a partagea en quatre corps : Et le
Vicomte de Turenne , à la tête de
:eliù qui de voit faire comme l'a-
P »j
342 Histoire du Vicomte
".£ N N i j. vant-garde , s'étant chargé de s'a-
i^7i. vancer le premier vers les pays en-
nemis , & d'en ouvrir les partages,
décampa des bords de la Sambre ;
& laiffant le Brabant Efpagnol fui1
fa gauche , marcha dans le payi
de Liège , où il deftina les Ville!
de Saint Tron & de Tongres à fer-
vir d'entrepôt pour la communica ,
tion de Charlçroi avec les Place; i
de la Meufe , defquelles il avoi :
deffein de fe rendre maître. Il corn- 1
mença par Vifet , Fauquemont |
Sittart , Mafeyck , & quelques au j
très petites Villes fituées fur le:]
bords de cette rivière , ou aia!
environs ; après quoi on pafTa In
Meufe , on traverfa les Duchés d(;
Limbourg & Juliers , on entra dans :
l'Ele&orat de Cologne , & on ou-
vrit la campagne par les fiége*
U a Juin. d'Orfoy , de Rhimberg , de Bu-
rick & de "Wefel , quatre Ville;
fuf le Rhin , lefquelles on atta-
qua en même tems, & qu'on prii
en trois jours. De Burick , doni
le Vicomte de Tùrenne avoit faii
le fiége y il marcha à Rées , & enfui-
K N E S
DE TURENNE. Liv. V. 343
■ à Emmerick , dont il fe faifit ;
| qui fut fait encore en trois jours. l67>-
*s ennemis , alarmés de la prife
; fix Places en fix jours, accou-
trent du fond de la Hollande fur
s bords du Rhin , de peur que
ms ne fiflions un pont en quelque
îdroit , pour pénétrer plus avant
ms leur Pays. Mais nos Géné-
ux , ayant été d'avis qu'on paffât
• fleuve à la nage , on le paffaLe ll Juîm;
1 peu au-defïbus du Fort de Tol-
lis , à la vue d'un corps de Hol-
ndois retranchés fur l'autre bord,
ette a&ion étonnante les épou-
inta tellement , qu'ils s'enfuirent
'ec frayeur au delà de l'IfTel , der-
er retranchement , qui pouvoit
ul nous empêcher d'entrer dans
cœur de la Hollande. Toutes
s troupes des ennemis s'étoient
ifTemblées fur fes bords; le Prin-
ï d'Orange , Capitaine-Général
es armées de la République ,
:oit à leur tête. Les Hollandois
promettoient , qu'il fauroit bien
étendre le paflage de ce fleuve,
mt bordé de fortereffes 6c de fol-
P iy
344 Histoire du Vicomte
* ** i i ^ats > ^ c'étoit uiquement fui
\i-ju cela , que l'efpérance de leur falui
étoit fondée. Néanmoins le Prince
d'Orange n'eut pas plutôt appri«
que nous avions paffé le Rhin
qu'il abandonna les retranchemen
de 1'Iffel , jetta une partie de fei
troupes dans les Places qui étoien
fur le bord de ce fleuve , & s'en-
fuit avec le refte dans le fond di
pays , où il porta la confternatior
& l'épouvante. Le Vicomte d<
Turenne , voulant profiter du dé
fordre d'une fuite fi précipitée
fè hâta de gagner le fleuve di
Rhin , & le fit paffer à la nage
par une troupe de cavalerie : la-
quelle atteignit , au-delà d'Arnhem;
les derniers efeadrons de l'armée
ennemie , qui n'alloient pas fi vite,
parce qu'ils efeortoient le canon
ÔC le bagage. Mais à peine nous
eurent-ils apperçus , qu'ils prirent
la flûte 6c nous laiflerent leur
canon & leurs bagages. Ce ne fut
après cela qu'une fuite de nou-
velles conquêtes , dont la rapidité
étonna toute l'Europe. Le Roi prit
DE TURENNE Lïv. V. 345 .
)oesbourg , le Duc d'Orléans ÂTT77
'.utphen , & le Vicomte de Tu- l67*«
enne les Forts de Skinck , de
|jiotzembourg , de Woorn , de
laint André & de Crevecœur ; &
;s Villes de Nimegue & de Gra-
e , Utrecht y Voerden , Amers-
>rt , Naerden , & plulieurs autres
illes aufli confidérables fe fou-
lirent au Roi , ou furent forcées
ar fes armes. On avoit déjà plus
î vingt-cinq mille prifonniers : on
étoit emparé de prefque toutes
s Places fortes que les ennemis
soient fur la baffe Meufe , fur le
hin , fur le Vahal , & fur l'IffeL
In s'étoit rendu maître de qua-
! nte de leurs Villes en vingt-deux
urs ; de forte que les Hollandois
folus de mettre leur pays fous
;au , s'ils ne pouvoient autrement
uver leur liberté , voyant que
nus forcions tout ce qui faifoit
moindre réiiitance y rompirent
jiirs Ponts , lâchèrent leurs Eclu-
s , & percèrent même en quel-
iies endroits leurs digues , pour
His arrêter par les inondations
P v
^mmmmmmamm 346 Histoire du Vicomte
Année qu'ils firent autour des Places oi
1*7*» ils fe renfermèrent. Dans ce trii
te état , ils députèrent vers tou
les Princes de l'Allemagne & d
Nord , pour implorer leurs fecouti
& les conjurer de s'oppofer a
plutôt au torrent des profpéritd
de la France , dont ils difoient qu \
l'impétuofité menaçoit toute l'Eu
rope.
il eft fait Le Roi , ne pouvant avance
Généralise pkjs ^ ? ^ retouma à par
ï«c i$ juillet, avec le Duc d'Orléans , après avo:
fait Généraliflime de toutes f<|
Troupes qui reftoient dans les Prc
vinces- Unies , le Vicomte de Tu
renne , auquel il voulut que 1(1
Maréchaux de Créquy , d'Humi<]
res & de Bellefond , obéhTei]
comme à lui-même. Ils refuferei ]
d'abord de le faire. Ils fe repenti
rent prefque auffî-tôt de ne l'avoil
pas fait ; mais le Roi ne leur par
donna , & ne leur permit d'aile
faire la fonction de Lieutenant I
Généraux fous le Vicomte de Til
renne , qu'aux inftances de ton
le corps des Maréchaux de Fraa
10 UB
I>E ÎURENNE. Liv. V. 347 ^
e , qui demanda grâce pour eux. a n N é »
Cependant les Envoyés de »«7*.
[ollande faifoient dans toutes les I! I7Lr.che
. Z . 1 contre l Elec-
ours voiiines des deicriptions les teUr de Bran-
lus touchantes qu'ils pouvoient deb°urg ^n
1 r ' 1 i 1 11 \ r arrête 10
e la iituation déplorable ou le courç.
•ouvoit la République ; &c leurs
ifcours rirent imprefïion fur l'ef-
rit de plufieurs Princes , qui ,
lus jaloux encore de nos conquê-
*s , que touchés de la ruine des
[ollandois , réfolurent de réunir
airs forces pour les fecourir ; de
>rte que l'Empereur , le Roi de
)annemarck, les Electeurs de Saxe
l de Brandebourg , les Ducs de
runfVick &c de Lunebourg , &
lufieurs autres Souverains , firent
nfin une ligue contre nous avec
îs Etats-Généraux des Pr ovine es-
Jnies. L'Electeur de Brandebourg
jt le premier qui fe mit en cam-
agne pour venir à leur fecours.
le Prince avoit vingt cinq mille
lommes de fes propres troupes ,
'£ dix mille de celles de l'Em-
>ereur , que lui avoit amenées le
bonite de Montecuculli. 11 avoiî
P V)
A M N É E
348 Histoire du Vicomte
un équipage d'artillerie de foixante
I^7t! * pièces de canon , & d'un très-grand
nombre de mortiers. A la tête de
cette puiffante armée , il fe flattoil
d'aller fort embarraffer le Vicom-
te de Turenne , qui ,. étant oblige
de mettre des garnifons dans pref
que toutes les Villes de la Hollan
de, ne pouvoit avoir gueres d<
troupes de refte en campagne. I|
jnenoit avec lui le Prince Ele&oj
rai fon fils ; il croyoit marcher ; j
Une victoire fûre. Il avoit déjà fai i
fommer l'Eleveur de Cologne & \
TEvêque de Munfter, nos alliés
d'abandonner les engagemens qu'il
avoient avec la France ; & il s'a
vançoit vers le Rhin pour nou
venir chercher. Le Marquis de Lou
Vois , qui étoit Secrétaire d'Etat
& qui avoit le Département de
Affaires de la Guerre , écrivit aui
fi-tôt au Vicomte de Turenne d<
la part du Roi , lui repréfentan
de quelle importance il étoit d'em
pêcher que l'Ele&eur de Brande-
bourg ne paffât le Rhin, mais com
ttrè il n'y avoit pas d'apparem:<
DE TURÉNNE. LiV. V. 349
[it'il pût garder tous les portes A N " \
l'un fleuve de cette étendue , le k7».
toi lui ordonnoit feulement d'em-
pêcher , s'il étoit poflible , que les
nnemis n'y prhTent quelques pof-
es confidérables , eftimant qu'on
e pouvoit pas rendre à l'Etat un
lus grand fervice que celui-là,
,e Vicomte de Turenne étoit d'à-
is qu'on rafât la plupart des Vil-
îs que nous avions prifes , afin
e pouvoir faire une groffe armée
es troupes qui étoient employées
les garder : mais comme le Con*
îil du Roi fut d'un autre fenti-
îent , le Vicomte de Turenne
tant obligé à mettre des garni-
es dans tant de Places , & à
ûfler outre cela une armée en-
»ere qui tînt la campagne en
lollande , ne put prendre que dou-
e mille hommes avec lui , pour
lier faire tête à l'Ele&eur de
Irandebourg; encore y en avoit-il
•armi ce petit nombre qui n'étoient
>as trop contens d'aller recommen-
er une nouvelle campagne à la fin
k celle qu'ils venoient de faire -y
5p Histoire du Vicomte
A N N é 8 de forte qu'il y en eut plufieurs ,
1^71» & même de la Maifon du Roi ,
qui quittèrent l'armée. Le Vicom-
te de Turenne , croyant que le
manque d'argent en avoit oblige
quelques-uns à prendre ce part
malgré eux , offrit fa bourfe au?
Commandans des Compagnies J
& les ayant engagés par-là à l<|
le iosep-fluvre> il paffa le Rhin à Wefell
tembre. La hardieffe de cette démarchj
furprit toute l'Allemagne , qui avoi |
cru qu'il fe contenteroit de dé I
fendre le paffage de ce fleuve. L; 1
Cour de France même en ait étonl
née ; & le Roi lui envoya quatrl
mille hommes , pour remplace ji
les foldats qui avoient déferte i
L'Ele£reur de Brandebourg , qui
s'étoit attendu à faire tout fui:|
devant lui , fiit fort déconcerté 1
quand il apprit que le Vicomte d< .
Turenne avoit paffé le Rhin. Il
falloit cependant qu'il marchât ver: j
ce fleuve , pour aller au fecours de; J
Hollandois. Il paffa donc l'Elbe J
& le Wefer , 6c vint gagner lel
Mein , qu'il paffa auprès de Franc
DE TURENNE. Lîv. V. J.JJ
■t Le Vicomte de Turenne , A " " J J
oyant que l'Ele&eur de Brande- x67u
lourg vouloit aller paffer le Rhin
I haut , marcha en avant , en
emontant par la droite de ce fleu-
e avec fon armée. Il paffa la
ippe , l'Emfer & le Roer ; il tra-
erfa le Duché de Berg , & vint
ifqu'à Naffau fur la rivière de
ahn , au-deflus de Coblents. L'E-
SKeUr de Brandebourg , après
voir fait en vain plufieurs tenta-
ves pour paffer le Rhin aux en-
trons de Mayence prit enfin la
ifte réfolution de repaffer le Le ij Dfc
lein , dans l'efpérance que nousccmbre*
îpafferions auûi le Rhin dès que
ous le verrions éloigné , & qu'ainfi
pourroit demeurer , pendant
hiver , dans fon Comté de la
larck , où il fe trouveroit tout à
ortée d'entrer en Hollande au
rintems prochain.
Il eft peu de Grands Capital- B Je poin-
tes , qui n'euffent cru avoir beau-f^j^™".
oup fait , que d'avoir non-feule- tés de Ja
tient arrêté l'Eledeur de Brande- gJ^J*
•oiirg , mais encore de l'avoir
3 < i Histoire du Vicomte
a m h é s omigé à retourner fur fes pas. L j
**7*. Roi , qui ne s'étoit point attend j
à un fi grand fuccès , étoit plul
que Satisfait , & manda au VicorrJI
te deTurenne de repaffer le Rhin;
& de mettre fes troupes en quai j
tier d'hiver dans la Lorraine (*
A n m é e Et comme on n'apprenoit point qu'il
167 *' eût repaffé ce fleuve , le Marquil
MaVquh" dede Louvois lui manda : » qu'l
Louvois.da-» étoit à craindre que le Rhin ni
££££ «vînt à geler , & qu'il ne pût : bierl
à s. Germain » tôt plus le repaffer ; qu'il rifquoJ
cn-Laye. >y ^ fa-re ^r\Y fon armée dans un ]
» faifon aufïi fâcheufe , pour pou! ]
» fer , peut-être , l'Electeur d 1
» Brandebourg dix lieues plus loi) ]
» qu'il n'étoit ; » que le Roi n<]
vouloit point que fes troupes tinl
fent plus long-tems la campagne I
qu'il lui ordonnoit abfolument d(
les mettre en quartier d'hiver ; &.
qu'il s'attendoit d'apprendre qu'el*
les y feroient, par le premier cou-,
rier qui viendront Mais le Vicom-.
( *) Lettres du Roi datées du ai & du
^ é Ùécembre , à Compiegne.
eeTurenne. Liv. F, 35J
t de Turenne , qui avoit bien d'au-
es vues pour l'intérêt & pour la
oire de l'Etat , fe contenta de
ander au Marquis de Louvois ,
fil n'étoit pas du fervice du Roi
l'il repaffât fi-tôt le Rhin : &
)yant tous les mouvemens qu'on
donnoit dans l'Empire en fa-
îur des Hollandois , il crut devoir
ire , en la perfonne de l'Electeur
1 Brandebourg un exemple qui
it en refpecl: toute l'Allemagne,
ans cette vue , il marcha vers le
omté de la Marck , où ce Prin-
s'étoit retiré. Mais l'Electeur de
andebourg > bien loin de l'y at-
tidre , ne penfa qu'à fe couvrir
quelque rivière ; & ayant pafle
Lippe , il crut que du moins
i le laifferoit en repos dans fon
3mté de Ravensberg , où il don-
. des quartiers à {es troupes. Mais
Vicomte de Turenne 9 étant en-
ï auffi dans le Comté de la Marck ,
it Altena , Unna & Kamen ,
illes qu'il lui fallut afliéger dans
s formes , & dans quelques-unes
^quelles il y avoit plus de deux
N N E
554 Histoire du Vicomte
mille hommes de garnifon qu'il fî
i *7 'h tous prifonniers de guerre ; & il mi
fi peu de jours à forcer les autre
Places qui voulurent faire quelqui
réfiftance , qu'il fe trouva maître d<
tout le pays de la Marck avant qu<
l'Electeur de Brandebourg eût
pour ainfi dire , eu le tems de i
reconnoître dans fon Comté de Ra
vensberg , où le Vicomte de Tu
renne , voulant l'aller attaquer, fij
pafïpr la Lippe à fon armée. Mai)
l'Electeur s'éloignant toujours dj
plus en plus , à mefure que non,
avancions vers lui , leva fes quar ,
tiers à peine établis , & reparla 1«
Wefer avec précipitation , au gran .
étonnement de l'Allemagne , qi
étoit dans la dernière furprife de 11
voir fuir ainfi devant une armé,
plus foible de la moitié que 1,
îienne. Le Vicomte de Turenn.
s'empara du Comté de Ravensberg,
comme il avoit fait de celui de 1;|
Marck : il chafTa la garnifon qu |
l'Elecleur de Brandebourg avoi:
mife dans la Ville d'Hoexter fu
le Wefer ? de parla ce fleuve ? à dei,
deTurenn.e. Liv. V, 355 ^^
<n de pourfuivre cet Electeur juf- A " N \
Jes dans fa Principauté d'Halber- i67i,
1 d où il s'étoit retiré , après avoir
Iffé une partie de fes troupes pour
irder les portes qui étoient entre
1 & nous. La faifon étoit extraordi-
■irement rigoureufe , il faifoitun
f >id cruel,& la terre étoit tellement
iée , qu'on ne pouvoit ouvrir la
nchée devant les Villes qu'on af-
*eoit , & qu'on étoit obligé d'ef-
rer tout le feu de la moufqueterie
du canon des ennemis à décou-
rt ; il falloit pafler par des monta-
is très-difficiles , & par des défilés
s-étroits. Le Vicomte de Turen-
s'étant couché un jour derrière un
iffon , pour dormir pendant que
:mée pafïbit un de ces défilés qui
)it fort long , quelques foldats le
:onnurent , & comme la neige
mmençoit à tomber fur lui, ils cou-
rent aufïi-tôt des branches d'arbre
nir lui faire une hute : plufieurs
valiers qui furvinrent , voyant
le les branchages ne le mettoient
ts affez à couvert , donnèrent tous
l'envi leurs manteaux pour lui
35^ Histoire du Vicomte
à v n é e fan*e une e^Pece de tente. Sur qu
1 6 73 . s'étant éveillé , & leur ayant dema
dé à quoi ils s'amufoient au lieu
marcher: Nous vo///o/z5,répondirej
ils , conferver notre Général ; c'ejfi-
notre plus grande affaire : & Jl no
venions à le perdre , nous ne verrio
peut-être jamais notre pays. Cèpe
dantles peines que les foldats avok
à fouffrir font prefqu'inconcev
blés ; mais l'abondance où ils
trouvoient dans un pays ennem
leur faifoit oublier toutes leurs fa
gués: d'ailleurs , le Vicomte de T
renne les ménageoit en toutes ch
fes avec des foins fi pleins de bont
que la reconnoifiance les auroit f;
aller avec lui jufqu'au bout du mo
de. Ainfi , malgré tant d'obftacl
qui fe préfentoient , il força tousl
paffages , à la garde defquels 1
ennemis avoient îaiffé des tro
pes en fe retirant , & prit , en
peu de tems , toutes les Villes c
ils avoient jette des garnifons, q\
l'Electeur de Brandebourg ne )
croyant pas en fureté dans fa Pri
cipauté d'Halberftad où il étoit , r
DE TURENNE. Liv. V. 357
ffa l'Elbe à Magdebourg , & fe
ïigia à Berlin , Capitale de fes A £7" * E
ats.
On ne comprenoit pas com- Ses précau-
înt le Vicomte de Turenne ofoit «ons pour fes
ngager ainfi y avec une armée , "0UPes*
ns un pays fi éloigné , où il n'a-
it ni Places ni Magazin ; mais
tnme il favoit aufli trouver des
îburces fuivant les befoins , il
urvut fi bien à la fubfillance de
troupes , qu'elles ne manque-
î.t de rien.
Il eft vrai que , dans un fi grand Poufle l'E-
•ignement, il ne pouvoit pas en- Ic^?"j5 *"£
yer des courriers en France aufli uie\ & S-
mlierement qu'on l'auroit fou-bli8e. * df-
T / 0 *■ c , mander la
ite ; 6c comme on rut quelque- paix.
ns fans recevoir de fes nouvel-
, {es envieux commencèrent à
clamer contre lui , difant qu'il
toit laiffé couper , & que l'armée
Roi étoit perdue. Le Roi étoit
ut-être l'homme de fon Royaume
i fût le plus fur fes gardes , lorf-
i 'on parloit au défavantage des
i fens ; d'autant plus réfervé à s'ex- r
•jiquer fur les gens, que le déchai-
3 5 8 Histoire du Vicomte
Année nement étoit plus grand contre eu,
167}. H ne fe déclaroit prefque jamais i
ces fortes d'occaîions : néanmoi
dans celle-ci , où plufieurs coun
fans murrnuroient de ce qu'on r
favoit ce qu'étoit devenu le \fc
comte de Turenne, il lui échap:
de dire , qu'à la vérité il n'avoita»
cune nouvelle de lui. Mais on I
fut pas long-tems fans enrecevoia
& l'on apprit bientôt , qu'api j
avoir pouffé l'Electeur de Bran< t
bourg depuis le Rhin jufqu'à l'Elb j
fans qu'il ofât tourner tête pour ( i
fendre fes Etats , il l'avoit rédui i
chercher un afyle dans fa Capital i
où même ne fe trouvant pas enù:
reté , il avoit été enfin forcé de c kl
mander la paix qu'on ne lui acc( I
da qu'après qu'il eut donné cautiJ
de l'a parole , & qu'il eut engagé ji
Duc de Neubourg à fe rendre g»
rant de la fidélité avec laquelle1.:
promettoit d'obferver les engag
mens qu'il contra&oitavec la Fra
ce par fon traité. Alors la médifa
ce fe tut , & les envieux du Vicoi
te de Turenne, depuis cela, fe;:<
t)E TURENNE. Liv. V. ^ _____
lerent toujours refpe&er fon mé- A * * J
ite. i<r7}.
Jufqu'aux ennemis de l'Etat, Grande gê-
jjsne pouvoient s'empêcher d'être j^™1*^"'
nichés de ce mérite , comme on
; vit dans ce tems-là à l'égard de
Electeur de Brandedourg. Car lors
lême que ce Prince étoit pourfuivi
ar nos troupes d'une manière fi
lortifiante pour lui , ayant appris
a'un hapmme étoit paiTé dans le
imp du Vicomte de Turenne , à
sfTein de l'empoilbnner , il ne put
iiiffrir qu'il pérît fi malheureufe-
lent , & lui en donna avis; de forte
u'on reconnut ce miférable , que
: Vicomte de Turenne fe contenta
e faire chaffer de fon armée.
Au refte , le loin d'exécuter un Son atten-
jfti grand deffein que celui «pfil^*^^
yoit formé contre l'Electeur de faites d'Ewt.
randebourg , n'empêchoit pas qu'il
e travaillât outre cela aux princi-
ales affaires de l'Etat , non-feule-
îent en ce qui concernoit la guer-
e,mais encore en ce qui regardoit
;s Négociations ôc le Cabinet; car
•nie confultoit fur les unes & fur les
360 Histoire du Vicomte
a n n é e autres ; ^ kien 4ue 9 ^e l'Allemagr
i^7i» où il étoit , il mandoit au Roi c
qu'il penfoit fur la destination d<
différens corps d'armée que noii
avions dans les autres pays , les ei
treprifes qu'il falloit faire , le non
bre des troupes qu'on devoit y en
ployer , & les endroits où l'on po j
voit établir des magafins pour leij
fubfiftance. Il lui envoyoit fon fe j
timent fur les diverfes propoûtio I
de paix , de trêve ou dalliancj
que nous faifoient plufieurs Princ 1
& Etats Souverains de l'EuropJ
comme on le voit dans plufieurs < t
{es lettres, & de celles du Marqijj
de Louvois. *
Le Roi , pour immortalifer Te |
pédition du Vicomte de Tureji
ne , fit frapper la médaille n°. i
On y voit, auprès d'un trophée, {
Vicloire , qui écrit fur un boucli p
le nom des Villes les plus confie! ji
* Lettres du Vicomte de Turenne <
5 Décembre 1672 , & du 18 Avril 167
6 Lettres du Marquis de Louvois du :
Kovembre 1672 , du 7 Janvier & du
Mai 1673.
rable:
N N EX
deTurenne. Liv. V. 361
ables que le Vicomte de Turenne a
rit pendant l'hiver de cette année- l*7j.
ï, La Légende , A Rheno ad Albim
ulfo Brandeburgenji E/e&ore , figni-
e V Electeur de Brandebourg pouffé
tpuisle Rhinjufquà l'Elbe.UExer-
ue marque la date 1673.
| Cependant l'Efpagne voyant le Envoyé en
iccès extraordinaire de nos ar-Allace'
tes , fe ligua avec les Hollandois ,
: Te prépara à nous faire la guer-
! du côté des Pays-Bas; & 1 Emp-
ereur ayant fait de toutes les trou-
as de {es Etats une armée de
ente-cinq mille hommes , il or-
mha au Comte de Montecuculli
t la mener au fecours de la Hol-
ide , & de faire tout fon poflible
mr paiTer le Rhin , & fe joindre
x troupes de cette République ,
la tête defquelles étoit le Prince
1 Drange , ôc à celles des Efpagnols
1e commandoitle Comte de Mon-
rey , Gouverneur Général des
ys-Bas ; ne doutant point qu'avec i
i^s trois armées réunies , il ne fût
Té de nous chaffer , &C de la Hol-
life & de l'Empire. Le Vicomte
Q
%6i Histoire du Vicomte
k M N à E de Turenne vouloit aller cherche)
i«7J- l'armée de l'Empereur jufques dan
viîomce d"la Bohême , où elle s'affembloit
Turenne au mais le Roi lui manda de n'en riei
Louïols ,dt faire» ParCe ^U'il aV0it rëf°lu d'al
tée du i] A- 1er rafer en Alface quelques Place
StUtsL6?} * à^Pec^es- ft m* ordonna de veni
couvrir le Rhin du côté de cett
Province , & d'empêcher en m't \
me-tems, s'il étoit poflible , ij
jon&ion des troupes Impériales 1
avec celles des Efpagnols & d<]
Hollandois , du côté du Bas-Rhk
&: il lui envoya pour cela quatid
' mille hommes de renfort.
ïi pana au Pour exécuter ces deux ch<
l'Aiiema ne ^es » *e Vicomte de Turenne quit
& punie Us les Etats de l'Ele£teur de Brand
vicuboli & b°urg > traverfa le Pays de Heffc
îà" jreve^ paffa.le Mein à Selingenftat , &:
porta vis-à vis AfchafTenbourg. 1/
Comte de Montecuculli étoit ver
de la Bohême dans la Franconi*
les troupes de ce Cercle , & et
les de l'Electeur de Saxe & <
Duc de Lorraine , l'avoient joint <
chemin ; & il. étoit déjà arrivé
Nuremberg , d'où il pouvoit égal
DE TURENNE. lh* V. 3^5
tient prendre fa marche vers le a * n i
laut ou vers le Bas -Rhin. Le »*7*«
Vicomte de Turenne , par le pofte
ju'il occupoit , étoit aum* à portée
le l'empêcher également d'aller de
un ou de l'autre de ces deux cô-
és : mais il avoit fallu qu'il fe
>oflât en- deçà du Mein pour cou-
rir l'Alface ; & le Comte de
/lontecuculli, en lui dérobant quel-
ues marches , auroit pu paffer ce
euve , & aller joindre les Efpa-
nols & les Hollandois : le Vicom-
i de Turenne fe rendit maître
e tous les paffages du Mein , à
iréferve de celui de Virtzbourg,
l.ont l'Evêque lui donna parole
u'il ne laifferoit point paffer les
tnpériaux fur fon pont , ik lui pro-
lait de garder inviolablement la
neutralité; de forte que le Comte
lie Montecuculli ne pouvoit plus
Itéformais aller ni en Hollande 9
i en Alface , qu'il n'eût aupara-
vant battu notre armée. Le Vi-
:omte de Turenne l'attendit quel-
If ue-tems aux environs d'Afchaf-
^enbourg : ce Prince pouvoit tirer
^_ ___ 364 Histoire du Vicomte
Année 5e grands avantages du pofte ol
l*7h il étoit, en y demeurant. Son armé*
étoit de beaucoup plus foible que
celle du Comte de Montecuculli
néanmoins, voyant la lenteur ave<
laquelle ce Général mar choit , ij
réiolut d'aller au-devant de lui , ô ,
timbre Sep* ^ hû. donner bataille. Il pana 1
Tauber à Mariendal : il s'avançl
jufqu'à Rotteinghen , & il s'apprcj
cha enfin û près des Impériaux I
qu'il falloit nécessairement qu'ils il
retiraffent , ou qu'ils acceptaiTer 1
la bataille. D'un côté , le Comte d |
Montecuculli ne pouvoit décarrs
per devant nous , fans expoier fol
arriere-garde à être battue; mal
de l'autre , il appréhendoit d'ênl
encore plus battu dans une affaii
générale. Ayant donc pris le par :
de n'en point venir aux mains av«l
le Vicomte de Turenne , pour c !
cher le deffein qu'il a voit de fe r-i-j
tirer , il fit un petit mouvemei
vers nous , comme s'il eût été d< j
terminé à combattre ce jour-là
bien perluadé que nous n'irions c
lui qu'en bataille 3 & que pour not
DE TURENNE. Liv. V. 36?
y mettre , il nous faudroit du tems, a * n é *
dont il profiteroit pour exécuter le , 1*73*
deflein qu'il a voit , comme il ût.
Car , pendant que nous rangions no-
:re armée , & qu'il nous parouToit
e donner de grands mouvemens
>our mettre en ordre la première
igné , il faifoit défiler la fecon-
le , avec tous les équipages , der-
iere une montagne , à côté de
aquelle il étoit : & à peine fû-
nes-nous formés , que nous vîmes
a première ligne défiler comme
a féconde , & fe retirer avec le
efte de l'armée , qu'il mena en-
te Ochfenfurt & Virtzbourg , dans
in endroit tout environné de
nontagnes & de marais. Le Vicom-
e de Turenne fuivit aufîi-tôt les
mpériaux , donna fur leur arriere-
;arde , & y fit plufieurs prifonniers,
eur enleva une partie de leurs
«gages & de leurs munitions ; &
1e pouvant les engager à combat-
re , il fe porta de telle forte ail-
les d'eux , qu'ils ne pouvoient
>lus , ni marcher vers la Hollande
>ar le Mein , dont il étoit maître 3
.... $66 Histoire du Vicomte
^ „ N É~E ni s'avancer du côté de l'AlfàccT
1*73 • « fans lui prêter le flanc & expofe
leur armée à être défaite. Il avo
le Mein à fa gauche , un gran
ravin à fa droite -, & derrière li
un très-bon pays , d'où il pouvo
tirer des vivres en abondance po\
faire fubfifter fon armée encoi!
plus de deux mois : fituation
finir cette campagne avantageufj
ment pour la France, fi l'Evêqil
de Virtzbourg eût gardé la nel
tralité , comme il l'a voit promis!
mais nous ayant manqué de p
rôle , & ayant livré fon pont ai
Impériaux, le Comte de Mont'
te 14 Sep- cuculli fit aufli-tôt paffer fon c I
jêmbrc. non & fes gros équipages , & mai
cha vers le Rhin avec fon armé
Il n'avoit point de pont, non pi
que nous , fur ce fleuve. S'il eil
treprenoit d'y en jetter un , noi
pouvions en faire autant , & paff
même avant lui. Mais l'Ele£tei
de Trêves , qui nous avoit au:
promis de garder la neutralité, 1
ayant encore livré les deux pon
qu'il avoit à Coblentz 7 fur le Rh;
•de Tûrenne.IjV. V. 367
m fur la Mofelle , ce Général fut A * * « i
)ien plutôt que nous à Bonn; où s'é- »«7 j«
[ant joint aux Efpagnols & aux Hol-
[andois , ils afliégerent cette Place
ivec leurs trois armées , & la pri-
ent. Le Vicomte de Turenne, LeuNo^
>our punir l'Evêque de Virtzbourg vembre.
k l'Electeur de Trêves de leur in-
idélité , fit vivre fes troupes à dif-
:rétion dans l'Evêché de Virtz-
bourg , & leur donna des quartiers
l'hiver dans l'Ele&orat de Trêves ; Lf " 8 D*
, v ^ i ^ - j membre.
£ après une Campagne de près de
leux ans , il alla enfin à la Cour ,
>ii le Roi l'attendoit pour confé-
rer avec lui fur les diverfes opé-
ations de guerre qui dévoient
>ccuper fes Armées l'année fai-
sante.
i La conquête de la Franche- A N NÉE
Comté fut la première entreprife 1*74-
>ar laquelle on réfolut d'ouvrir la 11 féconde la
campagne. Les Places de cette ^n^nech^
Province n'avoient , à la vérité , Comté.
me de foibles garnifons ; mais il
«oit à craindre que les ennemis
ne vinrent à leur fecours , avec
quelque corps d'armée confidéra*
Qiv
368 Histoire du Vicomte
j* n n ê i ble : car le Duc de Lorraine , qti
1^74. regardoit la Franche -Comté com
me le paffage le plus commode pa
où il pût rentrer un jour dan
fes Etats , s'intéreffant par-là , plu:
qu'aucun autre , à la confervatioi
de cette Province , s'étoit chargé d<
la fecourir , dès qu'on avoit fçu qu<
nous avions deffein de l'attaquei
Il avoit envoyé le Prince de Van \
demont fon fils fe jetter /dans cell
le des Places qui paroîtroit 4è i
voir être la première afïiégée ; 6 i
il étoit déjà lui-même , avec fc
troupes , & une partie de celle
de l'Empereur & de l'Elecleur Pa
latin , auprès de Bafle , où il deman
doit , avec de grandes infiances , au:
SuhTes la permiflion de paffer fu
leurs terres , pour entrer dans 1;
Franche-Comté. La Maifon d'Au
triche même , qui n'avoit point en ;
core voulu leur envoyer d'Ambaf
fadeur, quoiqu'elle eûtreconnulein
indépendance, leur em envoya ur
alors , efpérant les engager, par cet-
te démarche , à accorder le palTa-
ge à fes troupes* Comme nous n'a-
N N E S
DE TuRENNE. Liv. V. \6$
irions point de ce côté-là d'Ar- A
née qui pût rien faire appréhen- 1*74.
1er au* SuhTes , il étoit à craindre ,
|[ue , fe rendant enfin aux follicita-
|ions de l'Empereur , ÔC à celles du
)uc de Lorraine , ils n'accordaf-
;nt le paffage aux ennemis ; &C
î bruit couroit déjà qu'ils étoient
ir le point de le faire , lorfque le
ricomte de Turenne entreprit de
empêcher, & d'aller appuyer la
égo dation que nous avions avec
Ijx à ce fujet. Pour cela, il or-
tanna à une partie des troupes
I A étoient en quartier dans laLor-
D.ine & dans l'Àlface , de le venir
H indre du côté ' de la Suiffe ; ôc
}Uec quelques compagnies de ca-
(jîlerie qu'il prit pour efcorte , il .1
R rendit en diligence à Hefinghen ,
s liage qui n'eft. qu'à une lieue de
pUe. Il y arriva afîez tard, maisLe I0 Ma?«
An que toute la Ville en fût in-
rmée , il y envoya le lendemain ,
|| grand matin, ion Maître d'Hô^
l , avec une grande fuite de pour-
)yeurs qui avoient ordre d'ache-
<r 6c d'enlever tout ce qui fe trou*
Qv
_ 37° Histoire m; Vicomte
Année veroit dans les marchés , & de d
**74. re que c'étoit pour le Vicomte <j
Turenne , qui étoit arrivé à Hefi
ghen , & qui donnoit ce jour-
à manger aux principaux Officie
de fon armée. Ce fracas eut f<
effet : tout Baie ne parla que \
l'arrivée du Vicomte de Turenn ■
& les Magiftrats de cette Ville
fçacharit fi près d'eux , écouten *
nos proportions , & refuferent ti
paffage au Duc de Lorraine , fi bi il
que le Roi , qui attaquoit en p< •]
fonne la Franche-Comté , s'en r< I
dit bientôt le maître.
ïicomman- Cette nouvelle conquête l
ff, !,• AU% veilla l'envie de nos voifins : ce i\
magne , & . ,
donne la qui , juiques la , etoient demeui»
ïmplriaux* neutres> ^e déclarèrent contre no »
L'Evoque de Munfter notre al S
nous abandonna & fe joignit i»
nos ennemis : l'Ele&eur de Branc I
bourg même , qui nous avoit « I
mandé la paix l'année précédent
voyant prefque toute l'Europe s ■
nir contre nous, crut pouvoir v •
1er impunément le traité qu'il '1
noity pour ainii dire 5 de figner, t\
!
DE TURENNE. Liv. V. 371
fe ligua avec les autres. Tout en- a n s * »
tra dans la ligue : le Landgrave **74-
,de Heffe , l'Eledeur Palatin, l'E-
deûeur de Trêves ; en un mot ,
toute l'Allemagne , hormis l'Elec-
teur de Bavière & le Duc d'Ha-
novre , qui demeurèrent neutres.
À un fi grand nombre d'ennemis ,
le Roi n'oppofa que le Vicomte
H de Turenne , & il l'envoya contre
il eux avec dix mille hommes. C'é- Le 7 Juûfc
l| toit bien peu de troupes , pour ré-
I fifter aux efforts de prefque toutes
i les PuifTances du Corps Germani-
.' que réunies enfemble. Néanmoins ,
i comme on ne lui en voulut pas
>l donner davantage , il fe prépara à
I faire ce qu'il pourr oit avec ce peu
,de forces. Il commença par enga-
i|ger Strasbourg à la neutralité : il
ij tira parole des Magiftrats de cette
I ville , qu'ils ne lahTeroient paffer
I aucun de nos ennemis fur leur pont;
I & ayant fçu que toutes les forces
»de l'Empire dévoient s'affembler
• dans le Paîatinat ; que les troupes
I de l'Eleveur Palatin & celles du
l! Duc de Lorraine y étoient déjà ♦>
37i Histoire du Vicomte
E E & qu'elles y attendoient le Duc
de Bournonville, qui leur amenoil
celles de l'Empereur ; il réfolul
d'entrer dans le Palatinat , &: dt
combattre ce qu'il y avoit d'enne-
mis affemblés , avant que le Duc
de Bournonville les eût joints, I
étoit beaucoup plus éloigné d'eu?
que le Duc de Bournonville: ci
Général n'avoit que le Necker i
paffer , & il étoit maître de 1<
faire quand il voudroit , fur h
pont de Haibron ; au lieu qu'i
ialloit que le Vicomte de Turenin
paffât le Rhin , fur lequel il n'a
voit point de pont, Néanmoins
ayant pris le parti d'exécuter foi
deffein , malgré toutes les difficul
tés , il envoya ordre qu'on fit uj
ï»e ii Juin, pont de bateaux à Philisbourg : i
partit d'Hochfelt y près de Saverne
avec fix mille chevaux & quinze
cens hommes d'infanterie ; il y
lahTa deux mille ^,cinq cens hom-
mes , à la garde des bagages ,
qu'il ne voulut pas emmener; &
il fit une telle diligence , que dans
deux jours il arriva vis-à-vis Phi-
DE TURENNE. LiV. V. 273
isbourg , dans le moment même A N N é M
fue fon pont venoit d'être achevé 1*74.
[y parla le Rhin auffi-tôt : il em- Le 14 Juin*
lena avec lui les régimens An-
lois de Douglas & d'Hamilton ,
ui étoient campés fous Philif-
ourg , avec les Dragons du Gou-
erneur de cette Place : il y prit
ufli fix pièces de canon , & du
ain pour trois jours ; & il dé-
icha en même-tems plufieurs
artis , pour avoir des nouvelles de
armée ennemie. Le Duc de Lor-
line & le Comte Caprara , qui
1 commandoient , croyoient le Vi-
omtc de Turenne à plus de quinze
eues de Philisbourg , lorfqu'il y
afTa le Rhin ; & ils furent fort
tonnés, lorfqu'ils apprirent cette
ouvelle. Comme ils ne vouloient
oint en venir aux mains avec
,qus , que le Duc de Bournon-
'jlle ne les eût joints , ils réfolu-
ent de fe retirer au-delà du Nec-
:er , &: s'avancèrent à grandes jour-
nées vers Hailbron , pour y parler
e fleuve. Le Vicomte de Turen-
£ , pénétrant leur deffein , preiïa
374 Histoire du Vicomte
A n n é e encore plus la marche de fes fol
1^74. dats : il leur avoit fait faire douz<
lieues en un feul jour , avec de
fatigues inconcevables ; mais il
étoient perfuadés qu'il ne leur au
roit pas voulu donner la moindr
peine , fans une néceflité abfolm
Ainfi , bien loin de murmurer cor
tre lui , on les voyoit fe piquer d'é
mulation , à qui feroit paroître pli ;
de gaieté dans les difficultés d'un
marche fi pénible , & à qui iro
plus vite 9 dans la feule vue d
faire quelque plaifir à ce Prince
qu'ils regardoient moins cornai !
leur Général , que comme leur p< I
re ; de forte qu'ayant fait près (3 1
trente lieues en quatre jours , i $
joignirent les ennemis avant quri
fuiïent arrivés au Necker.
lis fe can- Le £>uc &e Lorraine & le Coml
tonnent a x ,
sintsheim. Caprara , nous voyant il près d eu
Shuatî°n Ie qu'il leur étoit impoffible de noi
cette Ville & > . r r 1 »v
it leur armée, éviter , ne pemerent plus qu a occi
per quelque pofte où leur armé
pût être en fureté contre tout ce qu
nous pourrions entreprendre , jti:
qu'à ce que lel>uç de Bournonvilî
DE TURENNE.Z/V.f. J75
les fût venu joindre. Sintsheim , "7TTT*
011 ils étoient , leur parut très-pro- »*7*
pre pour cela. Cette Ville eft à une
égale diftance de Philisbourg fur le
Rhin , & de Hailbron fur le Neo
ker. Elle eft fituée au pied d'une
montagne , dont la pente eft affez
douce. Une vieille Abbaye , qu'on
la fortifiée , & qui fert de château 9
sft fur une hauteur , entre la Ville
| k la montagne , beaucoup plus éle-
vée que la première , &L un peu
plus baffe que la féconde. Sur cette
montagne eft une plaine qui eft
I fermée par derrière d'un grand
jbois , & qui eft affez fpacieufe
pour qu'on y puiffe ranger une ar-
mée en bataille. C'eft là le pofte
que choifirent le Duc de Lorraine
j& le Comte Caprara , pour y at-
tendre le Vicomte de Turenne. Ils
fe faifirent de la Ville & du châ-
iteau ; ils y jetèrent une partie de
i leurs bataillons , pour les défendre ;
& ils mirent toute leur cavalerie ,
iavec le refte de leur infanterie en
i bataille , dans la plaine qui eft au-
î deffus de la montagne. Toute leur
-376 Histoire du Vicomte
"\w K é E armée y fut rangée fur deux 15-
1*74. gnes:le Comte Caprara fe miti.
la tête de la première , &c le Du<
de Lorraine à la tête de la fecon
de. Là , adoffés d'un grand bois 1
qui emp échoit qu'on ne pût aller
eux par derrière , ils voy oient leu|
droite affurée par le Château &,i
par la Ville , dont ils étoient lel
maîtres , & leur gauche fermé]
par une chaîne de montagnes eil
carpées , qui s'étendoient fort loi |
du côté de Hailbron. Ils avoier]
outre cela , devant eux, au pied d ]
la montagne , & au delà même d |
la Ville, la rivière d'Elfatz, & ui]
gros ruhTeau , qui les enfermoieE(
pardevant , du côté de la plaine d]
Sintsheim.
Turennele* j£* fat ^5? Cete P1?^ «F?
y force , & le Vicomte de Turenné arriva, aprç]
s^en rend quatre jours de marche. 11 reconnç ]
Le 16 Juin, d'abord la fituation des lieux , &]
la difpofition des ennemis. Il ri<]
pouvoit les aller attaquer , ni par £ .
droite , qui étoit fermée par dé.']
montagnes efcarpées , ni par fa gati-l
che, où fe trouvoient la Ville & k
A N N S S
DE TuRENNE.ZzV. V. 377
bateau , dont ils étoient les mai-
es. Le feul endroit par où l'on 1657
ut aller à eux , étoit un défilé qui
1 de gauche à droite , à côté de la
ille, lequel peut à peine contenir
jatre hommes de front , & qui
t dominé par le Château; de for-
que , pour aller par ce défilé , il
lloit , & fe rendre maître du Châ-
au qui le commandoit 6c forcer
Ville qui eft au-devant du Châ-
au. Nous avions devant nous les
enues de Sintsheim , qui étoient
utes embarraflfées de jardinages
de rues très - étroites ; &C der-
îre ces avenues , un gros ruif-
iu & une rivière profonde % qui
Soient guéables en nul endroit ,
qu'il falloit paffer avant que
irriver à la Ville. Plufieurs four-
s & ruiffeaux forment une ef-
ce de marécage aux environs
cette Ville , & le refte du terrein
:; fi plein de haies & de vignes ,
e les gens de pied même ont
n de la peine à y marcher»
nites ces haies & ces vignes
)ient occupées par les ennemis :
A H M É £
3 78 Histoire du Vicomte
ils avoient jette des Moufquetâi
x*78." res dans le Fauxbourg & dans 1<
jardinages : les buifïons , les bore
des ruifleaux , tout étoit garni d'ir
fanterie ; 6c quand on feroit veh
à bout de chaffer cette infanteri
de tous les endroits qu'elle occi
poit , de paffer le ruhTeau & ].
rivière fur lefquels il n'y ave:
qu'un pont , de forcer le Fau:8
bourg , la Ville & le Château , I
de gagner enfin le défilé ; nous n: ij
vions , au bout de ce défilé , po tj
nous mettre en bataille, qu'un pij
tit triangle de terrein fort étroit gj
qui alloit toujours en montant, I
dans lequel on pouvoit à peii <
mettre fix ou fept efeadrons < .
front. Il eft vrai que ce terrein s: s
largifîbit peu-à-peu , à une cerfc
ne diflance ; mais ce n'étoit qi
une portée de moufquet des^i
nemis : Et comment aller form
des lignes fi près d'eux ? Ils n!
voient, à la vérité , que neuf à d
mille hommes , non plus que non
mais leurs troupes , fortant de bo
quartiers > étoient fraîches & rep
DE TURENNE. Liv. K tf$
es ; au lieu que les nôtres étoient A * « ■ s
xtrêmement fatiguées d'une mar- ,<74,
\e de près de trente lieues , faites
n quatre jours & fans équipa-
es. Toute leur cavalerie étoit
uiraffée , & la plupart de nos
avaliers n'avoient pas même des
ufles. Enfin leur armée ne pou-
oit manquer d'avoir , fur la nô-
e , l'avantage d'un grand front,
e Vicomte de Turenne vit toutes
2S difficultés comme en un inf-
int ; mais il envifagea en même-
;ms tous les embarras ou il fe
ouveroit après la jonction du Duc
e Bournonville , s'il ne battoit pas
îs ennemis avant que ce Géné-
1 les eût joints ; ÔC coniidérant
utre cela quel avantage ce feroit
our la réputation & pour les in-
:rêts de la France , dans la con-
>n£ture des affaires , d'ouvrir la
imp^gne par une victoire , s'il
ouvoit venir à bout de la rem-
orter , il fe détermina au combat ,
îalgré tant d'obftacles qui de-
oient , ce femble , l'en détourn-
er. Ayant ainfi pris parti, il corn-
&gfl Histoire du Vicomte
A n v é s mença par faire mettre pied à terr
j^74. à (es Dragons ; & les ayant coir
mandés avec toute fon infanterie!
pour fe faifir des avenues de Sint)
heim 9 chaffa les ennemis m
bords du ruiffeau & de la rivie;
fur lefquels ils étoient; il les dél<!
gea des vignes , des jardinages , cjj
fauxbourg , & de tous les autr :
endroits qu'ils occupoient ; ce qî
fiit exécuté avec tant de prompl
tude , qu'en moins dune heure no I
nous rendîmes maîtres de tous 11
environs de la Ville y & nous no I
trouvâmes fur le bord du £oM
Les ennemis s'étoient tous jettl
dans la Ville , à mefure que nol
les avions pouffes : ils s'étoient iB
tranchés derrière les portes , avJ
des tonneaux pleins de terre ,
avec de grandes pièces de bois:
dont ils avoient fait des traverf<
Le Vicomte de Turenne fit pafïf
le foffé fur des fafcines , dont->((j
le remplit : on enfonça une d
portes de la Ville ; on paffa au !
de l'épée une partie des ennemiïi
& on força l'autre à fe rendre i
DE TlJRENNE. Llv. f. 381
fcrétion. Ils avoient eu ordre de TT7T*
joindre l'armée , au cas qu'ils i674»
: piuTent fe maintenir dans ce
>fle ; mais l'attaque en fut fi vif
; , qu'ils n'eurent pas le tems de
reconnoître , & qu'ils furent , ou
illés en pièces , ou pris avant
l'ils euffent feulement penfé à ca-
tuler , ou à fe retirer par les der-
îres , fur la hauteur où étoit le
os de leur armée. La vigueur
cette action, dont la nouvelle
: portée dans le Château par
.elques fuyards , y jetta l'épou
nte. Tous ceux qu'on avoit mis
dans pour le défendre , l'aban-
•nnerent &: s'enfuirent. Le Duc
Lorraine & le Comte Capra-
, qui en furent avertis , y envoyé*
nt promptement un régiment
infanterie , mais , quoique la hau-
ar fur laquelle étoit ce Château ,
taffez eîcarpée de notre côté,
>ns y arrivâmes les premiers ;&
lui qui commandoit les ennemis,
rant été tué de la pemiere dé-
* large qu'on fit fur eux , tous les
itres prirent auffi-tôt la flûte. Le
▲ M M t I
581 Histoire du Vicomte
Vicomte de Turenne s'étant ain;1,
1*74» rendu maître du Château, qui dcj
minoit le défilé par lequel feul o'I
pouvoit aller aux Impériaux , il
mit de l'infanterie, qui, faifantfe1
fur celle que les ennemis avoieii
dans les vignes & dans les hai li
au-deffous, les en chaffa. Il il
délogea enfuite de toutes les haï"
teurs qui étoient entre la Ville j
leur armée. Il s'empara des deii
côtés du défilé , & les borda < I
Moufquetaires. Il fit faire deil
ponts fur la rivière & fur le ru *»
feau : l'armée paffa moitié à la r U
ge , moitié fur les ponts ; & lo tj
que tout fut arrivé au fauxboii*
de la Ville , le Vicomte de Tk*
renne fit paffer d'abord fon infc ^f
terie, à la faveur du feu du ch*
teau & de celui des Moufquet1*
res , qui étoient fur les hautei*
du défilé. Les ennemis ne g<^
doient point la tête de ce défila
fe flattant que , de la manière dot
ils étoient poftés , ils déferoie;
aifément nos troupes , à mefu
qu'elles viendroient à fe former < :
DE TtJRENNE. Liv. K 383
mt eux ; de forte que le Vicomte A N v à 9
» Turenne le fit pafTer à toute 1*74.
n infanterie , fans aucun obflacle.
Leterrein que nous avions pour
>us mettre en bataille au fortir
1 défilé , étoit ferré à droite par
grand clos de vignes , & à
uche par une longue haie qui
tendoit jufqu'à la montagne où
)ient les ennemis. Le Vicomte
Turenne fit avancer de l'infan-
îe à droite &: à gauche ; il jet-
des Moufquetaires dans le grand
>s de vignes ; il fit mettre deux
taillons derrière la grande haie ;
Dlaça le refle de fon infanterie
divers portes , ou en corps , ou
r détachement , félon la difpo-
ion du terrein ; à deffein de fa-
•rifer fa cavalerie , lorfqu'elle
riveroit pour fe mettre en ba-
lle , & pour la foutenir lorfqu'el-
viendroit à être chargée par les
nemis. Après qu'il eut ainli pof-
fon infanterie , il fit pafler tes
valiers deux à deux par le me-
Ici défilé, & il les fit mettre en
itaille à mefurc qu'ils étoient
384 Histoire du Vicomte
A n n é i pafïes. Le terrein étoit fi étroit
**74- qu'il ne put y former que des li
gnes fort courtes. Il donna le com
mandement de l'aîle droite au Mai
quis de Saint Abre , Lieutenant Ge
néral , ayant fous lui le fieur d
Beauvezé pour Commandant de']'
cavalerie , les Comtes de Maulc
vrier & de Roye pour Maréchau
de camp ; & Milord Douglas M
Chevalier du Plefly , avec le fieij
du Piloy pour brigadiers ; auxque f
fe joignirent les C hevaliersde Ve j
dôme &: de Bouillon , qui faifoiej
fa campagne en qualité de voloit<
taires. Le fieur Foucault , Lieufr
nant Général , fut mis à la tête c 1
l'aile gauche , ëc eut fous lui , poil
Maréchaux de camp , les Comft
d'Auvergne & de la Marclc;^;.
pour Brigadiers , le Comtes de H ;^
milton , le Chevalier d'Humieiîii,
&: le fieur de Coulange. Le con ,
mandement du corps de réfervefî
donné au Marquis de Renty. lf^
Vicomte de Turenne avoit poi '.
Aides de camp y les Marquis d'Ha
court & de Ruvigny , le Chevali<
DE TURENNE. Liv. K 385 ^
Ie Sillery , & le fieur de Silly-Gue- a n n é \
tegaud. Il fe mit au centre de l'ar- **74»
née , à la tête de laquelle il fit
vancer le canon ; & il ordonna
ur toutes chofes , à fa cavalerie
i'efTuyer le feu des ennemis fans
irer , 6c de ne les charger que l'é-
►ée à la main. A peine eûmes-nous
orme deux petites lignes à mi-
ôte , que les ennemis , qui de leur
auteur , voyoient tous nos mou-
emens , ne voulant pas nous laif-
ir le tems d'en former une troifié-
1e , vinrent fondre fur nous avec
>ut l'avantage que leur donnoit la
ente du terrein , & renverferent
otre première ligne fur la fecon-
e. Notre canon ne faifoit que
'arriver, & il étoit encore attelé ;
e forte que les attelages , épouvan-
és par le bruit de la moufquete-
ie des ennemis , s'échappèrent à
ravers nos efcadrons , &; rom-
ans nos lignes , entraînèrent deux
•ieces de canon jufquà Farriere-
;arde , ce qui caufa beaucoup de
:onfufion. Le Vicomte de Tu-
enne rétablit ce défordre le plus
R
386 Histoire du Vicomte
Année promptement qu'il lui fut poilible.
*674. ïVût avancer nos bataillons la pi-
que baiffée , pour arrêter i'impé-
tuofité des cuiraiîiers de l'Empe-
reur , qui faifoient tous leurs ef-
forts pour enfoncer nos lignes ;.&
l'infanterie angloife, dont une par
tie fe trouvoit là , derrière un ri
deau, 6c l'autre dans les haies , fi:
de fi furieufes décharges fur les er
nemis , que n'en pouvant fouteni
le feu , ils commencèrent à reci
1er. Notre cavalerie fe rallia , le
rechalîa fur leurs hauteurs; non
gagnâmes un peu de terrein. Corr
me le Vicomte de Turenne avo:
fait paffer le défilé à de nouvelle
troupes pendant cette premier
charge , il voulut donner une noi
velle forme à fon armée , & re
commença tout de nouveau à 1
ranger : il lailTa véritablement 1
cavalerie dans le milieu , comm
elleétoit; mais il fit mettre quatr
gros bataillons fur les ailes, & de
pelotons d'infanterie entre les ei
cadrons , pour féconder nos ca
valierslorf qu'ils en viendroient au:
Anne*
DE TURENNE. Liv. K 587
ftains avec les ennemis. Il plaça
on artillerie à la tête , & ayant 1*7+
lus de terrein , il fit une troineme
igné , &£ ordonna qu'on étendît
n peu plus les deux autres. Mais
peine notre canon avoit-il
ommencé à tirer que les en-
emis ne voulant pas nous laiiîer
: tems de former un plus grand
ont , revinrent une féconde fois à
charge, avec l'élite de leurs trou-
es. Ils rirent plier prefque toute
Dtre première ligne : ils l'enfon-
;rent même en quelques endroits ,
: fe firent jour à travers quelques-
ns de nos efcadrons ; 6c il y eut
endant un tems affez de défordre ,
our craindre l'événement de cet-
; journée. Mais le Vicomte de
iirenne avoit fi bien poflé ion in-
;nterie , qu'elle fe trouva par-tout
portée de réparer les défavanta-
es qui arrivèrent à la cavalerie ;
: les divers pelotons d'Anglois ,
ui étoient entre nos efcadrons ,
rent un (i grand feu fur les cui-
ifïïers de l'Empereur , qu'ils les
mpêcherent de pafTer outre ; fi
Rij
^§8 Histoire du Vicomte
A * m é £ bien que , nos efcadrons s'étant ral-
l67\ liés, & le Vicomte de Turenne
s'étant mis à la tête avec tous les
Officiers-Généraux , ils fondirent ,
l'épée à la main , fur les ennemis ,
& chargèrent avec les cavaliers,
Tous les eicadrons fe mêlerem
dans cette charge , &: notre ca
Valérie rompit prefque les cul
rafliers qui étoient devant elle, ij
efl vrai , que , comme l'efpace 01 ;
elle pouvoit être foutenue par l'in- !
fanterie étoit fort étroit , ceux qu |
vouloient aller en avant pour ga i
gner du terrein , non - feulemen I
n'en étoient plus fe courus , mai i
même fe trouvoient infenfiblemen
enveloppés par le grand front de
ennemis ; & que quelques-uns d<
nos efcadrons , s'étant ainfi troj
avancés , furent aufli - tôt pris er
flanc : mais ayant bien-tôt recon
nu la faute qu'ils avoient faite , il
revinrent en diligence fur leur
pas ; & il n'y eut pas un feul de
efcadrons qui furent aïnfi chargés
qui ne fe ralliât de lui-même der
riere ceux qui n'avoient point ét<
DE TlJRENNE. Lîv. V. 389 ^
•ompus. Le grand feu que nous A v v à M
aifions de derrière la haie , étoit 1674.
:aufe que les ennemis n'ofoient
>as feulement tâter notre aile gau-
:he , qui étoit de ce côté là : ils
éuniffoient tous leurs efforts con-
re notre droite , & ils l'auroient
teut-être fait plier à la fin , fi le
/icomte de Turenne ne l'eût
►romptement fortifiée de quelques
fcadrons qu'il tira de la gauche,
1 ne fe contentoit pas d'aller par-
ai les rangs pour encourager fes
roupes de la voix & du gefle ; il
es animoit par fon exemple , en ne
2 ménageant pas plus que le moin-
Ire foldat. Il fe trouvoit par-tout ,
lonnant fes ordres avec toute la
ranquillité poflible. Il fe mêla dix
bis avec les ennemis l'épée à la
nain; & il fut plus d'une demi-heu-
e au milieu des cuirafïi ers de l'Em-
pereur.
Le Duc de Lorraine & le Comte Comïnua-
Daprara n'en faifoient pas moins: "on.nde ja
|> S/ «ni Ar 1 1 Bataille de
x s étant mis a la tête de leur sintsheim,
trmée avec tous les Officiers-Gé-
léraux , le combat devint beau-,
R iij
39° Histoire du Vicomte
a n w é e coup plus terrible qu'il ne l'avoif
**74. encore été. Il n'y eut point d'ef-
cadron qui ne chargeât quatre ou
cinq fois. Les étendarts 6c les dra-
peaux furent pris & repris des
deux côtés. Le Marquis de Mont-
gon portoit la cornette blanche :
la lance de fa cornette ayant été
caffée en trois morceaux , par deux
coups de fabre ôt un coup de pif
tolet , il effuya le feu de deux ba-
taillons pour ramaffer cette cor
nette ; & il eût encore fon épét
caffée d'un fécond coup de pifto
let. Nos autres Officiers firent éga-
lement paroîtrc leur conduite &
leur courage dans les diverfes ren-
contres qui fe préfenterent. La
pouffiere étoit fi grande , qu'on ne
fe voyoit prefque point ; & la con
fufion , inévitable dans ces fortes
d'occafions , contribuant au carna-
ge , on s'acharna tellement , que
l'on étoit mêlé enfemble , amis &
ennemis , quelquefois fans fe con-
noître , ni pouvoir rejoindre ceux
de fon parti : le défordre étoit fou-
vent égal de part ôc d'autre. Les en-
beTurenne. Liv. V. 391
lemisfe rallièrent jufqu'à fept fois , a n N
& rirent huit charges confécutives ; l6~^
nais ils furent toujours rompus &
epoufTés : & comme à chaque
:harge ils perdoient un peu de ter-
ein ? que gagnoient aufTi-tôt nos
roupes , nous étendions toujours
le plus en plus le front de notre
rmée ; de forte qu'il le trouva
Lifqu'à dix-huit efcadrons à notre
iremiere ligne , où il n'y en avoit
| u d'abord que cinq ; & que , mon-
mt toujours peu-à-peu , nous ar-
ivâmes enfin au-defllis de la mon-
îgne. Alors le Vicomte de Tu-
enne marcha aux ennemis avec
1 première ligne , réfolu de les
harger &: de les pouffer avec tou-
e la vigueur pofîible. Mais le Duc
le Lorraine & le Comte Capra-
à , voyant le terrein que nous
vions gagné fur eux , ne jugèrent
>as à propos de nous attendre ; &
rofitant de l'avantage de la pouf-
iere, qui nous empêchoit de les
'oir bien diftin&ement , ils firent
pprocher peu-à-peu leur armée
lu bois qui étoit derrière eux ,
R iv
. 392 Histoire du Vicomte
A N N é E & où tous les ennemis fe jetterent
i^74« pêle-mêle , pour fe retirer du cô-
té d'Heidelberg ; faifant couvrii
leur retraite par quelques efca-
drons , qui , après avoir fait une
affez légère charge à l'arriere-gar
de , les fuivirent auffi-tôt , & f<
retirèrent avec eux. Le Vicomte
de Turenne ayantreconnu les bord:
du bois & l'entrée des routes , f<
jetta dedans avec toute fon ar;
mée. On y trouva les équipage |
des ennemis , & leurs bleffés , qu'or •
prit avec les traîneurs. On paiTij
le bois, qui avoit une demi-lieu*'
j de largeur. On fuivit les ennemi ■•
plus d'une heure dans la plaine .
jufqu'à une autre bois , où ils en-
trèrent , & où ils continuer en
leur retraite. Mais , comme ils pri
rent diverfes routes qui nous étoiem
inconnues , & que d'ailleurs noî
troupes étoient extrêmement fati
guées d'une marche continuelle
pendant quatre jours & quatre nuits.
à la fin de laquelle un combat £
opiniâtre avoit achevé de les épui-
ier ; le Vicomte de Turenne k
DE TURENNE. LÎV. V. 393
contenta de faire pourfuivre les Ann -s
ennemis jufqu'au Necker, par le 167*
Marquis de Renti, à qui il donna
un corps de cavalerie ; & il campa
entre les deux bois , avec le refte
de fon armée. Cette retraite fe
fit avec tant de frayeur de la part
des ennemis , que plufieurs ne fe
croyant pas en fureté , après avoir
pane le Necker à Heidelberg , fi-
rent encore plus de feize lieues par-
de-là , &ne s'arrêtèrent point, qu'ils
ne fufTent arrivés à Francfort.
La bataille , avec les a&ions qui Tués & Méf-
ia précédèrent , dura depuis trois ^U^1 *
heures du matin , jufqu'à cinq heu-
res du foir. Nous y perdîmes les
1; Sieurs de Coulanges & de Roche-
I fort , tous deux Meflres de Camp ,
I près de cent quatre vingt Officiers
I (ubalternes , & environ onze cens
Ifoldats qui furent tués. Le Mar-
1 quis de Saint-Abre , le Sieur de Sil-
\ lery , & le Sieur de Beauvezé y fu-
irent bleffés à mort :1e Chevalier
de Bouillon, le ( . omte de la Marck,
■ les Marquis d'Aubeterre & de la
I Salle j & la plus grande partie des
R v
394 HisfoiRE du Vicomte
Officiers fubalternes y furent aufïi
bleffés , mais moins dangereufe-
ment. Il demeura , du côté des
ennemis , plus de deux mille morts
fur le champ de bataille , fans les
bleffés : on fit cinq ou fix cens pri-
fonniers ; on prit plufieurs dra-
peaux , étendarts & timbales , &
quarante charriots chargés de ba-
gages. Le Vicomte de Turenne
mit tout le Palatinat a contribu-
tion : il fit donner des Vivres en
abondance à fes troupes haraffées ;
& pour les remettre entièrement
de leurs fatigues , il les ramena au-
delà du Rhin , ou étoient les équi-
pages de l'armée.
La France , pour confacrer à la
poftérité la mémoire d'une expédi-
tion fi prompte & û vive, fit frap-
per la Médaille. N°. 12.
On voit une Foudre ailée. Les mots :
de la Légende : Vis & Cehritas , fi-
gnifient : Vigueur & Vîteffe ; & l'E-
xergue : Pugna ad Sint^hemium ,
M. DC. LXXIV. Bataille de
Sintyheim i€j4>
Depuis cette bataille ; les çnne-
DE TURENNE. LlV. V. 395
mis , qui avoient été difperfés dans k N v é s
leur retraite , s' étoient raffemblésau- ^74-
delà duNecker, oùleDucdeBour- Turrc.nner
, , 7 . . 19 , T pouiTuic les
nonville, General de 1 armée lm~ennemis juf-
périale , le's avoit enfin joints avec iu'au Mein*
un corps de huit mille hommes. Ils
n'ofoient néanmoins tenir la cam-
pagne , & ils fe retranchoient dans
leur camp , où ils étoient réfolus de
demeurer en attendant les troupes
des cercles , des Princes & des Etats
de l'Empire , qui venoient les join-
dre. Mais le Vicomte de Turenne ,
qui vouloit encore les combattre
avant cette féconde jonction , ayant
fait fuffifamment rafraîchir fon ar-
mée , qui venoit d'être renforcée de
quinze cens chevaux, & de l'infan-
terie qu'il avoit à Hochfelt , paffa en-
core une fois le Rhin à Philisbourg ,
fans emmener de bagages avec lui ,
afin de pouvoir aller plus vite : il
marcha trois jours & trois nuits , &
arriva au Necker. Les ennemis
étoient campés au-delà de ce fleuve ,
près de Ladembourg, petite Ville
entre Heidelberg & Manheim ; ils
étoient retranchés dans l'endroit
R vi
NEE
395 Histoire du Vicomte
qu'ils occupoient , & ils l'a voient
fortifié par tous les ouvrages qui
peuvent affurer un camp. Ils avoient
devant eux le Necker , qui les cou-
vroit; ils en avoient palhTadé les
bords , ils y avoient dreffés des bat-
teries de canon , & ils avoient pris
toutes les précautions néceffaires >
pour nous en difputer le paffage.
Leur armée étoit de treize à quator-
ze mille hommes, & la nôtre n'étoit
que de dix à onze mille : néanmoins
le Vicomte de Turenne, ayant réfolu
de les aller attaquer, borda le Nec-
ker de fon canon à Wiblinghen , où
il vouloit paffer , &t y fit faire un pont
fous le feu de fon artillerie :mais à
peine ce pont et oit-il commencé ,
que les ennemis abandonnèrent leur
camp & leurs retranchemens , &
fe retirèrent vers le Mein , du côté
de Francfort. Le Vicomte de Tu-
renne détacha après eux le Comte
de Roye avec un corps de cavale-
rie j lui ordonnant de les charger fi-
tôt qu'il feroit à portée pour les ar-
rêter , & lui donner le tems d'arri-
ver avec le refte de l'armée , à la-
X H ES
DE TURENNE. LiV. V. 397
quelle il fit prompement paffer le
Nfecker , moitié à gué , moitié fur " 1074
Ton pont. Jamais troupes ne mar-
ièrent avec plus d'ardeur à l'en-
lemi que les nôtres : quelque dili-
gence que fit la cavalerie , l'infan-
:erie la joignit à tous les défilés,
Mais les ennemis avoient tellement
peur que nous ne tombafîions fur
mx, qu'ils firent quatorze lieues
out d'une traite : ils étoient déjà
tu-delà de Zwinghenberg , lorfque
e Comte de Roye commença à
:harger leur arrière - garde ; & le
Vicomte de Turenne y étant arri-
vé bientôt après avec toute l'ar-
j née , la frayeur faifit tellement les
i ennemis à notre approche , qu'ils fe
j iébarrafferentde tout ce qui les pou-
yoit incommoder , pour fuir avec
plus de précipitation. Toute leur
(route étoit femée de cuiraffes &
! d'autres fortes d'armes : ils biffèrent
derrière eux beaucoup d'hommes &
de chevaux fatigués, que nous prî-
imes , & on les pouffa enfin fi vive-
ment , que l'infanterie s'étant dé-
bandée à droite & à gauche dans les
398 Histoire du Vicomte
A n n t e montagnes & dans les bois , il ne
**74- s'en retira pas quatre cens hommes
enfemble ; & que leur cavalerie ne;
s'arrêta point, qu'elle ne fût derriè-
re Francfort , au-delà du Mein,.
Nous les fuivîmes jufques fur les
bords de ce fleuve ; nous prîmes
les principaux Officiers qui étoient
à l'arriere-garde , & un grand nom-
bre de foldats , ûx pièces de ca i
non , & une partie du bagage &
ée fut pour immortalifer cette dé
route qu'on frappalamédaille n°. 1 3
On y voit un homme à cheval , qu:
tient un étendart aux armes d(
France , & qui court à toutes jam-
bes après les ennemis. Derrière efl
le fleuve du Necker. La Légende
Germants iierùm fujis , fignifîe : La
Allemands défaits une féconde fois :
l'Exergue ; ad Nicrum M. DC.
LXXIV. Sur les bords du Necker,
Par cette fuite des ennemis , lei
Vicomte de Turenne fe trouvant
maître du Palatinat , y fît vivre fes
troupes à difcrétion , ôt fon ar-
mée , en quatre ou cinq campe-
N H E S
DE TURENNE. Liv. V, 599
liens , qui durèrent près d'un mois,
pnfuma tous les fourages &C tou- i674
îs les moiffons de ce pays, de ma-
iere qu'il eût été impoflible à au-
in corps de troupes d'y lubrifier,
a plupart des payf ans du Palatinat ,
épouillés de toutes chofes, furent
bligés d'abandonner leurs maifons
: de fortir du pays : mais il n'y eut
>rtes de cruautés qu'ils ne fiflent
mrTrir à ceux de nos foldats qu'ils
tirent prendre , pour fe venger de
extrémité où nous les réduirions:
s en pendirent quelques-uns la tê-
: en bas, &les rirent brûler à petit
ru , ou les lahTerent ainfi mourir
ms les étrangler ; ils arrachèrent
5 cœur & les entrailles à quelques
Litres encore en vie , èc leur cré-
èrent les yeux ; & après les avoir
3us marTacrés ou mutilés avec
1 cruauté la plus barbare , ils les
xpoferent en cet état fur les grands
hemins. Notre armée eut ce trif-
e fpe&acle en plufieurs endroits
ie fa marche ; 6c les Anglois 9
yant trouvé les corps de quel-
[ues-uns de leurs camarades ainfi
4°° Histoire du Vicomte
Année miférablement tronqués , cette bar-
x*74- barie les outra de telle forte
qu'ils allèrent comme des furieux
le flambeau à la main , mettre il
feu par-tout aux environs , cj
brûlèrent quantité de Bourgs £1
de Villages, & même quelques pe;
tites Villes, dont les habitans ru
rent contraints de s'aller établi
dans d'autres Etats. L'Ele&eur P«
latin voyant fon pays ainfi dépeij
plé & ravagé , étoit au défefpoi
de n'avoir pas accepté la neutn
lité que nous lui avions offerte
Irrité de la défolation de fes Etats
n'ayant point d'armée pour s'e;
venger, & ne fçachant à qui s'e;|
prendre , il envoya faire un appel
au Vicomte de Turenne , et luj
écrivit une lettre , par laquelle il
lui mandoit qu'il le vouloit voi:
l'épée à la main dans un combat par
ticulier. Comme cette lettre lu
fut apportée devant tout le mon
de par un trompette , il la lut er
préfence de quelques Officiers qu
étoient avec lui : mais il n'eui
pas plutôt vu ce qu'elle conte-
DE TURENNE. Liv. V. 4OI ___^
îoit , qu'il fut très-fâché de l'a- 7TT7*
koir lue publiquement , par confi- 1674.
lération pour l'Ele&eur Palatin , à
I réputation duquel il craignit que
:ette lettre ne fit beaucoup de
prt ; car cet Electeur paflbit pour
1 Prince de tout l'Empire qui a-
l'oit le plus d'efprit ; & le Vicom-
2 de Turenne , jugeant bien qu'il
e feroit pas long-tems à fe repen-
r de l'appel qu'il lui avoit fait
lire , auroit bien voulu ménager
honneur de ce Prince : en effet , il
'eut pas plutôt lu la réponfe plei-
e de fageffe que lui fit le Vicom-
î de Turenne , qu'il demeura con-
as de ce que la pafïion lui avoit fait
lire. Le Vicomte de Turenne ne
oulut donner à qui que ce foit
opie de cette lettre ; & il ne Lettre du
►envoya même au Roi , qu'après g^Jg *
l[ii'il lui eut promis qu'il ne la fe- i9 Août , i
doit voir à perfonne. Il fit un châ- Vetf*lllcs»
: iment exemplaire de ceux qui a-
"oient été les auteurs des incen-
ties ; & comme c'étoient la plu-
>art de fort braves gens , il ne put les
:ondamner à la mort fans fe faire
402 Histoire du Vicomte
Année une extrême violence ; ce que tout
1<f?4. le monde remarquant , il fut tou-
jours regardé comme le père des
lo.ldats , lors même qu'il les faifoil
punir fuivant toute la rigueur de»
Ordonnances.
Ses foins Pa ^ii refte après avoir confum* :
ternis pour- 'r QL
fesfoid ts,& les fourages oc tout ce qui poiii
leur amour voit fervir aux ennemis dans kl
pour uu partie du Palatinat qui eft à 1;
droite du Rhin , il revint dans cell< i
qui eft à la gauche , pour y en fair< i
autant, i e fut là que la dyfîente I
rie s'étant mife dans fon armée I
on reconnut , encore mieux qu'ei |
aucune autre occafion , jufqu'oii
s'étendoit fa bonté pour les trou i
pes ; car le meilleur père ne f
donna jamais plus de môuvemen |
& de foins pour la gtiérifon dn
{es enfans , qu'il s'en donna pou i
celle de fes foldats. Aufîi étoient- ',
ils pleins d'amour & de vénérai
tion pour lui. Ils n'avoient null<
inquiétude , pourvu qu'ils fçuffen
qu'il étoit en bonne fanté ; mai:
le travail 6c les fatigues continuel
les qu'il avoit à foutenir > leur fai-
N N £ E
deTurenne. Liv. V, 403
oient craindre qu'il ne vînt enfin a
y fuccomber. S'ils étoient feule- l674«
uent une demi-journée fans le voir ,
s couroient à fa tente , pour ap-
rendre de (es nouvelles : quand il
affoit à la tête du camp , ils for-
ment de leurs baraques ou de leurs
inonieres , comme s'il y a voit eu
>ng-tems qu'ils ne l'euffent vu,
: on les entendoit fe dire les uns
ix autres : Notre père fe porte bien ,
>us n avons rien à craindre. Il ne
paffoit gueres de jours qu'il ne
s vît tous; il les faluoit & leur
irloit avec une noble familiarité ,
;il prenoit plaifir à voir combien
en étoit aimé.
Cependant , l'armée de l'Em- ii.obiîgefc
îreur & de fes confédérés avoit mjJJele R^i
jointe par les troupes des Cer- de k ,aiffec
es de l'Empire , & par celles de en AJfacc*
ell , de Volfembutel , de Saxe ,
I Heffe , de Munfter , de Trêves
:de Cologne; &c comme il fem-
oit que cette multitude d'enne-
iis alloit inonder tout ce Royau-
té , le marquis de Louvois manda
Vicomte de Turenne d'aban-
404 Histoire du Vicomte
n n é e donner au plutôt l'Alface , & de f ;
i*77. retirer fous Nancy , pour fauve
l'armée du Roi , & défendre , s':
étoit pofîible , la Lorraine : à que
le Vicomte de Turenne répond:
que le danger ne preffoit pas fi fort
& qu'il efpéroit pouvoir conferve
la Lorraine , fans être obligé , pou
cela , d'abandonner l'Alface. Ll
Marquis de Louvois écrivit une f<|
conde lettre au Vicomte de Tt
renne , par laquelle il lui mandor
que le Duc de Lorraine prétendo
pénétrer dans fes Etats , par
moyen des intelligences qu'il
avoit pratiquées ; & que , s'il n
quittoit promptement l'Alface poi
venir couvrir la Lorraine , ces deu
Provinces feroient bientôt perdu*
pour la France. Et comme le Y
comte de Turenne perliftoit ce
pendant à demeurer tur les bord1
du Rhin , le Roi lui écrivit lui-mi1
me , en lui envoyant ordre de f
retirer en Lorraine. Il lui man1
doit que , comme Philisbourg 6'
Brifach étoient à nous , il trouvoi
qu'il n'y auroit pas grand incofi
DE TuRENNE. Liv. V. 405
énient à abandonner l'Alface , qu'il a h h é s
'y avoit qu'à rafer Neuftat , Lan- x674%
au , WehTembourg 6i quelques
litres Places de cette Province; &
u'après cela les ennemis auroient
ien de la peine à s'y établir 8t à
prendre des quartiers. Le Vi-
omte de Turenne répondit au
Loi , que , fi par fa retraite il
bandonnoit l'Alface aux ennemis ,
I yant Strasbourg derrière eux , ils
emeureroient dans cette Provin-
? tant qu'il leur plairoit ; que de
ils poufTeroient la guerre à leur
ré en Franche Comté , en Lor-
irne , & même en Champagne ;
u'ils feroient maîtres de tout, dé-
nis Mayence julqu'à Baie , c'eft-
-dire , d'une étendue de pays ca-
able de faire fubfnter cent mille
ommes durant tout un hiver ;
lue bientôt nous n'aurions pas
iiême de nouvelles de Philif-
purg ni de Brifach , n'ayant plus
iicune communication avec ces
jeux Villes ; que rien ne décrie
(lus que de rafer des Places , puif-
u'on fait voir par-là qu'on n'a pas
406 Histoire du Vicomte
A » N é i même l'efpérance d'y pouvoir ja
1*74. mais retourner, que d'ailleurs ce
Places rafées n'empêchent pok.
qu'on ne s'établhTe dans un pays-
& que des palifîades qu'on peu
mettre en un jour font tout auf:
bonnes que des murailles pour d(
quartiers d'hiver. Le Roi fut û
tisfait de cette réponfe , 6c nu 1
fifta pas davantage fur cela, il
Vicomte de Turenne ayant dorj
obtenu la permifïion de ne poijj
abandonner l'Alface , il fe propxj
fa , non-feulement de défendre ce
te Province , mais encore d'empi
cher que les ennemis ne paffarTei i
le Rhin. Il n'y avoit point de poii
fur ce fleuve depuis Strasboui
jufqu'à Mayence ; nous nous t<|
nions afîiirés de ces deux pont*
fur la foi de la neutralité que FI
le£teur de Mayence &c les Magî
trats de Strasbourg avoient pr<
mis de garder. Il efl vrai que 1<
ennemis pouvoient en jetîer 1
entre ces deux Villes ; mais
Vicomte de T«renne fe pofta c
manière, qu'il étoit à portée del<
N N E S
DE TURENNE. Liv. V. 4O7
'n empêcher , en quelque endroit ^
[ii'ils entreprirent de le faire. En 1*74
îffet après qu'ils eurent long-tems
narché fur les bords du Rhin , fans
voir ofé y faire un pont en pré-
mce du Vicomte de Turenne, qui
I montroit par-tout où ils paroif-
l^ient , ils abandonnèrent cette
ntreprife , & étant defcendus du
ôté de Mayence , ils firent fi bien
ue l'Electeur de cette ville leur
vra fon pont , fur lequel ils firent
affer la meilleure partie de leur
-mée , &c le refte fur des ponts
olans qu'ils jetterent au~defïbus.
cette nouvelle le Marquis de
ou vois crut être en droit de te
iaindre de ce que l'Etat étoit
ins un très-grand danger , parce-
a'on a voit trop déféré au fenti-
ent du Vicomte de Turenne ; &c
fant fortement remontré dans le
onfeil 9 combien iljétoit important
î fe retirer dans les paffages de
Lorraine , le Roi envoya des
rdres fi prefTans de le faire , que
le Vicomte de Tiirenne n'avoit
as eu tant de zèle qu'il en a-
___ 4°8 Histoire du Vicomte
Année voit pour fon fervice , il n'auroii
ltf74. pas différé un moment à les exé-
cuter : mais , comme il étok inca
pable de faire une chofe qu'il la
voit être contraire au bien de TE
tat , il demeura encore en Alface
nonobftant ces ordres , après avoi
toutesfois écrit une Lettre a
Roi , pour lui rendre raifon de ij
conduite,
Sesraïfonjà les Ennemis , dit il dans cet!
wtegard. Jettre ^ quelque grand nombre <|
troupes qu'ils aient , ne fauro'w
dans lafaifon où nous fommes , pe
fer à aucune autre entreprije qu *
celle de me faire Jortir de la Provin \
S>ù je fuis , n ayant ni vivres , I
moyens pour pàjfer en Lorraine , q, I
je ne fois chajjé-de £ 'Alface : & fi
m9en allois de moi-même , comme v I
tre Majejlé me V ordonne , jeftrois I
qtfils auront peut- être bien de lapei .
à me faire faire. Quand on a un not
bre raifonnable de troupes , on ne qu
te pas un Pays , encore que V ennemi
ait beaucoup davantage : & je fi :
perfuadé qu9il vaudroit mieux pour I
fervice de Votrt Majejlé que je pel
BE Tu RENNE Liv. V, 409 ___
iijje une bataille , que d'abandonner a * n * a
VAlfacc & de repajjer les monta- 1^74»
\ynes. Il finit cette Lettre , en offrant
lie prendre tout fur lui , &: de fe
pharger des événemens; fi bien que
e Roi , fatisfait de fes raifons , 6c fe
confiant d'ailleurs à la capacité
:k à l'expérience du Vicomte de
ITurenne , lui envoya cinq à fix
nille hommes de renfort , & le
aiffa maître de faire ce qu'il vou-
llroit.
Le Vicomte de Turenne ayant I! s'y fo"îfie«
tinfi obtenu une féconde fois la
îermifTion de défendre l'Al&ce,
:omme les ennemis ne pouvoient
1 venir que du côté de Landau y
1 prit le parti de s'aller mettre fur
eur paffage auprès de cette Ville ;
k ayant trouvé un porte avan-
:ageux , d'où il pouvoit également
te porter au Rhin ou à la monta-
gne , il y établit fon camp ; il y
ÎSt faire des retranchemens ; il y
ifit apporter tous les fourrages des
1 Places qui étoient aux environs ,
î& il réfolut d'y attendre les enne-
imis,
S
410 Histoire du Vicomte
^ m N i E Le Duc de Bournonville & les
1*74. f autres Généraux qui comman-
Le$ i^Pe" Soient les troupes de l'Empereur
«aux n olenc r . 1
l'y atcaquer. & celles de 1 Empire , crurent qu il<
n'avoient qu'à s'avancer vers le Vi-
comte de Turenne , &: qu'à la pre
miere ou féconde marche , il f<
retireroit aufïi-tôt en Lorraine , 01
il reculeroit du moins jufqu'à Sa
verne. Ils firent donc marcher ver |
lui toute leur armée dans cett
confiance ; mais ils furent biei
furpris lorfqu'ils virent qu'il le
attendoit de pied ferme. Ils vin
rent jufqu'à Spire , d'où ils envoie
rent reconnoître fon camp. Il
avoient cinquante mille hommes
& il n'en avoit que feize à dix
fept mille. Néanmoins , ayant vi
l'avantage du pofte qu'il avoi
choifi , & la fermeté avec laquelL
il les attendoit , ils ne jugèrent pa
à propos de l'attaquer : & aprè
avoir extrêmement pâti dans \%
vêché de Spire , par la difette di
fourrage, qu'ils étoient contraint
d'aller chercher à plus de dix lieue;
de leur camp , ils repayèrent enfii
DE TURENNE.LV.K 41 ï
le Rhin , fans avoir feulement mis YT7TT
le pied en Alface. Ils délibérèrent 1*74.
quelque tems au-delà du Rhin fur
la proportion qui leur fut faite
d'afiiéger Philisbourg. L'Ele&eur
Palatin , dont les Etats étoient fort
incommodés par les courfes que
faifoit la garnifon de cette Place ,
offrit de nourrir l'armée , tant qu'el-
le feroit occupée à l'afîiéger : mais
les Généraux de l'armée Impéria-
le ne furent pas d'avis de faire ce
fiége en préfence du Vicomte de
Turenne ; 6c cette entreprife ayant
été abfolument rejettée , ils firent
marcher leurs troupes , en remon-
tant le long du Rhin , à travers le
Marquifat de Dourlach 6c celui de
Bade , dans le deffein de s'appro-
cher de Strasbourg.
Le Vicomte de Turenne , crai- 11 remonte
enant que les Magistrats de cette le Rhin » &
Ville n en uialient comme avoit pêcher le par-
fait i'Ele&eur de Mayence , remon- ^ Jusrtra]fc
ta aufll le long du Rhin de fon cô- bourV
té , envoya le Marquis de Vaubrun,
avec un corps de cavalerie , au-
près de Strasbourg , & vint avec le
412 Histoire du Vicomte^
Année re^e de l'armée jufqu'à Lavantze-
«^74» naw , qui n'eft. qu'à deux lieues
de cette Ville : mais ceux de Stras-
bourg , voyant l'armée ennemie &
fupérieure à la nôtre , crurent pou-
voir impunément nous manquer de
parole , & livrèrent leur pont aux
Impériaux , contre la foi de la
neutralité qu'ils nous avoient pro-
mife.
il fe réfout Le Duc de Bournonville ., fe
uUW* ba" voyant maître du pont de Straf-
bourg , y fit paffer fon armée , &
alla fe camper entre les rivières
d'Ill & de la Brufch , vers la ville
de Molsheim , pour attendre dans
ce pofle l'Eleâeur de Brande-
bourg | qui amenoit vingt mille
hommes , ÔC qui n'étoit plus qu'à
quelques journées de Strasbourg.
Mais le Vicomte de Tnrenne ,
considérant les entreprises que les
ennemis pourroient faire dans le
Royaume , qui étoit tout ouvert de
ce côté-là , lorfqu'un fi puiffant
renfort les auroit joints , réfolut
de les combattre avant cette jonc*
tion.
DE TURENNE. Liv. V. 413
Pour cela, il décampa de La- A N - . %
vantzenaw à une heure après mi- ^?<k
nuit ; & lailTant Strasbourg fur la
•; gauche-, il fit prendre à fon ar-
;mée la route de Molsheim. Il
furvint une pluie qui dura pendant
I toute la marche ; & cette pluie
ayant détrempé la terre , qui, en
ice pays-là erlgraffe, & qui, outre
I cela , étoit prefque par-tout labon-
jrée, rendit les chemins extraordi-
I nairement difficiles. Néanmoins,
I le Vicomte de Turenne ayant en-
I voyé quelque tems auparavant des
igens pour faire des ponts fur les
1 rivières & fur les ruhTeaux quil
ifalloit palier , & les foldats ne
(comptant pour rien la fatigue ,
] quand il s'aghToit défaire ce qu'il
fouhaitoit d'eux , l'armée ne lahTa & va fc cam-
pas d'arriver à quatre heures après pe.1 * Dathf-
midi fur les hauteurs de Holtz-
heim , affez près de la ville de
Dachflein , qu'elle avoit à fa droi-
:te. Ce fut de cet endroit que l'on
i commença à découvrir le camp
•des Impériaux , qui étoit derrière
Ensheim , 6c qui s'étendoit le long
S iij
4M Histoire du Vicomte
a w k é £ de quelques autres villages circoir-
1674. voifins. Le Vicomte de Turenne*
ayant réfolu de donner bataille le
lendemain , employa ce qui reftoit
de jour à reconnoître l'endroit où
étoient les ennemis , &. la manière
dont ils étoient campés»
x nn'mSi *"es ennem*s étoient à une lieue
ittmhSL de là. Pour aller à eux 7 il falloir
paffer la Brufch & le ruiffeau de
Holtzheim , derrière lequel étoit
une plaine fort propre à fervir de
champ de bataille. Cette plaine
étoit fermée par un grand* bois du
côté de Strasbourg , qui étoit à la
droite des ennemis ; & de l'autre
côte, où étoit leur gauche , il y
avoit un petit bois de mille pas
de long , fur quatre ou cinq cens de
large , au-delà duquel étoit le vil-
lage d'Ensheim. Ce fut tout ce que
le Vicomte de Turenne put re-
connoître , à caufe du peu de jour
qui refloit ; & comme il n'y avoit
pas un moment de tems à perdre ,
pour exécuter le deffein qu'il avoit
formé, il fit auffi-tôt avancer des
dragons , pour fe faifir des ponts
©E TURENNE. LÏV\ K 415 .
qui étoient fur la rivière de la a n n é s
JBrufch , & fur le ruifleau de Holtz- i67^
tieim , au pafTage defquels on eût
perdu bien du tems , fi les enne-
mis avoient fait rompre ces ponts ,
ou les avoient gardés. On y ût
paffer le canon & l'infanterie , &:
ta cavalerie paffa à divers gués.
On employa à cela toute la nuit 9
pendant laquelle le Vicomte de
Turenne demeura toujours à che-
nal.
Quant aux ennemis , fi -tôt DiTpofitîoi»
qu'ils nous apperçurent , ils furent <*e l'armée
stonnés de la hardiefle du Vicom - inf,er,a c*
:e de Turenne , qui venoitles cher-
cher : plufieurs de leurs Officiers»
Généraux opinèrent pour la retrai-
te ; mais les autres , ayant repré-
fenté qu'on ne la pouvoit plus fai-
re en fureté , appuyèrent fi bien
leur fentiment , qu'il fut réfolu
qu'on nous attendroit, qu'on pafTe-
roit toute la nuit fous les armes ,
& qu'on l'emploieroit à fe retran-
cher & à prendre fes avantages.
Le Duc de Bournonville raffembla
fes quartiers aux environs de celui
S iv
416 Histoire du Vicomte
A n k é e d'Ensheim ? qui étoit le principal ,
i67*> & derrière lequel il fît ranger fon
armée en bataille. Il fit mettre
toutes (es troupes fur deux li-
gnes fort groffes & fort longues ,
avec un corps de réferve , compo-
fé de tant de bataillons Ôc d'efca-
drons , qu'il pouvoit bien être
compté pour une troifieme ligne. Il
donna le commandement de l'aîle
droite au Comte Caprara , & celui
de l'aile gauche au Duc de Holf-
tein , & pour lui , il fe mit à la
tête du corps de bataille. Le
Duc de Lorraine 9 le Marquis de
Bade , ôc plufieurs autres Princes
& Souverains d'Allemagne , qui
étoient au nombre de vingt-deux
dans cette armée , y avoient le
commandement de leurs propres
troupes , mais avec fubordination
aux Lieutenans - Généraux des ai-
les où leurs corps fe trouvoient
diflribués. L'ordre de bataille
ayant été ainfi réglé , le Duc de
Bournonville fe faifit du petit bois
qui étoit devant fa gauche , & du
village d'Ensheim , qui répondoit
DE TU RENNE. Llv. V, 417
jufqu'au centre de fon armée » & a » a é »
il envoya du canon dans l'un &: ' i674.
dans l'autre , avec de l'infanterie ,
qui s'y retrancha autant que le
tems le put permettre. Ainfi fa
droite étoit aflurée par le granc
bois , qui couvroit fon flanc du
côté de Strasbourg , &c par une
longue haie , qui étoit à la tête
de la première ligne : fon corps
de bataille fe trouvoit en partie à
couvert par le village d'Ensheim 9
qui étoit tout environné de haies ,
de folles , 6c de retranchemens ;
ôc fon aile gauche étoit en quel-
que façon à l'abri de toutes fortes
d'attaques , tant par un long fofie
bordé de groffes haies , qui étoit
au-devant , que par le petit bois
qui la couvroit , & que les Impé-
riaux pouvoient foutenir par un
grand front , fans faire aucun mou-
vement irrégulier , puifqu'il répon-
doit au centre de cette aile. Il
avoit , outre cela , à la droite & à
la gauche , des ridaux &: des ra-
vins , dont les Impériaux profitè-
rent ; de forte que leur infanterie
S v
4i8 Histoire du Vicomtf
a m n ê i étoit logée fi à couvert , qu'à pei-
i^74« ne la pouvoit-on voir. Enfin ils
nous attendoient dans des portes
fi avantageux , que quelque foible
qu'eût été une armée , le Général
eût toujours cru y être hors d'in-
fulte. Les Impériaux avoient pour-
tant cinquante mille hommes,
pifpofmon Quoique le Vicomte de Tu-
de 1 armée de **'\ ** t, $ r • i i
France. ronne eut ete renforce de quelques
Régimens , fon armée étoit en-
core plus de la moitié plus foi-
ble que la leur. Néanmoins , con-
noifTant la valeur de fes officiers-
& la confiance qu avoient en lui les
foldats , il perfifta dans le deffein
d'attaquer les ennemis , malgré
tous les avantages qu'ils avoient
du coté du nombre , & du côté du
porte. Il employa toute la nuit à
faire parler à fes troupes la riviè-
re &c le ruifleau ; & dès le point
du jour , il commença à étendre
fon armée dans la plaine , & à la
ranger en bataille fur deux lignes.
Il compofa la première de dix ba-
taillons , & de vingt-huit efca-
drons 9 partagés également fur les
* n i s
DE ÎURENNE. I/v. ^. 419
deux ailes ; &: la féconde , d'un pa-
reil nombre d'efcadrons , mais feu- 1*74
lement de huit bataillons. Il mit
cinq efcadrons entre les deux li-
gnes , derrière l'infanterie de la
première , pour la foutenir ; & deux
bataillons , avec fix efcadrons qui
lui refloient , au corps de réferve.
[1 entremêla tous nos efcadrons de
divers pelotons d'infanterie , pour
fecourir la cavalerie dans le be-
foin : car , quoique d'ordinaire ce
(bit la cavalerie qui foutient l'in-
fanterie dans un jour de batail-
le, cependant , comme il avoit
éprouvé le contraire à la journée
I de Sintsheim , il crut devoir pren-
dre encore ici la même précaution.
Il mit à la tête du corps de ba-
taille le fieur Foucault , qui étoit
Ile plus ancien Lieutenant-Général ,
| & fous lui le Comte d'Hamilton ,
Maréchal de camp. Il donna le
commandement de l'aîle droite
au Marquis de Vaubrun , & celui
de l'aîle gauche au Comte de
Lorges , tous deux Lieutenans-Gé-
néraux 3 qui avoient avec eux les
Svj
__ 420 Histoire du Vicomte
Année Comtes de Roye & d'Auvergne
1^74. pour Maréchaux de camp. Cha-
que brigadier fervit à la tête de
fa brigade. Il y en avoit huit dans
les deux lignes ; à favoir , les
fieurs de Piloy & de Revellion , le
Chevalier d'Humieres , Se les Mar-
quis de Douglas , de Pierrefitte , de
Renty, de Puifieux & de Lam-
berth. Il donna au Marquis de
Montgeorge , Meftre de camp de
cavalerie , le commandement des
cinq efeadrons , qui étoient entre
les deux lignes ; ôc celui du corps
de réferve au Marquis de Beau-
pré , aufîi Mettre de camp de cava-
lerie. Il avoit pour Aides de
camp le Chevalier de Bouillon,
Milord Duras , & les Marquis
d'Harcourt , de Ruvigny , & de
Saint-Point. Il ne choiiït pour lui- ;
même aucun porte particulier , afin
d'être plus libre de fe porter par-
tout où fa préfence feroit néceflai-
re. Il parcourut la tête de la pre-
mière ligne , Se fe fit voir aux trou-
pes avec cet air de gaieté , qu'il ia-
voit û bien prendre aux jours de
DE TURENNE, Llv. V, 4IÏ
bataille. Si-tôt que les Anglois l'ap- A N N k R
perçurent , ils pouffèrent un cri de 1674.
joie , qui lui parut être de bon au-
gure. Il donna quelques ordres aux
Officiers-Généraux , & il fit mar-
cher fon armée vers celle des enne-
mis.
Le petit bois qui étoit fur notre " Bataille
roite , tut la première choie qui
nous obligea à faire halte. On décou-
vrit deux troupes de cavalerie au-
devant : on leur tira quelques vo-
lées de canon ; &c ces deux trou-
pes s'enfoncèrent aufïi-tôt dans le
bois. Le Vicomte de Turenne ,
voulant en reconnoitre les bords ,
>'en approcha affez près avec quel-
ques Officiers ; ck ayant apperçu
l'aile gauche des ennemis , qui
î'avançoit par derrière , &C tour-
tioit autour pour venir prendre en
flanc notre aile droite , il tira au
plutôt de fon armée fix batail-
lons , & de la cavalerie 6c des
dragons à proportion ; 6c il en fit
deux nouvelles lignes , qu'il plaça
de manière qu'avec les deux au-
tres , elles faifoient une efpece de
422 Histoire du Vicomte
a » n è e potence , & que non - feulement
**74. elles couvroient tout le flanc dé
notre aile droite , mais qu'elles
débordoient encore beaucoup vers
le ruiffeau de Holtzheim. Les en-
nemis , voyant ce nouvel ordre
dans la difpofition de notre ar-
mée , retournèrent fur leurs pas r
& bornèrent tous leurs deffeins ,
de ce côté-là , à la défenfe du bois ,
dont ils s'étoient failis. Comme le
Vicomte de Turenne ne pouvoit
rien faire qu'il ne fût maître de ce
bois, il le fit attaquer par un dé-
tachement de dragons, qu'il y en-
voya fous les ordres du Chevalier
de Boufflers. Les ennemis en
avoient embarraffé les avenues de
notre côté par de grands abbatis
d'arbres. Ils avoient remué quel-
ques terres derrière ces abbatis ,
pour leur fervir de retranche-
ra ens ; ils y avoient envoyé trois
bataillons, & ils y avoient mê-
me deux pièces de canon chargées
à cartouches. Le Vicomte de Tu-
renne fit auiîi avancer quelques
pièces de campagne vers cet en-
BE TURENNE. Z/v. V.
N N E S
roit Se fit foutenir les dragons a
u Chevalier de Boufflers par cinq l674.
|ens Moufquetaires. On fe canona
uelque tems de part & d'autre ,
t on en vint enfuite au feu de
i moufqueterie , qui fut afTez égal ,,
mt que les ennemis n'eurent là
ue trois bataillons r mais comme
i Duc de Bournonville détachoit
iceflamment des troupes fraîches
our maintenir ce porte , le Che-
alier de Boufflers auroit bientôt
té obligé d'abandonner l'attaque ,,
i le Vicomte de Turenne ne lui-
voit aufïï envoyé de nouvelles
roupes. Ce Prince fit marcher
fon fecours tous les pelotons
l'infanterie qui étoient dans les
atervalles de nos efeadrons. Avec
:e renfort r le Chevalier de Bouf-
lers redoubla les charges. Les
ennemis , de leur côté , faifoient
m très-grand feu ; fi bien que le
Chevalier de Boufflers , défefpé-
:ant de les chaffer de là , à coups de
:anon ou de moufquet , & réfolu
d'y périr , ou d'en venir à bout ,
fit mettre pied à terre à fes dra-
424 Histoire du Vicomte
a n v i e gons , fauta par-deffus les abbatûj
l*74« d'arbres , monta fur les retranche
mens qui étoient derrière , chargea \
les ennemis l'épée à la main , f<
rendit maître de leur canon , &j
les pouffa jufqu'à un autre abbaiis
qu'ils avoient fait plus loin , & der
riere lequel ils avoient lix autre:
pièces de canon encore chargée
à cartouches. Nos gens effuye
rent avec fermeté , durant plus dt
trois heures , le feu de ce canon
Mais le Vicomte de Turenne
voyant qu'il étoit impofïibîe de
forcer les ennemis dans un parer
retranchement , fans un granc
corps d'infanterie y y envoya tou-
te celle des deux nouvelles lignes
quil avoit formées pour couvrit
les flancs de notre aile droite. Les
ennemis , de leur côté , y accouru-
rent en foule , & le combat recorn- 1
mença tout de nouveau. Une gran-
de pluie qui furvint > fufpendit
à la vérité y pour quelque-tems ,
l'ardeur des attaques ; mais cela
ne fervit qu'à les rendre après plus
furieufes ; & il fe fit en cet en-
N N K S
DE TURENNE. Llv. V. 425
Iroit un û grand carnage , qu'on
îe combattoit de part & -d'autre 1^47
jue fur des tas de corps morts,
infin le Chevalier de Boufïlers ,
>ar-tout à la tête des foldats , les
mima fi bien par fon exemple , que
îous prîmes les fix autres pièces
le canon des ennemis , & que
îous les pouffâmes encore plus
ivant dans le bois , gagnant tou-
ours du terrein. Mais , comme rien
l'étoit plus capital , pour l'un &
autre parti , que d'être maître de
:e bois , le Duc de Bournonville
I envoya tant de monde , que le
/icomte de Turenne fut obligé
l'y faire marcher plufieurs batail-
ons de fes deux autres lignes r
ivec le Marquis de Vaubrun , 8c
quelques brigadiers à la tête. Corn»
ne ces troupes n'avoient point
encore combattu, on recommen-
ça , pour la troifieme fois , un des
)lus fanglans combats d'infante-
rie , qui le fût. donné depuis long-
:ems : il fut foutenu avec beaucoup
îë valeur de part & d'autre , &: le
.uccès en fut affez également ba-
416 Histoire du Vicomte
XTTTï lancé durant quelques heures. Preti
1*74. que tous les Officiers Généraux yi
agirent de leur chef, fe détermi-
nant félon les occurrences : & peut-
être que jamais les Officiers parti-
culiers ne prirent moins confeil
des Officiers Généraux qu'en cette
occasion ; l'irrégularité du champ
de bataille , & l'acharnement des
deux partis , empêchant qu'on ne
pût ni donner ni recevoir le*
ordres dans les formes accoutu-
mées. On combattoit avec furie
dans tous les vuides du bois. L'em-
barras de traverfer ce bois , qu:
nous étoit inconnu , rendoit cette
action également difficile & péril-
leufe pour nous. Elle fut d'un dé-
tail infini , ëc beaucoup plus rude
& plus vigoureufe que les deux
précédentes. Les ennemis pouf-
lés fe retiroient d'arbre en arbre
ainfi , de dix pas en dix pas , il fe
donnoit un nouveau combat. Cha-i
cun cherchoit un arbre pour fe
mettre à couvert 6c faire fa dé-
charge avec avantage. On y com-
battoit même en beaucoup d'en-
DE TURENNE. Liv. V. 417
roits corps à corps. Le Vicomte XTTTI
e Turenne , vifitant fans relâche 1674»
ms les poftes , faifoit foutenir
=ux qui étoient les plus preffés,
ar des détachemens , qui arri-
oient toujours à propos ; 6c voyant
opiniâtreté des ennemis , il crut
evoir s'expofer comme le moin-
:e foldat , dans une dernière char-
; où il vouloit faire une nou-
ille tentative. Son cheval y fut
efïé fous lui , & plufieurs de fes
;ns y furent tués à (es côtés,
ais fon exemple fit faire de fi
•ands efforts à {es troupes que
)us nous rendîmes tout-à-fait
aîtres du bois. Il eft vrai que
s ennemis y revinrent une qua-
ieme fois, un peu plus par le der-
ere : mais les Anglois ayant tail-
en pièces un de leurs bataillons,
)mme il vouloit entrer ; &£ 1er
icomte de Turenne ayant fait
tinter contre les ennemis leur
ropre canon , il les chaffa enfin
îtierement du bois , ôt même de
aeîques ridaux qu'ils occupoient
ar-delà , &: les força à chercher
428 Histoire du Vicomte
. n é un afyle derrière les retranche!
i*74. mens du village d'Ensheim , aprè
la défaite de prefque toute leur iii
fanterie.
Continua- Pendant qu'une bonne parti
non de cette j j ' r^ ' i»
aaion. des deux armées fut occupée , 1 1
ne à attaquer le bois , 6c l'autre
le défendre , le reile des troup<
demeura arTez long-tems à ne ra
re autre chofe qu'à fe canoner l
s'obferver de part &: d'autre. Ma
enfin , le Duc de Bournonville
voyant que rien ne lui avoit réui
jufques-là dans le bois , laiffa |
foin de tout ce côté-là au Duc c1
Holftein ; & voulant fe dédorr
mager par quelqu'autre endroit
prit une partie de fon armée ave
lui , & marcha à deffein de ven
attaquer notre corps de bataille
& de tâcher de le rompre poi
féparer notre aile droite d'ave
notre gauche. Mais le fieur Foi
cault, qui le commandoit , cra*
gnant dêtre envelopé du côté d(
fa droite , s'il eût attendu que 1(
ennemis le furTent venus charger
s'avança au-devant d'eux avec U
N N K fi
DE TuRENNE. Llv. V. 419
•atai lions ; 6c leur ayant fait faire ,
î plus promptement qu'il put, les 1*74
volutions nécerTaires , il forma un
uarré de toute fon infanterie ,
fin qu'elle pût faire front de toil-
es parts ; fi bien que le Duc de
ournonville , n'ayant pas jugé à
ropos de l'attaquer dans cette
ifpofition , s'en retourna , &c re-
agna le centre de fon armée.
Cependant ne défefpérant pas en-
Dre de remporter quelqu'avanta-
2 fur nous , avant que la nuit mît
ti à cette grande journée , il or-
Dnna au Comte Caprara d'aller
taquer notre aile droite avec les
jiraliiers de l'Empereur , qui n'a-
oient point encore combattu. Le
omte Caprara les fit aum* tôt for-
r de derrière la longue haie , qui
xivroit l'aile droite de l'armée
npériale : il en forma dix-huit
(cadrons ; & laiflant à côté notre
:>rps de bataille , il alla par une
tarche oblique tomber fur notre
île droite ^ qui fe trouvoit dégar-
ie de tous fes pelotons d'infante-
.e , qu'on avok envoyés dans le
43° Histoire du Vicomte
jTTTTz bois, & même affaiblie de plufieur
*^74« efcadrons qu'on en avoit tiré
pour couvrir notre flanc du côt
de ce bois.
t'aîle droite Les cuiraffiers de l'Emperei
ics François nous attaquèrent en cet endro
maltraitée & ' f r
iecouruc avec tant ^e *une> c[ue notre pr
miere ligne fe renverfa fur la f
conde , qui s'enruit dans un fi grar
défordre, que peu s'en fallut que
le ne rompît le corps de réferv(
qui s'avançoit pour la fautenir ; «
la terreur devint fi grande pan
nos gens , que les valets fe fa
verent vers le bagage ; où aya:
porté l'alarme 5 la plupart <
ceux qui le gardoient s'enfuire
à Saverne avec ce qu'ils pure
emmener, publiant que nous avio
perdu la bataille : de manie1
que tous les payfans prirent de
paille fur le chapeau, pour {igm
de courir fur les François. Il h
vrai que la- fermeté de nos C
ficiers , qui ne quittèrent jam<
leurs Etendarts , fit que quelque i
uns de nos efeadrons fe ralliere:
Mais le Comte Caprara redo*
DE TURENNE. Liv. V. 431
blant fes efforts pour les rompre , ÂTTTe
il étoit à craindre que tout n'allât l67*>
Stre enfoncé , lorfque les Comtes
de Lorges & d'Auvergne arrivè-
rent fort à propos , pour arrêter
es ennemis , &C empêcher qu'ils ne
DOurTafTent plus loin leur avantage,
Car le Vicomte de Turenne n'eut
)as plutôt remarqué le grand ef-
)ace que la fuite de nos foldats
ivoit laifTé vuide à la première
igné de notre aile droite , qu'il
■nvoya ordre aux Officiers Géné-
aux de notre gauche , de marcher
•vec cette aile par derrière le
:orps de bataille , pour aller rem-
>lir ce grand vuide. Si-tôt que le
Domte d'Auvergne eut formé quel-
jues efcadrons des Anglois , il les
nena à la charge. Les Anglois
lonnerent fur les cuirafliers de
'Empereur, & les firent plier ,
nais ils ne purent les rompre. Le
3omte de Lorges cependant fai-
bit doubler fur la droite les efca-
Irons , à mefure que fa cavalerie
irrivoit,pouroppoferunafrezgrand
rontà celui des Impériaux : ôc lorf-
'f 43 2. Histoire du Vicomte
' " , que toutes fes troupes furent arri-
*"7^ vées , il chargea les ennemis avec
tant de vigueur , qu'il les rompit en
tiérement; de forte que, non-feulc
ment ils ne purent fe rallier , mai
que , ne croyant pas pouvoir rega
gner leur haie fans être auparavan
taillés en pièces , ils allèrent fe jette
dans Ensheim, dont ils étoient plu
près , & nous lahTerent maîtres d
la plaine 5 comme nous l'étions d<
jà du bois.
Les împé- Le Duc de Bournonville , ayar
ïîaux fe reti- retiré alors fes troupes de toi
rcrft" les portes où elles étoient : s'en r<
^Tpar!C&tourna du c.ôté du Rhin , marcl
«J'autre. toute la nuit affez en défordre
paffa la rivière d'Ill , & ne s'a
rêta point qu'il n'eût mis fon a:!
mée à couvert fous le canon c1'
Strasbourg , où il réfolut de de'
meurer jufqu'à ce que l'Ele&éiï
de Brandebourg fût arrivé avec 1<;,
vingt mille hommes qu'il am<:
noit. Comme il y avoit deux jou
&i deux nuits que nos folda
étoient fous les armes , à toujou I
marcher, ou combattre, par ur'i
plui
A N N É Ç,
DE TURENNE. Liv. V. 433
pluie qu'ils avoient eue continuel-
ement fur le corps ; le Vicomte " 1V74
le Turenne aima mieux les lahTer
•epofer cette nuit-là, que de pour-
îiivre les ennemis. Le lendemain ,
ïous trouvâmes dans Ensheim , &
jlans les autres portes qu'ils avoient
j.bandonnés , deux pièces de ca-
ton , des malades ÔC des blefîes en
|;rand nombre , beaucoup de muni-
ions ôc de bagages , ôc une grande
uantité de cuirafTes & de toutes
)rtes d'armes qu'ils avoient jettées
our marcher plus commodément
ans leur retraite. Le combat avoit
uré depuis neuf heures du matin,
nqu'à la nuit , c'efl-à-dire , près de
ix heures. Nous y perdîmes envi-
Dn deux mille hommes. Le Com-
; d'Auvergne y eut la jambe per-
ée d'un coup de moufqueton ; le
larquis de Puifieux , le Comte de
[amilton , ôc le fieur Réveillon y
irent aufli fort bleffés. Quant aux
nnemis , ils y eurent plus de trois
ûlle hommes tués fur la place, ÔC
s emmenèrent avec eux à Straf-
ourg plus de cent cinquante çhar-
T
Année
4J4 Histoire du Vicomte
riots remplis de bleffés. Nous leur
»*74« prîmes dix pièces de canon , trente*
drapeaux ou étendards , &: un grand
nombre de prifonniers. -.;
Ce fut pour conferver le fouve-
nir de cette troisième vi&oire , rem-*
portée fur les Allemands dans la
même année qu'on fit frapper la
médaille n°. 14.
On y voit la victoire qui , tenant
une couronne de laurier d'une
main , &: de l'autre une palme , fou-
le aux pieds plufieurs boucliers aux
armes de l'Empire. La Légende; Dt
Germants tertib , fignifie : Troijîemi
victoire remportée fur les Allemands
L'Exergue ; Pugna ad Einshemium
M. DC. LXXIV. -Bataille a"Ens-
heim , 1 674.
Les ennemis , malgré la pertt
qu'ils avoient faite dans la batail
le , ne IakToient pas d'avoir encô
re près de quarante mille homme
en état de combattre. Comme ij
n'étoit pas poiîible de forcer im<
armée fi nombreufe dans un poil»
fi avantageux , le Vicomte de Tu
renne ne jugea pas à propos de T]
DE TURENNE. Liv. V. 435
aller attaquer ; 6c aimant mieux année
donner tous {es foins à rétablir fes l6?^
troupes , il les mena à Marlen ,
qui étoit à trois lieues de là , &
où il y avoit du fourrage , & tou-
tes fortes de munitions en abon-
dance.
Cependant le Duc de Bournon- L'Armée im.
ville fut joint fous les murailles Pé,ria,,e confl~
de Strasbourg par quelques trou- renforcée.
pes des Cercles de Souabe & de
Franconie. L'Electeur Palatin y vint
aufli à la tête de deux mille che-
vaux ; le Duc de Zell lui amena en-
:ore trois mille hommes ; ôtl'Elec-
eur de Brandebourg arriva enfin
ivec fon armée.
j Pour réfifter à de û grandes Turennf rfen.
brees , le Vicomte de Turennevoie rArrie-
l'avoit pas tant de troupes quere"Ban*
Electeur de Brandebourg feul ve-
îioit d'en amener aux ennemis.
!2'eft pourquoi on lui envoya cinq
ou fix mille Gentilshommes de la
Kobleffe , dont on avoit convoqué
j'arriére -Ban. Mais comme ces
gentilshommes n'étoient point dif-
iplinés , ÔC qu'ils n'étoient point
Tij
3 3 (5 Histoire du Vicomte
Année accoutumés à camper , il ne les
i£j8. garda pas long-tems , perfuadé que
ce corps de NoblefTe auroit été
bientôt ruiné , s'il ne l'eût ren-
voyé.
&c reçoit le Le R0i £t aufli marcher à fon
rentorc de - , r ^
Ceniis. iecours deux renlorts de trou-
pes , l'un de fix à fept mille hom-
mes du Marquis de Genlis , &
l'autre de quatorze à quinze mille
hommes , fous les ordres du Comte
de Sault. Le Vicomte de Turenne
laifla venir le Marquis de Genlis :
mais il envoya ordre au Comte de
Sault de demeurer en Lorraine avec
le corps qu'il amenoit ; ce qui éton-
na tous ceux qui favoient le peu
de monde qu'il avoit , &C le grand
nombre des ennemis ; car leur ar-
mée étoit alors de plus de foixante
mille hommes.
Turenne fe. L'Elecleur de Brandebourg .1
JaffeVnUî" à la tête de tant de forces réu-
raine, nies , décampa d'auprès de Straf-
bourg, paffa la rivière d'Ill , &
s'avança vers Mari en , où nou;
étions encore. Le Vicomte de Tu-
renne le voyant approcher , & ]
DE TURENNE. Llv. V. 437
retira à Dettwiler fur la Soot , à a n . « t *
trois lieues de Marlen. Cette retrai-
te augmenta la furprife de tout
le monde ; & l'on avoit d'autant
plus de regret , pour fa réputation ,
qu'il fit de pareilles démarches de-
vant les ennemis , faute de trou-
pes , qu'on fa voit qu'il n'a voit tenu
qu'à lui d'en avoir davantage. Ce-
pendant les ennemis le fuivirent
à Dettwiler , d'où il décampa en-
core pour aller à Ingwiler , qui efl
à deux lieues par-delà fur la Moter.
Il demeura en cet endroit jufqu'au
tems où l'on a coutume de finir la
campagne. Il mit de groffes garni-
fons dans Haguenau &: dans Sa-
verne ; il laifla une partie de fon
armée de ce côté là , [pour le fe-
cours de ces Places , & il repafla en
Lorrain cavec le refte , par la Petite-
Pierre , paffage commode , dont il
s'étoit afîuré.
A ces nouvlles , l'étonnement Réflexion fur
de tout le monde redoubla. On ««e retrait
avouoit qu'il avoit fait fa retraite
avec un û grand ordre , qu'il n'y
avoit pas perdu un feul homme,
Tiij
43 8 Histoire du Vicomte
a n n à .£ quoiqu'il eûtfouvent paffé plufieurs
»^74- ruifleaux &C plufieurs défilés à la
vue des ennemis. On demeuroit
d'accord , qu'il avoit par-tout fi bien
fçu choiïir les pofles où il s'étoit
campé , que l'Èle&eur de Brande-
bourg n'avoit ofé l'attaquer nulle
part ; que les Impériaux , au dé-
-fefpoir de ne pouvoir rien entre-
prendre contre lui avec leurs nom-
ireufes troupes , avoient eu beau
faire mine de vouloir aiïiéger tan-
tôt Saverne , tantôt Haguenau ,
pour le tirer des endroits avanta-
geux où il s'étoit pofté , il n'a-
voit jamais pris le change 9 &
que , par toutes leurs feintes , ils
n'avoient pu lui faire faire aucune
•faufïe démarche , ni lui donner
le moindre échec. On convenoit
même que les ennemis avoient
quelquefois reculé , 6c s'étoient
retranchés devant lui : mais on
avoit peine à lui pardonner de s'ê-
tre retiré en Lorraine , après avoir
fait efpérer qu'il fauveroit l' Alfa-
ce ; &L l'on ne pouvoit concevoir
ce qui l'avoit porté à refufer le
DE TURENNE Liv. V. 439
grand corps de troupes du Comte A v v ± B
de Sault , avec lefquelles il fem- 1674*
bloit qu'il auroit pu faire beaucoup
plus qu'il n'avoit fait. Il faut pour-
tant convenir que l'équité publi-
que de ce tems-là étoit telle , qu'on
y rendoit juftice au mérite du Vi-
comte de Turenne. Quoique tou-
tes les apparences fufTent contre
lui , on nelaiflbit pas de croire qu'il
avoit eu fes raifons pour en ufer
de la manière dont il en avoit ufê%
6c û on murmuroit de fa retraite en
Lorraine , c'étoit moins pour blâ-
mer fa conduite que pour fe plain-
dre de la fortune , à qui on s'en pre-
noit de ce que tout ne réufliffoit pas
aufîi glorieufement qu'on l'auroit
fouhaité pour lui.
Cependant les ennemis , le . Les impé-
voyant retiré , fe répandirent en "aanudxen^e reé;
divers quartiers dans l'Alface qu'ils Aiface ; &
partagèrent entr'eux. Ils s'établi- ^0uurrenncn'esr^
rent a Schleftat , à Turckeim , à trouver,
Colmàr , à Enfisheim , & dans
toutes les autres Villes , à deflein
d'y paffer le refte de l'hiver , &
d'y prendre des mefures pour, en»
T iv
^_^^ 440 Histoire du Vicomte
a n n i 1 trer au Printems en Lorraine &
*674« en Franche - Comté. Ils bloquè-
rent Brifach; ils envoyèrent fom-
mer le Prince de Montbelliard dç
fe déclarer pour eux , & de rece-
voir garnifon dans fa Place. Char-
més de la bonté de leurs quar-
tiers , ils s'étendirent par-tout au
large & à leur aife , & le Duc
de Lorraine , impatient de rentrer
dans fon pays , avoit déjà fait paf-
fer deux mille hommes , qui s'é-
toient faifis de Remiremont & d'Ef-
pinal , Villes fur la Mofelle , dans
lefquelles ils commençoient à fe
fortifier , lorfque le Vicomte de
Turenne , voyant que les ennemis
avouent fait toutes chofes comme
il l'avoit prévu , & qu'il étoit tems
de commencer à exécuter un grand
deffein qu'il méditoit depuis près
de deux mois , prit les quatorze
mille hommes du Comte de Sault ,
avec les fix à fept mille qu'il avoit
ramenés d'Alface , les partagea en
plufieurs petits corps, mit de vieux
Officiers à la tête de chacun , les
fit marcher par des routes diifé-
N N E B
DE TURENNE. LlV. V. 441
rentes le long des mortagnes de Â
Vauges , &: leur donna à tous le **74»
même rendez-vous , fans qu'aucun
d'eux fçût où les autres avoient
ordres d'aller. Ce rendez -vous
étoit le paffage deBeffort, qui eft
à l'autre bout de l'Alface , oppofé
1 celui par lequel nous venions de
"ortir de cette Province. Le Vi-
:omte de Turenne leur fit ainfi
:raverfer toute la Lorraine par des
:hemins û détournés , que les en-
îemis n'eurent aucune connoiffan-
:e de notre marche , que nous ne
ufïions arrivés à Efpinal. Dès que
e corps de nos troupes , qui
ivoit fa route de ce côté là , parut
levant cette Place , tous les Lor-
•ains qui y étoient s'enfuirent ,
ans même fçavoir fi ce qu'ils
foyoient étoit une armée , ou fi ce
l'étoit feulement qu'un parti. Ceux .*
mi étoient dans Remiremont ne
lemanderent, pour s'en aller y qu'un
>affeport , qu'on leur accorda ; &C
ls fe retirèrent avec les autres au
)as des montagnes , où étoit le
3uc de Lorraine. Ce Prince com-
Ty
^ 442 Histoire du Vicomte
Année mença par faire de grands repro»
1674. ches à îes troupes , de ce qu'el-
les ay oient fi légèrement pris l'a- 1
larme à l'approche de quelque par-
ti : mais ayant vu le paffeport de ;
ceux de Remiremont , qui étoit fi-:
gné du Vicomte de Turenne ; &
ne pouvant par conféquent douter
qu'il ne fût là avec fon armée , il
envoya ordre à toutes les trou-
pes qui étoient les plus avancées
vers les montagnes , de s'aller met-
tre au plutôt derrière la rivière
d'Ill , aux environs de Mulhaufen .
Ville alliée des Suiffes , & il dépê-
cha des couriers à tous les Gêné- i
raux de l'armée Impériale , poui
les avertir que le Vicomte de Tu-
renne étoit en marche & alloii
rentrer par B effort dans l'Alface
Les ennemis ne pouvant s'imagi-
ner qu'on pût entreprendre une
pareille chofe au plus fort de l'hi-
ver où l'on étoit , firent du Duc
de Lorraine le même jugement
qu'il avoit fait de {es troupes ,
crurent qu'il prenoit trop aifément
l'alarme , ôc fe perfuaderent que
DE TU RENNE. Lïv\ V. 443
I nous n'avions d'autre deflein que a n n ê g
de les faire fortir de Remiremont l6~^
&: d'Efpinal , afin d'avoir la Lor-
raine libre pour nos quartiers
d'hiver.
Cependant les divers corps de u s'y faille
notre armée , après avoir tra- £ tÉ&R
verfé les montagnes de Vauges ,
où il avoit fallu fouvent camper
dans la neige , & marcher par des
routes par où jamais troupes n'a-
voient parlé , fe réunirent enfin
toutes à BerTort, où le Vicomte de
Turenne les attendoit. Alors ce
Général , qui fçavoit que le fuccès
de fon entreprife dépendoit de la
diligence , s' étant mis à la tête de
l'armée , marcha aux ennemis qui
fe rafTemblerent derrière la rivière
d'111. Ils avoient levé leurs quar-
tiers avec précipitation , au pre-
mier avis du Duc de Lorraine : mais
comme il y en avoit jufqu'à la tête
de la haute Alface, plufieurs n'eu-
rent pas le tems de fe rendre à Mul-
haufen , & furent pris avant que d'y
être arrivés. Il y en eut même quel-
ques, uns qui fe vinrent jetter dans
Tvj
444 Histoire du Vicomte
Année notre armée , croyant que c'étoit
i*74« quelque corps de leurs troupes
qui s'affembloient : d'autres fu*
rent enveloppés', avant que 'd'à*
voir eu le tems de fe mettre en
marche.
êc les chafle Le Vicomte de Turenne força
g£ Muihau-quelques Châteaux qui étoient fur
fon paffage ; &: étant arrivé fur les
bords de TOI , vis-à-vis de la
Ville de Mulhaufen , auprès de la-
quelle la cavalerie de l'Empereur ,
les troupes du Duc de Lorraine
& celle de l'Evêque de Munfter ,
étoient raffemblées fous les ordres
de leurs Généraux , il reconnut les
divers gués de la rivière. Il y paf-
fa avec fa cavalerie ; il fit charger
les ennemis ; & après pîufieurs at-
taques faites & foutenues de part
& d'autre avec beaucoup de vi-
gueur , il les mit enfin tellement
en défordre , que , laiffant des ré-
gimens entiers dans de petites pla-
ces écartées , ils s'enfuirent les uns
vers Baie , où ils pafferent le Rhin,
Se les autres du côté d'Enfisheim,
où étoit l'Eleveur de Brandebourg,
DE TU RENNE. LiV. V. 445
Le Comte Caprara , & le Mar- A M * "~.
quis de Bade y avoient été préfens u74,
à cette action. Le Vicomte de Tu-
renne y prit quatorze Etendards
ôc y fit un grand nombre d'Offi-
ciers 6c de foldats prifonniers. Les
ennemis ne nous prirent que le
feul Montauban qui s'étoit enga-
gé trop avant au milieu de quel-
ques efcadrons , & ils le menèrent
à l'Electeur de Brandebourg , qui
ayant appris de lui le deflein du
Vicomte de Turenne fe retira au
plutôt vers Colmar , 6c envoya or-
dre à toutes les troupes de s'y
rendre en diligence. La nuit qui
furvint nous empêcha de pour-
fuivre les fuyards \ mais le lende-
main , dès la pointe du jour y le
Vicomte de Turenne fe remit en
marche , toujours en defcendant le
long de la rivière d'Ill j fur laquel-
le font fituées les plus grofïes Villes
de l'Alfa ce où les ennemis s'é-
toient établis. Il détacha des par-
tis à droit & à gauche pour cou-
per les petits quartiers 6c les em-
pêcher de joindre le gros de l'ar-
446 Histoire du Vicomte
7 v N é mée : il enleva les garnifons de
^ i^74. pliùieurs Places , d'où les ennemis
n'avoient pas eu le tems de les re-
tirer. Tout ce qu'ils avoient mis
dans les Châteaux & autres fem-
blables pofr.es , fut fait prifonnier
de guerre. Le Régiment lmpé->
rial de Portia , qui étoit de neuf
cens hommes , fe rendit à difcré-
tion avec tous fes Officiers ; &
les chofes en vinrent au point ,
que nos gens fe trouvoient em-
barrafTés du grand nombre de pri-
sonniers. On ne lahToit pas d'aller
toujours avec toute la diligence
poiîihle. On arriva à Enfisheim ,
qu'on trouva abandonné, auiîi-bien:
que Sainte - Croix ; l'Ele&eur de
Brandebourg & le Duc de Bour-
nonville qui y étoient , s'étant re-
tirés à Colmar. Le Vicomte de
Turenne laifla Rufach fur fa gau-
che , &c fe contenta de bloquer
cette Ville , ne voulant pas s'arrê-
ter autant de tems qu'il auroit fal-
lu pour la prendre ,. en l'affiégeant
dans les formes. Il avoit impa-
tience d'arriver à l'endroit où les
DE TURENNE. Liv. V. 447
ennemis l'attendoient. Il n'en étoit ÂTTTT
plus gueres éloigné : néanmoins , lg74.
avant que d'en faire approcher
tout- à-fait fon armée , 6c de les
y aller attaquer , il voulut recon-
noître dans quelle fituation ils
étoient.
Entre Colmar , qui eft auprès Difpo&îo»
de la rivière d'Ill , &: Turckeim , ?e ,1,ar,mée
Ville lituee preique vis-a-vis au tre coimar &
pied des montagnes de Vauges , Turckeinu
eft une plaine qui a environ une
lieue de large. Un bras de la ri-
vière de Fech , qui prend fa four-
ce dans les montagnes , & qui paf-
fe à Turckeim , coupe cette plaine
par le milieu , & vient droit à Col-
mar. Ce fut le côté de la plaine
qui étoit au-delà de cette rivière
à notre égard , que les ennemis
choifirent ? comme le pofte le plus
avantageux de toute la haute Al-
face où une armée fe pût mettre
en bataille. Ils avoient là les trou-
pes de Brandebourg &: des Princes
de la Maifon de BrunfVich , celles
des Cercles , l'infanterie de l'Em-
pereur, la cavalerie de l'Electeur.
44^ Histoire du Vicomte
jr» ■*~Pt Palatin , & ce qui s'étoit réfugié
1*74. en cet endroit de la déroute de
Mulhaufen. Ils rangèrent toutes
ces troupes fur deux grandes li-
gnes, depuis Colmar jufqu'à Turo.
keim , faifant un front de près
d'une lieue. Ils avoient Turckeim
& les montagnes à leur droite ,
Colmar & la rivière d'Ill à leur
gauche , & un- bras de la Fech à
leur tête. On ne pouvoit aller à
eux par leur droite ni par leur ;
gauche , qu'on n'eût pris Colmar
ou Turckeim, dont ils étoient les
maîtres ; èc l'endroit par lequel
on devoit , ce femble , le plus na- ■ ;
turellement les attaquer , étoit leur
tête que la Fech couvroit. C'efV
pourquoi ils mirent toute leur at-
tention à fe fortifier de ce côté là.
Ils travaillèrent jour & nuit à fai-
re des retranchemens le long de
la rivière : ils garnirent ces re-
tranchemens de canons chargés à
cartouches ; ils y mirent de l'in-
fanterie & des dragons , foutenus1
de toute leur armée ; & par une-
dernière précaution, qui fuppofoit
DE TURENNE. Liv. F. 449
néanmoins que nous pouvions paf- ■"»■■-
fer la rivière, en leur préfence , & A XH^ 8 B
forcer leurs retranchemens , ils fi-
rent dreffer des batteries dans Turc-
keim & dans Colmar , pour bat-
tre en flanc tout ce qui paroîtroit
dans la plaine. L'Electeur de Bran-
debourg prit le commandement
de l'aile gauche ; il donna celui
de l'aile droite au Duc de Bour-
nonville , & il réfolut de nous at-
:endre , dans une efpece de con-
fiance que nous n'aurions pas la
hardiefTe de l'attaquer , quand nous
aurions vu de quelle manière il
étoit porté.
• Le Vicomte de Turenne ayant Turenne
reconnu toutes chofes de defTus mat!:cheîï au*
ennemie.
les hauteurs , vit en un moment
ce qu'il avoit à faire , & forma le
plan de fon deflein , par rapport à
l'état des lieux , 6c aux mouve-
mens auxquels il crut pouvoir en-
gager les ennemis. Son canon n'é-
toit point encore arrivé , à caufe
du grand nombre de défilés qui
fe trouvent depuis Enfisheim juf-
qu'à Colmar, Mais ne croyant pas
450 Histoire du Vicomte
^ N N i E en avoir abfolument befoin , & ne
i*7s. voulant pas lahTer pafîer la jour*
née fans tenter le âtecès du def-
fein qu'il méditoit, il ordonna au
Le 5 Janvier. Comte de Lorges de s'aller mettre
en bataille dans la plaine , en deçà
de la rivière , vis-à^vis les enne-
mis , & de demeurer là fans rien
faire , jufqu'à ce qu'il lui envoyât
dire d'entrer en a£tion. Il lui com-
manda de faire enforte que fa
première ligne eût un front d'une
très-grande étendue , & d'avancer
fa droite le plus près xle Colmar
qu'il pourroit ; &C il lui donna pour
cela toute fa cavalerie , avec la
meilleure partie du refle de l'ar-
mée : Et pour lui , prenant feule-
ment un corps d'infanterie &c de
dragons , avec le fieur Foucault
Lieutenant-Général , le Comte de
Roye , Maréchal de Camp , &t le
Marquis de MoufTy , Brigadier 7 au
lieu de continuer à marcher dans
la plaine , il prit fur la gauche ,
& s'avança à travers les coteaux
qui font au pied des montagnes,
par un terrein inégal ., plein.de
DE TURENNE. Liv. V. 451
Ichemins creux , & embarrafTé de a n n é «
ïfraies &C de vignes , où l'on n'au- l6?^
iroit jamais cru que des troupes
leuffent pu marcher en corps , fans
tqae perfonne comprît où il vou-
doit aller , ni à quoi aboutiroit
.une marche qui paroifïbit û ir-
j régulière , de manière qu'on avoit
ibefoin de toute la confiance qu'on
1 avoit en lui , pour ne pas mur-
murer.
Cependant le Comte de Lor- Bataille de
|*es avoit donné un fi grand front Turckeim'
il la première ligne de fes trou-
ves dans la plaine , que les en-
lemis crurent que toute notre
armée y étoit ; d'autant plus que
le corps du Vicomte de Turenne
marchoit par un pays û convert
qu'ils ne pouvoient rien apperce-
voir de ce côté là : & comme ils
voyoient que toutes nos troupes
(è rangeoient fur notre droite , à mé-
dire qu'elles arrivoient , &c qu'in-
fenfiblement nous allions nous
trouver tous contre Colmar ; crak
gnant quelque furprife pour cette
Ville où étoient leurs vivres 6c
45 1 Histoire du Vicomte
Année leurs munitions , & fe croyant fort
l675* en fureté du côté de Turckeim |
ils en retirèrent leur canon & deiu
bataillons <jui y étoient , &c firen
ferrer toutes leurs troupes de leu:
droite fur leur gauche , pour ren-
forcer ce côté là , dans la penfée oi
ils étoient que nous allions atta
quer Colmar : û bien que , lorfqiu
le Vicomte de Turenne , qui avar
çoit toujours , fut arrivé à Turc
keim ou il marchoit , il trouv.
cette Place abandonnée , comme i
l'avoit prévu. Il s'en faifit aufli-tôt
& fe propofant de charger les en
nemis en flanc , quelque parti qu'il
priffent , il envoya le fieur Fou
cault fur le bord de la rivière en
deçà de Turckeim , avec la moiti<
de £es troupes , & prenant le rei
te avec lui , il marcha dans la plai
ne , à deffein d'aller attaquer pai
l'extrémité l'aile droite que com
mandoit le Duc de Bournonville
Les ennemis furent fort furpris d(
nous voir paroître du côté d<
Turckeim , & prêts à tomber fui
leur flanc. Néanmoins le Duc dt
DE TURENNE Liv. V. 453
Bournonville , confervant tout ion
fang froid dans un û grand dan-
ger , vit bien qu'il n'avoit point
d'autre parti à prendre , que celui
de changer fon ordre de bataille ,
pour faire face aux montagnes ,
K de tâcher de nous chaffer de
Turckeim : il fit donc la moitié
du chemin. Dès qu'il commença
à avancer , le Vicomte de Turen-
ne envoya ordre au'fieur Foucault
& au Marquis de MoiuTy de mar-
cher le long de la Fech, jufqu'à
te qu'ils fuffent vis-à-vis des enne-
mis ; & de charger l'extrémité de
leur aile gauche qui aboutiroit à
la rivière , pendant qu'il les at-
taqueroit de front. Cette double
attaque fut très -vive : les enne-
mis en furent ébranlés ; &: fe voyant
pris en flanc , malgré leurs pré-
cautions , ils furent obligés de
changer encore leur ordre de ba-
taille , de rompre leurs lignes , &
de les mettre en potence , afin de
pouvoir faire face en même-tems
au côté de Turckeim , & à celui
de la rivière, Mais comme ils ne
N N E £
454 Histoire du Vicomte
Année pouvoient , fans défavantage , fai-
i0l* re des mçmvemens fi difficiles &
fi dangereux , le Vicomte de Tu-
renne ne manqua pas d'en profi-
ter ; & faifant charger les enne-
mis avec toute la vigueur poflibley
il les rompit & les jetta dans
un commencement de défordrë.
Le Duc de Bournonville fit prom-
ptement avancer de gros détache-
mens , pour* Soutenir fes troupes)
ébranlées. Le Vicomte de Turen-
ne , de fon côté , fut toujours dans
le feu du moufquet & du canon ,
& il eut un cheval blefle fous lui.
Ceux qui étoient de chaque côté
de la rivière , fe voyoient à dé-
couvert , & fe choififibient les uns
les autres pour fe tirer. Le fieur
Foucault & le Marquis de Moufly
furent tués fur la place : le feu de-
vint très-grand de part &C d'aiw
tre , & continua quelque tems avec
aflez d'égalité ; mais le Vicomte
de Turenne , voulant abfolument1
forcer les Impériaux en cet endroit,!
fit avancer les Gardes Françoifes!
avec quelques bataillons Anglois 5
DE TURENNE. Llv. V. 455
qui firent tous à la fois un feu fi a n n l \
terrible , que les ennemis com- ^75?
mencerent à plier 9 6c à lâcher
pied en plufieurs endroits. On les
pouffa ; ils reculèrent. Ceux de
nos gens , qui étoient fur le bord
de la Fech , leur voyant perdre le
ferrein peu-à-peu , &£ faire un
mouvement de retraite , fe jette-
ront dans la rivière pour les aller
charger l'épée à la main ; mais
comme le Vicomte de Turenne
n'avoit point là de cavalerie pour
les foutenir , il leur envoya ordre
<je repafïer , &: cependant il fit
redoubler le feu de fa moufque-
terie , de forte que les ennemis g
défesperant de pouvoir tenir, plus
long-tems devant lui en Alface ?
profitèrent de la nuit qui furvint
pour fe retirer à Strasbourg , &c s'en
allèrent chercher des quartiers d'hi-
ver en Allemagne.
, Tout le monde fut furpris de ce Turenne
1 > 1 , r avoic prévu
grand événement ; car \ on fçan fon heJreux
voit que le Vicomte de Turenne fuccès.
n'avoit employé que vingt mille
hommes à chafler de lîAlface cette
45^ Histoire du Vicomte
Année armée nombreufe , qui ne fe propo«
x*7? • foit rien moins que d'envahir deux
ou trois de nos Provinces. Mais oti
fut encore bien plus étonné quand
on fçut qu'il avoit prévu plus de
deux mois auparavant , toutes le<
démarches des ennemis 6c le fuccè*
de fon entreprife ; comme on le vil
par une de l'es Lettres, que le Ro
fit lire en préfence de toute la Cour
Lettre du Cette lettre étoit adreffée au fieun
Tienne «le Téllier ', Secrétaire d'Etat , au
sieur le Tel- quel le Vicomte de Turenne avoi
?ro^ote>andé , dès le mois d'Odobre .
à Derwiler. ' que , feignant de ne pouvoir pluî
réfifter aux ennemis depuis la jonc-
tion de l'Electeur de Brandebourg .
il alloit toujours reculer devam
eux ; que , pour leur donner mêmci
plus de confiance , il fe retireroil
tout-à-fait en Lorraine ; après quoi
ils ne manqueroient pas de fe ré*
pandre dans toute l'Alface ; qu'a-
lors il tomberoit fur leurs quartiers .
d'un côté par où affurément ils ne
foupçonneroient pas qu'il dût ve-
nir les furprendre ; ë£ qu'il les obli-
geroit peut-être à repaffer le Rhin ,
DE TU RENNE. Liv. V, 457
& à aller hiverner chez eux : ce A N N i g
qui arriva effectivement comme il i*7)-.
l'avoit prévu.
Pour tranfmettre à la poftéri-
té une a&ion fi digne d'être con-
facrée , le Roi fit frapper la Mé-
daille N°. 15.
On y voit un trophée , que deux
>oldats , qui fuient , regardent avec
?ffroi. La Légende; Sexaginta init-
ia Gcrmanorum ultra Rhcnum pulfa ,
ignifîe : Soixante, mille Allemands
bligés à repajjer le Rhin, L'Exergue
narque la datte 1675.
Le lendemain du combat de
?urckiem , on trouva dans Colmar S^TV^ k
rois mille foldats blefTés ou mala- neutralité de
: es, avec plufieurs Officiers , qui y s«asbouis-
[voient été abandonnés par les en-
emis* On prit Rufïak fans coup fé-
ir , ainfi que divers petits châteaux,
[ans lefquels on trouva plus de
[eux mille hommes de troupes de
Electeur de Brandebourg , que ce
t rince n'avoit pas eu le tems d'en
kîtirer. On auroit pu bombarder
[ trasbourg , & brûler tout ce qui
[ ;oit aux environs 7 pour venger la
y
45 S Histoire du Vicomte
N N é s neutralité violée : mais le Vicomte
i67jt de Turenne, qui favoit faire cédei
le frivole plaiûr de fatisfaire ur
reflentiment, au folide avantage d(
procurer le bien de l'Etat , eftiman
qu'il étoit plus à propos pour le
fervice du Roi, de remettre Strai
bourg dans nos intérêts, que dt
ravager le territoire de cette Vil
le , y envoya un homme de con
fiance ; lequel , s'étant mêlé parm
les Impériaux dans leur retraite , j
entra avec eux. Il promit aux Ma
giftrats , de la part du Vicomte d
Turenne , qu'il ne feroit fait aiicu
tort à la Ville , ni à tout ce qui e
dépendoit , pourvu qu'ils ne retin
fent chez eux aucun des ennemis
& qu'ils promirent d'obfever ir
violablement la neutralité à l'ave
nir. Cette précaution ne fut pc
inutile ; car le Duc de Bournor
ville avoit fi bien perfuadé à ceu
de Strasbourg , que notre arméi
vi&orieufe alloit venir fondre S
leur Ville pour punir leur infidél:
té , qu'ils étoient fur le point d'ac
cepter une garnifon Impériale poi
DE TURENNE. Llv. V, 459 '
leur défenie. Mais les Magiitrats , A N N é t
touchés de la modération du Vi- l6ri'
comte de Turenne , 6c comptant fur
fa parole autant que iur les traités
les plus folemnels, remercièrent le
Duc de Bournonville , & nous en-
voyèrent aiTurer , qu'ils ne donne-
roient plus , ni pafïage , ni retraite
à nos ennemis.
Le Vicomte de Turenne reçut I! r~ * «ad 4
alors une Lettre du Roi, par la- let^rnc com
quelle il lui mandoit, qu'il avoit mander fur le
impatience de le revoir , pour lui Rhin*
témoigner la fatisfa&ion qu'il avoit ^^^ ,"
du fervice important qu'il venoit Janvier , à
de lui rendre. Ce Général, avant *;£e™ain
donc donné tous les ordres nécef-
faires pour la fureté de l'Alface &£
pour les quartiers d'hiver de fon
armée , prit le chemin de la Cour.
Il trouva fur toute fa route un con-
cours de gens de toutes fortes d'â-
ges & de conditions , qui venoient
au-devant de lui pour le voir.
Il y en eut en Champagne qui
vinrent de dix lieues fur le che-
min par où il devoit pafler; 6c
ceux de cette Province-là, per-
460 Histoire du Vicomte
fuadés qu'ils lui étoient redevables
de tout le bien & de tout le re-
pos dont ils jouiffoient , verfoient
des larmes de joie en le voyant.
Le Roi le reçut d'une manière qui
faioit aflez connoître qu'il n'y avoit
perfonne dans ion Royaume qu'il
e {limât plus que lui. On ne par-
loit à la Cour que de la conduite
qu'il avoit tenue pendant cette der-
nière campagne , dont l'éclat fem-
bloit furpaffer celui de toutes les
autres. Chacun le regardoit com-
me un homme qui venoit de fau-
ver l'Etat. On s'arrêtoit dans les
rues de Paris , pour le voir paffer : il
ne pouvoit plus aller dans les Egli-
{es , qu'il ne fût environné d'une
foule de peuple, qui femboit ne
pouvoir fe raflafier de le voir : la
plupart des Princes Etrangers fai-
ioient venir fon portrait. Perfbnne
n'avoit peut-être jamais joui d'une
réputation û pure & fi étendue;
& il ne tenoit qu'à lui d'accroître
encore fa gloire , en continuant de
commander les armées. Mais au
contraire , il fouhaitoit fort alors
DE Tu RENNE. Llv. F. 461
qu'on eût bien voulu l'en difpen- a m h l »
fer : fon âge déjà avancé, & ce tond l6?^
de Religion dont il a voit le cœur
rempli , le prefToient fortement de
fe dégager de toutes les affaires du
monde , pour paffer le refle de fes
jours dans la retraite. Cependant,
perfuadé que , tant que la guerre
dureroit , il ne pourroit quitter le
fervice , fans manquer à ce qu'il de-
voit au Roi & à l'Etat , il accepta
encore le commandement de 1 ar-
mée qui devoit agir , cette année-
là, du côté de l'Allemagne. Schlef- Le n Maî*
tat fut le rendez- vous qu'il marqua
aux troupes; &il alla fe remettre
à leur tête , fi-tôt qu'elles y furent
affemblées.
Les grands avantages qu'il 11 obferve
avoit remportés la campagne pré- M<?ntectt-
cédente , avoient fait perdre aux
divers corps de l'armée Impériale
la confiance qu'ils avoient en leurs
Chefs ; & la terreur étoit répan-
due parmi toutes leurs troupes.
Pour les raffurer , l'Empereur en
donna le commandement au Com-
te de Montecuculli , qui n'avoit
V iijf
462 Histoire du Vicomte
XTTTe Pomt voulu fe trouver à l'armée
267j. l'année précédente, pour ne pas
obéir à l'Electeur de Brandebourg,
duquel il auroit été obligé de re-
cevoir Tordre à caufe de ion rang.
Le Comte de Montecuculli fai-
ibit la guerre depuis près de cin-
quante ans , & y étoit véritable-
ment confommé. Il avoit tiré fes
troupes de leurs quartiers d'hi-
ver beaucoup plutôt qu'on n'a cou-
tume de les faire fortir en Alle-
magne. Il efpéroit paffer dans la
haute Alface , en nous prévenant
du côté du Rhin : mais voyant
que nous y étions arrivés aum-tôt
que lui , & n'ofant entreprendre de
jetter un pont fur ce fleuve en
notre préfence , il marcha du cô-
té du Fort de Kell , pour tâcher de
paffer fur le pont de Strasbourg.
Le Vicomte de Turenne , marchant
aufli de fon côté , s'approcha de
cette Ville ; & les Magiftrats , voyant
notre armée à leurs portes , obfer-
verent religieufement la neutralité.
Le Comte de Montecuculli, per-
fuadé que c'étoit le voifmage de nos
N N
DE Tu RENNE Liv. F. 463
*r°upes qui empêchoit ceux de a
Strasbourg de lui donner paftage ,
entreprit de nous éloigner de cette
Ville. Pour cela , abandonnant en
apparence le deffein de parler dans
la haute Alface , & feignant de
vouloir afïiéger Philisbourg, il fit
marcher fes troupes du côté de
cette Place. Mais le Vicomte de
Turenne, qui jugeoit des defïeins
de ce Général, non par ce qu'il
faifoit , mais par ce qu'il avoit in-
térêt de faire, regarda cette mar-
che comme une pure feinte , &c de-
meura toujours aux environs de
Strasbourg,
Le Comte de Montecucuiïi , iî pafc 1*
n'ayant pu faire donner le Vicom- &!? re'pa'fler1!
te de Turenne dans la feinte du Momecucui-
fiége de Philisbourg , paffa le11'
Rhin au-defîbus de Spire , pour
lui faire croire qu'il youloit entrer
dans la baffe Alface , pour l'at-
tirer de ce côté-là ; le flattant
qu'en retournant alors fur fes pas ,
& en nous dérobant quelques mar-
ches , il pourroit arriver plutôt que
nous à Strasbourg , & paffer fur le
Viv
_______ 4^4 Histoire du Vicomte
Année pont de cette Ville. Mais le Vi-
lé75- comte de Turenne , bien loin de
prendre le change , voyant que le
grand éloignement des ennemis lui
donnoit le tems de pafler le Rhin
lui-même , fit promptement defcen-
dre des bateaux de Brifach, jetta un
pont fur ce fleuve , prefque vis-à-
vis Ottenheim , qui eft à une lieue
au-deffous de Rhinaw, & commen-
ça à y faire pafler fon armée. A
la première nouvelle que le Comte
de Montecuculli eut de la conftruc-
tion de ce pont , il crut que c'étoit
une feinte > par laquelle le Vicom-
te de Turenne vouloit l'engager à
retourner au-delà du Rhin , & que
ce Prince n'enverroit que quelque
camp-volant au-delà de ce fleu-
ve : mais il ne fut pas long-tems
fans apprendre que toute notre ar-
mée a voit effectivement paffé le
Rhin. Alors il repaffa ce fleuve ;
& courant à la défenfe du pays ,
il tâcha de gagner Vilftet for la
Quinche ; pofle , par le moyen du-
quel il auroit pu nous ôter la com-
munication de Strasbourg. Mais le
DE TURENNE. Liv. V. 465
Vicomte de Turenne y étant ar- année
•rivé avant lui , s'en faifit aufli-tôt l67î«
y mit la droite de fon armée , en
étendit la gauche jufqu'au Fort de
Kell qui eft à la tête du pont de
Strasbourg; & par-là il empêcha
les ennemis d'avoir aucun com-
merce avec les habitans de cette
Ville.
Le Comte de Montecuculli ayant Embarras de
été ainfi prévenu , fe trouva très- ce Générai
embarraffé. Nous avions parlé le cnuu '
Rhin , & nous étions dans les ter-
res de l'Empire : il falloit donc qu'il
nous obligeât à repaffer ce fleuve ,
ou qu'il fît quelque chofe d'équi-
valent.
Le Vicomte de Turenne n'a- Xurf n5/e
.... . porte a Oc-
voit que vingt mille hommes , oc tenheii» ,
il avoit été obligé de laiffer une
partie de fes troupes à Otten-
heim , pour garder fon pcnt : néan-
moins, comme pour aller à lui il
falloit pafler la Quinche , dont il
s'étoit couvert , le Comte de Mon-
tecuculli , n'ofant entreprendre de
i le faire , réfolut de nous donner
jaloufie pour notre pont d'Otten-
V v
466 Histoire du Vicomte
anné£ heim , en s'avançant de ce côté là 9
*67 5» & de tâcher de nous faire aban-
donner Vilftet. Dans cette vue ,
il fit marcher fon armée le long
des montagnes de la Forêt- noire
pour aller gagner l'Abbaye de
Schuttern , qui n'eft qu'à une lieue
d'Ottenheim. Mais le Vicomte de
Turenne ayant réfolu de marcher
en même-tems que lui , laifia à
Vilftet un détachement fuffifant
pour garder ce pofte ; & menant
le refte de fon armée vers Otten-
heim , il y arriva avant les enne-
mis,
& défend le Le Comte de Montecuculli ,
pont , auffi- fe voyant encore prévenu , demeiir
luTd^Suaf- ra campé à Schuttern , faifant di-
feourg. vers mouvemens à droite 6c à gau-
che , pour nous inquiéter , tantôt
vers notre pont , tantôt du côté de
celui de Strasbourg. Mais le Vi-
comte de Turenne ayant fait ou-
vrir les défilés & les bois depuis
Ottenheim jufqu a Vilftet , pour
faire pafîer avec plus de facilité fes
troupes ? fuivit fi à propos les en-
nemis dans tous leurs mouvemens ,
E E
DE TURENNE. Lîv. V. 467
qu'il fe trouva par-tout où ils vou- A N N
lurent entreprendre quelque cho- 1^7 s»
fe , & défendit fi bien la tête des
deux ponts, qu'ils ne purent fe ren-
dre maîtres ni de l'un ni de l'au-
tre.
Pendant tout le tems qu'on de- Turenne &
meura dans cette fituation, il ne s«0bfervenr
fe paifa prefque point de jour au- avec grand
quel il n'y eût quelques rencontres foia*
entre les partis des deux armées.
Les Impériaux &c les François
étoient à tous momens aux mains ,
mais feulement dans de légères ef-
carmouches. Car , quoique le Vi-
comte de Turenne 6c le Comte
de Montecucullï s'obfervaffent mu-
tuellement avec grand foin , atten-
dant tous deux que l'un ou l'autre
fit quelque fauffe démarche , pour
en profiter ; & quoiqu'il tentaf-
fent toutes chofes à l'envi, pour fai-
re naître quelque conjoncture favo-
rable de s'attaquer l'un l'autre avec
avantage , ils n'en purent jamais
* trouver l'occafion.
Les deux armées n'etoient fé- Tranquillité
parées que parla petite rivière de mVs?<rs
y vj
468 Histoire du Vicomte
A « n é e Tondits , fur laquelle même le Vi-
l67S- comte de Turenne avoit fait faire
plufieurs ponts. Cependant les trou-
pes fe repofoient tellement de part
& d'autre fur leur Général , que
l'on dormoit fans inquiétude dans
les deux camps, quoiqu'il n'y eût
quelquefois qu'un quart de lieue de
la tête d'une armée à celle de l'au-
tre.
Turenne ref- Toute l'Europe étoit atttentive
ferre ion ar- \ • r /r •„. j a.» n
mée près de a ce ^U1 *e paiioit de ce cote la ;
Strasbourg. & c'étoit en effet une chofe digne
de fon attention que les démar-
ches de deux des plus grands Gé-
néraux qui fiuTent alors , & que la
fortune fembloit avoir voulu oppo-
ier l'un à l'autre , pour décider des
intérêts de la France &c de ceux de
l'Allemagne. Ces deux Capitai-
nes , tous deux d'une expérience
consommée , mirent en pratique
tout ce qu'un long ufage leur avoit
appris du métier de la guerre , tant
qu'ils furent en préfence. Dans
divers mouvemens , vrais ou feints
ils épuiferent , pour ainfi dire , tou-
tes les finefles & toutes les rirfes de
Année
DE ÎURENNE. Liv. V. 469
l'art, pour s'affamer , pour fe cou-
per les fourrages , pour fe furpren- 1^75
dre , & gagner quelqu'avantage l'un
fur l'autre , fans quoi ils étoient ré-
folus tous deux à ne point donner
combat. Les ennemis eux-mêmes
ne pouvoient comprendre , com-
ment le Vicomte de Turenne pou-
voit , avec vingt mille hommes ,
tellement garnir de troupes tout
l'efpace depuis Vilfler jufqu'à Ot-
tenheim , qui eft de quatre grandes
lieues ; qu'il fe trouva toujours à
portée de défendre fon pont &: ce-
lui de Strasbourg , dès qu'ils par-
roifïbient vers l'un ou vers l'autre.
La vérité eft , qu'il étoit obligé de
fe donner de grands mouvemens
pour cela , & qu'il falloit que les
troupes fuffent fans ceffe en mar-
che ôc en action. C'eft pourquoi ,
voulant épargner cette fatigue , 6c
fe délivrer de l'embarras de garder,
fi près des ennemis , deux poftes
auiîi éloignés , il fit défaire fon pont
derrière fon armée , fans que les
ennemis s'en apperçiuTent , & le
fit defcendre d'Ottenheim à Alten-
470 Histoire du Vicomte
A N N é E heim , c'eft-à-dire , deux lieues plus
t*7i* bas , 6c plus près de Strasbourg : 6c
faifant relferrer fon armée , il fe
trouva qu'il n'avoit plus qu'une
étendue de deux lieues de pays à
garder ; fçavoir, depuis Àltenheim ,
où il mit fa droite , jufqu'à Vilfter ?
où il avoit fa gauche.
L'armée im- Les ennemis , ayant ainfi vu
^lefere- échouer tous les deffeins qu'ils
avoient fur notre pont , fe trouvè-
rent dans une fituation afTez embar-
rafïante. Ils avoient confumé toutes
les munitions des petites villes Im-
périales qu'ils avoient autour d'eux,
& ils ne pouvoient plus tirer de
vivres que de la Souabe , par la
vallée de Kintfig , chemin très-
long 6l très-difficile ; pendant que
tovit venoit en abondance dans no-
tre armée , 6c de l'Alface par notre
pont , & de Brifach par le Rhin.
Ils ne pouvoient s'étendre , ni à droi-
te, ni à gauche , étant ferrés comme
ils l'étoient , d'un côté par le Rhin ,
& de l'autre par les montagnes.
Ils auroient bien voulu marcher en
avant du coté de Fribourg > oii il
DE TURENNE. Llv. V. 471 ^
y avoit de grands magafins ; mais a n n i *
en y allant , ilsauroientprêtéle flanc **7f«
au Vicomte de Turenne. De retour-
ner en arrière , ils ne le pouvoient
avec honneur : néanmoins , croyant
que c'étoit le parti le plus fur pour
eux , ils fe déterminèrent enfin à
le prendre. Le Comte de Monte- Le *■* Juîn^
cuculli, ayant donc quitté l'Abbaye
de Schutern , retourna fur fes
pas , reparla la Quinche à OtFem-
bourg, ckfe campa auprès de cette
Ville.
Le Vicomte de Turenne , voyant xm-ennc le
reculer les ennemis , réfolut de les^uriuk , &
pourfuivre, pour leur donner ba- c0UptuJe d-
taille; ck il les alla ferrer de fi près non dam i'e£-.
a Offembourg, qu'ils furent obligés tomaCo
d'en décamper, £k de gagner Ur-
lafF, qui efl à deux lieues par-de-
là. Le Vicomte de Turenne , mar-
cha aufïi-tôt après eux : mais à
peine eût-il pafTé la Quinche , que
le Comte de Montecuculli décam-
pa encore ; ck: continuant à recu-
ler , alla fe mettre derrière la ri-
vière de Reuchen , qui efl à qua-
tre lieues au-defTous de Strasbourg.
472 Histoire du Vicomte
Année Ie Vicomte de Turenne , pourfui-
i675» vant toujours les ennemis à mefti-
re qu'ils fe retiroient , s'avança juf-
qu'à cette rivière , la paffa auprès
de la petite ville de Reuchen ,
chaffa une troupe d'Impériaux qui
s'étoient retranchés dans une Egli-
fe aux environs d'Acheren ; &c
étant arrivé fur les hauteurs du vil-
lage de Sufpach , qui eft à une de-
mi-lieue de cette Ville , il'décou-
vrit toute l'armée Impériale , de la-
quelle il n'étoit plus féparé que par
un petit ruiffeau. Il avoit beaucoup
moins de troupes que les enne-
mis. Cependant , ayant réfolu de
leur donner bataille , il marcha à
eux ; il fit dreffer des batteries fur
les hauteurs dont il s'étoit faiii ; il
vifita tous les poftes ; il fe tranf-
porta fur l'éminence la plus éle-
vée,pourreconnoître encore mieux
les endroits par où il vouloit taire
attaquer les Impériaux ; & tout lui
parut fi favorablement difpofé pour
fon defïein , que , quoique jamais
il n'eût rien fait connokre de ce
qu'il fepromettoit d'avantageux à la
DE TURENNE. Liv. K 473 .
veille d'un combat , il ne put s'em-
pêcher cette fois-ci , de dire ce ^"j* *
qu'il penfoit de l'heureux fuccès de
celui qu'il alloit donner. Il voyoit
que les ennemis ne pouvoient plus
lui échapper , & que , félon tou-
tes les apparences , il alloit enfin
recueillir le fruit d'une fi péni-
ble campagne ; lorfque les en-
nemis , ayant fait tirer une volée
de canon vers l'endroit où il étoit,
il fut atteint d'un boulet , qui lui
donna au milieu de l'eftomac , &
le renverfa mort par terre. Ce me- Le 17 JuiUu
me boulet de canon emporta un
bras à M. de Saint Hilaire , Lieu-
tenant-Général de l'artillerie ; ÔC
comme fes deux enfans pleuroient
de le voir dans cet état : Ce nefi
pas moi , leur dit-il , qu'il faut pleu-
rer ; c'ejl ce grand Homme % en
leur montrant le corps du Vicom-
te de Turenne ; c\fi la perte irré-
parable que la France vient défaire,
La plupart de ceux qui virent ainfi
tomber le Vicomte de Turenne ,
demeurèrent tellement éperdus ,
qu'on eût dit qu'ils avoient été frap-
A K K
474 Histoire bu Vicomte
pés du même coup. Cependant
j^* " un d'entr'eux , qui fçut mieux fe
pcfîeder que les autres , jugeant de
quelle coniéquence il étoit de ca*
cher un accident ii funefte , jetta
prcmptement un manteau fur le
corps du Vicomte deTurenne, &
le fit emporter le plus fecrettement
qu'il put ; de manière que cette
mort fut plutôt icue dans l'armée
des ennemis , que dans la nôtre ;
un de ceux qui en avoient été té-
moins , étant aufTi-tôt pafié dans leur
camp pour la leur apprendre. A
cette nouvelle , le Comte de Mon-
tecuculli , qui n'ignoroit pas les
avantages qu'il pouvoit retirer de
la mort du Vicomte de Turenne 9
ne parut néanmoins fenfîble qu'à la
douleur qu'il avoit de la perte de ce
Général , duquel il dit ce beau mot ,
qui renferme un fens û profond:
il faifoit honneur à l'homme ; vou-
lant faire entendre par -là que la
nature humaine fe trouvo.t ho-
norée par le mérite d'un homme
tel que le Vicomte de Turenne»
Au refte , la confiance des Im-
»E TU RENNE. Liv. V. 47^
périaux alla jufqu'à la préfomp- Ao.H
tion , lorfqu'ils apprirent cette 1675.
mort ; & ils commencèrent à fe Efp£ran<:es
regarder déjà comme maîtres des qu'en conçoi-
François , découragés par une 11 J^lna? A&
grande perte. De notre côté , quel- douleur qu'en
ques mefures que l'on eût prifes ^J"^J* ^
pour la tenir fecrette , elle ne put repaient' q le
l'être bien long-tems. Il parut aux Rhuu
yeux de tout le monde , qu'il fe
paffoit quelque chofe de myftérieux
parmi les Officiers Généraux. Les
foldats ne purent pénétrer ce que
c'étoit; mais les Officiers , en ayant
aifément deviné la caufe , com-
mencèrent bientôt à la rendre pu»
blique. On ne fçauroit exprimer
la confternation où tomba l'ar-
mée quand on y apprit cette mort*
On en fut tellement faifi , que tout
le monde , demeurant muet 6c im-
mobile y il fe fit tout-à-coup un
profond filence dans le camp ,
malgré le tumulte qui en eft com-
me inféparable. Ce filence ne fut
rompu que par les lamentations
de quelques foldats , qui s'écriè-
rent : Notre Père eji mort , nous
476 Histoire du Vicomte
"7 ~~ avons perdu notre Père : Nousfommts
1*75. perdus. D'autres s'arrachoient les
cheveux de douleur. Les Anglois
vouloient fe jette'r fur les enne-
mis , pour venger fa mort. Tous
les foldats , touchés d'une trifte
curioiité , voulurent voir le corps
de leur Général ; fpe&acle qui
renouvella leurs pleurs & leurs
cris. Cependant la crainte 011 cha-
cun étoit pour foi-même , l'ayant
bientôt emporté fur toute autre
forte de fentimens, nous retour-
nâmes chercher notre pont pour
y paffer le Rhin. Ce fut une chofe
bien mortifiante que cette retrai-
te , qu'il nous fallut faire devant
des gens , que nous étions allés
chercher fi loin. Après avoir ef-
fuyé un fanglant combat , nous
voyant en fureté au-deçà du Rhin ,
nous commençâmes à fentir plus
vivement la grandeur de notre
perte , n'étant plus partagés par
aucun autre intérêt. Les Officiers
& les foldats recommencèrent à
déplorer leur malheur par de nou-
veaux regrets , à rappeller le fou-
DE TURENNE. Llv. T. 477
/enir de toutes les marques de A N M É €
ponté qu'ils a voient reçues du Vi- 1675.
:omte de Turenne , ci à fe les
•aconter les uns aux autres. Le
Comte d'Auvergne , &c (es autres
îeveux , qui fe trouvèrent alors
lans notre armée , lui ayant fait
aire un fervice , les gémhTemens
•edoublerent , quand on vint à lui
endre ces derniers devoirs. Son
iffabilité , fon défintéreffement
k fes autres qualités aimables ,
evenoient dans l'efprit de tout le
nonde , & faifoient verfer des
armes : enfin l'on peut affurer ,
me jamais père , Prince, ni bien-
aiteur , ne furent tant pleures de
jerfonne, qu'il le fut de toutes les
roupes.
Mais ce n'étoient pas feule- Combîenôn
nent les gens de guerre qui \ Jj c™^e
itoient fenfibles à la mort du Vi-
:omte de Turenne. Quand la nou-
velle en arriva à la Cour , on en
lit pénétré de douleur ; on en fut
nême véritablement alarmé ; &C
:e qui eft bien plus , on le parut à
découvert , comme on l'étoit. On
Pans
478- Histoire du Vicomti-
Akv±e fit aufli - tôt huit Maréchaux de
i67y. France, pour réparer, en quelque
forte , la perte d'un feul , dont on
ne connut jamais mieux le prix
qu'après fa mort.
Pour avoir une jufle idée de
la consternation que cette mort cau-
fa dans Paris 9 il faudroit y avoir
été alors. La triftefTe , en un inf-
îant, fut peinte fur le vifage des
habitans de cette grande Ville,
On vit l'artifan quitter fon tra-
vail pour aller former une fociétd
de plaintes avec fes voifms ; &
les bourgeois s'attrouper , pour fe
demander jufqu aux moindres cir«
confiances d'un fi grand malheur .
avec les regrets les plus tendres &
les plus vifs.
*, a^c J„* La mêrrie chofe arriva dans les
&c dans tout . . ,
je Royaume. Provinces les plus éloignées. Or *
fut plufieurs jours incapable de
faire autre chofe que de parler d< \
la mort du Vicomte de Turenne :
&C de le pleurer.
î.e Roi même Le R0i même , touché de tou
le pleura & le /-> ' ' \ •*.€'*.
fit inhumer à <^e que ce General avoit tait pou
s. Denis. la confervation de fa couronm I
DE TURENNE. LlV.V. 479
pendant fa minorité , &; depuis "T 7""
r 1 1 ' c r 1 1 - t- 1 Année
pour la détente de les Etats , le ié7î,
pleura : il ordonna que ion corps
tnt apporté dans l'Abbaye de Saint
Denis , où l'on enterre ordinaire-
ment tous les Rois de France ; &c
même , pour le diftinguer des autres
grands hommes qui y ont été in-
humés , il voulut qu'il fut enterré
dans la chapelle deftinée pour la
fépulture des Rois fk, des Princes
de la branche Royale de Bourbon ,
comme il paroît par l'ordre con-
tenu dans la lettre fui vante , adref-
fée à l'Abbé 6ç aux Religieux
-de l'Abbaye de Saint Denis en
France.
CHERS & bien amés : les grands -, ** kt"e}
e r . , r . ,D, lAbbe de S*
C* Jignales Jervices qui ont eu ren- oe]
dus à cet Etat par jeu notre Coujin
Le Viçomle de Turenne , & les preuves
éclatantes qu'il a données de fon %e-
le , de fon affeclion à notre fervice ,
&defa capacité dans le commande-
ment de nos armées 9 que nous lui
ç.vons confiées avec une efpérance cer-
taine des heureux & grands fucces
que fa prudence confommée & fa va*
:ms.
480 Histoire du Vicomte
*"" ~~ leur extraordinaire ont procuré à nos
l6y^ armes , nous ayant fan repentir avec
beaucoup de douleur La perte d'un auf-
fi grand homme , & d'un fujet aujji
néceffaire 9 & aujji di flingue par J d
vertu & par f on mérite : Nous avons
voulu "donner un témoignage public ,
digne de notre ejiime & defes grandes
actions , en ordonnant quilfûtrtn*
du à fa mémoire tous Us honneurs
qui peuvent marquer à la pofiérité
l'extrême fatisf action qui nous rejie ,
& le fouvenir que nous voulons con-
ferver de tout ce qu'il a fait pour la
gloire de nos armes , & pour le fou-
tien de notre Etat. Et comme nous ne
pouvons en donner des marques plus
publiques & plus certaines qu'en pre-
nant foin de fa fépulture , nous avons
voulu y pourvoir en telle forte que U
lieu ou elleferoit , fût un témoignage
de la grandeur de fes fervices & de
notre reconnoijjance, Cefi pourquoi
ayant réfolu défaire bâtir dans VE-
glife de S. Denis une chapelle pour
la fépulture des Rois & des Princes
de la branche Royale de Bourbon ,
nous voulons , que > lorf qu'elle fera ■.
achevée
DE TURENNE. Liv. V. 481
achevée , le corps de notredit Conjîny A N à g
fou transféré 9 pour y être mis en lieu 1*75.
honorable , juivant V ordre que nom
en donnerons : Et cependant nous
avons permis à nos Coujins le Car*
dînai & le Duc de Bouillon, Ces neveux,
de meure fon corps en dépôt dans la
chapelle de S. Euflache de la Sainte
Eglife de Saint Denis , & d'y élevet
un monument à la mémoire de leur
oncle 9fuivant les deffeins qui en ont
été arrêtés. C'eft de quoi nous avens
Bien voulu vous donner avis , & vous
dire en même tems , que nous voulons
que vous exécutiez ce qui eji en cela
de notre volonté , en faifant mettre le
corps dans la cave de la chapelle ,
& en laijfant la liberté aux ou-
vriers de travailler au monument
jufquà fon entière perfection. Si ny
faites faute ; Car tel efl notre plaijîrm
[Donné à Saint Germain en-Laye^ le
XXII. jour de Novembre t€y5. Signé ,
LOUIS ; & plus bas , Colbert. Et
fur le repli : A nos chers & bien amés
lies Abbe , Prieur & Religieux de
\V Abbaye Roy ait de Saint Denis en
\ France,
X
4$2. Histoire du Vicomte
T !"" On fit donc apporter le corps
Année.,,.. . £* . , r
ï67î. du Vicomte de Turenne, de 1A1-
Tranfporté &ce où u étoit , en l'Abbaye de S.
às.Denis,& Denis. Ces fortes de cérémonies,
fuaebxcf °ns toujours triftes d'elles-mêmes , n'a-
voient jamais rien eu de fi lugubre,
que celle ci. Les peuples venoient
de tous les environs fur le che-
min par où ce corps de voit paffer,
& ne pouvoient le voir fans ré-
pandre des larmes* Les habitans
de la campagne fortoient des
bourgs & des villages , pour aller
le recevoir : le Clergé alloit au-de-
vant de ville en ville. Les bour-
geois de celle de Langres , où il
pana , prirent tous le deuil à fon
arrivée, & firent une dépenfe confi-
dérable pour lui rendre des hon-
neurs extraordinaires , & cela fans
en avoir reçu aucun ordre de la
Cour ; tant la mémoire du Vicom- -
te de Turenne étoit chère à desf
gens même qui ne l'avoient peut- F
être jamais vu. Le Roi lui fit fai
re, outre cela, à Notre-Dame de I
Paris , un fervice , où le Clergé de I
France , le Parlement , l'Univerfi I
DE TURENNE. Llv. V. 483
té, & la Ville, afïifterent en corps. A ~ ~ É E
L'Oraifon flmebre, qui y fut pro- x675.
noncée par l'Evêque de Lombez ,
renouvella les pleurs de toute l'af-
femblée. Les plus célèbres Prédica*
teurs en firent à l'envi en plufieurs
autres endroits (*) ; & il ne fe pro-
nonça , durant toute cette année ,
aucun Difcours public , ni à l'ouver-
ture des Parlemens , ni A celle des
Académies & des Univerfités,ni en
aucune autre forte d'occafion , oii
l'on ne fît l'éloge du Vicomte -de
Turenne , & où l'on ne pleurât fa
perte; ce qui ne s'eft peut-être jamais
fait pour aucun autre particulier.
Tels furent les regrets qui fui-
virent la mort du Vicomte de,
Turenne. Ce Prince étoit né avec Son lempf.
un corps d'un tempérament très- rament , & fa
robufte : il étoit d'une taille mé- Phyflonomie-
diocre & bien proportionnée : il
ii'étoit ni gras ni maigre ; il avoit
la forme du vifage affez régulière ,
(*) Entre autres l'Abbé Fléchier , depuis
Evêque de Nîmes ; & le Père Mafcaron ,
depuis Evêque d'Agen.
,X ij
^ 484 Histoire du Vicomte
4 H N é E les cheveux châtains , les yeux
**7y» grands , les fourcils épais ÔC pres-
que joints enfemble , le teint plu-
tôt rouge que vermeil ; l'air natu-
rellement ouvert & ferein , mais
rêveur à force d'application , &
où l'on voyoit tout à la fois quel-
que chofe de fombre & de riant ,
qui le faifoit paroître gai & mé-
lancolique en même-tems : phyfio-
nomie affez extraordinaire , 6c
néanmoins aimable aux yeux de tout
le monde , à caufe de l'extrême
douceur qui y étoit répandue. Il
n'y a prefqu'aucune forte de ver-
tu , dont il n'ait donné des exem-
ples , qui méritent d'être rendus
publics,
soûdéfwté- Son défintéreffem ent & fa gé-
ccflcment , & nérofité font d'autant plus louables ,
que l'amour de l'argent a été pro-
prement le vice dominant de fon '
fiecle.
exemple no- Lorfqu'il étoit dans le Comté
cible. de la Marck en Allemagne , un
Officier général lui vint propo-
fer de lui faire gagner cent mille
écus en quinze jours par le moyen
»E ÎURENNE, Liv.V. 4S5
des contributions , 6c cela , d'une a n n r%
manière que la Cour n'en auroit l67\-
aucune connoifïance. Il lui répon-
dit , qu'il lui étoit bien obligé ;
mais qu'après avoir trouvé beau-
coup de ces fortes d'occafions , fans
en avoir jamais profité , il n'étoit
pas d'avis de changer de conduite
à fon âge.
Il ne renvoya jama:s aucun de sa géoérofi-
ceux qui lui venoient demander , té-
fans lui donner. Quand il n'avoit
plus d'argent fur lui , il en emprun- .
toit au premier Officier qu'il trou-
voit fous fa main , & il lui difoit de
l'aller redemander à fon Intendant,
Un jour , cet Intendant vint lui
dire , qu'il foupçonnoit certaines
gens de venir redemander ce qu'ils
n'avoient point prêté , & qu'ainii
il feroit bon qu'il donnât à chacun
une marque de ce qu'il emprun-
tait. Non , non , lui dit-il , rende^
tout ce quon vous dira ; car il nefi
pas pojfîble quun homme vous aille
redemander unefomme a" argent y qu'il
ne me l'ait prêtée , ou qu'il ne foie
dans un extrême befoin. S'il me Va,
Xiij
486 Histoire du Vicomte
prêtée, il faut bien la lui rendre : s il
eft dans un Jî grand befoin , il ejîjujic
de Vajjifter,
u preuve no- H étoit ingénieux à trouver des
table. moyens d'épargner à ceux à qui
il donnoit , la honte de recevoir
du fecours dans leur indigence : il
ne leur donnoit qu'avec une efpece
de pudeur , & il fembloit qu'il vou-
lût prendre toute la confiuion pour
lui. Il étoit encore fort jeune, lorf-
qu'ayant fçu qu'un Gentilhomme
étoit devenu pauvre , pour avoir
dépenfé toutfon bien à l'armée , il
s'avifa de troquer des chevaux
avec lui ,, & de lui en donner d'ex-
cellens pour de très-médiocres ,
faifant femblant de ne s'y pas con-
noître.
Autre. Un jour y ayant touché beaucoup
d'argent d'une charge dont la Cour
lui avoit permis de difpofer y il af-
fembla cinq ou fix Colonels , dont
les régimens étoient affez déla-
brés ; Se leur laiffant croire que cet
argent venoit du Roi , il le leur
difiribua à proportion de leurs be-
foins.
DE TURENNE. Liv. K 487
Une autre fois , entendant un Am*e*
Officier, qui fe plaignent d'avoir eu
deux chevaux tués à une affaire, &
d'être ruiné par-là , il le mena à fon
écurie , lui donna deux de fes meil-
leurs chevaux , & lui recommanda
fortement de n'en parler à perfonne ;
de peur , difoit-il , qu'il rien vienne
d'autres ; car je n ai pas le moyen d'en
donner à tout le monde : voulant ainfi
cacher le mérite de cette action fous
un prétexte d'économie ; car autant
il aimoit à donner , autant il crai-
gnoit qu'on ne divulguât le bien
qu'il faifoit.
Quatre jours avant qu'il fut Autre>
tué , il avoit donné quatorze mille
livres aux Anglois qui fervoient
dans fon armée , dont il en avoit
emprunté dix mille fur fon crédit à
Strasbourg ; & l'on ne trouva , après
fa mort, que cinq cens écus dans fa
caffette.
On pourroit rapporter plufieurs Autre*
autres exemples de fa générofité :
mais je crois que , pour achever de
la faire connoître, il fuffit de dire ,
qu'après avoir commandé les ar-
X iv
4$ 8 Histoire du Vicomte
mées pendant plus de vingt ans,
" il lahTa moins de bien en mourant,
qu'il n'en avoit eu de fa. maifon ,
dont il n'étoit pourtant que ca-
det.
Sonhumani- Le foin qu'il prenoit de la for-
fiae°rsr&$ ï« tune des Officiers , & fon humani-
foidau. té envers les Soldats, lui avoient
gagné le cœur des gens de guer-
re. Loin d'imputer ks mauvais
événem ens au défaut de conduite
des Officiers qu'il employoit , il
étoit le premier à les excufer. Si
quelqu'un avoit été battu en parti,
il prenoit foin de le confoler lui-
même , & de lui relever le coura-
ge : il lui donnoit de nouvelles trou-
pes & en plus grand nombre , afin
qu'il eût fa revanche , &C continuoit
à le renvoyer toujours à la guerre,
jufqu'à ce qu'il eût remporté quel*
qu'avantage.
Sa borné de Un jeune Gentilhomme de l'ar-
eaur. riere-ban , arrivant un jour à l'ar-
mée , après l'avoir falué r lui de-
manda ou il mettrait fis chevaux»
A cette queftion , tous ceux qui
étaient préfens, fe mirent à rire de
Ï)E TlJRENNE. Liv. V. 489
la manière du monde la plus mor-
tifiante pour ce Gentilhomme. Mais
le Vicomte deTurenne , prenant fon
férieux : Cefl donc , leur dit-il , une
ckofc bien étonnante , qu'un homme 9
qui nefi jamais venu à V armée , nen
fâche pas les ufages ? N'y a-t-il pas
bien de Cefprit à fe rire de lui, parce
qu'il ne fait pas des chofes qu'il ne
peut f avoir 9 & quau bout de huit
jours il f aura auffi-bien que vous ? II
ordonna en même-tems à fon Ecuyer
d'avoir foin des chevaux de ce Gen-
tilhomme , &c de l'inftruire des au-
tres chofes. Les airs infultans le
choquoientau dernier point ; ck la
bonté étoit tellement le fond de fon
caractère qu'il ne pouvoit foufîïj r
qu'on fe moquât de perfonne. A
la Cour comme à l'armée y îor£
qu'il arrivoit quelque provincial
dont on vouloir fe divertir , il pre-
noit d'abord fon parti, d'un air qui
impofoit aufïi-tôt filence à tout le
monde , quelque démangeaifon
qu'on eût de railler.
11 arriva plufieurs fois , qu'ayant Son efprit ^
reçu de la Cour des ordres pofitifs l'upport,
Xv
490 Histoire du Vicomte
de eaffer des Capitaines y dont les
compagnies n'étoient pas complet-
tes, il prit fur lui d'en fufpendre
l'exécution , & fut les conferver y
en leur donnant le tems de rétablir
leurs compagnies.
il obtient la Ayant fçu que le Duc de Lu-
grace de Du- xembourg avoit fait condamner
p#"' à une mort infamante , Duport , qui
avoit rendu Naerden , dont il étoit
Gouverneur r & qui étoit pourtant
un fort brave homme ; il obtint du
Roi, que cet Officier auroit la per-
miffion de fe jetter dans Grave , où
il expia , par une mort glorieufe ,
la faute qu'on l'accufoit d'avoir faite
à Naerden.
Son équité II prenoit foin de l'avancement
pour ici wou- ^e tous Geux ^ Soient dans fon
armée, depuis le plus grand juf-
qu'au plus petit : il faifoit valoir
leurs fervices à la Cour , & il
leur faifoit donner des charges &
des emplois à chacun , félon leur
capacité & leur mérite. Auffi les
Officiers & les Soldats avoient-
ils pour lui un amour &c un atta-
chement qu'ils firent paroître en
DE TURENNE. LlV. V. 49Ï
tant d'occafions , que je crois de-
voir en rapporter ici quelque cho-
fe.
Après fa mort , les Officiers gé- & [*« «con-
néraux tinrent confeil pour favoir J^JJ" cn"
où ils meneroient l'armée ; & com- Exemple,
me ils étoient long-tems à fe dé-
terminer , les foldats dirent ce bon
mot : Les voilà bien embarrajjés.
Qu'on lâche la Pie ; & nous campe-
rons où elle s'arrêtera.
Mazel , qui paflbit pour un des Autre;
meilleurs Officiers du Royaume ,
& qui l'étoit véritablement , fe
voyant prêt à mourir en Allemagne,
demanda pour toute grâce , qu'on
l'enterrât au même endroit où le
Vicomte de Turenne avoit été
tué.
Il fe trouve encore aujourd'hui , Autre,
parmi nous, de vieux Officiers , de-
vant qui on ne fauroit parler du
Vicomte de Turenne , qu'il ne ver-
fent aufîi-tôt des larmes ; & j'en ai
vu , oui , voulant me raconter les ^S"
bontés qu'il avoit eues pour eux , ancien caPî-
en éioient encore fi vivement pé- ^eauxGar"
nétrés, que la douleur leur çou-
Xvj
49* Histoire du Vicomte
pant la voix , & les laififlant jufqu'à
les faire fangloter , ils ne pouvoient
achever leur récit.
s* bonne Sa bonne foi étoit fi bien éta-
foi générale- j^e ncm-feulement chez nous , mais
encore chez nos voilins , que la
plupart des Princes d'Allemagne
traitoient avec lui perfonnellement
pour leurs intérêts , fans demander
aucune garantie de ce qu'il leur
promettoit ; & que les Républi-
ques y même les plus foupçonneu-
fes , fe croyoient en afiurance , dès
qu'il leur avoit donné fa parole.
Exemple. Quand il fallut réfoudre dans
le Confeil d'Efpagne, en 1650, fi.
En i*5$. on |e mettroit à la tête des trou-
pes , il n'avoit aucune caution à
donner aux Efpagnols pour fureté
de leur armée. Cependant ,. comme
ils connoiflbient le fond de fon ca^
ra&ere , ils ne laiflerent pas de la lui
confier.
A Un jour qu'il étoit dans la Soua-
be , ayant fait approcher fon armée
du Lac de Confiance , pour mettre
à contribution quelques terres de la
Maifon d'Autriche , les Suiffes > qui
deTurenne. Lîv. V. 49$
pouvoient craindre que , fous pré-
texte de porter la guerre dans le
pays de l'Empereur , on n'entrât
dans le leur à l'improvirte , lui en-
voyèrent des députés , pour lui di-
re , qu'ils avoient tant de confiance
en fa bonne foi,, qu'ils ne feroient
aucunes levées de troupes , s'il vou-
loit les afTurer qu'il ne viendroit
point chez eux ; qu'ils prendroient
de plus grandes précautions avec
un autre ; mais qu'avec lui , ils fe
contentoient de fa parole.
J'ai vu des lettres de nos Am- Autre,
baffadeurs en Angleterre , par les-
quelles ils mandent , qu'ils fe font
fouvent fervi de fon nom , pour fai-
re réufîir les affaires qu'ils avoient
à négocier à la Cour de Londres. Et
j'en ai lu quelques autres de Plé-
nipotentiaires de France , qui écri-
vent que tout ce qu'ils peuvent di-
re aux Princes d'Allemagne , ne les
rauiire point, & qu'ils n'ont confian-
ce qu'au Vicomte de Turenne.
Son intégrité & fa fageiTe Sonîntégii*.
étoient fi généralement reconnues , tc"
même dans les pays étrangers ? que c l6 î4*
lion
494 Histoire du Vicomte
les Princes de Montbéliard , ayant
difputé entre eux à qui pofféderoit
la principale Terre de leur Souve-
raineté , fe fournirent au jugement
qu'ils le prièrent de rendre pour
terminer leur différend ; & que
beaucoup d'autres Princes , fur-tout
de l'Allemagne , le choififîbient
pour arbitre dans la plupart des
conteftations qui furvenoient en-
tr'eux.
Sa modéra? sa modération dans les offen-
fes égale tout ce qu'on raconte de
celle des Philofophes de l'antiquité ,
les plus vantés.
Exemple rare Etant fur le point d'attaquer
les lignes des ennemis qui afîié-
geoient la ville d'Arras & n'ayant
point les outils qui lui étoient né-
eeffaires pour cela , il en envoya
demander , par un de fes Gardes ,
au Maréchal de la Ferté. Ce Garde
vint bientôt après dire que le Ma-
réchal de la Ferté les avoit non-
feulement refufés, mais encore qu'il
avoit accompagné fon refus de pa-
roles fort défobligeantes pour le
yicomte de Turenne» Le Vicomte
de Turenne. Llv. V. 49c
de Turenne , fe tournant alors vers
les Officiers qui fe trouvoient au-
près de lui , fe contenta de dire :
Puifquil ejl Ji en colère, il faudra fe
pajfer defes outils y & faire comme Ji
nous les avions.
Le même Maréchal , ayant trou^ Autre,
vé un*autre Garde du Vicomte de
Turenne hors du camp , lui de-
manda ce qu'il faifoit-là ; ÔC , fans
attendre fa réponfe , il s'avança fur
lui & le chargea à coups de can-
ne. Ce Garde vint fe préfenter
tout en fang à fon Maître , exagé-
rant fort les mauvais trait emens
qu'il avoit reçus du Maréchal de la
Ferté : mais le Vicomte de Tu-
renne , feignant de s'en prendre au
Garde même : // faut, lui dit-il, que
vousfoye^ un bien méchant homme ,
pour Û avoir oblige à vous traiter de la
forte. Et ayant envoyé chercher
le Lieutenant de fes Gardes , il lui
ordonna de mener fur le champ ce
Garde au Maréchal de la Ferté ,
de lui dire qu'il lui fâifoit excufe de
ce que cet homme lui avoit man-
que de refpeft j & qu'il le remettoit
49<$ Histoire du Vicomte
entre fes mains , pour en faire telle
punition qu'il lui plairoit. Cette
modération étonna toute l'armée.
Le Maréchal de la Ferté , qui en fut
lui-même furpris, s'écria, avec une
efpece de jurement qui lui étoit or-
dinaire : Cet homme fera- t'il toujours
fage , & moi toujours fou ;
atrc« Son carroffe s'étant trouvé un
jour arrêté dans les rues de Paris
par un embarras, un jeune homme
de condition , qui ne le connoiffoit
point, tk dont le carroffe étoit à la
fuite du fien , vint donner à grands
coups de canne fur le cocher du
Vicomte de Turenne , parce qu'il
n'avançoït pas affez-tôt à fon
gré. Le Vicomte de Turenne re-
gardoit tranquillement cette fcène
de dedans ion carroffe. Mais un
Marchand., étant forti alors de fa
boutique , un bâton à la main , en
criant : Comment l on maltraite ainfi
les gens de M, de Turenne ! ce
jeune homme , qui , à ce nom , fe
crut perdu , vint à la portière du
carroffe du Vicomte de Turenne ,
lui demander pardon, Le Vicomte
DE TURENNE. Liv. V. 497
de Turenne , qu'il croyoit bien en
colère , s'étant misa fourire ; Effecti-
vement y Monjitur , lui dit-il , vous
vous entende^ fort bien à châtier mes
gens : quand ils feront desfottifis , ce
qui leur arrive fouvent , je vous les en-
verrai. Le Vicomte de Turenne
fe poffédoit ainfi dans ces fortes
d'occafions , où les autres hom-
mes ne font plus maîtres d'eux-mê-
mes. On ne l'a jamais pu faire for-
tir de ce caraclere tranquille &
modéré , quelque chofe qu'on ait
faite pour le choquer ôt l'irriter.
La Grèce l'auroit mis au nombre
de fes Sages quand il n'auroit eu
que cette feule vertu : auiîi les meil-
leurs efprits de fon fiecle l'ont-ils
regardé comme un homme quiétoit
véritablement digne d'être mis en
parallèle avec les plus grands per-
sonnages qui aient jamais été par-
mi les Grecs & parmi les Romains.
Rien ne fauroit être plus fuperbe ,.
que l'étoit alors la Cour de France»
On venoit de tous les endroits de
l'Europe voir la magnificence de
Verfaiiles. Cependant les étran-
498 Histoire du Vicomte
gers , après avoir vu la pompe &
les richeffes de la Cour & des
Maifons Royales , eftimoient que
le bonheur que le Roi avoit d'être
le maître de toutes ces choies , n'é-
toit point comparable à celui de
poffeder un homme tel que le Vi-
comte de Turenne.
Sabontêpour $a j,onté envers fes domeffi-
îes aomeiu- , t 1T ., . .. ,
^ue*. ques , de laquelle j ai dit quelque
choie en général , fe connoîtra peut-
être encore mieux par l'exemple
fuivant.
Exemple, xjn jour un de fes gens étant
allé demander de fa part , quoi-
qu'à fon infçu , un Emploi au îieur
Colbert, Contrôleur Général des
Finances; ce Miniftre^ravi de trou-
ver une occafion de faire plaifir
au Vicomte de Turenne , lui alla
porter lui-même la Commifîion*
Le Vicomte de Turenne , qui ne
favok rien de la chofe , fut allez
furpris du compliment dufieur-Col-
bert. Néanmoins y recevant la Com-
mifïion , il remercia ce Mïniftre ,
comme fi c'eût été par fon ordre
qu'on la lui fût allé demander, &
DE TURENNE. Liv. V. 499
fît appeller le domeftique en fa-
veur duquel elle et oit expédiée.
Cet homme ayant fçu ce qui ve-
noit de fe paffer , fe crut perdu , &
fe jetta aux pieds de fon maître , en
lui demandant miféricorde. Mais
te Vicomte de Turenne le faifant
relever aufîi-tôt , & lui remettant la
Commilîion entre les mains : Si
vous meujfie^ parlé de cette affaire ,
lui dit-il , je vous y aurois fervi com-
me vous Vaurie^ pu fouhaiter : &
tout ce qui me fâche en cela , c'e/l que
vous ne me dijie^ point ce qui vous
oblige à me quitter. Ce domeftique
confus y &; néanmoins raffuré , lui
ayant dit qu'il n'avoit recherché
cet Emploi , que parce qu'il avoit
beaucoup d'enfans ; le Vicomte de
Turenne lui fit payer ce qu'il lui
devoit de fes gages , 6c lui donna
encore une fomme confidérable ,
pour l'aider à faire fubfifter fa fa-
mille.
Sa modeflie eu peut-être de tou- Sa moicfti^
tes fes vertus celle dont on a une
plus grande idée, à caufe de fon ex-
térieur. Que feroit-ce , £ on la con-
yoo Histoire du Vicomte
noiffoit par les fentimens mêmes?
Preuve. Qu'on life tous les Mémoires
hiftoriques faits de notre tems , on
y verra que le plus petit Officier
le vante toujours d'avoir fait ce
qu'il raconte de plus grand , ou du
moins de l'avoir fuggéré au Gé-
néral. À lire dans les Mémoires
du Vicomte de Turenne, fes gran-
des aclions , qui ont étonné toute
l'Europe , il femble que ce foient
les événemens les plus (impies &
les plus communs , & qu'il n'y ait
eu prefqu'aucune part.
Autre, en Peu de gens ignorent la gloi-
re qu'il s'acquit par le fameux cam-
pement du Quefnoi , où après la
levée du fiége de Valenciennes , il
arrêta les ennemis victorieux. Voi-
ci ce que lui écrivit le Sieur le
Tellier , Secrétaire d'Etat , qui
fut depuis Chancelier de France.
Par votre prudence , Monfeigneur f
& par une conduite vigoureufe , vous
ave{ rétabli la réputation des armes
du Roi. En vérité , il ri y a rien de
plus beau que votre campement pro-
che du Quefnoi f après la déroute de
*6î6
DE TURENNE. Liv. V. 501
'aUnciennss , d'avoir ainjî fait tête
ux ennemis , fort orgueilleux dans
tur Pays , &c. Voici comment le
Vicomte de Turenae en parle lui-
nême : V armée des ennemis ejl ve-
\\ue tout proche .d'ici. Ils y ont de»
neuré deux jours , & après ont mar-
hé vers Condè. Au Quefnoi , U 24
ruillet i6>6.
Il eft constamment vrai qu'il fau- Autre, 1*$*,
ra la Cour à Jargeau ; la Reine-
4ere U dit publiquement en pro-
pres termes. Cependant , voyez
omment il s'en exprime lui-même :
7 s*eft pajjé quelque chefi À Jar-
geau , qui nefi pas de grande confi-
iération. A Jully , le 30 Mars
\ 6 5 2. Y a-t-il quelque exemple d'u-
1e pareille modeftie dans les Mé-
noires , ou dans les Lettres des
uitres hommes de guerre?
Sa délicateffe de confeience nous $a déiica-
iécouvre en lui un fi grand fond »fle de c°»-
de Religion , qu'on n'eft plus fur- Clen"'
pris que l'armée , ni la Cour ne
'aient pu gâter.
Quelque bien qu'aient les Exemple,
gens de guerre , il en eft peu qui
501 Histoire du Vicomte
ne foient obligés d'emprunter de!
l'argent , quand il faut qu'ils fe;
mettent en campagne. Lorfquel
le Vicomte de Turenne étoit fur le;
point d'y aller, beaucoup de gens]
venoient lui offrir de très - groffes I
fommes ; mais 9 quoiqu'il pût quel-
quefois en avoir befoin , il n'en
voulut jamais accepter , dans la
crainte qu'il avoit que ces gens ne
perdifTent ce qu'ils lui auroiem
prêté , s'il fût venu à mourir à l'ar-
mée.
Autre. Un jour qu'il étoit en marche
dans le pays ennemi , les habitans
d'une grone Ville lui envoyèrent
offrir cent mille écus par des Dé-
putés , pourvu qu'il voulût bien
le détourner de fon chemin , &
ne point faire paffer fes troupes
dans leur ville. Comme votre ville ,
dit le Vicomte de Turenne à ces
Députés, nef point fur la route par
oh y ai dtjliné de faire marcher mes
troupes , je ne puis prendre V argent
que vous m'offre^. Je ne penfe pas
qu'on ait jamais porté plus loin la
délicateife de confeience. Ces Dé-
DE TtfRENNE. £*V, V\ 503
pûtes en demeurèrent très-éton-
nés. Les ennemis eurent toujours
depuis pour lui une vénération
pleine de tendrefTe : ils le pleu-
rèrent à fa mort autant que les
François mêmes, &les Allemands
n'ont jamais voulu labourer l'en-
droit où il a été tué , comme fi
l'imprefîion de fon corps avoit
rendu cet endroit facré. Il eft en-
core en friche , &£ les payfans le
montrent à tout le monde , aufîi-
bien qu'un arbre fort vieux qui
eft là auprès , & qu'ils n'ont point
voulu couper. Aufïi avoit-il tou-
jours épargné le pays ennemi au-
tant qu'il avoit pu , confervant les
fruits de la terre pour les gens
de la campagne dont iî plaignoit
la trhle deltinée , & n'en avoit pas
moins bien fait le fervice du Roi ,
comme on l'a pu voir dans^toute
la fuite de fon hiftoire.
Le Chriûianifme , enfin , de l'ef- Son ChrîftU.
prit duquel il étoit fans cefTe ani- mfme*
mé , a , pour ainfi dire , couronné
toutes fes autres vertus. Il avoit
îioû-feulement foin de purger fon
504 Histoire du Vicomte
armée des déréglemens qui ré-
gnent ordinairement parmi les
troupes ; mais il y a voit encore
établi des prières publiques à cer-
taines heures du jour. Il faifoit
des vœux au Ciel pour la paix au
milieu des plus glorieufes vicloi-
res qu'il remportoit. Il traitoit
tous (es foldats comme tes en-
fans & comme fes frères ; fi bien ,
qu'à l'armée même , il étoit enco-
re plus admiré pour l'excellence
de fes mœurs , qu'à cauie des t'a-
lens fupérieurs qu'il avoit pour la
guerre.
Preuve, % Jacques II , Roi d'Angleter-
re , qui a écrit les quatre campa-
gnes qu'il fit fous lui , racontant
la fameufe attaque des lignes
d'Arras , en parle en ces termes :
Avant Canaque des lignes d'Arras f
Monfieur de Turenne fit faire des
' prières publiques à la tête de chaque
bataillon & de chaque ejeadron , pen*
dant plujîeurs jours , pour le juccès
de cette tntreprife : prefque tout le
monde fe confejfa & communia; &
je fuis fur au il ne s' ejl jamais vu
dans
BE TlTRENNE. Lh. V. J6J
dans aucune armée tant de marques
d'une véritable dévotion qu'il en
parut dans la nôtre (*).
Tout le monde convient que
rien ne fait mieux connoître un
homme que fes lettres : Il ne
faut que lire celles du Vicomte de
Turenne , pour voir qu'il n'étoit
occupé que de Dieu, pendant tout
le cours de fes campagnes tk dans
toutes (es entreprîtes*
Nous allons commencer la cam« Autre.
pagne , dit-il dans une de (es let-
tres : /ai bien prié Dieu ce matin
qu'il me fafj'e la grâce de la paffcr
en fa crainte , ne connoiffant point de
plus grand bien que d'avoir la cons-
cience en repos > autant que notre
fragilité le peut permettre. A Marie ,
te n Juin 1656*
Toutes chofes vont fort bien Au£tc'
jufqu'à préfent ; dit-il dans une au-
( * ) Mémoires de Jacques II , Roi de
| la Grande Bretagne , écrits de fa propre
i inain , & confervés par Ton ordre dans
I les Archives du Collège des Ecoffois à
Paris,
Y
506 Histoire du Vicomte
tre lettre ; mais comme les fuccès
font toujours douteux , il faut fe re-
mettre à la volonté de Dieu* Au
camp devant Valenciennes , le i§
Juin 1656.
On ne fauroit porter plus loin
la confiance , la réfïgnation , l'hu-
milité & la reconnohTance Chré-
tienne que le fait le Vicomte de
Turenne dans toutes fesjettres.
Autre. Pourvu , dit -il , qu'il plaife à
Dieu de ne nous point faire tomber
dans quelque malheur que Von ne pré'
voit point , fefpere qrfon achèvera
ce Jiége, Au camp devant Landrecy ,
le 29 Juin 1655.
Autre. Avec l'aide de Dieu , je crois
que ceci riujfira fort bien , & qu'il
bénira notre entreprife. Au camp
devant la Cap elle 9 le 23 Septembre
i65G.
Autre. ; Je fuis toujours dans les mêmes
fentimens ? priant Dieu qu'il me don-
ne la continuation de fa grâce , &
qu'il me rende plus homme de bien
que je ne le fuis* A Amiens , le 1
Janvier 1660.
Autre, On affûte fort que les ennemis
DE TURENNE. Liv. V. 507
donneront aux lignes» Cela comme
toutes les autres chofes , ejl en la main
de Dieu ; îlfautfefoumettre à fa vo-
lonté. Au camp devant Valenciennes ,
le z Juillet i65G.
F ai rendu grâces a Dieu de tout Aurre,
mon cœur de ce que cette affaire ,
dont je fouhai tais fi fort le fucces ,
in a fi bien réuffi. Il efl certain qu'il
y a une grande bénédiction de Dieu
fur tout ce que j'entreprends. Au
camp , pus d'Arras > le 26" Août
Il feroit trop long de tranf-
crire toutes les autres lettres du
Vicomte de Turenne où l'on trou-
ve de pareils fentimens. Je finirai
par celle qu'il écrivit après la ba-
taille des Dunes , &C que je vais
rapporter , afin qu'on voie fi au-
cun Général d'armée a jamais écrit
une femblable lettre , après une pa-
reille victoire.
Je vous fais ce mot , pour vous
dire qu'il s'efl pajfé aujourd'hui une
fort belle action , dont il faut louer
Dieu. Monfieur le Prince & Dom
Juan $nt été entièrement défaits.
$0$ HlST. DU VlC. DE TUR.
Ccft une grande bénédiction de Diey.
que cette affaire ait fi heureufement
réujfî. Tejpere qu'il nous bénira ey
autre chofe : il faut fe remettre à fa.
volonté. Aux Dunes près Dun-
kerque , le 14 Juin i658.
Condufion. Tej fut par rapport au Chrif-
tianifme le Vicomte de Turen-
ne dont on ne doit pas craindre
que le nom & les actions tom-
bent jamais dans l'oubli , quand
même les François ne prendroient
pas foin d'en perpétuer le fouve-
nir , les exemples de vertu qu'il
a donnés étant d'une û grande
utilité pour tous les hommes , de
quelque pays qu'ils foient , que le
monde entier fe trouve intérefîe à
en conferver éternellement la mé*
moire,
F I N.
TABLE
DESLIVRES
DE CETTE HISTOIRE.
Livre Premier.
d
Epuis la naiffance du Vicomte
de Turenne , jufqu \à fon élévation
au grade de Maréchal de France
en 1&43 -> Pag- ï'73^
Livre Second.
Depuis la défaite du frère de Mercy
à Hutinghen , en 1 G 44 , jufqu9 à
la défaite des Bavarois , en 1 648.
Pag. 75-148.
Livre Troisième.
Depuis la paix de Munfler & le
commencement des Guerres Civi*
les , jufqu' au Siège de Dunkerque 9
en iG58 , Pag. 145-191,
Livre Quatrième.
Depuis la Bataille des Dunes , en
i€5S , jufqiï à fon changement de
Religion i en Octobre 1608 ,
p. 293-336.
Livre Cinquième.
Depuis la Guerre de Hollande , en
1 6yx y jufqrfà fa mort en 1 6j5 ,
P*g- 339-473-
F I N.
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